Des jeunes chômeurs affrontent la police en banlieue
parisienne
Par Rick Kelly et Chris Marsden
6 juin 2006
Le ministre de l’Intérieur français, Nicolas Sarkozy, a déployé en renfort des
centaines de policiers en banlieue parisienne après deux nuits d’échauffourées
entre de jeunes chômeurs et les autorités.
Les centres-villes de Montfermeil et de Clichy-sous-Bois ont été le théâtre des
affrontements les plus féroces entre des jeunes et la police depuis les émeutes
qui ont secoué les banlieues françaises pendant trois semaines à l’automne
dernier. Des comptes-rendus indiquent que les affrontements ont été déclenchés
par les agissements provocateurs de la police locale et par des mesures
sécuritaires avancées par le maire UMP (Union pour un mouvement populaire) de
Montfermeil, Xavier Lemoine. L’UMP gaulliste est le parti du président Jacques
Chirac, du premier ministre Dominique de Villepin et du ministre de l’Intérieur,
Nicolas Sarkozy.
Les tensions se sont exacerbées à Montfermeil, une banlieue à 15 kilomètres à
l’est de Paris, depuis que Lemoine a mis en œuvre des mesures interdisant aux
jeunes de 15 à 18 ans de se réunir à plus de trois dans le centre-ville de jour
comme de nuit et forçant les adolescents de moins de 16 ans à être accompagnés
d’une personne majeure s’ils circulent sur la voie publique entre 20 heures et 5
heures du matin. Le tribunal a annulé ces mesures après que des collectifs et
des associations de défense des libertés publiques aient protesté.
L’étincelle qui aurait déclenché les échauffourées semble avoir été les
interpellations ayant eu lieu le 29 mai suite à l’agression d’un chauffeur de
bus à Montfermeil. Selon des comptes-rendus, le maire Xavier Lemoine était
présent au moment de l’agression et était intervenu personnellement. Plus tard
il a identifié les suspects.
Certains comptes-rendus mentionnent l’arrestation d’un jeune homme alors que
d’autres précisent que les affrontements avaient été provoqués par l’arrestation
d’une femme immigrée d’origine malienne vivant dans la cité des Bosquets dont le
fils était recherché dans le cadre de l’incident du bus. La police aurait, de
façon très musclée, traîné cette femme hors de la cage d’escaliers devant des
membres de sa famille et ses enfants.
Cette nuit-là des jeunes ont incendié des voitures dans la cité des Bosquets où
vit un tiers de la population de Montfermeil et dont 50 pour cent est issue de
l’immigration. Entre 100 et 150 jeunes armés de battes de base-ball ont affronté
les CRS pendant plus de quatre heures. Il est fait état de neuf policiers
blessés au cours des échauffourées.
Une dizaine de voitures, y compris un véhicule de la police, ont été brûlées.
Des cocktails Molotov ont été lancés contre des bâtiments et des vitres ont été
brisées à la mairie. Après quoi les jeunes se sont dirigés vers la maison du
maire qu’ils ont attaquée à coup de pierres. Lemoine a déclaré aux journalistes
que les jeunes criaient, «Le maire, fils de pute.» La police a tiré des balles
en caoutchouc pour disperser la foule de jeunes.
La nuit suivante, il y a eu des échauffourées de moindre importance à
Clichy-sous-Bois, ville voisine, dont l’attaque d’un commissariat de police.
Quatre policiers auraient été blessés.
La région avait été le point de départ des émeutes de l’année dernière lorsque
deux jeunes, Zyed Bena et Bouna Traore, avaient été électrocutés en tentant de
fuir la police. Au moins treize jeunes ont été arrêtés mardi, dont Muhittin
Altun, âgé de 18 ans qui avait survécu à l’électrocution en octobre dernier
suite à la prise en chasse de la police qui avait abouti au décès de Bena et de
Traore. Altun a été accusé d’avoir jeté un pavé sur une voiture de police, mais
son avocat a réfuté l’accusation.
Altun, ainsi que des magistrats instructeurs de l’affaire, devaient se rendre
mercredi au transformateur électrique où ses deux amis avaient trouvé la mort et
où lui-même avait été sérieusement brûlé. «Muhittin a été interpellé en bas de
chez lui,» a expliqué son avocat. «Nous ne pouvons qu’être stupéfaits que son
interpellation ait lieu la veille d’un acte judiciaire essentiel.»
Les mesures imposées contre les jeunes dans les cités font partie d’un arsenal
répressif avancé par le gouvernement. Les promesses faites pour remédier aux
causes sociales des émeutes de l’année dernière n’ont abouti à rien, alors que
Sarkozy s’est servi des échauffourées pour promouvoir sa campagne pour sa
candidature à l’investiture de l’UMP à l’élection présidentielle de 2007 sur une
plate-forme sécuritaire.
Avant les affrontements de cette semaine, Sarkozy avait cherché à doter les
maires de pouvoirs accrus pour venir à bout de jeunes indisciplinés,
encourageant de ce fait les mesures prises par Lemoine à Montfermeil.
Le ministre de l’Intérieur est apparu aux côtés de la police locale et a promis
de réprimer la violence. «Je ne laisserai pas mettre la pagaille - nulle part
sur le territoire de la République», a-t-il dit à la police selon des remarques
diffusées par les média. «Vous devez continuer à lutter contre la délinquance,
on va mettre le paquet… les Français demandent la sécurité, les voyous doivent
être punis.»
Sarkozy a rejeté toute critique faite à l’encontre de la police en disant que la
lutte contre la délinquance avait dû fâcher quelques délinquants. Il a soulevé
la question de la modification de l’ordonnance de 1945 protégeant les enfants de
sanctions réservées aux adultes en annonçant «des initiatives dans les jours qui
viennent pour que la question des mineurs soit posée devant la société
française.»
Cette dernière montée de violence dans les banlieues parisiennes témoigne des
tensions sociales extrêmes qui sont perceptibles dans les banlieues les plus
pauvres de la capitale. Les régions où prédominent les Arabes, les noirs et les
immigrés, sont marquées par le chômage de masse qui, dans certains quartiers,
s’élève jusque 60 pour cent chez les jeunes. Les habitants y sont confrontés au
racisme et à la brutalité de la police à grande échelle.
Le gouvernement français a profité des émeutes de l’année dernière pour
amplifier son propre programme. Les promesses du président Chirac et du premier
ministre de Villepin de créer des emplois et d’améliorer les conditions de vie
des habitants des banlieues ont servi de prétexte à une attaque contre les
conditions de vie de tous les travailleurs et de tous les jeunes Français.
La proposition du Contrat première embauche (CPE) de Villepin qui devait
permettre aux entreprises de licencier les jeunes travailleurs sans fournir de
motif, avait été justifiée sur la base que cette mesure encouragerait les
patrons à embaucher des jeunes issus des banlieues ouvrières. Le CPE a été
retiré en avril, après que des protestations et un mouvement de grève de trois
mois se soient développés contre cette loi.
Pourtant, le gouvernement a maintenu la «Loi pour l’égalité des chances» qu’il a
promulguée en réponse aux émeutes de l’année dernière. La «Loi pour l’égalité
des chances» comprend de nombreuses mesures réactionnaires y compris un
abaissement de fait de l’âge légal de l’apprentissage et l’autorisation du
travail nocturne dès 15 ans. La loi encourage également pour les jeunes chômeurs
des stages dans l’armée et la police, ainsi que la suppression des allocations
familiales aux mères au cas où différentes conditions ne seraient pas remplies.
Ces mesures sont associées à un harcèlement policier continu des jeunes chômeurs
dans les banlieues, suite à l’état d’urgence de trois mois instauré par le
gouvernement après les émeutes de l’année dernière