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Allemagne: expulsions en augmentation et nombre de demandes
d’asile en baisse
Par Elisabeth Zimmermann
6 juin 2006
La politique de l’ancien gouvernement social-démocrate et Verts ainsi que celle
de l’actuelle grande coalition ont conduit à une diminution sans précédent des
demandeurs d’asile en Allemagne. En 1998, quelques 98.644 réfugiés avaient fait
une demande d’asile. En 2005, ils étaient tout juste 28.914.
Le gouvernement rouge-vert avait poursuivi la restriction du droit d’asile
jusqu’à ce que ce dernier devienne méconnaissable. Cette restriction avait
d’ailleurs été chose décidée par le gouvernement chrétien-démocrate précédent de
Helmut Kohl avec le soutien du Parti social-démocrate (SPD). En phase avec
l’Union européenne (UE), les sociaux-démocrates et les Verts ont pratiqué une
politique impitoyable de refoulement et de stigmatisation des immigrants et des
réfugiés. L’actuel gouvernement poursuit cette politique.
En conséquence, le nombre des demandeurs d’asile est tombé en mars à 2.140 et a
été réduit à nouveau d’un tiers, totalisant 1.500 en avril et seuls 1,1 pour
cent de ceux qui font une demande, la plupart en provenance de Serbie et du
Monténégro, de Turquie et de l’Iraq, se voient accorder l’asile.
Des dizaines de milliers de personnes dont la demande d’asile n’a pas abouti ou
dont le visa temporaire a expiré sont obligés de quitter l’Allemagne chaque
année. Durant ces dernières années ou ces derniers mois, les personnes touchées
ont été de plus en plus souvent des personnes ayant vécu durant de nombreuses
années en Allemagne et dont les enfants y sont nés et y ont grandi. Sur les
quelques 200.000 personnes ne disposant que d’un séjour toléré sur le territoire
en raison d’un visa temporaire, 120.000 vivent en Allemagne depuis plus de cinq
ans.
Depuis des années, l’organisation allemande pour les réfugiés, Pro Asyl, ainsi
que d’autres groupes de soutien ont fait appel aux ministres de l’Intérieur des
Länder pour qu’ils accordent une autorisation de séjour permanente aux réfugiés
de longue date en possession d’un visa temporaire. Ceci a été refusé pour la
énième fois lors de la dernière conférence des ministres de l’Intérieur qui
s’est tenue début mai à Garmisch-Partenkirchen. Au lieu de cela, les conditions
d’obtention de la nationalité allemande ont à nouveau été durcies.
Ces mois derniers, l’office fédéral allemand des migrations et des réfugiés
(Bundesamt für Migration und Flüchtlinge) a retiré à des milliers de réfugiés
iraquiens le statut protecteur de réfugiés qui leur avait été accordé
auparavant. Les ministres de l’Intérieur des Länder examinent la possibilité de
commencer des expulsions vers l’Iraq, en dépit du fait que tous les mois des
attentats y font des milliers de victimes civiles. Selon Pro Asyl, les
agissements des autorités allemandes sont uniques en Europe et violent le droit
international des réfugiés.
Des expulsions vers l’Afghanistan ont lieu depuis longtemps. Certains Länder
allemands expulsent même des femmes afghanes alors que la situation politique et
économique dans ce pays en proie à la guerre et à la guerre civile s’est
continuellement détériorée au cours de ces derniers mois
Le nouveau ministre afghan des Affaires étrangères, Rangin Dadfar Spanta, dans
une interview à la presse écrite en a appelé à l’Allemagne pour qu’elle cesse de
déporter des réfugiés afghans et de créer des problèmes supplémentaires : «Mon
appel va dans ce sens : permettez à ces personnes de rester en Allemagne et de
s’y intégrer comme dans une deuxième patrie. Que toute personne désirant rentrer
au pays le fasse, mais les autres ne devraient pas être expulsés,» dit-il au
quotidien Frankfurter Rundschau
Mais, les autorités allemandes en charge des étrangers, ne se soucient guère
d’appels humanitaires ou d’expertises médicales ou de droit international. Le
bien-être des réfugiés et de leurs enfants intégrés dans la société allemande ne
les concerne guère plus. A titre d’exemples on peut citer quelques cas
d’expulsion ou de menace d’expulsion touchant des familles entières qui ont
vécu, ou qui vivent, depuis plus de dix ans en Allemagne.
Khan Duy Trieu, jeune vietnamien de 15 ans, a dû quitter l’Allemagne le 24
septembre 2005 en même temps que ses parents et son petit frère pour éviter
d’être déporté. Il avait vécu treize ans à Straubing et avait obtenu, l’année
dernière, la deuxième place à un concours de mathématique en Bavière.
Les explications officielles avancées par les autorités en charge des étrangers
justifiant la menace d’expulsion étaient qu’il «n’existe plus de raisons pour
que ces anciens réfugiés vietnamiens restent plus longtemps en Allemagne.» Des
reportages télévisés ont été consacrés au cas de cette famille qui était bien
intégrée dans la communauté allemande. Le père et la mère avaient du travail,
Khan Duy Trieu comptait parmi les meilleurs élèves de sa classe. La famille doit
à présent se partager le petit appartement des grands-parents à Hanoi.
Le fait qu’il ne s’agit nullement d’un cas isolé est confirmé par le directeur
de l’Institut Goethe à Hanoi, Franz Xaver Augustin. Le nombre exact des
expulsions de Vietnamiens en provenance d’Allemagne n’est plus publié depuis
trois ans. En 1995, un soi-disant accord de rapatriement avait été signé entre
l’Allemagne et le Vietnam. Entre 1995 et 2002, quelques 10.149 Vietnamiens ont
quitté l’Allemagne.
Le 4 mai 2006, la chaîne de télévision allemande ARD a consacré son émission
«Kontraste» à un autre cas de brutalité arbitraire des autorités allemandes et
qui n’est pas non plus un cas isolé.
Quai Kamran, jeune Afghan de 22 ans, vivait depuis seize ans à Friedberg en
Hesse avec ses parents et ses frères et sœurs. C’est parce qu’il recherchait une
place dans la police qu’il a attiré l’attention des autorités.
Il avait rempli toutes les conditions d’admissibilité pour cet emploi : avoir
vécu au moins cinq ans en République fédérale et maîtriser l’allemand ainsi que
sa langue maternelle. La seule condition qui lui manquait c’était un permis de
séjour permanent.
Quai Kamran a fait une demande de permis de séjour permanent auprès des
autorités compétentes de Friedberg qui le lui ont refusé parce qu’il n’avait pas
de travail régulier et parce qu’il bénéficiait d’une aide sociale. Quai Kamran
se trouve dans la même situation que des milliers d’autres, à savoir dans un
cercle vicieux : sans autorisation de séjour, pas de travail ou de place
d’apprenti, sans travail pas de permis de séjour. Mais les choses ne s’arrêtent
pas là. Lui et sa famille doivent à présent être déportés vers l’Afghanistan.
Bien que ses copains de classe et ses professeurs aient défendu sa cause et
collecté des signatures et que le directeur de l’école se soit rendu
personnellement auprès des autorités compétentes, au ministère de l’intérieur et
au parlement du Land de Hesse, ni les autorités ni les politiciens ne se sont
ravisés en faveur de sa famille.
Quai Kamran s’en veut à présent et se sent responsable de la menace d’expulsion
parce qu’il croit avoir attiré l’attention des autorités sur sa famille en
faisant cette demande d’autorisation de séjour.
Un autre cas, est celui de Hassan R., Marocain de 35 ans souffrant de maladie
psychique qui a été retiré du service psychiatrique d’un foyer d’hébergement
public pour malades mentaux à Haina, en Hesse du nord, pour être déporté vers le
Maroc. Deux semaines plus tard, les parents du jeune homme malade avaient perdu
toutes traces de lui. Le père de Hassan, qui vit à Rödermark (près de
Francfort), a pris l’avion pour Casablanca à la recherche de son fils. Mais en
vain. Depuis dix ans, Hassan R. souffre de schizophrénie, d’hallucinations et
d’épilepsie. Ses chances de survie sans aide médicale et sans médicament sont
minces.
Le cas d’une famille tamoule de Meschede, dans le Sauerland vivant depuis plus
de dix ans avec un enfant sévèrement handicapé mental, et qui a été déportée
vers le Sri Lanka en août de l’année dernière dans une action qui s’est déroulée
«dans la nuit et le brouillard», a fait l’objet, le 11 mai, d’un reportage dans
l’émission « Härte mit System » de la chaîne de télévision Westdeutscher
Rundfunk Une voisine plus âgée de la famille et qui avait été témoin de la scène
de déportation a commenté ainsi les agissements des autorités et de la police:
«Sommes-nous de retour à l’ère de Hitler ?»