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France: l'assassinat de deux inspecteurs du travail révèle l'aggravation de tensions sociales

Par Antoine Lerougetel
21 octobre 2004

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Sylvie Tremouille, 40 ans, et Daniel Buffière, 45 ans, inspecteurs du travail, furent tués à coups de fusil de chasse l'après-midi du 2 septembre. Ils allaient contrôler les contrats et les conditions de travail de plus d'une douzaine de saisonniers employés dans une ferme à Saussignac, en Dordogne. Leur tueur, Claude Duviau, ancien militaire et agent d'assurances, fermier et copropriétaire du vignoble et producteur de prunes, atteint Buffière à l'estomac et Tremouille au dos. Il a ensuite retourné le fusil contre lui-même mais a survécu.

On ne peut pas se contenter de réduire ce double meurtre à l'acte d'un fermier isolé dérangé.

Cette tragédie souligne la détresse extrême des petits paysans français, coincés entre les chaînes d'hypermarchés, la concurrence mondialisée, la baisse des prix des produits agricoles et le coût de la main d'oeuvre. Serge Mornac, maire de Saussignac, dit à la presse: " Il y a vingt ans nous vendions notre vin à 4 500 francs [687 euros] le tonneau. Aujourd'hui c'est toujours le même prix ». Un voisin de Deviau commenta, "Il a pété les plombs. Depuis un an il n'arrête pas de dire que l'administration et les banques le poursuivent. Il se sentait traqué et il déprimait. »

L'événement souligne aussi les tensions qui se développent entre salariés et employeurs. Les agents de l'inspection du travail firent une grève de 24 heures le 16 septembre pour honorer la mémoire de leurs collègues assassinés et pour revendiquer " beaucoup plus de moyens ». Ils dénoncèrent les attaques contre eux et leur fonctions - par des patrons demandant que le code du travail soit simplifié et par les 81 parlementaires ultra-libéraux menés par Alain Madelin, qui l'été 2003, proposèrent une réforme de l'inspection du travail qui limiterait ses missions.

Un responsable de l'Institut national du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle, près de Lyon, s'exprima en ces termes: "Ce meurtre, ce n'est pas un simple fait divers. J'ai bien peur que ce soit le signe avant-coureur de difficultés et de drames à venir.". Elle signala que l'institut était conscient des risques accrus pour les inspecteurs du fait de l'hostilité croissante des dirigeants contre les règlements sur les conditions et la sécurité au travail. La déclaration de Jean-Claude Ducatte, du cabinet de conseil aux entreprises Epsy, confirma cette observation: "L'inspecteur met en cause le pouvoir du chef d'entreprise (...) On les envoie dans l'entreprise pour se payer le patron, forcément ça les met dans une position difficile."

Dominique, inspecteur dans le Jura, expliqua: "Quand j'ai commencé à travailler, il y a dix-sept ans, le contrôle par l'inspection du travail était vécu comme une contrainte légitime. Aujourd'hui, notre travail est vécu comme une vexation."

Un autre agent dit : "Ce qui est frappant, c'est que les salariés n'osent plus venir se plaindre. Aujourd'hui ils viennent aux permanences une fois qu'ils ont été licenciés, et là ils déballent tout. Les heures supplémentaires non payées, les pressions, les insultes racistes. On leur dit: 'Vous avez des droits, vous pouvez les faire respecter', mais on sent bien qu'ils ont la trouille." Elle a parlé du patron d'une usine de confection qui disait aux filles: "Si tu pleurniches, c'est la porte. Des comme toi, y'en a dix qui sont prêtes à payer pour bosser."

Christophe parla de la contradiction à insister sur les normes minimums pour les salariés d'une entreprise, ce qui risquerait d'en causer la fermeture. "Souvent le patron prend la visite comme une atteinte à son droit de propriétaire. Les patrons nous font le chantage du chômage ou de la délocalisation. Cela résonne dans ta tête quand tu rédiges un rapport en demandant des sanctions."

Le manque de moyens humains fournis par l'état pour faire respecter le code du travail est une preuve de l'hostilité des autorités à l'égard du travail des inspecteurs. Il y a seulement 1 240 inspecteurs pour contrôler et faire respecter par les patrons les 400 lois et 8 000 décrets régulant les salaires et les conditions de travail de 15,5 millions de salariés du privé, dont la moitié n'ont pas de représentant. Le secteur agricole, avec les mines et le bâtiment, est connu pour être un des plus difficiles. Les inspecteurs du travail constatent que 25% des 800 000 saisonniers de France travaillent 56 heures par semaine ( ce qui n'est pas autorisé par la loi) et 18% d'entre eux n'ont pas de contrat de travail.

Les attaques les plus sérieuses contre l'inspection du travail viennent de la législature. La loi Fillon du 15 octobre 2002, allège les contraintes imposées à l'employeur par la semaine de 35 heures. Elle donne au patron le droit d'imposer davantage d'heures supplémentaires, passant ainsi de 130 à 180 heures supplémentaires autorisées par an. Elle permet de réduire le taux de rémunération des heures supplémentaires à 10% au lieu de 25%.

La loi sur la semaine de 35 heures du gouvernement socialiste de Lionel Jospin autorisa les patrons à négocier des accords locaux qui dérogeaient aux accords interprofessionnels ou de branche. Cette tendance à rendre négociables tous les droits établis se trouve renforcée par les modifications faites au Code du travail par le gouvernement actuel. Ces modifications minent le principe "de faveur" à la base des relations entre salariés et employeurs depuis 50 ans, à savoir, des accords locaux ne peuvent diminuer des droits garantis par des accords nationaux ou de branche..

La nouvelle législation permet à une entreprise individuelle d'arriver à des accords moins avantageux pour les salariés que les accords collectifs ou ceux couvrant un secteur plus large - une branche entière d'industrie ou un accord national couvrant plusieurs secteurs. Ceci pourrait signifier que les jours non travaillés pendants les fêtes ne seraient pas rémunérés, ni les congés pour mariage, déménagement, deuil ou maladie.

L'état providence et le consensus social d'après-guerre furent maintenus dans le cadre d'une série d'arrangements nationaux qui, avec la complicité des syndicats et des partis de gauche, ont garanti une certaine paix sociale. L'inspection du travail fut établie à la fin du 19e siècle pour faire respecter la loi contre le travail des enfants. Les patrons des grandes entreprises acceptèrent, voire même approuvèrent, le service de l'inspection du travail qui, avec l'aide des syndicats, aidèrent à résoudre des tracasseries évitables et qui contribuèrent au bon fonctionnement de leurs entreprises. Des critères mutuellement acceptables pour les contrats de travail, les salaires minimums, les conditions de travail, les normes de sécurité furent établis et contribuèrent même à ce que les grandes entreprises, profitant d'économies d'échelle et de technologies de pointe, marginalisent leurs concurrents moins puissants, incapables de respecter ces normes.

L'avènement du marché capitaliste mondialisé et la rivalité économique et militaire à l'intérieur de l'Union européenne et entre l'Europe et les Etats Unis obligent les élites dominantes à balayer ces arrangements afin de diminuer le coût du travail.

Les normes minimums que le Code du travail et la législation sur la sécurité au travail exigent encore sont considérées de plus en plus comme des obstacles qui entravent la compétitivité et l'attractivité de la France pour les investisseurs potentiels et établis. On voit cela dans la campagne du groupe de Madelin visant à accélérer le démantèlement du Code de travail. Ils souhaitent réduire massivement le droit des inspecteurs à pénaliser les employeurs fautifs et convertir ces inspecteurs en un corps dont la fonction serait d'améliorer la compétitivité des entreprises et de réprimer les travailleurs clandestins. Nicolas Sarkozy, quand il était ministre de l'intérieur, donna aux inspecteurs du travail le pouvoir de contrôler les papiers d'identité des salariés et de vérifier leur droit de séjour.

La prolifération du recours à la sous-traitance par les grandes entreprises a fortement accru le nombre de petites entreprises qui, comme les petites fermes, subissent la pression de devoir éliminer tout coût excessif et donc grignoter sur les conditions et la sécurité des travailleurs. Ces sous-traitants sont un moyen de contourner les règlements qui s'appliquent aux propres salariés des grandes entreprises. Même dans des entreprises publiques comme la poste et les chemins de fer la sous-traitance est devenue monnaie courante. Ce phénomène fut encouragé dans les chemins de fer du temps de Jean-Claude Gayssot, ministre communiste des transports du gouvernement de la Gauche plurielle.

Un des exemples les plus choquants du contournement des conditions de travail en vigueur en France fut la construction du paquebot Queen Mary Deux dans les chantiers navals de l'Atlantique à Saint-Nazaire. Une bonne partie du travail fut accompli par des travailleurs employés par des compagnies de sous-traitance étrangères, travaillant en toute légalité en France et dans les conditions de main d'oeuvre à bon marché en vigueur dans leur pays d'origine.

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