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George Bush et le massacre de Haditha
Par Barry Grey
5 juin 2006
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Mercredi dernier, le président George Bush a brisé le silence à propos des
meurtres non provoqués de 24 civils irakiens, non armés, par des Marines
américains, dans la ville de Haditha. Plus de six mois après l’événement,
environ deux mois après qu’il eut été renseigné sur cette atrocité par son
conseiller à la sécurité nationale, et deux mois après qu’un compte-rendu
détaillé eut paru dans le magazine Time, Bush a marmonné qu’il était
«troublé par les premières nouvelles.»
Après une rencontre avec le président rwandais Paul Kagamé, lors d’une
séance de photos à la Maison Blanche, Bush ajouta: «Je suis conscient
qu’une enquête approfondie est en cours. Si des lois ont vraiment été
violées, il y aura des sanctions.»
Jeudi, Bush a répété le même refrain, déclarant que «S’il y a eu des
méfaits, des gens seront tenus responsables.» Il poursuivit en faisant
l’éloge d’un programme «de formation sur l’éthique» devant être suivie par
les soldats américains et a affirmé: «Ceci n’est qu’un rappel, pour les
troupes en Irak ou pour celles parmi toute notre armée, que l’on attend
beaucoup d’eux et que les règles d’engagement sont très strictes.»
Par ces déclarations, Bush a dévoilé son intention de reprendre l’approche
de son administration et du haut commandement militaire face aux
révélations, deux ans plus tôt, de tortures sadiques à la prison d’Abou
Ghraïb: jeter dans la fosse aux lions les soldats au bas de la hiérarchie
impliqués dans les crimes, et absoudre leurs hauts supérieurs de toute
responsabilité.
Les remarques de Bush ont démontré son mépris et son indifférence, pas
seulement pour les victimes irakiennes de l’agression de son
administration, mais aussi pour les soldats américains qui ont été
précipités dans l’enfer d’une occupation militaire néo-coloniale. Malgré
toutes ses remarques politiques opportunes sur «les meilleurs fils des
États-Unis» combattant «au front, dans la guerre contre le terrorisme», il
n’a aucun problème à rejeter tout le blâme des crimes de guerre sur des
soldats, afin de détourner l’attention portée aux auteurs de la guerre,
lui-même y compris, dont les politiques rendent de telles atrocités
inévitables.
«Si des lois ont été violées, il y aura des sanctions.» Vraiment? La
guerre elle-même est une violation de la loi internationale, ainsi que les
mauvais traitements et la torture de prisonniers, le kidnapping de
soi-disant terroristes, leur restitution à des régimes pratiquant la
torture et alliés de Washington, le réseau de prisons secrètes de la CIA,
et le refus d’accorder les droits déterminés par la Convention de Genève
et une procédure équitable à ceux pris dans le filet international des
États-Unis.
Bush, Cheney, Rumsfeld, Powell, Rice, les chefs militaires et les autres
qui ont planifié et déclenché une guerre sur la base de mensonges sont les
principaux criminels. Et les dirigeants républicains et démocrates et les
béni-oui-oui des médias qui ont fait la promotion de la guerre et qui
continuent à défendre l’occupation sont leurs complices.
Haditha était un crime de guerre, de nature particulièrement horrible, car
ceux qui l’ont perpétré ont systématiquement acculé et exécuté hommes,
femmes et enfants, durant une période de cinq heures. Mais comment
qualifier les destructions de villes entières, comme Fallujah et Tall
Afar, lors desquelles des milliers de civils innocents sont morts?
Celles-ci sont acclamées par Bush et les médias comme de grandes
victoires.
Le carnage subi par le peuple irakien en conséquence de l’occupation
américaine est tel que, au moins selon des reportages de la presse
américaine, les horreurs d’Haditha n’ont pas encore d’échos importants
dans la conscience de la population irakienne. Le Los Angeles Times dans
un reportage publié le 1 juin qui portait sur le massacre, a cité Hassan
Bazzaz, un analyste politique de Bagdad: «Ça ne fait pas grand chose
d’entendre que vingt personnes ont été tuées par les Américains. Chaque
jour, des personnes sont tuées et jetées à la rue, dans des boîtes à
ordures. Ils sont morts de peur. Ils n’ont même pas le temps de penser à
ce qui s’est produit à Haditha.»
Le jour même où Bush faisait ses remarques, les autorités militaires
américaines en Irak ont signalé que les forces américaines avaient tué
deux Irakiennes, une d’entre elle sur le point d’accoucher, les soldats
ayant fait feu sur leur voiture à Samarra.
Dans un reportage du premier juin traitant des enquêtes officielles sur
les événements d’Haditha, le Washington Post a laissé entrevoir la réalité
politique et militaire qui sous-tend toutes les atrocités commises par les
forces américaines et leurs sous-traitants irakiens. «Et est-ce que
l’armée est prête, demandait le quotidien, à aller jusqu’au bout du long
et ardu processus de mettre un terme à une insurrection en tant que partie
de la première occupation d’une nation arabe par les États-Unis?»
Les soldats qui ont exécuté 24 personnes à Haditha sont coupables et
doivent être punis pour leurs crimes. Mais il y a un élément de tragédie
qui vient s’ajouter aux aspects criminels de leurs actes. Ceux qui les ont
commis sont eux-mêmes des victimes, un fait que ne peut reconnaître Bush
et les autres dans sa clique qui ont lancé cette guerre.
Beaucoup de soldats d’élite de la compagnie Kilo (3ème bataillon, premiers
Marines) qui est descendue dans les rues d’Haditha juste après l’aube du
19 novembre en sont à leur troisième déploiement en Irak. Ils sont très au
fait que, plus de trois ans après l’invasion, la situation sécuritaire à
laquelle sont confrontées les troupes américaine dans la province d’Anbar,
largement sunnite, s’est détériorée. Haditha elle-même est un centre de
résistance populaire à l’occupation américaine et à son gouvernement
marionnette de Bagdad. Trois mois plus tôt, vingt soldats d’élite d’une
autre unité ont été tués dans les environs de la ville rurale en trois
jours.
Comme le reste des forces américaines en Irak, ces hommes ont été jetés
dans une situation où ils doivent réprimer et subjuguer une population qui
est motivée par un profond et légitime désir de se libérer d’envahisseurs
étrangers. Envoyés au combat sur la base de faux prémisses, ils ont été
inondés de propagande et de mensonges qui n’ont aucun lien avec les
véritables motifs de guerre de Washington ou avec la réalité de la
situation en Irak.
Luttant pour survivre, l’anxiété et la peur toujours présentes, obligés de
tuer et de voir leurs camarades mutilés et tués, les soldats envoyés en
Irak, jeunes pour la plupart, seront de façon inévitable marqués
psychologiquement et émotionnellement pour la vie, même s’ils ont la
chance d’échapper aux blessures physiques.
La folie meurtrière qui s’est déchaînée à Haditha est évidemment la
réponse de certains membres de la compagnie Kilo à la mort soudaine du
caporal Miguel Terrazas qui a été instantanément tué par un engin explosif
artisanal qui a détruit son humvee. Ce serait une erreur de supposer que
ceux qui ont perpétré le massacre sont tous simplement des monstres. Mais
il est clair qu’ils ont été mis dans une situation qui produit des actes
monstrueux.
On ne peut pas en dire autant de leurs supérieurs, militaires et civils,
qui ont cherché à cacher l’atroce acte. Maintenant que la première étape
de la tentative de maquillage s’est effondrée, la deuxième est lancée.
Elle prend la forme d’enquêtes «poussées», criminelles et administratives,
par le commandement militaire.
Des fonctionnaires du Pentagone ont fait savoir qu'au moins douze des
marines de la compagnie Kilo feront face à des accusations criminelles et
que trois d'entre eux seront probablement accusés d'homicide ou de meurtre
et le reste de négligence au poste. En même temps, une enquête
administrative a été lancée sous la supervision du général Eldon Bargewell
afin de déterminer qui est responsable d'avoir fait de faux rapports sur
les événements à Haditha et d'avoir bloqué toute investigation.
Le choix de Bargewell pour diriger cette enquête interne est hautement
significatif. Un officier vétéran des Opérations spéciales, Bargewell a
été décoré pour son rôle au Vietnam en 1971, quand il était membre d'une
équipe de reconnaissance qui opérait loin derrière les lignes
vietnamiennes. Le Washington Post a rapporté le 1er juin: «Une des
conclusions de Bargewell est que la formation des troupes pour l'Irak a
été bâclée… trop d'accent ayant été mis sur les méthodes traditionnelles
de guerre et pas assez sur la façon de mener une campagne de
contre-insurrection.»
Autrement dit, le mandat de Bargewell est de faire de l'armée américaine
en Irak un instrument plus discipliné et plus meurtrier pour casser la
résistance irakienne, et de la préparer pour une présence à long terme
dans le pays.
Le Général Michael Hagee, commandant des marines, est en tournée en Irak,
supposément pour donner des conférences aux marines sur «l'importance de
nos valeurs fondamentales», comme si du bavardage sur la «morale» et la
loi pourra changer la nature de la guerre ou les conditions qui donnent
naissance à des poussées de fureur meurtrière. Il y a, cependant, un
sérieux motif militaire et politique à de tels gestes d'éclat. La
révélation d'événements tels que Haditha cause un sérieux tort aussi bien
à la situation militaire des États-Unis en Irak qu'à la position politique
et diplomatique internationale de Washington. Il est primordial de limiter
les dégâts.
De plus, des incidents tels que la tuerie à Haditha sont symptomatiques
d'une force militaire qui frôle la démoralisation et le désespoir. Il y a
sans aucun doute de véritables inquiétudes parmi les gros bonnets de
l'armée sur cette question.
En même temps, le corps des marines, selon le Post, a émis une directive à
ses généraux leur enjoignant de ne pas discuter des détails de l'affaire
Haditha parce que «ce n'est pas dans l'intérêt du corps des marines d'
"ébruiter cette histoire"…»
Le côté civil de la tentative officielle de maquillage est aussi en cours,
tel que signalé par le sénateur John Warner, le républicain de la Virginie
qui préside le Comité de forces armées du Sénat. Faisant une apparition à
l'émission «This Week» de la télévision ABC dimanche dernier, Warner a dit
que son comité tiendrait des audiences sur Haditha à la reprise de la
session parlementaire. «Je ferai exactement ce que nous avons fait avec
Abu Graïb», a-t-il annoncé.
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