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La politique de l'opportunisme : l'extrême gauche en France

Quatrième partie : Les origines du pablisme - un regard sur son histoire

Par Peter Schwarz
22 mai 2004s

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Si l'on compare les résolutions du 15e congrès mondial de l'internationale pabliste aux révisions opportunistes introduites dans le programme de la Quatrième internationale par Michel Pablo il y a plus de 50 ans, la ressemblance est frappante. Il est stupéfiant de voir combien les choses ont peu changé.

Dans les années qui suivirent la Deuxième guerre mondiale, Pablo, l'ancien secrétaire de la Quatrième Internationale et ses partisans s'adaptèrent à la pression politique exercée sur le mouvement trostskyste par la stabilisation du capitalisme et la force apparente du stalinisme. Si après la Première guerre mondiale de violentes luttes de classe avaient, pendant de nombreuses années, secoué l'Europe, après la Deuxième guerre mondiale dans une période relativement courte la situation fut calmée et le pouvoir de la bourgeoisie à nouveau consolidé.

Cela fut surtout dû, outre l'intervention des Etats-Unis, à l'attitude des partis communistes dépendants de Moscou qui firent jouer toute leur autorité pour étouffer dans l'uf la moindre tentative révolutionnaire. En Italie et en France, où ils disposaient d'une influence de masse, ils firent en sorte que la résistance antifasciste soit désarmée et ils entrèrent temporairement dans des gouvernements bourgeois. Ils honoraient en cela les accords conclus à Yalta et Potsdam entre Staline et ses alliés occidentaux, qui stipulaient que l'Europe de l'Ouest devait rester sous contrôle capitaliste tandis qu'on accordait à l'Union Soviétique le contrôle d'un cordon d'Etats-tampons en Europe de l'Est.

Une évolution révolutionnaire à l'Ouest ou dans les Etats-tampons n'intéressait aucunement la bureaucratie du Kremlin. Une telle évolution aurait automatiquement ébranlé sa propre dictature en Union Soviétique. C'est pourquoi elle s'assura un certain degré d'influence sur les décisions gouvernementales des Etats-tampons, sans toutefois intervenir de façon radicale dans les rapports de propriété et se mit même à la recherche de partis et de politiciens bourgeois discrédités pour les installer au pouvoir dans le but de garder le contrôle sur les masses.

Cela changea avec le début de la guerre froide dans les années 1947-1948. Sous la pression grandissante de la classe ouvrière d'un côté et celle d'un Occident de plus en plus hostile de l'autre, la bureaucratie stalinienne renforça le contrôle exercé sur les Etats-tampons. Pour assurer sa propre survie elle se débarrassa de ses alliés bourgeois et entreprit de vastes mesures de nationalisation. En même temps, elle intensifia son oppression de la classe ouvrière ­ comme on allait le voir dans la répression sanglante des soulèvements ouvriers en Allemagne de l'Est, en Hongrie et en Pologne dans les années 1950.

Ces évènements n'empêchèrent pas Pablo de voir dans les mesures de nationalisations en Europe de l'Est la preuve que le stalinisme joue un rôle révolutionnaire sous la pression d'évènements objectifs. Il était convaincu qu'une Troisième guerre mondiale entre les Etats-Unis et l'Union Soviétique était inévitable et pensait qu'elle prendrait la forme d'une guerre civile mondiale au cours de laquelle la bureaucratie stalinienne serait forcée de faire la révolution sociale.

C'est dans un document intitulé « Où allons-nous ? » que Pablo résuma en 1951 de la façon la plus concise ses vues sur la situation mondiale. « Pour notre mouvement, la réalité sociale se compose essentiellement du régime capitaliste et du monde stalinien. De plus, que nous le voulions ou non, ces deux éléments constituent en général la réalité sociale, car l'écrasante majorité des forces s'opposant au capitalisme se trouvent, pour le moment, sous la direction ou sous l'influence de la bureaucratie soviétique. » (1)

Comme le constata correctement à l'époque un membre de la section française, ce schéma ne laissait aucune place à un rôle indépendant de la classe ouvrière. « Nous pensions que la réalité sociale était l'opposition des classes fondamentales : prolétaires et bourgeois » commenta Marcel Bleibtreu. « Erreur, car désormais le régime capitaliste, qui précisément englobe ces deux classes, devient un tout qui s'oppose au monde stalinien. » (2)

Pablo ignora simplement la lutte des classes qui faisait rage tant dans le camp capitaliste que dans le camp stalinien. Son schéma était une régurgitation de la théorie des blocs défendue par les staliniens eux-mêmes et qui avait servi de base à la création du Kominform en 1947. Selon cette théorie, le devoir de tout socialiste était de se placer du côté de la bureaucratie du Kremlin dans la lutte entre le camp impérialiste et le camp anti-impérialiste ; et toute critique du stalinisme équivalait à un soutien à l'impérialisme.

Les nouvelles conceptions de Pablo ne se bornaient pas à s'adapter au stalinisme. Elle ne faisaient aucune part à un rôle politique autonome de la Quatrième internationale et aboutissait à sa liquidation. « Ayant perdu confiance dans les capacités révolutionnaires de la classe ouvrière et dans l'aptitude du trotskysme à défaire les puissantes bureaucraties sociales-démocrates et staliniennes dans le mouvement ouvrier international ou encore à surmonter l'influence des nationalistes bourgeois dans les pays arriérés, Pablo subordonnait toutes les questions de programme, de perspective et de principe à un opportunisme tactique sans bornes, » peut-on lire dans une enquête détaillée sur les origines du pablisme par David North. (3) « L'activité pratique du mouvement trotskyste ne devait plus avoir pour orientation principale l'éducation du prolétariat, et pour objectif de le rendre conscient de ses tâches historiques et d'établir de façon inconditionnelle son autonomie programmatique et organisationnelle vis-à-vis de toutes les autres classes. [] Il fallait au contraire réduire le travail politique à la menue monnaie d'expédients tactiques. Des positions de principe qui étaient l'aboutissement de décennies de lutte étaient sacrifiées au vain espoir d'influencer les dirigeants des organisations staliniennes, sociales-démocrates et nationalistes bourgeoises et de les pousser à gauche. »

Pablo qualifiait cela d'« intégration dans le mouvement réel des masses ». Dans un discours prononcé devant le 3e congrès de la Quatrième internationale à l'automne de 1951, il appela à « subordonner toutes considérations organisationnelles, d'indépendance formelle ou autres, à la véritable intégration dans le mouvement de masse ». Il exigea explicitement de renoncer à tout programme indépendant : « Ce qui nous distingue plus encore du passé, ce qui fait la qualité de notre mouvement aujourd'hui et constitue la plus sûre garantie de nos victoires futures, c'est notre capacité croissante de comprendre, d'apprécier le mouvement de masse tel qu'il existe souvent confus, souvent dominé par des directions traîtres, opportunistes, centristes, bureaucratiques et même bourgeoises et petites-bourgeoises et nos efforts pour trouver notre place dans ce mouvement avec pour but de le faire parvenir de son niveau actuel à un niveau plus élevé. » (4)

François Vercammen devait avoir ce passage sous les yeux lorsqu'il écrivit plus de cinquante ans plus tard : « Dans une telle formation, les marxistes-révolutionnaires ne font pas de 'l'entrisme' avec un but secret ou avoué de passer le plus vite possible à un 'parti révolutionnaire' d'avant-garde qui se doterait d'un programme révolutionnaire. Ils y sont co-initiateurs, co-organisateurs, co-dirigeants de ce parti large pour partager les expériences des combats actuels et à venir, pour progresser ensemble vers un parti de masse anticapitaliste, capable de lutter pour le socialisme. » (5)

Comme le montre David North dans son bilan du pablisme, cette approche rejette une des leçons les plus importantes tirées de plus d'un siècle de luttes des classes : elle nie la signification du facteur conscient dans la lutte du prolétariat pour le pouvoir politique.

L'approche pabliste se fonde sur une méthode théorique qui est diamétralement opposée à la méthode marxiste. North la caractérise de la façon suivante : « Le point de vue de l'objectivisme, c'est la contemplation au lieu de l'activité révolutionnaire pratique. L'objectivisme observe plutôt qu'il ne lutte, justifie ce qui se produit plutôt qu'il n'explique ce qui doit être fait. Cette méthode fournit la base théorique d'une perspective dans laquelle le trotskysme n'est plus conçu comme la doctrine guidant l'activité pratique du parti déterminé à conquérir le pouvoir et à changer le cours de l'histoire, mais plutôt comme une interprétation générale du processus historique au cours duquel le socialisme est finalement réalisé sous la direction de forces non prolétariennes, hostiles à la Quatrième Internationale. Et si on admettait que le trotskysme avait un rôle direct quelconque à jouer dans le cours des événements, ce rôle était une sorte de processus mental subconscient, guidant l'activité des staliniens, néo-staliniens, demi-staliniens et bien sûr des nationalistes petits-bourgeois de l'une ou de l'autre espèce ». (6)

La fondation du Comité International

Ces nouveautés théoriques de Pablo ne sont pas restées sans réponse. C'est la section française qui s'y opposa la première.

Le Parti communiste internationaliste avait une réelle influence après la guerre. En 1946, il comptait environ 1000 membres et il présenta onze candidats aux élections législatives qui obtinrent chacun entre 2 et 5 pour cent des voix. Son journal La Vérité était vendu dans les kiosques et avait une large audience. Cette influence s'étendait aussi à d'autres organisations. C'est ainsi que l'ensemble de la direction de l'organisation de jeunesse socialiste, qui comptait 20.000 membres, soutenait les trotskystes.

Le PCI n'était cependant pas très solide politiquement. Lorsqu'en 1947 la SFIO fit un brusque virage à droite, qu'elle dissout son organisation de jeunesse et exclut sa direction trotskyste, cela déclencha une crise aiguë dans le PCI. L'aile droite réagit en rejetant toute perspective révolutionnaire. Yvan Craipeau, qui a l'époque était à la tête du PCI, écrivit en 1959 concernant cette période : « Les perspectives révolutionnaires du PCI s'avèrent ne pas correspondre à la réalité. [] Toutefois, la France n'est pas pour autant la Russie de 1917 : les masses populaires ne montent pas à l'assaut du régime ; elles ne considèrent nullement la grève comme une étape vers le pouvoir, mais comme un moyen de luttes revendicatives. La politique des organisations communistes (et même socialistes) ne leur est pas imposée arbitrairement ; elle reflète aussi en partie leur propre état d'esprit. Une fois de plus, il apparaît nécessaire de procéder à une révision sérieuse de l'évaluation politique et de l'orientation. »

En rendant l'« état d'esprit » des ouvriers responsable de la politique des staliniens et des sociaux- démocrates, Craipeau inversait la réalité. Dans les faits, la classe ouvrière française se rebella contre le fait qu'elle était tenue en laisse par les staliniens qui étaient dans le gouvernement avec les sociaux- démocrates et les radicaux bourgeois et exigeaient d'elle de lourds sacrifices au nom de la Nation et de la reconstruction de l'économie. Une vague de grèves partie de l'industrie automobile échappa au contrôle de la CGT dominée par les staliniens et fut pour un temps dirigée par les trotskystes. Afin de neutraliser cette colère, les staliniens se virent finalement obligés de retirer leurs ministres du gouvernement.

Dans le PCI, l'aile droite autour de Craipeau perdit bientôt la majorité. Il fut exclu en 1948, après s'être employé à liquider le parti dans le RDR (Rassemblement Démocratique Révolutionnaire) un groupement de gauche fondé par le philosophe Jean-Paul Sartre. Le RDR de Sartre se dispersa après quelques mois. De nombreux représentants de l'aile droite rejoignirent plus tard le PSU (Parti Socialiste Unifié) de Michel Rocard qui se dissout lui dans le Parti socialiste de François Mitterrand dans les années 1970.

Le conflit avec Craipeau avait préparé le PCI au conflit avec Pablo. En 1952, devant la résistance du PCI à la trajectoire révisionniste de Pablo, ce dernier exclut la majorité de la section au moyen de mesures bureaucratiques. En cela, il pouvait s'appuyer sur une minorité dirigée par Pierre Frank et Ernest Mandel. Tous deux compteront parmi les plus importants représentants du pablisme français et international dans les décennies qui suivront.

En 1953 finalement, plusieurs sections de la Quatrième internationale s'opposèrent ouvertement à Pablo. Le SWP (Socialist Workers Party) américain publia le 16 novembre 1953 une lettre ouverte à tous les trotskystes du monde entier dans laquelle, de façon détaillée et sans ambiguïté, il prenait position contre Pablo. Le SWP avait collaboré étroitement avec Trosky dans les dernières années de sa vie et possédait une grande autorité dans l'internationale. La Lettre ouverte accusa la fraction de Pablo d'« uvre[r] aujourd'hui délibérément pour disloquer les cadres historiquement assemblés du trotskysme dans les divers pays et liquider la Quatrième Internationale ». Elle parvint à cette conclusion que : « L'abîme qui sépare le révisionnisme pabliste du trotskysme est si profond qu'aucun compromis n'est possible politiquement ni organisationellement ». (8)

La Lettre ouverte mena au rassemblement des trotskystes orthodoxes au sein du Comité International de la Quatrième internationale, que rejoignirent aussi la majorité exclue de la section française ainsi que la section britannique.

Le bilan du pablisme

Ce n'est pas la tâche de cette série d'articles que d'écrire une histoire du pablisme. Cela exigerait plusieurs volumes. Même s'il ne s'agissait que d'établir la liste des catastrophes politiques dont l'internationale pabliste est responsable, ou desquelles elle est au moins en partie responsable, l'espace réservé à ces articles ne serait pas suffisant.

Les dirigeants pablistes se sont avérés inépuisables dans la recherche de figures politiques ou d'organisations auxquels ils pouvaient faire la cour et dont ils pouvaient dire qu'ils étaient l'avant-garde révolutionnaire. Ernest Mandel surtout développa de ce point de vue des capacités insurpassables. La liste des personnages politiques dont il a fait l'éloge à un moment ou à un autre va de Tito à Michail Gorbatchev auquel il consacra un de ses derniers livres, en passant par Mao, le stalinien polonais Gomulka, Fidel Castro, les sandinistes et des esprits brouillons comme le dissident de la RDA Rudolf Bahro. Le livre consacré à Gorbatchev fut dédié à Boris Eltsine !

Aucune de ces figures ou organisations ne confirma jamais les espoirs que les pablistes avaient placés en elles. Elles virèrent immanquablement à droite et immanquablement elles léguèrent à la postérité un monceau de ruines politiques. Mais les pablistes ne s'en sont guère soucié pour autant. Sans s'occuper de ce qui s'était passé, comme le canard qui quitte la mare, secoue l'eau de ses plumes puis y retourne, ils sortaient d'un désastre qu'ils avaient eux-mêmes entraîné pour entrer dans le désastre suivant. Le refus d'accepter toute responsabilité pour les conséquences de leur propre activité politique fait partie, et c'est tout à fait caractéristique, de cette conception objectiviste du monde qui explique tout événement politique par l'action de forces historiques anonymes.

Pour ceux qui suivirent les conseils des pablistes et qui durent subir les conséquences de leur politique, les choses ne furent certes pas aussi faciles. On a ainsi égaré et démoralisé des générations de travailleurs et de jeunes qui s'étaient sentis attirés par le trotskysme. Certains y perdirent même la vie, comme ces jeunes d'Amérique latine qui, sur les conseils de Mandel, quittèrent les villes et allèrent dans la jungle pour y mener une lutte de guérilla et où, isolés de la classe ouvrière ils furent la proie facile des militaires fascistes.

Pablo lui même et les dirigeants pablistes français se mirent, après la scission de 1953, sans réserve au service du Front de libération nationale (FLN) algérien, pour lequel ils exécutèrent surtout des tâches pratiques comme l'impression de journaux clandestins, la fabrication de fausse monnaie et de faux passeports et même la construction d'une fabrique d'armes au Maroc. Après la victoire du FLN sur la puissance coloniale française, Pablo entra au service du gouvernement algérien. En tant que conseiller particulier du président Ben Bella, il supervisa l'introduction d'une autogestion de type yougoslave dans les entreprises algériennes.

Il coordonna en même temps les relations avec les mouvements nationalistes dans le monde entier au nom du gouvernement algérien. Il entretint des rapports étroits avec le MPLA en Angola, le Frelimo au Mozambique et avec Désiré Kabila au Congo. Le panafricanisme, qui a depuis prouvé sa complète inaptitude à résoudre les problèmes de l'oppression coloniale et du retard économique, dut dans sa phase initiale beaucoup à Pablo. Il s'efforça avec Che Guevara de construire une nouvelle organisation s'étendant sur trois continents et qui devait avoir sa place à gauche du mouvement des pays non alignés de Tito et Nehru. Ho Chi Minh montra de l'intérêt, tout comme Kim Il-Sung et Gamal Abdel Nasser. Pablo conduisit les négociations au nom de Ben Bella avec les ambassadeurs des pays concernés. Il était aussi en contact étroit avec le gouvernement soviétique.

Les activités des pablistes se terminèrent brusquement en 1965 quand les militaires renversèrent Ben Bella et quand Houari Boumédienne prit le pouvoir. Pablo réussit à fuir grâce à un passeport que lui avait fournit le MPLA. Quelques-uns de ses amis en revanche furent torturés. Parce que les soi-disant trotskystes s'étaient subordonnés sans réserve au nationalisme bourgeois du FLN, la classe ouvrière algérienne fut totalement prise au dépourvu par un virage à droite prévisible de la part de celui-ci.

Le Secrétariat unifié et Pablo scissionnèrent la même année. Leurs divergences concernaient entre autre le conflit entre Moscou et Pékin qui s'étaient brouillés. Tandis que Pablo entretenait des rapports étroits avec le Kremlin depuis ses jours dans le gouvernement algérien, le Secrétariat unifié, lui, soutenait Mao Tsé-Toung. Mais il n'y eut aucun bilan tiré en ce qui concerne les fondements politiques du pablisme. Le Secrétariat unifié lui aussi continua de glorifier les mouvements nationalistes bourgeois. Un de ses nouveaux héros était Fidel Castro ; il en faisait l'éloge, le qualifiant de « marxiste naturel ».

Une année auparavant déjà on avait pu constater les conséquences réactionnaires du pablisme au Sri Lanka, l'ancienne Ceylan. La section sri lankaise de l'internationale pabliste, le Parti Lanka Sama Samaja était entré en 1964 dans un gouvernement de coalition bourgeois dirigé par Sirimavo Bandaranaike, la mère de l'actuelle présidente du Sri Lanka. Cela donna le coup de départ d'une évolution qui allait plonger le pays dans une guerre civile autodestructrice qui dure encore aujourd'hui.

Le LSSP était le principal parti de la classe ouvrière sri lankaise. Il avait une influence de masse parmi les travailleurs cingalais et tamouls. Il s'était opposé après la Deuxième guerre mondiale à la constitution ceylanaise, qui avait été négociée avec la puissance coloniale britannique et qui, en opposant l'une à l'autre les deux principales ethnies de l'Ile, garantissait la domination de la bourgeoisie ceylanaise.

En 1953, le LSSP n'avait pas soutenu la Lettre ouverte du SWP, bien qu'il ait lui même eu des réserves vis-à-vis de Pablo. Il maintint ses relations avec l'internationale pabliste. Dans les années suivantes se développèrent dans ses rangs des tendances opportunistes, encouragées par les pablistes, tendances qui prenaient fait et cause ouvertement pour des alliances politiques directes avec la bourgeoisie nationale. Ceci trouva son point culminant dans les évènements de 1964. Pour la première fois de l'histoire un parti qui se disait trotskyste entrait dans un gouvernement bourgeois. Cela portait le discrédit sur la Quatrième internationale non seulement dans tout le sous-continent indien, mais encore dans tous les pays du soi-disant tiers-monde.

Le prix payé par le LSSP pour son entrée dans le gouvernement Bandaranaike fut la capitulation devant le chauvinisme cingalais. Il soutint en tant que parti gouvernemental les mesures (telle la désignation du cingalais comme langue d'Etat), qui discréditaient la minorité tamoule. La conséquence en fut que la population appauvrie, et avant tout la jeunesse, cessa de considérer que son destin était lié à celui du mouvement ouvrier et rechercha une autre orientation. Les groupes séparatistes comme le LTTE, groupes qui propageaient la lutte armée pour un Etat tamoul indépendant gagnèrent de l'influence parmi les tamouls. Dans la population pauvre du sud c'est le JVP qui s'implanta s'orientant initialement vers le maoïsme mais développant très vite des formes extrêmes de chauvinisme cingalais et prenant par moment ouvertement un caractère fasciste.

La trahison de Ceylan donna la preuve irréfutable que le pablisme était passé dans le camp de la contre-révolution bourgeoise. Il représente dans l'histoire de l'internationale pabliste un tournant tout aussi décisif que le 4 août 1914 et le vote en faveur des crédits de guerre par la sociale- démocratie allemande dans l'histoire de la Seconde internationale.

Les origines de la LCR

Après la scission de 1953, les pablistes français avaient mené une existence des plus précaires. Ils n'avaient que quelques dizaines de membres, parmi lesquels ne se trouvaient guère de travailleurs et ils n'étaient pas non plus présents dans les syndicats. Dans les années 1960, ils réussirent à gagner un groupe de sympathisants dans la fédération des étudiants communistes de la faculté des lettres de la Sorbonne à Paris. Ce groupe était dirigé par Alain Krivine, qui était à l'origine stalinien et avait même en 1956 participé au festival de la jeunesse à Moscou. Krivine était critique vis-à-vis de l'attitude du Parti communiste dans la guerre d'Algérie et s'était rapproché des pablistes, que deux de ses quatre frères avaient déjà rejoints depuis longtemps en secret. En 1965, Krivine et la fédération des étudiants communistes de la Sorbonne furent expulsés du PCF. Plusieurs centaines de membres les rejoignirent et fondèrent la LCR. Beaucoup n'étaient cependant pas au courant de la collaboration de Krivine avec les pablistes.

Le mouvement étudiant de 1968 entraîna une croissance rapide de la LCR, qui compta bientôt plusieurs milliers de membres. Politiquement elle s'adapta entièrement aux illusions des étudiants et fut très active sur les barricades. Les pablistes portèrent aux nues l'activisme des étudiants, qu'ils fêtèrent comme la nouvelle avant-garde de la révolution. En 1969, le PCI de Pierre Frank et la LCR de Krivine fusionnèrent pour former la Ligue Communiste, qui porte cependant depuis 1973 à nouveau le nom de LCR.

Après que la LCR se soit donné sur les barricades de 1968 une indigestion de phrases révolutionnaires qui exprimaient plus l'état émotionnel des étudiants d'alors qu'elle ne représentait un programme politique élaboré et une fois que la révolte étudiante eut régressé, elle se pendit à nouveau aux basques des staliniens. Chaque fois qu'une crise se développait au PCF, la LCR se précipitait au secours d'une des factions concurrentes, lui donnait l'accolade et déclarait qu'elle était la base d'une nouvelle organisation « de gauche » ­ pour constater ensuite qu'elle allait à toute vitesse à droite.

Leur soutien au dissident du PCF Pierre Juquin pendant la campagne présidentielle de 1988 est un exemple typique de cette ligne. Etant donné que cet épisode caractérise si bien la politique de la LCR nous allons le décrire brièvement.

C'est essentiellement de la droite que Juquin attaqua le PCF. Il était proche de l' « eurocommunisme » tel qu'il était propagé par les partis communistes italien et espagnol. Ceux-ci aspiraient à plus d'autonomie vis-à-vis de Moscou pour pouvoir collaborer plus étroitement avec la classe dirigeante de leur propre pays. Le PCF sous la direction de Georges Marchais entretenait des rapports ambivalents avec l'eurocommunisme. Il se réclamait bien depuis 1976 d'un « socialisme aux couleurs de la France » et défendait un programme commun de gouvernement avec les sociaux- démocrates et une tendance libérale de gauche, mais craignait aussi d'être étouffé par l'étreinte des socialistes. En 1977, Marchais mit fin à l'alliance avec le PS et s'orienta à nouveau de façon renforcée vers Moscou. Cela n'empêcha cependant pas le PCF d'entrer dans le nouveau gouvernement lorsque Mitterrand gagna finalement les élections.

Trois ans plus tard, le PCF se retira du gouvernement après un virage marqué à droite dans la politique économique de Mitterrand. Cela mobilisa les « rénovateurs » sous la direction de l'ex-porte- parole du PCF, qui critiquèrent la ligne « orthodoxe » de Marchais et préconisèrent la poursuite de la collaboration avec les sociaux-démocrates. Juquin fut finalement exclu du PCF et se présenta contre son candidat officiel, André Lajoinie, à l'élection présidentielle de 1988. Alain Krivine avait déjà établi des relations étroites avec l'historien du PCF, Jean Elleinstein, porte- parole des eurocommunistes et un confident de Juquin. Après l'exclusion de Juquin, la LCR mit à sa disposition les pages de son journal et organisa sa campagne électorale. Elle espérait créer ainsi un point de ralliement pour staliniens mécontents, ex-radicaux et socialistes déçus. Cela n'eut pas de succès. Juquin n'obtint que deux pour cent des voix et disparut bientôt de la scène politique.

L'évolution vers la droite de l'internationale pabliste

Bien que la politique de l'internationale pabliste ait régulièrement conduit à des impasses ou à des catastrophes politiques, cela n'entraîna pas automatiquement la disparition du pablisme comme tendance politique. Même dans le Comité international apparurent des tendances qui défendaient des conceptions similaires à celles des pablistes et les trotskystes orthodoxes se trouvèrent à nouveau en minorité.

C'est ainsi que le SWP américain, dix ans après avoir exclu tout compromis politique et organisationnel se réunifia avec les pablistes dans le Secrétariat unifié. Il n'y eut pas de discussion sur les différences d'alors. C'est le soutien commun à Fidel Castro qui servit de base politique à la réunification.

En 1971, c'est la section française, l'Organisation communiste internationaliste (OCI) qui se sépara du Comite international. Elle garda bien ses distances vis-à-vis du Secrétariat unifié et de sa filiale française, la LCR, mais s'adapta complètement au Parti socialiste et au syndicat de droite Force ouvrière. En même temps elle noua ses propres relations opportunistes avec la bourgeoisie nationale des anciennes colonies.

Au cours des années 1970, c'est la section britannique du Comité international, le Workers Revolutionary Party qui prit des positions de plus en plus ouvertement pablistes ­ dans son attitude vis-à-vis des mouvements de libération nationale, des syndicats britanniques et de la bureaucratie travailliste et finalement aussi de la bureaucratie stalinienne de Moscou. Cela mena à une profonde crise interne qui brisa ce parti.

Le Comité international se compose aujourd'hui des forces qui ont lutté aux Etats-Unis, au Sri lanka et en Grande-Bretagne contre la capitulation devant le pablisme, ainsi que de nouvelles sections qui ont rejoint cette lutte politique. C'est surtout la lutte contre la dégénérescence du WRP et la scission avec lui, en hiver 1985-1986, qui représente un tournant décisif de son évolution. La confrontation théorique avec tous les aspects de la dégénérescence du WRP conduisit à une résurgence du marxisme authentique qui se reflète aujourd'hui dans la qualité du World Socialist Web Site. Elle a posé les fondements d'une renaissance du mouvement ouvrier marxiste international.

Les raisons pour lesquelles le pablisme a été capable de résister si longtemps et pour laquelle il a pour un certain temps été plus influent que le marxisme orthodoxe se trouvent dans les relations politiques et sociales de l'après-guerre. Le pablisme a survécu parce que le mouvement ouvrier a été dominé par le stalinisme et la sociale-démocratie et les masses opprimées des anciennes colonies ont été dominées par le nationalisme petit-bourgeois. Le pablisme développa les formules politiques et théoriques qui justifiaient la domination de ces tendances et les protégeaient sur leur gauche. En même temps il trouva dans le milieu qui profitait dans une certaine mesure du compromis de classe ­ la bureaucratie syndicale et certaines sections de l'intelligentsia petite bourgeoise ­ un terrain de recrutement propice.

Si l'on considère le pablisme comme un phénomène social et politique objectif, il est inséparable de l'existence de l'Union soviétique et de la domination de la bureaucratie stalinienne. La seule existence de l'Union Soviétique avait forcé la bourgeoisie occidentale à atténuer la lutte des classes au moyen de concessions sociales faites à la classe ouvrière et par là, à créer un vaste champ d'action aux partis réformistes et aux syndicats. La guerre froide avait donné aux mouvements nationaux la possibilité d'utiliser en leur faveur la confrontation entre les blocs et de montrer un certain degré d'indépendance. En même temps, le stalinisme restait au niveau mondial le principal instrument de la contre-révolution et étouffait tout mouvement indépendant de la classe ouvrière.

L'effondrement de l'Union soviétique en 1991 plongea le pablisme dans une crise aiguë. Il confirma le caractère contre-révolutionnaire de la bureaucratie stalinienne (toujours nié par les pablistes) qui avait pris elle-même l'initiative d'une dissolution de l'Union soviétique. Cet effondrement coupa aussi l'herbe sous les pieds du social-réformisme et du nationalisme petit- bourgeois, ce qui engendra un déclin général et un virage à droite de toutes ces organisations.

Le Secrétariat unifié se désintégra. De nombreuses sections se sont dispersées et dissoutes dans les ruines des partis staliniens. D'autres sections sont allées d'un bloc dans les organisations qui succédèrent aux partis staliniens et n'entretinrent plus que des rapports peu étroits avec le Secrétariat unifié. Dans le rapport sur le 15e congrès mondial que nous avons déjà cité cette crise est décrite de façon emphatique : « Aucune organisation révolutionnaire n'est sortie indemne de cette période néo-libérale contre-révolutionnaire. Toutes ont dû encaisser la défaite. Chacune d'entre elles a dû s'adapter. » y lit-on. Ailleurs dans ce texte, on parle même pour ce qui est de la période de 1985 a 1995 d'une « descente aux enfers ».

L'internationale pabliste ressuscitée a quitté le purgatoire en tant qu'aile gauche de la politique bourgeoise, débarrassée de tout stigmate marxiste. Elle a effectué un virage à droite accentué. Elle ne joue plus le rôle de la feuille de vigne de gauche des soutiens réformistes de l'ordre bourgeois, mais elle est devenue elle-même un tel soutien. Ce qui représentait en 1964 le sommet de la trahison pabliste et qui força le Secrétariat unifié à prendre à mi-voix ses distances est devenu la norme ­ l'entrée dans des gouvernements bourgeois.

Livio Maitan, un des vétérans du pablisme et pendant longtemps un dirigeant du Parti de refondation communiste en Italie, ouvrit le 15e congrès en apportant des félicitations à un ministre bourgeois membre des rangs pablistes ­ une nouveauté même pour ces derniers. Ce faisant, il insista pour rappeler les évènements de 1964 au Sri Lanka, qu'il qualifia cyniquement de « dérives ».

« En principe, nous n'avons jamais souffert de cette maladie fatale du mouvement ouvrier qu'est le crétinisme parlementaire, même si nous avons subi, à différentes époques, des dérives, du Sri Lanka à des pays d'autres continents. Donc, nous n'avons pas peur de souligner comme un reflet de notre influence croissante le fait que dans la dernière décennie nous avons eu des élus dans une série de pays, du Brésil aux Philippines, du Danemark au Portugal et au Parlement européen. Au Brésil, un camarade comme Miguel Rossetto, dont nous connaissons les qualités et l'esprit militant, est aujourd'hui membre du gouvernement surgi du succès populaire sans précédent qu'a représenté l'élection de Lula. Miguel a assumé une responsabilité cruciale avec la tache d'accomplir une réforme agraire radicale, susceptible de déclencher une dynamique plus générale de rupture du système. Nous allons suivre et soutenir sa bataille, appuyée par tous les secteurs les plus avancés du Parti des travailleurs et le Mouvement des sans terre, et, en faisant taire une angoisse sous-jacente pour la difficulté extrême de l'entreprise, nous lui exprimons dans ce congrès notre solidarité la plus chaleureuse. »

Nous verrons dans un prochain chapitre à quoi ressemble cette « dynamique plus générale de rupture du système » dans la pratique brésilienne.

Notes

1) « L'héritage que nous défendons » David North, wsws.org. chapitre 15

2) « Où va le camarade Pablo? » Marcel Bleibtreu, juin 1951, dans « Les congrès de la IVe Internationale », t4, p72-73

3) « L'héritage que nous défendons » David North. Chapitres 13 à 18.

4) « L'héritage que nous défendons » Chapitre 15

5) Voir troisième partie de la présente série

6) « L'héritage que nous défendons » Chapitre 15

7) La Vérité 583, p. 213

8) « L'héritage que nous défendons » Chapitre 18

9) « XVe congrès mondial : Au coeur du combat anticapitaliste ­ Relance, ouverture, regroupement et repositionnement » par François Vercammen

10) Livio Maitan, « Discours d'ouverture du XVe Congrès mondial de la IVe Internationale », jeudi 1er mai 2003


 

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