wsws : Nouvelles et analyses : Europe
Par Antoine Lerougetel
Le 8 novembre 2005
Un membre dirigeant de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), Christian Piquet, s'opposa à un appel au retrait des CRS des cités lors d'une réunion à Paris le 4 novembre, au moment même où le gouvernement français projetait d'accroître massivement la répression policière.
Lors de la réunion, tenue à la librairie de la LCR, furent discutés les termes d'un tract à distribuer pendant la manifestation nationale et la grève d'EDF (Electricité de France) du 8 novembre appelée par les syndicats et les partis de gauche contre le programme de privatisations de grande envergure du gouvernement, privatisations en cours et à venir.
Depuis 10 jours, des jeunes des banlieues, d'abord de la capitale et, maintenant, dans la France toute entière, se battent contre l'intervention massive des CRS dans leurs cités, mouvement provoqué par la mort de deux adolescents fuyant la police le 27 octobre. Le principal porte-parole de la LCR, Alain Krivine, avait invité, dans un communiqué sur la page web du parti, "les forces progressistes" à se réunir avec son parti pour réagir à la situation. Des reporters du WSWS couvrirent la réunion.
Au cours de la réunion - conduite par Piquet, membre dirigeant de la LCR et journaliste de l'hebdomadaire Rouge- des membres de la section des jeunesses de la LCR, les JCR (Jeunesses communistes révolutionnaires), proposèrent que l'appel exige le retrait des CRS des quartiers. Quelques délégués reconnurent que c'était la demande principale venant des jeunes et des habitants des cités.
Piquet dit, "je suis d'accord avec l'appel au retrait des CRS. Je ne suis pas sûr que le PCF (Parti communiste français) ou la LDH (Ligue des droits de l'homme) seraient d'accord." D'autres signalèrent que ce ne serait pas seulement le PCF. D'autres organisations, dirent-ils, particulièrement la CGT (Congrès général du travail), dominée par les staliniens et d'autres syndicats refuseraient aussi de signer l'appel si cette demande y était incluse.
Piquet accepta d'inclure cette demande provisoirement mais il déclara avec fermeté, "Si ceci provoque le retrait d'organisations, alors nous devrons retirer cet appel du texte." Il apparut parfaitement clairement à tous ceux présents que ceci revenait à dire que la LCR elle-même s'opposait à cet appel.
Le WSWS demanda à Piquet de confirmer cette déclaration, ce qu'il fit, et il demanda alors à tous ceux présents s'ils soutenaient l'appel au retrait des CRS des cités. La majorité fit signe que "oui". Personne n'indiqua qu'il s'opposait à cet appel.
Certains soutinrent, pour justifier leur accord avec la position de Piquet, que l'unité la plus large possible était essentielle. Suite à la réunion, le WSWS demanda aux participants s'ils étaient prêts à s'unir avec des organisations qui acceptaient la présence des CRS dans les cités. Aucun ne voulut insister sur cette question dans l'intérêt de l'"unité". Les jeunes de la JCR qui avaient soulevé aussi, sans succès, la question d'une demande d'amnistie pour les jeunes emprisonnés pour avoir réagi devant la provocation policière, furent incapables de répondre quand on leur demanda ce qu'ils ressentaient face au rejet de leurs propositions.
Piquet dit que la LCR avait envoyé des invitations à toutes les organisations et partis de gauche. Une vingtaine de 20 personnes étaient présentes. Le Parti communiste avait envoyé ses excuses et Annick Coupé du groupe syndical de gauche Sud Solidaires avait dit qu'elle viendrait mais en fait, elle ne vint pas. Les verts furent le seul parti politique à envoyer un représentant. Les autres participants, à part les membres de la LCR et les représentants d'un groupuscule de gauche, étaient membres d'organisations anti-racistes, féministes ou autres organisations protestataires.
L'adaptation à l'establishment
Le refus de la LCR de lancer un appel sans équivoque pour le retrait des CRS montre qu'elle s'est alignée sur l'establishment bourgeois qui d'une façon ou d'une autre exige l'oppression par la force de la jeunesse en révolte.
Les CRS ne furent pas envoyés dans les cités pour « protéger la population », mais pour opprimer les jeunes. Ils ont acquis une triste notoriété pour leur brutalité et leur racisme. Tout comme les propos incendiaires de Sarkozy traitant les jeunes des cités de « racaille » et de « gangrène », la présence même des CRS équivaut à une provocation permanente.
L'« unité » à laquelle la LCR se réfère n'est pas l'unité de la classe ouvrière dans son ensemble, comprenant les jeunes opprimés des banlieues, mais plutôt l'alliance de la LCR avec les staliniens du PCF, les Verts et certaines sections du Parti socialiste. Ces partis sont responsables précisément de la politique menée sous la présidence de François Mitterrand et du gouvernement de Lionel Jospin, et qui a conduit à la présente crise dans les cités. La plupart des cités touchées se trouvent dans des communes qui furent pour la plupart administrées pendant des décennies par des maires du Parti socialiste et du Parti communiste.
Le Parti socialiste appelle de façon éhontée à la répression policière. Dan un communiqué publié par la secrétaire nationale du parti chargée de la sécurité, on peut lire : « Le parti socialiste rend hommage au travail accompli par les forces de l'ordre [ la police et les CRS], les travailleurs sociaux dans des circonstances extrêmement difficiles. »
Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, réclame des punitions plus sévères pour les jeunes : « Brûler une voiture n'est pas un acte banal et doit être sévèrement puni.»
Le Parti communiste publia un communiqué de son Comité national sous le titre « Assez de provocation et d'irresponsabilité ! » Il déclare que « Rétablir l'ordre est une urgence extrême. » Tout en blâmant Sarkozy pour la révolte et en réclamant sa démission, le communiqué ne fait nullement appel au reste de la classe ouvrière pour défendre les jeunes opprimés des banlieues. Une liste de revendications destinée à remédier aux problèmes sociaux les plus graves existant dans les banlieues, culmine dans la revendication pour plus de moyens financiers pour le « système pénitentiaire ».
Il est significatif que la LCR, qui n'a de cesse de lancer des appels en faveur d'une « convergence » des luttes, fait tout pour isoler les jeunes des banlieues des millions de travailleurs engagés dans des luttes contre la politique pro capitaliste et néolibérale des employeurs français et de l'establishment politique. Ces travailleurs aussi doivent faire face à une répression croissante de la part de la police et de l'Etat. Pour mettre en échec cette politique, il est indispensable que les luttes des jeunes contre la pauvreté, le chômage, la discrimination et la répression soient unies à celle du reste de la classe ouvrière dans une lutte politique contre le capitalisme. C'est précisément ce que la LCR veut éviter.
La rage destructrice des jeunes est l'expression de la crise qui s'est développée depuis le début de l'année et qui avait abouti au rejet de la campagne pour la constitution européenne de l'establishment politique (dont le Parti socialiste). Elle est poussée par les mêmes contradictions sociales fondamentales qui avaient engendré le soutien considérable de la population française pour les grèves et les manifestations du 4 octobre ainsi que la lutte tenace des marins du ferry et les ouvriers du transport de Marseille contre la privatisation, le chômage et la destruction du niveau de vie et des droits démocratiques. Le Parti communiste et la CGT ont cherché à limiter, isoler et écraser chacune de ces luttes.
Tout en couvrant chacune des trahisons de la bureaucratie syndicale, y compris la dernière trahison en date des marins du ferry par la CGT, la LCR mentionne à peine la révolte des banlieues dans ses publications. Son site internet affiche un éditorial de seulement quatre paragraphes du tout dernier numéro de Rouge consacré aux événements qui secouent depuis onze jours la Cinquième République jusque dans ses fondations.
Une chose est claire : La LCR est un parti de l'ordre. Lors du deuxième tour des élections présidentielles de 2002, elle apporta son soutien tacite à la candidature de Jacques Chirac, le principal représentant politique de la bourgeoisie française, le considérant comme le choix du moindre mal contre Jean-Marie Le Pen de l'extrême droite. Krivine, Piquet et les autres dirigeants de la LCR sont des membres de « gauche » de l'establishment français.
Ce qui se cache derrière le refus de la LCR de prendre position sur le retrait des CRS est son ambition de forger une alliance avec les staliniens du PCF et les autres partis de la soi-disant gauche plurielle. Olivier Besancenot, candidat présidentiel de la LCR lors du premier tour des élections de 2002, avança la possibilité de former une alliance électorale anticapitaliste avec le Parti communiste et le camp du « non à la constitution européenne » du Parti socialiste. Il ne fait pas de doute que la LCR s'attend à être récompensée par des postes ministériels dans une nouvelle version d'un gouvernement de la Gauche plurielle.
Le gouvernement de la Gauche plurielle de Lionel Jospin fut rejeté de façon décisive lors de l'élection de 2002 pour sa politique pro capitaliste. La LCR aimerait offrir ses services afin de conférer une couverture de gauche à un nouveau régime représenté par une alliance du Parti socialiste et du Parti communiste, comme soi-disant alternative à la politique de Chirac, Villepin et Sarkozy.
Pour toutes ces forces politiques, de gauche comme de droite, la répression policière des jeunes en révolte est leur revendication prioritaire dans la présente crise.
Tout membre de la LCR disposant d'un tant soit peu de conscience de classe et d'un sens des principes politiques, doit être dégoûté par l'attitude couarde adoptée par Krivine et les autres dirigeants de la LCR.
Il faut que les travailleurs français rejettent tous ces appels, faux et sans principe, à l'unité des bureaucraties des différentes organisations de « gauche ». Ces appels sont basés sur un effort pour isoler les travailleurs et les jeunes dans leur lutte contre le patronat et ses alliés dans l'establishment politique. Leur politique ne sert qu'à discréditer la classe ouvrière et le socialisme aux yeux des sections opprimées de la jeunesse.
L'appel à défendre les jeunes des cités
et pour le retrait des CRS doit faire partie de la lutte pour
l'unité de la classe ouvrière sur la base d'un programme
socialiste : le remplacement du capitalisme par l'utilisation
planifiée des richesses de la société afin
de satisfaire les besoins et non pour remplir les poches d'une
élite.