wsws : Nouvelles et analyses : Europe
Par Harvey Thompson
11 mars 2004
* Dans un autre cas de plainte pour brutalités, en septembre
dernier, comme le rapporte le Sun - tabloïd pro guerre
appartenant à Rupert Murdoch - des troupes britanniques
du QLR (Queen's Lancashire Regiment) auraient capturé des
"bandits pro Saddam" près de Bassora, ville occupée
par les Britanniques. Neufs prisonniers furent emmenés
à une base de l'armée de la ville, et parmi ceux-ci
se trouvait un homme connu seulement sous le nom de M. Al-Maliki.
Une enquête fut diligentée suite à une plainte
: on accusait un soldat britannique d'avoir battu à mort
Al-Maliki. D'après le reportage du Sun, paru la
semaine dernière, Al-Maliki a subi au moins 50 blessures
- internes comme externes. Un deuxième prisonnier fut sérieusement
passé à tabac, entraînant une insuffisance
rénale, un troisième subit des blessures internes
graves et les six autres portèrent plainte pour les traitements
subis, toujours d'après le journal.
Suggérant un mobile de vengeance, l'article mettait en
avant le fait que le QLR ("en mission de maintien de la paix
en Irak") avait un mois plus tôt perdu un des siens
après avoir été attaqué. Le Capitaine
Dai Jones, du Premier Bataillon du QLR, fut tué le 14 août
dans une attaque à la bombe contre une ambulance militaire
à Bassora.
Le reportage donnait le témoignage détaillé
d'un soldat anonyme sur les sévices administrés
aux neufs prisonniers par les soldats du QLR. Le militaire décrit
comment les sentiments s'exacerbèrent après la mort
de Jones. Il raconte que les Irakiens furent jetés des
camions et enfermés dans une cellule de 4 mètres
sur 4 ; ils furent contraints de garder les bras en l'air ou de
s'agenouiller la tête contre le mur.
"Ils étaient gardés ainsi jusqu'à ce
qu'ils s'effondrent et qu'ils ne puissent plus supporter cette
position. Ils étaient alors frappés des poings et
des pieds, ou placés dans d'autres positions... Ils étaient
traités moins bien que des animaux."
Les séquences de coups et d'insultes étaient interrompues
par des sessions d'interrogatoire, avant un retour aux coups.
"Certains du régiment venaient juste les frapper à
coups de bottes dans l'estomac, ou à coups de poings. C'était
bang... bang... bang; coup de pied... coup de poing... bang. Les
gémissements, les grognements, les hurlements semblaient
ne jamais devoir s'arrêter. Les prisonniers suppliaient
: 'Pitié, arrêtez ! Pitié, arrêtez !'...
Prenez des pleurs de bébé, multipliez les par mille,
et ajoutez-y la douleur, la colère, la souffrance. Voilà
à quoi leur cris ressemblaient."
Le soldat rapporte que les cris des irakiens étaient tels
qu'ils empêchaient certains soldats de dormir dans la caserne
toute proche. Les coups constants et la torture continuèrent
jusqu'à ce qu'un des hommes, Al-Maliki, succombe. D'après
le soldat, les coupables essayèrent alors de se débarrasser
des cagoules en tissu et d'autres vêtements maintenant imbibés
de sang.
Concluant son témoignage, le soldat déclara : "J'ai
mal au coeur de penser que je n'ai rien fait pour les sauver,
car je sais que d'autres le font. Il va falloir vivre avec ça.
Les soldats qui ont fait ça devraient être enfermés
à vie... Tous ceux qui ont participé sont coupables
de crime de guerre. J'ai peur que ceci soit étouffé,
et il semblerait qu'une seule personne va porter le chapeau pour
ça."
* The Guardian rapporte le 28 février que des avocats
représentant un civil irakien dont le frère avait
été tué par les troupes britanniques demandent
des réparations dans un procès qui pourrait faire
jurisprudence "et qui comporte de sérieuses implications
pour les forces occupantes britanniques".
La plainte est présentée devant la haute cour à
la demande de Mazin Jumah Gatteh, dont le frère, ainsi
qu'un autre Irakien, fut abattu au mois d'août dernier durant
des funérailles à Bassora. Juste après les
meurtres, un gradé britannique écrivit à
la tribu Beni Skein, à laquelle appartenaient les victimes,
exprimant des regrets pour ces décès et offrant
une "petit don" aux familles, mais se refusant à
toute compensation officielle.
Dans son témoignage à la Cour, Gatteh décrivit
comment lui et ses proches se réunirent pour des funérailles,
au mois d'août dans le quartier de Majidiya."J'étais
en train d'accueillir les invités qui arrivaient à
la cérémonie" raconte Gatteh, "Mon frère
était dans la rue, marchant vers la maison, à près
de 10 mètres de moi, quand il fut pris pour cible par des
soldats britanniques. Ils utilisèrent des mitrailleuses
automatiques ; il y avait des balles et des éclats qui
volaient de partout."
"Mon frère n'était pas armé et je n'ai
pas la moindre idée de pourquoi on lui a tiré dessus.
Je pense qu'il a été touché par un grand
nombre de balles, et même à l'estomac. La mort fut
plus ou moins instantanée et il était mort à
son arrivée à l'hôpital local... Les gens
furent extrêmement choqués de voir le si grand nombre
de balles tirés en un si court laps de temps."
Après les tirs, le lieutenant-colonel Ciaran Griffin, commandant
le Premier Bataillon du Régiment du Roi, donna sa version
des événements à la tribu Beni Skein. Il
décrivit comment une patrouille entendit des tirs et crut
qu'il s'agissait "de dangereux échanges de coups de
feu". La patrouille partit enquêter à pied.
"La nuit était très sombre car il n'y avait
pas d'électricité pour l'éclairage urbain",
écrivit l'officier. Il ajouta : "la patrouille rencontra
deux hommes, qui semblaient être armés et représenter
une menace directe pour leurs vies, alors ils ouvrirent le feu
et les tuèrent."
"Rétrospectivement, il devint clair que les nombreux
coups de feu... étaient des gestes de sympathie pour les
funérailles d'un homme mort et les deux hommes qui furent
abattus par la patrouille n'avaient pas l'intention d'attaquer
qui que ce soit."
Le Colonel Griffin déclara avoir donné deux millions
de dinars (environ £540) à la famille de Hassan et
trois millions de dinars (£810) à la famille Gatteh.
* Le corps d'Ather Karim Khalaf, 24 ans, a été exhumé
à Najaf par les officiels militaires britanniques pour
analyse. Khalaf est mort le 29 avril de l'an passé, deux
mois après son mariage. Il faisait la queue dans son taxi
à une station essence dans le quartier d'Al-Mouwaffakia
à Bassora, quand des soldats britanniques ordonnèrent
à tous les conducteurs de faire marche arrière.
M. Khalaf fit marche arrière mais la porte de passager
s'ouvrit alors et fit chuter un soldat en le heurtant.
"Il n'avait pas voulu faire quoi que ce soit au soldat",
raconte son frère Uday, qui se tenait à proximité
à ce moment-là. "Le soldat arma son fusil et
tira sur mon frère à travers la fenêtre ouverte.
Il le tira alors hors de la voiture et commença à
le frapper, quand il était sur le sol."
Khalaf avait été touché à l'abdomen
par les tirs et mourut à l'hôpital deux jours plus
tard. Ce n'est que grâce à un groupe local de lutte
pour les droits de l'homme et à un oncle de Khalaf, citoyen
américain en visite, que la famille prit conscience qu'il
y avait là matière à une plainte. Depuis,
ils n'ont reçu ni excuses écrites, ni offre de compensation
et ils n'ont pas la moindre idée des progrès de
l'enquête, 10 mois après que Khalaf ait été
abattu.
* Le Ministère de la Défense a reconnu que quatre
autres cas était étudiés. On sait peu de
chose de Said Shabram, qui mourut le 24 mai, ni de Abbad Said,
le 4 août.
* Un autre cas est celui de Ahmad Jabbar Kareem, 16 ans. Il fut
aussi arrêté avec un autre adolescent le 8 mai. D'après
le témoignage du deuxième garçon, Ayad Salim
Hanoon, et signé par un officier de police irakienne, les
deux garçons furent arrêtés à Bassora
par des soldats britanniques. Ils furent conduits à la
voie d'eau du Shatt Al-Bassora avec plusieurs autres prisonniers,
et on leur ordonna de nager vers l'autre rive.
"Nous avions atteint le point le plus profond, mais Ahmad
ne savait pas nager.
Il a coulé et je n'ai pas pu le trouver."
Il fut dit à la famille qu'il y avait une enquête
en cours mais ce fut tout.
Le père d'Ahmad, Jabber Kareem Ali, écrivit aux
militaires britanniques pour demander la poursuite de l'enquête.
"Il n'était pas seulement mon fils. Il était
quasiment comme un ami depuis ses six ans", déclara-t-il,
"Si un irakien faisait ça à un enfant britannique,
imaginez ce qu'ils feraient !?"
Dans plusieurs autres cas, des familles de Bassora se plaignent
d'avoir reçu des promesses d'enquêtes sur la mort
de proches, mais sans résultats.
* Les cas précédents ne sont pas les seuls exemples
où les troupes britanniques se sont trouvées accusées
d'avoir torturé et humilié des irakiens sous leur
garde. En mai de l'an passé, les employés d'une
boutique de développement photographique ont remis à
la police des clichés montrant des troupes britanniques
qui torturaient et abusaient sexuellement de prisonniers de guerre
irakiens. Le nombre croissant de recours juridiques en réaction
à la conduite de l'armée britannique, néanmoins,
cause de profondes inquiétudes dans la classe dirigeante
en Grande Bretagne. Cela menace d'amener un éclairage bien
plus horrible sur une politique étrangère déjà
en pleine déliquescence.
Ces préoccupations sont exprimées dans un éditorial
du journal The Guardian du 23 février. Tout au long
de l'année passée, le journal était derrière
l'establishment libéral qui soutenait la décision
de Blair d'entrer en guerre aux côtés des USA en
Irak. Il émet maintenant clairement des avertissements
à propos des récentes révélations.
L'éditorial commence avec le mantra habituel proclamant
la civilité de l'armée britannique :
"On considère que dans l'ensemble les troupes britanniques
opérant en Irak ont exécuté un travail hautement
professionnel durant et depuis l'invasion de l'année dernière.
Le secteur britannique centré sur la deuxième ville
d'Irak, Bassora, a connu bien moins de violence impliquant la
résistance armée et beaucoup moins de conflit avec
la population civile que dans les secteurs sous contrôle
américain dans le centre de l'Irak."
Et l'éditorial d'ajouter pour montrer que cette image est
menacée :
"Pour ces raisons, le nombre croissant de rapports détaillés
de brutalités et de tortures qui auraient été
perpétrées par quelques soldats britannique contre
des détenus irakiens sont d'autant plus troublants - et
consternants... La question principale, et qui résume tout,
est de savoir comment et pourquoi ces personnes sont mortes, et
si une quelconque enquête de la Police Militaire Royale
peut être considérée suffisamment indépendante
et impartiale, comme le requiert la loi internationale quand il
s'agit de pays occupés. La RMP (Royal Military Police)
est, quoi qu'on puisse dire ou faire, un organe de l'armée
britannique. Si ses investigations ne sont pas conclues rapidement,
si ses conclusions ne sont pas rendues complètement publiques,
et si une ligne de conduite ferme n'est pas déterminée
rapidement, la confiance locale envers les procédures judiciaires
et envers la présence maintenue de l'armée dans
le sud de l'Irak souffrira inévitablement. Comme les troupes
britanniques sont, à priori, présents là-bas
pour au moins deux ans de plus, c'est une conséquence qui
doit être évitée."
Les éditorialistes savent fort bien que l'opposition aux
forces d'occupation - américaine, britannique ou autres
- s'intensifie, et que ce qui est observé est une conduite
de plus en plus sanguinaire de la part de l'armée britannique
pour la juguler. " Eliminer les mauvais" ne suffira
pas, n'en déplaise à la conclusion tirée
par l'éditorial du Guardian. La seule façon
d'arrêter le carnage en vies humaines est de retirer toutes
les troupes étrangères d'Irak. The Guardian
s'est opposé à maintes reprises à cette solution.
Le Ministère de la Défense est aussi confrontée
à l'enquête d'une équipe d'avocats sur la
mort d'au moins 18 civils irakiens qui auraient été
tués par des soldats britanniques.
Les incidents en question sont des cas différents de ceux
des irakiens détenus et morts à Camp Bucca, et sont
à relier aux incidents dans lesquels des irakiens sont
morts alors qu'ils furent pris par erreur sous le feu ou alors
qu'ils étaient des témoins innocents d'opérations
qui auraient été menées par les troupes
britanniques.
Alors que le Ministère de la Défense a refusé
d'admettre sa responsabilité dans tous ces décès,
il a proposé et payé des compensations financières
à quelques unes des familles.
Une famille s'est vue proposer près de 1000 dollars pour
le meurtre de Waleed Fayayi Muzban, qui a été tué
lorsque son véhicule fut frappé par un déluge
de balles qui auraient été tirées par des
soldats britanniques. Les avocats déclarèrent que
la somme était dérisoire, et se préparent
à poursuivre le Ministère de la Défense devant
des cours civiles au Royaume Uni pour obtenir de meilleures indemnités.
Les nouveaux cas incluent :
- le décès de M. Muzban en août dernier. Il
est décédé des suites de blessures à
la poitrine et à l'estomac dans un hôpital militaire.
- trois jours plus tard, le 27 août, Raid Hadi Al Musawi,
policier irakien, aurait été abattu par des soldats
britanniques patrouillant Bassora.
- Hanan Shmailawi, touchée par des balles à la tête
et aux jambes alors qu'elle s'apprêtait à dîner
en novembre. Des soldats britanniques enquêtant sur un crime,
se trouvaient sur le toit du complexe de l'Institut d'Education
de Bassora, où vivait et travaillait la famille.
- Muhammad Abdul Ridha Salim était venu rendre visite à
son beau-frère, aux alentour de minuit le 5 novembre. Des
soldats britanniques envahirent la maison et l'un deux pourrait
être responsable de la balle reçue par Muhammad dans
l'estomac. Il mourut plus tard à l'hôpital.
- Jaafer Hashim Majeed, 13 ans, jouait dans la rue, à
Bassora, le matin du 13 mai, quand une bombe à fragmentation
explosa. Il mourut sur le chemin de l'hôpital.
Dans un autre incident, un gradé britannique a reconnu
la responsabilité de ses hommes dans les blessures et les
décès des membres d'une famille qui portaient légitimement
des armes. Phil Shiner, dont la société "Public
Interest Lawyers" est partie prenante de ces cas, et d'autres,
déclara le 20 février : "Les 18 irakiens ne
sont que la partie émergée de l'iceberg. Tous ont
perdus des proches, des personnes aimées, dans des circonstances
où il est clair comme de l'eau de roche que les forces
armées britanniques sont responsables, souvent parce qu'elles
ont tiré sur des gens par erreur."
"Le gouvernement doit agir immédiatement pour mettre
en place une enquête indépendante pour établir
les causes précises de ces décès."