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France: La presse de gauche fait peu cas de la loi antiterroriste de Sarkozy

Par Antoine Lerougetel
Le 9 décembre 2005

« Les députés ont adopté hier le projet de loi antiterroriste de Nicolas Sarkozy [ministre de l'Intérieur] qui développe la vidéosurveillance, les contrôles administratifs et aggrave les sanctions pénales.

« Le texte a été voté par 373 voix pour (UMP et UDF), 27 contre (PCF et Verts). Le PS s'est abstenu regrettant juste que le gouvernement n'ait pas adopté certains de leurs amendements. »

Ceci représente l'ensemble de la couverture de l'Humanité, quotidien du Parti communiste, concernant les débats sur la loi antiterroriste qui durèrent trois jours. Le compte rendu parut dans la rubrique « société » en dernière position d'un article résumant « l'essentiel » de son édition du 30 novembre. L'Humanité ne fit même pas mention des critiques formulées durant les débats par les députés du Parti communiste.

La loi antiterroriste fut débattue à l'Assemblée nationale au cours de quatre sessions les 23 et 24 novembre et adoptée lors de la dernière session le 29 novembre. Elle représente un pas en avant majeur de plus dans l'établissement du cadre juridique d'un Etat policier. Tout journal défendant sérieusement les droits démocratiques et les intérêts de la classe ouvrière aurait consacré ses gros titres de la une et ses articles de fond aux dispositions et aux implications de cette loi.

Au lieu de cela, l'Humanité consacra encore moins d'attention à la loi que le journal de droite, Le Figaro.

Le Parti communiste et la rédaction de l'Humanité sont pleinement conscients de la gravité du vote du 29 novembre à l'Assemblée nationale. Le 22 novembre, l'Humanité traita brièvement de la conférence de presse organisée par des associations de défense des libertés qui mirent en avant quelques-unes des implications de la loi.

L'article cite Henri Leclerc, président d'honneur de la Ligue des droits de l'homme, décrivant les dispositions de la loi comme une « restriction totale des libertés ». L'article énumère les dispositions de la loi dont le pouvoir de l'Etat à renforcer les contrôles des liaisons téléphoniques et de l'Internet et à forcer les entreprises et les fournisseurs d'accès internet à faciliter un tel espionnage d'Etat.

Les pouvoirs des préfets, représentants régionaux du ministre de l'Intérieur, seront étendus de façon à les habiliter à imposer l'installation de caméras vidéo dans des bâtiments publics, y compris des lieux de culte tels des mosquées, et à prélever une amende de 150 000 euros en cas de refus d'obtempérer.

L'article continue en indiquant que l'objectif de la loi est de libérer l'Etat de toute contrainte de « contrôle judiciaire ». L'auteur de l'article, Laurent Mouloud, précise : « En clair : contournons les juges afin de favoriser une procédure administrative, placée sous le contrôle direct du ministre de tutelle, celui de l'Intérieur. »

Le quotidien revint à ces mêmes questions le lendemain dans un article informant les lecteurs que les débats parlementaires s'ouvriraient le jour même.

En présentant la loi, le 23 novembre, Sarkozy exigea que l'Etat soit doté du pouvoir d'obtenir des informations « en dehors de toute procédure judiciaire ». Les discours des députés communistes ayant trait à cette question et qui n'ont pas eu droit de citer se trouvent sur le site de l'Assemblée nationale (/http://www.assemblée-nationale.fr/). Michel Vaxès, député du Parti communiste, dit sous les huées provenant des bancs du groupe gaulliste, UMP, « Désormais, avec votre texte, chacun de nos concitoyens est un suspect potentiel, il doit prouver son innocence en acceptant que sa vie privée et tous ses mouvements soient disséqués au quotidien. »

Pourquoi donc, le PC ne souhaite-t-il pas que son quotidien rapporte les remarques faites par son député et permette qu'une loi à laquelle il déclare s'opposer soit votée sans y apporter le moindre commentaire ? La seule conclusion que l'on puisse tirer est que son opposition n'est que de pure forme.

Une raison à cela est, qu'au vu des élections présidentielles et législatives de 2007, le Parti communiste est soucieux de ne pas entrer en conflit avec le Parti socialiste avec lequel il espère collaborer au sein d'une nouvelle coalition de plus de la gauche plurielle. Finalement, le Parti socialiste s'abstint plutôt que de voter contre la loi. Cependant un nombre significatif de députés socialistes souhaitaient soutenir la loi de Sarkozy.

Sur un plan plus fondamental, en dépit de ses appels occasionnels à des grèves contre telle ou telle attaque des patrons et du gouvernement, le Parti communiste n'engagera aucune action qui puisse menacer la stabilité politique et sociale de l'Etat français.

Afin de se protéger des critiques émanant des circonscriptions et des communes qu'il dirige, - nombre d'entre elles regroupant les sections d'ouvriers et d'immigrés les plus pauvres ­ le Parti communiste n'avait pas d'autre choix que de voter contre la loi. Mais il n'était pas disposé à aller au-delà. Il n'était pas prêt à recourir à son organe de presse pour alerter et mobiliser la classe ouvrière contre le gouvernement.

En effet, l'oubli le plus important dans l'analyse de la loi antiterroriste de l'Humanité est l'identification de l'objectif principal de cette loi : acquérir les pouvoirs indispensables pour réprimer la résistance de la classe ouvrière face à la politique néolibérale du gouvernement.

La réponse politique des staliniens français du Parti communiste trouve son écho dans les partis de gauche qui se qualifient à tort de trotskystes. Lutte Ouvrière et le Parti des Travailleurs négligèrent de mentionner dans leur presse la loi ou son adoption à l'Assemblée nationale. La Ligue communiste révolutionnaire (LCR) publia le 30 novembre un bref communiqué de presse intitulé : « Un jour de deuil pour nos libertés. »

L'hebdomadaire de la LCR, Rouge, publia un éditorial de Christian Piquet comme unique référence à la loi et comportant, pour la forme, quelques remarques correctes sur le caractère réactionnaire de la politique gouvernementale. Piquet posa la question suivante: « Pourquoi le ministre de l'intérieur, et derrière lui toute la droite, se gêneraient-ils ? Une partie de la gauche, du côté du Parti socialiste, a accepté le recours à une loi coloniale d'exception pour décréter l'état d'urgence, même si elle en a ensuite refusé la prorogation. Cette même gauche va à présent jusqu'à envisager de voter la loi antiterroriste, en contrepartie d'aménagements mineurs.»

De telles critiques n'empêcheront pas la LCR de chercher à former des alliances avec le Parti socialiste et le Parti communiste, l'objectif étant de renforcer sa position en tant que flanc gauche de l'establishment politique. Durant des mois, la LCR organisa et partagea des tribunes avec des partisans du « non » à la constitution européenne issus du Parti socialiste, tel Laurent Fabius. Ces derniers mois, la LCR a répandu l'idée d'une coalition avec de telles forces.

La fonction essentielle de la soi-disant gauche française, allant de « l'extrême gauche », Ligue communiste révolutionnaire, Lutte Ouvrière et Parti des Travailleurs, en passant par le Parti communiste et le Parti socialiste, est de défendre les institutions de l'Etat français face à la menace d'une révolution sociale. En cette période de compétitivité mondiale et de crise capitaliste exacerbées ainsi que de pression grandissante pour détruire le niveau de vie et les acquis sociaux de la population laborieuse, de telles organisations se révèlent incapables de monter une résistance sérieuse pour défendre les droits démocratiques de base.