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Le congrès des VertsUn parti bourgeois de la classe moyennePar Ulrich Rippert Utilisez cette version pour imprimer Ce qui fut le plus frappant au congrès des Verts le week-end dernier à Kiel, ce fut l'absence complète de débat sérieux. Que ce soient les grands problèmes sociaux, la polarisation sociale et le chômage croissants dus aux coupes sociales permanentes et aux cadeaux fiscaux, ou encore les gains obtenus par les organisations néofascistes aux dernières élections des Laender, ces thèmes ne furent quasiment pas abordés au cours des débats. Au lieu de cela, les délégués se félicitèrent les uns les autres des bons résultats électoraux et des prédictions favorables obtenues dans les sondages. On put voir nettement dans ce « congrès de l'harmonie » quel changement s'est opéré chez les Verts au cours des cinq années passées au gouvernment. Les joutes oratoires larmoyantes des congrès d'antan opposant « Fundis » et « Realos » étaient, il est vrai, plus émotionnelles que politiquement fondées. Mais elles reflétaient un processus de germination politique dans certaines parties de la société. Il y a quatre ans encore, le ministre Vert des Affaires étrangères, Joschka Fischer, avait été aspergé de peinture parce qu'il avait soutenu la guerre du Kosovo. A Kiel, les Verts apparurent pour ce qu'ils étaient vraiment : un parti arrogant de la classe moyenne, bourgeois de fond en comble et qui ne se distingue qu'à peine du FDP (Freie Demokratische Partei Parti libéral démocrate), malgré le fait que les deux organisations soient concurrentes. Les Verts avaient déjà soutenu sans broncher il y a un an, lors d'un congrès extraordinaire, l'Agenda 2010 de Schröder, frayant de cette manière la voie à la pire démolition sociale de l'histoire de la République fédérale. Dans les récents conflits à propos de Hartz IV, ils ont en toute occasion dit ouvertement qu'ils se considéraient comme la force qui empêchait le SPD de plier devant la pression de la rue. La destruction des systèmes sociaux étant appelée « réforme de l'Etat providence », chaque délégué monta à la tribune à Kiel pour faire l'éloge de son parti en tant que « moteur des réformes ». C'est le secrétaire général nouvellement réélu du parti Vert, Reinhard Bütikofer, qui donna le coup d'envoi. Dans son discours programmatique, il appela à la « poursuite du cours des réformes ». Le « principal conflit à propos des réformes sociales et du marché du travail » n'a, selon lui, pas encore été mené jusqu'au bout. Quiconque croit qu'il y a plus de justice lorsqu'on évite les réformes se tromperait. Comme réaction aux protestations de masse, Bütikofer proposa de « passer en revue les réformes de façon critique et de les corriger là où c'était nécessaire dans l'année qui vient.» Cela suffit à tranquiliser les délégués. Lorsque le dirigeant de l'organisation de jeunesse des Verts, Stephan Schilling, déposa une motion qui liait l'introduction d'une « assurance citoyenne » approuvée par les Verts avec un seuil de cotisation de 5 150 Euros au lieu de 3 487 Euros actuellement, et lança aux délégués qu'il s'agissait là d'une petite chose « contribuant un peu à compenser l'absence de justice de l'Agenda 2010 », il fut certes applaudi fortement, mais même ce faible changement fut opposé à une majorité de voix. Un grand nombre de membres de la direction se hâtèrent de prendre la parole pour mettre en garde qu'un relèvement du seuil de la cotisation « représenterait un fardeau considérable pour le marché du travail ». Les emplois à bas salaires dépendaient en fin de compte des hauts salaires et ceux-ci s'en trouveraient menacés. Le professeur Karl Lauterbach, qui tint une conférence sur la signification de l'assurance citoyenne, fit entendre le même son de cloche. Ce professeur de Cologne est souvent qualifié de « Père de l'assurance citoyenne » et est le conseiller scientifique du SPD. Il n'est pas clair s'il a été dépéché par le président du SPD, Franz Müntefering. Mais, dans une adresse écrite aux délégués, Müntefering avait appelé à continuer leur collaboration et rappelé qu'ils ne devaient pas trop s'emballer. Le rouge est la couleur dominante et le vert est une couleur secondaire, avait-il souligné dans une interview donnée au Berliner Tagesspiegel le week-end même du congrès. L'assurance citoyenne approuvée par le congrès est une épée à double tranchant. Ses partisans insistent pour dire qu'elle vise à faire contribuer tous les revenus à l'assurance maladie publique donc aussi les travailleurs indépendants et les fonctionnaires - et à soumettre au paiement de la taxe les éléments de la fortune comme les bénéfices tirés d'actions en bourse et des intérêts. C'est certainement souhaitable. Un des buts de cette assurance est toutefois de faire baisser le coût du travail, c'est-à-dire de faire baisser ou faire disparaître totalement, de façon graduelle, la part patronale des contributions aux caisses d'assurance maladie. Sur cette question fut adoptée au congrès la motion principale de la direction qui se prononce en général pour un maintien du système actuel d'un financement paritaire, mais prévoit une limitation des cotisations à 13 pour cent (6,5 pour cent de part patronale). Hans Christian Ströbele, qui prit la parole au nom de l'aile gauche, justifia sa motion en faveur d'un impôt sur la fortune qu'il qualifia d'« impôt des millionnaires ». On avait déjà résolu dans les semaines précédant le congrès, que la direction nationale prendrait à son compte cette revendication sous une forme atténuée. « Je suis satisfait » dit Ströbele, cité par le magazine Der Spiegel ; il s'agissait seulement pour lui de ne pas voir le sujet disparaître complètement. Le compromis représente, selon Ströbele, « une bonne base de travail ». Jusqu'au prochain congrès, un groupe de travail doit élaborer des propositions indiquant comment les grandes fortunes peuvent être soumises à une imposition, sans que la dépense bureaucratique ne surpasse les recettes escomptées. Il ne s'agit là que d'une astuce cynique pour donner l'impression qu'il existe chez les Verts une aile gauche et dont quiconque qui la représente ne croit toutefois pas sérieusement que ce parti exigera jamais un impôt sur les hauts revenus, en encore moins est-il question d'en imposer un. Le ministre des Affaires étrangères, Joschka Fischer, résuma l'opportunisme des Verts en disant qu'il y avait dans les projets des Verts des contradictions qu'il fallait « résoudre de façon programmatique ». Une de ces contradictions était que, pour le moment, il n'y avait simplement pas assez d'argent pour le type d'Etat providence que les Verts souhaitent, expliqua-t-il. Aucun des délégués ne lui demanda pourquoi la coalition gouvernementale Rouge-Verte (SPD-Verts) avait, en plus de l'abolition de l'impôt sur le capital, abaissé de façon drastique les taux d'imposition maximum. Au début de l'année à venir, le troisième volet de la réforme de l'impôt sera mis en oeuvre. Le taux d'imposition maximum baissera de 53 pour cent (son niveau à la fin du gouvernment Kohl) à 42 pour cent. Ceux dont le revenu se monte à un million d'Euros annuels économiseront tous les ans 100 000 Euros, tandis que les « caisses vides » serviront à justifier la poursuite de la destruction sociale. Fischer parla de contradictions programmatiques à résoudre également en politique étrangère. Il y aurait selon lui « un rapport de tension » entre les droits démocratiques et les mesures « qui sont discutées afin de les préserver en période de terreur ». Par ses paroles, il défendit non seulement les mesures de répression prises par le président russe Poutine à la suite de l'attentat terroriste de Beslan, mais reprit encore par là à son compte l'argumentation mensongère du gouvernement américain qui justifie son attaque permamente des droits démocratiques en invoquant la lutte contre le terrorisme. On a souvent eu dans le passé l'occasion d'observer cette « résolution des contradictions » chez les Verts. Ce fut avant tout leur métamorphose de pacifistes en militaristes, partant de « mesures pour promouvoir la paix », en passant par des « mesures pour réaliser la paix » pour arriver à des « mesures pour imposer la paix », qui fut la plus époustouflante. Cette fois encore, les délégués votèrent en faveur d'une résolution contre les exportations d'armes. Quand fut mentionné le fait que le gouvernement allemand entendait livrer 20 chars d'assaut « Fuchs » et 80 véhicules lourds supplémentaires au gouvernement provisoire iraquien, le congrès vota contre. Deux jours plus tard, la direction nationale des Verts expliqua qu'elle partait du fait que la décision prise au congrès ne concernait en rien l'action du gouvernment fédéral. La présidente du parti, Claudia Roth, expliqua qu'il ne s'agissait pas d'exportations d'armes dans le sens classique du terme, mais d'un « soutien à l'équipement ». Dans une prise de position de la direction elle écrivait : « Les policiers et les soldats iraquiens du gouverment provisoire sont constamment sous la menace d'attentats et d'attaques, ils sont abattus et fauchés par les bombes. Peut-on, dans ces conditions, refuser la demande de véhicules protégés par leur gouvernement?» Les instances dirigeantes des Verts approuveront à l'aide de la même justification l'envoi de troupes allemandes en Iraq si le gouvernment le juge opportun. Peut-être Roth et Fischer expliqueront-ils alors qu'il ne s'agit pas d'une intervention guerrière mais pacifique en soutien au gouvernement provisoire irakien sur la défensive. L'opportunisme des Verts est sans bornes. La constante évolution à droite des Verts est étroitement liée à leur histoire et aux positions politiques prises lors de la période de formation de leur parti. Le congrès de Kiel marquait le vingt-cinquième anniversaire de sa fondation. De nombreux membres fondateurs des Verts sont issus du mouvement contestataire étudiant des années 1960. Celui-ci avait bien fait la critique de la société capitaliste et du passé nazi de l'Allemagne, mais il considérait la classe ouvrière comme une force conservatrice, intégrée au système grâce à la consommation. Lorsque de grandes grèves éclatèrent en France en 1968 et en Allemagne en 1969, un grand nombre de cercles et de groupes politiques apparurent qui se disaient socialistes et révolutionnaires et s'orientaient vers Mao Tsé Tung, Che Gevara ou d'autres héros de cette époque. L'idéalisation de ces figures servit d'ersatz à un tournant sérieux vers le marxisme et la classe ouvrière. Une autre partie du mouvement étudiant alla vers le SPD et s'enthousiasma pour Willy Brandt. Lorsqu'au milieu des années 1970, le SPD vira fortement à droite, que la classe ouvrière dut subir de sévères défaites et que la bourgeoisie prit l'offensive au niveau international, l'enthousiasme initial céda à une profonde frustration et à la désorientation politique. Commença alors une période au cours de laquelle positions politiques et convictions furent répudiées et rejetées sans examen sérieux. C'est dans ces conditions qu'apparu le parti des Verts à la fin des années 1970. Les Verts ne rejetaient pas seulement la perspective socialiste et la lutte des classes comme moyen de la politique, mais ils écartaient également de façon radicale la notion que les programmes politiques sont l'expression consciente des intérêts sociaux. L'Environnement, la Paix, et la Démocratie devinrent les points cardinaux de leur programme; et ils étaient convaincus qu'on pouvait le réaliser sans remettre en question les rapports de propriété. Avec l'espoir de pouvoir rendre la politique et la société plus humaine, ils entrèrent au parlement au début des années 1980. Au cours des longues années d'opposition au gouvernement Kohl et avec la longue stagnation sociale qui le marqua, leur influence s'accrut de plus en plus. Mais, plus le caractère de classe de la société redevenait visible, plus le verbiage sur les « buts humanitaires » se changea en un voile cachant les vrais intérêts du capitalisme et de l'impérialisme. Les Verts devinrent ainsi l'instrument politique qui servit à incorporer une partie de l'ancienne génération contestataire à l'establishment politique. S'ajoute à cela le fait que le milieu social sur lequel ils s'étaient appuyés jusque-là était profondément hétérogène. Alors qu'une petite fraction de ce milieu des classes moyennes a connu une ascension sociale, la grande majorité, elle, a sombré dans la pauvreté, comme faux indépendants ou comme chômeurs. Les Verts sont aujourd'hui sans conteste un « parti de ceux qui gagnent bien ». Cet été, une étude qui s'appuyait sur des sondages représentatifs effectués chez des électeurs du FDP et des Verts comparait les adhérents des deux partis. Selon cette étude, le revenu net moyen chez les Verts se situait entre 1 750 et 2 000 Euros, au FDP il se situait seulement entre 1 500 et 1 750 Euros. Un adhérent sur quatre des Verts dispose d'un revenu net par ménage d'au moins 3 000 euros par mois ce qui n'est le cas que de 23 pour cent des adhérents du FDP. Le secrétaire général nouvellement réélu du parti, Reinhard Bütikofer est un représentant typique de cette organisation. Au début des années 1970, il fut étudiant en philosophie et en histoire à l'université de Heidelberg et membre d'un groupe universitaire maoiste, la Kommunistische Hochschulgruppe (KHG) de 1971 à 1980. A partir de 1982, il s'engagea sur la liste Verts-Alternatifs et devint deux ans plus tard conseiller municipal à Heidelberg, puis député au parlement des Laender, porte-parole de « l'aile réaliste » et finalement secrétaire national, jusqu'à ce qu'il soit élu, il y a deux ans, au poste de l'un des deux présidents de l'organisation. Aujourd'hui, il incarne de façon officielle l'arrogance
des Verts, met en garde contre le fait de faire porter une charge
trop lourde aux « acteurs clés » de la société
et entretient des relations étroites avec les organisations
patronales qui lui rendent hommage en tant qu'interlocuteur sérieux.
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