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France: Une nouvelle loi oblige les enseignants à présenter le "rôle positif " de la colonisation françaisePar Antoine Lerougetel Utilisez cette version pour imprimer Le 29 novembre l'Assemblée nationale confirma son soutien à une loi qui glorifie les conquêtes coloniales et l'empire français et qui oblige les enseignants à présenter sous une lumière favorable l'histoire de ce passé brutal. Cette démarche fait partie d'un virage à droite idéologique opéré par le parti gaulliste au pouvoir, l'UMP (Union pour un mouvement populaire), dont le fer de lance est le président du parti et ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, rival à la droite de l'UMP, du président Jacques Chirac. Le but de la loi est de consolider le soutien des sections les plus réactionnaires de la société française : en particulier le corps des officiers, imbu des souvenirs de leurs exploits coloniaux et de conceptions d'honneur national, qui pensent que la France n'aurait jamais dû abandonner son empire, ainsi que les pieds-noirs, colons blancs, dont plus d'un million durent quitter l'Algérie en 1962 quand le général Charles De Gaulle céda le pays aux nationalistes. Les pieds-noirs représentent une partie de la base politique et électorale de la droite et de l'extrême droite, surtout dans le sud-ouest de la France. Quand l'armée française quitta l'Algérie en 1962, elle laissa bon nombre des harkis, Algériens intégrés dans l'armée et l'administration coloniales, à la merci du FLN (Front de libération nationale) victorieux qui en massacra des milliers. Les Français étaient entièrement conscients du sort qui les attendait. Les harkis qui purent s'échapper en France furent parqués dans des ghettos et se battent encore aujourd'hui pour obtenir des pensions de guerre et autres allocations. La nouvelle loi répond partiellement à cette question mais reconnaît aussi les droits de l'OAS (l'Organisation de l'armée secrète). L'OAS terroriste voulut faire un putsch contre De Gaulle en France et instaurer une dictature militaire pour s'opposer aux accords d'Evian de 1962 qui mettaient fin au régime colonial en Algérie. Ce serait une erreur, cependant, de croire que les initiatives pour le développement d'une idéologie chauvine ne viennent que de l'extrême droite et de l'aile sarkoziste de l'UMP. La réforme de l'éducation de François Fillon rendit obligatoire cette année l'apprentissage par cur des paroles de l'hymne national, la Marseillaise, dans les écoles primaires. Le député Michel Diefenbacher, à la demande de l'ancien premier ministre de Chirac, Jean-Pierre Raffarin, présenta un rapport en février 2003, « visant à parachever l'effort de solidarité nationale envers les rapatriés » et « promouvoir l'œuvre collective de la France d'outre-mer. » En mars 2003, l'actuel ministre des affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, déposa la proposition « L'œuvre positive de l'ensemble de nos citoyens qui ont vécu en Algérie pendant la période de la présence française est publiquement reconnue. » La ministre actuelle de la défense, Michèle Alliot-Marie, chiraquienne, affirma en mars 2003 que "reconnaître l'œuvre positive de nos compatriotes sur ces territoires est un devoir pour l'Etat français.» Le but de Sarkozy, Chirac et du premier ministre Dominique de Villepin n'est pas seulement de gagner des électeurs du Front national néo-fasciste de Jean-Marie Le Pen. Ils cherchent aussi à créer un climat idéologique et à rassembler les forces nécessaires pour briser la résistance de la classe ouvrière et des jeunes face à la destruction du niveau de vie et des droits démocratiques que le patronat requiert pour faire face à la concurrence dans l'économie mondialisée. Le paragraphe de l'article 4 de la loi, qui provoque un large mouvement d'opposition, ordonne: « Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l'histoire et aux sacrifices des combattants de l'armée française issus des territoires la place éminente à laquelle ils ont droit.» Les « combattants de l'armée française » mentionnées ici sont les harkis, qui participèrent aux côtés des forces de l'impérialisme français dans les deux guerres mondiales et surtout dans la guerre d'Algérie (1954-1962). Libération du 15 mars 2005 décrit comment le député UMP Christian Vanneste, membre du Club de l'horloge, d'extrême droite comme d'autres universitaires et intellectuels frontistes, présenta l'article 4 comme amendement, à la séance de l'après-midi de l'Assemblée nationale, le 11 juin 2004, prétendant qu'il tendrait à «mieux faire connaître aux jeunes générations le côté positif de la présence française en Afrique et en Asie » Et le journal d'ajouter: "Aucun membre de l'opposition socialiste et communiste ne monte aux rideaux. Les amendements sont votés. Ils ne seront pas remis en cause ni au Sénat, ni en seconde lecture à l'Assemblée. La loi est promulgée. » Ce furent des universitaires, des professeurs de l'enseignement secondaire et des écoles qui prirent la tête de mouvement s'opposant à la loi après qu'elle fût votée par tous les partis, pour être promulguée le 23 février 2005. Leur mouvement fut renforcé par la réaction du gouvernement algérien qui remit en cause la signature planifiée d'un traité d'amitié entre la France et l'Algérie si la loi n'est pas abrogée. L'hostilité envers la loi dans les territoires d'outre-mer français est telle que Sarkozy fut contraint d'annuler une visite dans les îles des Caraïbes, la Guadeloupe et la Martinique, anciennes colonies esclavagistes. Par conséquent, quelques ministres et membres de l'UMP gaulliste, surtout élus des ces territoires, se sont vus obligés de s'opposer à l'article 4. Le président Jacques Chirac a tenté d'apaiser la situation en déclarant que « ce n'est pas à la loi d'écrire l'histoire, » et en établissant « une mission pluraliste pour évaluer l'action du parlement dans la mémoire et l'histoire » - qui doit rendre compte de ses travaux dans trois mois. Cependant la législation a toujours force de loi. Ceux qui à présent se mobilisent contre l'article 4 de la "Loi du 23 janvier 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés" comprennent tous les partis de gauche (Parti socialiste, Parti communiste, les Verts, le Parti des républicains de gauche) ainsi que Lutte Ouvrière (LO) et la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR). A l'initiative de Dominique Strauss Kahn, ancien ministre socialiste de l'économie, des finances et de l'industrie du gouvernement de Gauche plurielle de Lionel Jospin (1997-2002), une conférence de presse le 15 décembre a rassemblé tous les dirigeants de ces organisations politiques en soutien d'une pétition appelant à l'abrogation de l'article 4. La conférence de presse, qui avait pour but de redonner au Parti socialiste un semblant de crédibilité de gauche en tant que défenseur des libertés, avait le plein soutien des dirigeants de « l'extrême gauche ». En effet Arlette Laguiller de LO et Alain Krivine de la LCR y participèrent, aux côtés de François Hollande, dirigeant du PS. Le tract de la semaine de la LCR, daté du 12 décembre, n'appelle qu'à l'abrogation de l'article 4 tout comme l'éditorial de l'hebdomadaire Rouge du 16 décembre, malgré la remarque que « si l'article 4 est scandaleux, la loi est inacceptable ». Lutte Ouvrière appelle à l'abrogation de la loi dans sa totalité et publie des informations sur le rôle du Parti socialiste dans le soutien aux guerres coloniales et à l'oppression perpétrées par l'impérialisme français. Cela n'a pas empêché Arlette Laguiller de participer poliment à la conférence de presse de Strauss-Kahn et Hollande, tant elle est anxieuse d'occuper sa place de couverture de gauche de l'establishment politique. Le bilan du Parti socialiste au sujet de cette loi est particulièrement embarrassant pour ses dirigeants. Hollande soutint que le PS vota pour en 2004 « par négligence », lors de sessions où seule une poignée de députés était présente dans l'hémicycle. Le Parti communiste, qui possède un groupe parlementaire et qui faisait partie de la coalition de la gauche plurielle de Jospin, n'est pas en meilleure posture. La motion parlementaire pour l'abrogation de l'article 4, soumise par le Parti socialiste, fut rejetée par l'UMP le 29 novembre, le même jour où la dernière loi antiterroriste de Sarkozy passait au parlement, sans opposition du Parti socialiste qui s'abstint. Le Parti socialiste, avec le soutien enthousiaste des médias, se posa en défenseur des droits des historiens et des enseignants à traiter du colonialisme français sans interférence de la part de l'Etat dans le but de détourner l'attention des attaques sur les libertés que représentent la loi de 1955 relative à l'imposition de l'état d'urgence en cours ainsi que la loi antiterroriste. La combinaison de ces deux lois donne à l'Etat, entre autres pouvoirs, le droit de surveiller les citoyens en permanence grâce à des caméras à circuit fermé et d'avoir accès aux fichiers des fournisseurs de téléphonie et d'Internet ainsi que de contrôler totalement les médias. La conférence de presse et la campagne contre l'article 4 apparaît clairement comme une mascarade quand on examine le reste de la loi, que la gauche est prête à accepter. Le premier article proclame : «La Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l'œuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d'Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française.» Alors que l'article rend hommage à ceux qui se sont sacrifiés pour l'empire, aucun hommage n'est rendu aux victimes du colonialisme ou à ceux qui, de France et des colonies, ont lutté contre les déprédations et pour leur émancipation du joug colonial. Les défenseurs de la loi omettent de mentionner la participation de l'impérialisme français à la traite des esclaves, dès le seizième siècle et la continuation de l'esclavage dans ses colonies jusqu'à l'abolition en 1848. Ils signalent les bienfaits de la civilisation apportés aux peuples de l'empire, l'éducation et la science, mais omettent le fait que ces bienfaits n'étaient disponibles qu'à une infime minorité de la population colonisée. Ils parlent de l'introduction de routes et de chemins de fer, mais pas des travaux forcés qui détruisirent la vie des milliers d'ouvriers qui les construisirent, ou du but de ces moyens de transport : pour mieux exploiter les territoires conquis. La brutalité de la conquête, le Code de l'indigénat, qui assurait la domination totale par le colonisateur, la destruction de l'économie et de l'agriculture indigènes, ayant pour conséquence la famine, ne sont pas mentionnées par les défenseurs de la loi. Ne sont pas mentionnés non plus la diminution de la population d'Algérie de 700 000 personnes entre 1830 et 1870, et celle de la Côte d'Ivoire d'un million durant la période coloniale et le vol de leur terre. En 1954, 25 pour cent de la terre algérienne appartenait à 2 pour cent de la population des colons. Limiter l'opposition à la loi à cet article 4 sert à limiter la discussion à la seule liberté de travail des historiens et des enseignants. Cela empêche que se développe une compréhension réelle de l'histoire du colonialisme français qui est essentielle au développement d'un mouvement politique contemporain de la classe ouvrière. La réticence du Parti socialiste et du Parti communiste à engager une controverse sur le rôle de l'impérialisme français dans les colonies ne vient pas seulement de leur priorité immédiate, à savoir la défense nationaliste des institutions de l'Etat et des intérêts du capitalisme national, mais aussi de leur désir de cacher leur complicité passée dans les crimes du colonialisme français. Le 8 mai 1945, dans la ville algérienne de Sétif lors du défilé célébrant la victoire sur les Nazis, des nationalistes algériens brandirent leur drapeau. La répression pour cette action conduisit à un soulèvement qui fut suivi par le massacre de bien des milliers d'Algériens perpétré par les milices de colons blancs et l'armée. Le gouvernement, dans lequel Socialistes et Communistes avaient des ministres envoya 40 000 soldats pour briser toute résistance. Le ministre communiste de l'aviation, et héro de la Résistance, Charles Tillon, fournit les avions. En 1947, sous la présidence du socialiste, Vincent Auriol, les partis au gouvernement une fois de plus soutinrent la suppression sanglante de l'insurrection de Madagascar contre l'autorité coloniale. En 1955, François Mitterrand, qui deviendrait plus tard président socialiste de France, et qui était alors ministre de l'intérieur, affirma devant le mouvement de libération nationale: "L'Algérie est la France... L'unique négociation est la guerre. » En 1956, les députés socialistes et communistes votèrent les pleins pouvoirs au dirigeant socialiste Guy Mollet, qu'il utilisa pour y envoyer une force militaire massive et donna aux tristement célèbres généraux tortionnaires Massu, Bigeard et Aussaresses carte blanche pour écraser la rébellion. Mitterrand, en tant que ministre de la justice, appuya leurs pouvoirs. Les méthodes des généraux sont évoquées dans le film de Gillo Pontecorvo, La bataille d'Alger. En 1987, Le président Mitterrand et le premier ministre
Chirac nommèrent le Général Maurice Schmitt,
qui pratiqua la torture en Algérie et défenseur
impénitent de son utilisation, commandant en chef des
forces armées françaises. Voir aussi :
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