wsws : Nouvelles et analyses : Europe
Par Peter Schwarz
Le 23 mars 2004
Les électeurs français refusèrent clairement les partis gouvernementaux conservateurs dimanche 21 mars.
Le parti du Président, l'UMP, et le parti libéral de droite, l'UDF, n'obtinrent que 34 pour cent des voix exprimées au premier tour des élections régionales. En revanche, les partis de la coalition de gauche qui avait été battue aux élections de 2002 les socialistes (PS), les communistes (PCF), les Verts et les Radicaux de gauche (PRG) obtinrent environ 40 pour cent. Le parti d'extrême droite, le Front national (FN) reçut 15 pour cent, la candidature commune de l'extrême gauche, Lutte ouvrière et la Ligue communiste révolutionnaire, 5 pour cent.
La composition finale des parlements régionaux sera décidée au deuxième tour dimanche prochain. Ne pourront se représenter que les listes électorales qui auront obtenu un résultat d'au moins 10 pour cent. On comptait avec le fait que les conservateurs devraient abandonner plusieurs régions. Jusqu'ici, ils dominaient 14 régions sur un total de 22.
La défaite électorale du gouvernement est encore plus nette lorsqu'on considère les résultats de l'UMP seule à laquelle appartient non seulement le président, Jacques Chirac, mais aussi le premier ministre, Jean-Pierre Raffarin. L'UMP avait été fondée il y a deux ans pour unir le camp conservateur derrière Chirac et elle dispose de la majorité absolue à l'Assemblée nationale. Dimanche, seuls 23 pour cent des électeurs votèrent pour ce parti, onze pour cent votant pour l'UDF, le parti des libéraux de droite. L'UDF n'avait pas rejoint les rangs de l'UMP en 2002 et n'a qu'une faible représentation à l'Assemblée nationale. Vue la participation électorale de 61 pour cent (un peu plus qu'aux dernières élections régionales), cela signifie que seul un électeur sur sept a voté pour l'UMP.
La débâcle du gouvernement fut, aussi, mise en évidence par le résultat en Poitou-Charentes dont Raffarin avait présidé le conseil régional pendant 14 ans avant de devenir premier ministre en 2002. L'Union de la gauche avec une avance de 13 pour cent ne peut pratiquement plus être rattrapée.
Les élections régionales sont estimées comme important baromètre politique. Ce sont les premières élections de portée nationale depuis les élections présidentielles et parlementaires d'il y a deux ans.
Les élections de l'époque se déroulèrent sous l'impact du succès surprenant de Jean-Marie Le Pen. Le dirigeant du Front national avait battu le candidat socialiste, Lionel Jospin, au premier tour des élections présidentielles et était face au président sortant, Jacques Chirac, au deuxième tour. Là-dessus, l'Union de la gauche de Jospin et une partie de l'extrême gauche soutinrent Chirac qu'il présentèrent comme garant des valeurs républicaines. Le dirigeant des gaullistes qui avait obtenu moins d'un cinquième des voix au premier tour remporta finalement l'élection avec un résultat record de plus de 80 pour cent.
Chirac sut utiliser ce moment propice et se servit de cette hausse inespérée de prestige pour réunir les partis de droite en querelle derrière lui et gagna aussi les élections parlementaires deux mois plus tard.
Les élections régionales ont, maintenant, confirmé que l'image d'une droite forte et unie ne se basait que sur une apparence trompeuse. Le programme de la droite n'a jamais disposé d'un large soutien. Comme ses prédécesseurs déjà, le gouvernement de Raffarin rencontra une opposition massive, des grèves et des manifestations lorsqu'il commença à mettre son programme de détruction de la sécurité sociale et de privatisation des services publics en pratique. Les urnes ont à présent aussi ramené ce soutien à ses véritables proportions.
Comme lors des élections précédentes, le Front national a de nouveau réussi à profiter de la colère et de la déception concernant les partis traditionnels. Son résultat de 15 pour cent correspond assez précisément au résultat des dernières élections régionales de 1998. Si on compte les voix d'une organisation ayant scissionné avec le FN en plus, le résultat total de l'extrême droite se situe dans le même ordre de grandeur que celui des élections de 2002. Au total, le FN se représentera au deuxième tour dans dix-sept régions. Aucune chance pour gagner une région ne lui a été concédée.
Le FN parvint à ce résultat malgré les efforts entrepris par les partis gouvernementaux afin de lui couper l'herbe sous les pieds en reprenant en partie son programme. Le ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, fut celui qu'on chargea expressément de veiller à l'ordre public et fut élevé au rang de « flic de la nation », Raffarin, originaire de la campagne, fut présenté comme le pôle opposé du personnel arrogant sorti des écoles politiques élitistes. Juste avant les élections, Raffarin baissa la TVA pour les restaurateurs afin de gagner un important potentiel électoral du FN sans succès, apparemment.
Encore plus surprenant que les résultats du FN sont les gains de voix de la gauche officielle qui, il y a deux ans, avait été battue à plate couture. Son résultat augmenta de 6 pour cent par rapport à son résultat des élections régionales de 1998 et atteint presque les 41 pour cent avec lesquels elle gagna les élections parlementaires de 1997.
Il n'est pas possible de déchiffrer les résultats sur le plan national des partis pris individuellement puisqu'ils se sont présentés dans des listes collectives différentes selon les régions. Les résultats individuels montrent cependant que, à côté des socialistes, les communistes augmentèrent leur voix de façon considérable. Ainsi, le PCF obtint dix pour cent des suffrages dans la région Nord-Pas-de-Calais, plus de neuf pour cent en Auvergne et sept pour cent en Ile-de-France. En 2002, il n'atteignait même pas les cinq pour cent.
Les gains de voix de la gauche traditionnelle ne sont pas tant l'expression d'une confiance redécouverte des électeurs que l'absence d'une alternative convaincante.
Les partis d'extrême gauche pour lesquels les sondages, l'année dernière, prédisaient un potentiel électoral élevé sont, entre-temps, revenus de nouveau à leur résultat habituel de 5 pour cent. En 1998 déjà, ils avaient obtenu 4,3 pour cent des suffrages et gagné plusieurs mandats. En 1999, ils firent leur entrée au parlement européen avec plus de 5 pour cent des voix. En 2002, Arlette Laguiller (LO) et Olivier Besancenot (LCR) atteignirent le premier tour des élections présidentielles avec dix pour cent, trois fois plus que le candidat du PCF.
Les deux partis expliquent leur mauvais score actuel par le système électoral antidémocratique introduit depuis les dernières élections régionales et qui, grâce à la barrière des 10 pour cent, ne laisse pratiquement aucune chance aux plus petits partis. Le système électoral n'explique cependant qu'en partie leur stagnation. Plus significatif est leur incapacité complète de montrer une initiative politique et de donner une orientation aux électeurs qui leur ont fait confiance.
La LCR réagit à son bon résultat des élections présidentielles de 2002 en rejoignant le « front républicain » et en appelant à voter pour Chirac, tandis que LO prit une attitude passive et refusa toute initiative indépendante.
L'union électorale sur laquelle les deux organisations sont tombées d'accord cette année - pour les élections régionales et les européennes de juin - se base sur le plus petit dénominateur commun et toute perspective importante lui fait défaut.
La déclaration électorale commune, leur « profession de foi », se caractérise par une superficialité et une médiocrité extrêmes. Elle ne contient ni appréciation de la situation actuelle, ni expériences politiques importantes de ces dernières années. Elle n'accorde pas un mot à la guerre contre l'Iraq, la césure internationale la plus importante du nouveau millénaire. Les leçons du déclin de la gauche traditionnelle ne sont même pas ébauchées, encore moins généralisées. Et on y cherchera aussi en vain une raison sérieuse ou une perspective qui justifiât une participation commune des deux partis aux élections.
Le document se limite à énumérer les injustices sociales et à dresser une liste de « mesures d'urgence » comme l'interdiction de licenciements collectifs dans les entreprises faisant du profit, l'augmentation de l'impôt sur les bénéfices ainsi que sur les tranches supérieures de l'impôt sur le revenu, l'arrêt des privatisations et l'extension du secteur public, la construction de logements à loyers abordables, de crèches et de garderies et d'équipements collectifs. Comment de telles mesures peuvent se matérialiser n'est pas expliqué. La participation aux élections, dit-on dans le document, sert juste de « geste politique » pour encourager à « la lutte ».
Pour l'essentiel, ceci revient à soutenir des luttes syndicales, comme elles se déroulent depuis des années régulièrement en France sans pouvoir arrêter le déclin social. On ne trouve pas un mot sur la nécessité de briser l'influence paralysante de la bureaucratie syndicale, ainsi que des partis socialiste et communiste et de construire un mouvement politique indépendant.
Il est évident qu'une perspective aussi timorée et démoralisée n'est pas capable d'inspirer un nombre important de travailleurs et de jeunes et de les attirer.
Lutte ouvrière, surtout, ne fait pas mystère du fait qu'elle voit de façon pessimiste ses perspectives pour l'avenir. Dans une résolution votée au cours d'un congrès tenu pour justifier sa coopération avec la LCR en décembre dernier, elle dit : « En effet, on ne peut se cacher que l'électorat populaire est démoralisé. C'est dû à la situation sociale, économique et, aussi, aux attaques ouvertes et aux discours cyniques du gouvernement Chirac-Raffarin. »
La résolution considère comme réaliste un résultat de ses propres listes de l'ordre de 3 pour cent, alors qu'elle estime le résultat du FN à « peut-être 20% des suffrages si ce n'est plus par endroits. » Elle finit avec les mots : « Notre démarche n'est pas inspirée par l'espoir d'avoir des élus, notre démarche est en sens inverse, de pouvoir aborder dans de meilleures conditions un score très négatif. »
La LCR, de son côté, ne voit son union électorale avec LO que comme une mesure temporaire d'urgence. Son but est la construction d'une large « gauche anticapitaliste » qui défende un programme réformiste de gauche et comprenne une partie du Parti communiste français et de la bureaucratie syndicale. Le parti frère brésilien de la LCR s'est rangé au côté du Parti des travailleurs de Lula sur la base d'une telle orientation et a dores et déjà fourni un ministre à un gouvernement sur lequel la banque mondiale ne tarit pas d'éloges.
Le résultat des élections régionales françaises
exprime comme déjà aux élections parlementaires
espagnoles une poussée à gauche de la classe
ouvrière. Mais, jusqu'à maintenant, il manque à
ce mouvement à gauche une perspective politique claire
qui puisse permettre un développement politique.