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La politique de l'opportunisme : l'extrême gauche en France

Deuxième Partie ­ Le rassemblement de la « gauche anticapitaliste » par la LCR

Par Peter Schwarz
17 mai 2004

Ce n'est qu'à contre coeur que la LCR accepta de conclure un pacte électoral avec LO. A son congrès de novembre 2003, seuls 70 pour cent des délégués votèrent pour cette ligne. Les autres étaient d'avis qu'un pacte exclusif avec LO était trop « sectaire ». LO avait pour sa part insisté pour qu'aucune autre organisation ou tendance politique ne fasse partie de ce pacte.

Une deuxième résolution intitulée « Rassembler la gauche anticapitaliste » (1) obtint nettement plus de voix, ayant le soutien de 82 pour cent des délégués. Cette résolution appelle à la construction d'un vaste rassemblement qui comprenne aussi une part de la gauche traditionnelle, du mouvement anti-guerre et du mouvement anti-mondialisation. Ce rassemblement est censé déboucher sur « une nouvelle force politique » qui serait « large et pluraliste, radicalement anticapitaliste et résolument démocratique ». Ailleurs dans la résolution il est question d'« une force politique nouvelle anticapitaliste, féministe, écologique, une force de lutte contre toutes les oppressions ».

Cette résolution reflète la véritable orientation de la LCR. Elle considère le pacte électoral avec LO comme une démarche temporaire qu'elle s'est vue forcée d'effectuer à cause du déclin rapide de la gauche officielle et des scores relativement élevés d'Arlette Laguiller, avec l'arrière-pensée d'entraîner dans son alliance anticapitaliste la récalcitrante LO ou du moins certains segments de LO.

A l'encontre de la profession de foi commune cette résolution parle aussi d'un gouvernement d'alternative. On y déclare : « Ensemble nous refusons que nos combats et nos espoirs soient bradés dans une nouvelle alliance gouvernementale avec la gauche sociale-libérale ou dans toute perspective s'inscrivant dans la gestion de l'économie et des institutions capitalistes. Contre la droite, le Front national et le Medef, l'alternative politique ne peut consister que dans un gouvernement appuyé sur les mobilisations et l'organisation démocratique de la population, un gouvernement appliquant un programme d'urgence sociale. » Ailleurs il est même question de l'« objectif d'un gouvernement des travailleuses et des travailleurs appuyé sur les mobilisations populaires pour engager un transformation sociale radicale permettant la satisfaction des besoins sociaux et que l'économie cesse d'être une affaire privée pour devenir la propriété de tous. »

Mais il manque à cet appel à former un « gouvernement des travailleuses et des travailleurs» une base programmatique claire. La LCR, qui a en cela des décennies de pratique, est devenue maîtresse dans l'art de cacher son véritable programme derrière un écran de fumée fait de phrases à consonance radicale et révolutionnaire ­ ce qui n'est guère difficile dans un pays où les traditions révolutionnaires du 18e et du 19e siècle sont encore vivantes, où le parti stalinien était jadis le plus grand parti et où même un des plus anciens parti de la bourgeoisie s'appelle Parti radical.

Si l'on jette un coup d'il sur les diverses tendances politiques et groupes sociaux que la LCR veut faire participer à son « regroupement en un même parti » il devient clair que le « gouvernement des travailleuses et des travailleurs » qu'elle envisage n'a rien de commun avec un gouvernement ouvrier tel que l'ont toujours compris les marxistes. Il ne s'agit pas d'un gouvernement indépendant de la bourgeoisie et qui s'appuie sur les masses laborieuses mobilisées. La LCR veut plutôt construire un rassemblement social et politique hétérogène qui remplisse dans la politique bourgeoise l'espace laissé vacant par le déclin de la gauche officielle et qui serait, si besoin était, prête à entrer dans un gouvernement bourgeois.

Les tendances et les groupes auxquels s'adresse l'appel de la LCR défendent dans leur majorité des conceptions qui sont incompatibles avec une perspective socialiste.

Il y a là d'abord le mouvement anti ou alter-mondialiste que la résolution du congrès de novembre décrit comme la partie la plus importante de la « gauche anticapitaliste ». Ses porte-parole ne s'opposent pas au capitalisme en tant que tel, mais seulement à une forme particulière de capitalisme, le soi-disant « capitalisme néo libéral ». Certains exigent le retour à un capitalisme réglementé sur une base nationale semblable à celui des années 1960 et prennent fait et cause pour l'établissement de barrières douanières et de mesures protectionnistes ­ des revendications réactionnaires, qui ont comme conséquence la guerre commerciale et la guerre. D'autres croient qu'ils peuvent guérir les maux de la société moderne à l'aide d'un remède miracle, qui laisse entièrement intacte la propriété capitaliste ­ la taxe Tobin.

En deuxième lieu on mentionne le mouvement anti-guerre comme autre pilier important de la « gauche anticapitaliste ». S'y retrouvent ici aussi, les tendances politiques les plus diverses. Une aile de ce mouvement soutient la politique étrangère de Schröder et Chirac (à propos de laquelle la LCR, et c'est significatif, reste silencieuse). Une autre aile défend des positions entièrement pacifistes et compte sur la force de conviction d'appels basés sur la morale. Les marxistes se basent au contraire dans leur opposition à la guerre sur la compréhension de la relation de cause à effet entre capitalisme, impérialisme et guerre. Pour les marxistes la lutte contre la guerre et la lutte contre le capitalisme sont inséparables.

Enfin, les mouvements écologiste et féministe que la LCR veut également intégrer dans la « gauche anticapitaliste » n'ont en soi aucune orientation anticapitaliste comme le montre concrètement le destin des Verts en Allemagne. Ces derniers, lorsqu'ils se constituèrent sous les applaudissements des frères de pensée de la LCR en Allemagne, avaient inscrit en grosses lettres sur leur bannière ­ outre la démocratie de base et le pacifisme ­ l'écologie et le féminisme. Aujourd'hui ils sont un parti bourgeois de droite comme les autres.

La résolution de la LCR s'adresse aussi explicitement « aux électrices et aux électeurs et aux militantes et aux militants communistes, socialistes, écologistes » ainsi qu'à des courants « issus de la gauche traditionnelle ». La base sur laquelle ces ex-membres de partis réformistes sont censés rejoindre le nouveau rassemblement n'est pas claire du tout. Ce n'est pas parce qu'ils sont déçus par leurs anciens partis qu'ils ont nécessairement rompu avec leurs conceptions réformistes, compris les causes du déclin de ceux-ci et en ont tiré les leçons.

Il n'est pas dans les intentions de la LCR, comme celle-ci l'explique elle-même, d'engendrer un processus de clarification politique. Au lieu de cela, elle entend réunir pêle-mêle toutes ces tendances politiques diverses et contradictoires sous un même toit. Dans cette entreprise, elle s'adresse non seulement aux membres mais encore aux dirigeants de ces organisations. Ainsi elle rencontre régulièrement les dirigeants du Parti communiste pour des discussions. Et si le PCF y était décidé, la LCR l'accueillerait volontiers tout entier au sein de la « gauche anticapitaliste ».

Il est évident qu'une organisation aussi informe et hétérogène que celle qu'envisage la LCR ne serait pas capable de résister à la pression politique et idéologique qui s'exerce automatiquement sur toute organisation politique dans une situation de crise sociale. Si déjà la LCR a réagi au choc du 21 avril 2002 en passant avec armes et bagages dans le camp du « Front républicain » de Chirac, comment à plus forte raison se comportera une troupe faite de bric et de broc telle que sa « gauche anticapitaliste » dans une crise semblable ou plus grave encore?

Les contradictions internes de la société capitaliste engendrent nécessairement de telles crises. Mais leur déroulement et leur issue ne sont pas forcément déterminés à l'avance. L'ensemble des expériences du 20e siècle montre que l'échec ou le succès du prolétariat dans une telle crise dépend du degré de préparation, de la maturité et de la détermination de sa direction. Ce n'est pas un hasard si le programme de fondation de la Quatrième Internationale, dont la LCR prétend être la section française (nous verrons de quel droit par la suite), commence par ces mots : « La situation politique mondiale dans son ensemble se caractérise avant tout par la crise historique de la direction du prolétariat ».

La LCR ne considère pas la résolution de cette crise comme sa tâche. Si c'était le cas, elle s'efforcerait de clarifier les perspectives politiques et de démarquer celles-ci des tendances réformistes, centristes et petites-bourgeoises. Elle s'y oppose explicitement et qualifie cela de « sectarisme ». Cela la priverait de bien trop d'amitiés au sein des appareils bureaucratiques, de l'intelligentsia libérale et du mouvement protestataire petit-bourgeois. Une perspective claire, audacieuse et sans compromis attirerait des forces nouvelles et fraîches issues de la classe ouvrière et de la jeunesse qui en ont assez des bavardages de gauche sans conséquences, des protestations creuses sans effet et des grèves sans résultats et qui recherchent une orientation courageuse ouvrant une voie vers l'avenir. Mais ce n'est pas là l'objectif de la LCR.

Le rassemblement de gauche qu'elle appelle de ses vux sera un obstacle de plus sur le chemin de la révolution socialiste. Lors d'un Octobre français, elle soutiendrait Kerenski et non pas Lénine et Trotsky. Le pouvoir bourgeois se sert depuis longtemps dans les crises aiguës de telles organisations centristes diffuses afin de semer la confusion dans les masses, de les paralyser et de les démoraliser jusqu'à ce que la réaction ait gagné assez de force pour frapper. Ce fut le rôle joué par le Font populaire en Espagne et en France dans les années 1930 et au Chili sous Salvador Allende dans les années 1970.

En France, l'élite dominante se sert depuis longtemps de la gauche pseudo-trotskyste comme terrain de recrutement pour son personnel politique. L'exemple le plus connu est celui de Lionel Jospin, qui dirigea le gouvernement de la Gauche plurielle de 1997 à 2002. Il fut depuis le milieu des années 1960 jusqu'à une période avancée des années 1980, un membre secret de l'Organisation communiste internationaliste, prédécesseur du Parti des travailleurs (PT) et grimpa en tant que tel les échelons du parti socialiste jusqu'au sommet. (3)

Mais Jospin n'est pas un cas isolé. Edwy Plenel, qui dans les années 1970 fut lui-même pendant dix ans membre de la LCR et est aujourd'hui directeur de la rédaction du Monde, écrit dans son livre « Secrets de jeunesse » : « Je ne fus pas le seul : nous sommes bien quelques dizaines de milliers qui, ayant été peu ou prou engagés dans les années 1960 et 1970 à l'extrême gauche, qu'elle fût ou non trotskyste, avons renoncé aux disciplines militantes et portons un regard parfois critique sur leurs illusions, sans pour autant abandonner une fidélité à nos colères initiales et sans taire notre dette envers ces apprentissages.». (4)

Jospin était arrivé au gouvernement après que le mouvement de révolte de l'hiver 1995-1996 ait révélé l'énorme fragilité du pouvoir bourgeois. Cinq ans plus tard, il ne restait rien de son image d'homme de gauche, ce qui fut démontré par sa défaite à l'élection présidentielle. Dans les crises à venir, le pouvoir bourgeois aura besoin de nouveaux appuis à gauche. La « gauche anticapitaliste » de la LCR s'offre à jouer ce rôle.

L'adieu à la « dictature du prolétariat »

Ce n'est pas un hasard si le congrès de novembre dernier a décidé d'éloigner la notion de « dictature du prolétariat » des statuts de la LCR. Bien sûr, aucune organisation marxiste n'est obligée de faire figurer dans ses statuts ou de porter comme un ostensoir une formule qui, comme beaucoup d'autres concepts marxistes, incite à de nombreux malentendus du fait que les staliniens en ont fait un mauvais usage pendant des décennies. Mais cette notion concerne une question politique fondamentale qu'il est impossible de ne pas clarifier, celle de la relation vis-à-vis de l'Etat bourgeois.

A la veille de la révolution d'Octobre, Lénine avait soumis la compréhension marxiste de l'Etat à un examen approfondi et il en avait dégagé la signification de la notion marxiste de « dictature du prolétariat ».

Le concept de « dictature » reconnaît d'abord simplement le fait que chaque Etat ­ qu'il soit démocratique ou autoritaire ­ est un instrument de domination d'une classe. « Selon Marx, l'Etat est un organisme de domination de classe, un organisme d'oppression d'une classe par une autre; c'est la création d'un 'ordre' qui légalise et affermit cette oppression en modérant le conflit de classes » écrit Lénine. La tâche de la révolution socialiste consiste selon Lénine à remplacer l'Etat bourgeois (la dictature de la bourgeoisie) par une Etat ouvrier (la dictature du prolétariat).

Lénine montre que la classe ouvrière ne peut pas conquérir l'Etat bourgeois de l'intérieur et reprendre son appareil ­ armée, police et bureaucratie étatique. Marx et Engels avaient déjà tiré de l'expérience de la Commune de Paris de 1871 cette conclusion que « la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre la machine de l'Etat toute prête et de la faire fonctionner pour son propre compte ». Le vieille machine d'Etat qui est « liée à la bourgeoisie par des milliers d'attaches et toute pénétrée de routine et de conservatisme » (Lénine) ne change pas son caractère de classe quand des ministres socialistes se mettent à sa tête. Elle doit être brisée et remplacée par un nouvel appareil d'Etat. C'est, selon Lénine, dans cette question que réside la principale différence entre le marxisme et toutes les formes d'opportunisme. Elle constitue le fond même de la reconnaissance de la « dictature du prolétariat ».

L'écrit de Lénine et les déclarations de Marx et Engels ne laissent aucun doute à ce sujet : toute forme de « dictature du prolétariat » sera incomparablement plus démocratique que tout Etat bourgeois et elle disparaîtra totalement lors de la transition au socialisme. « En régime capitaliste, la démocratie est rétrécie, comprimée, tronquée, mutilée par cette ambiance que créent l'esclavage salarié, le besoin et la misère des masses » écrit-il et « En régime socialiste, bien des aspects de la démocratie 'primitive' revivront nécessairement, car, pour la première fois dans l'histoire des sociétés civilisées, la masse de la population se haussera à une participation autonome , non seulement aux votes et aux élections, mais encore à l'administration journalière . En régime socialiste, tout le monde gouvernera à tour de rôle et s'habituera vite à ce que personne ne gouverne.» La conception de la « dictature du prolétariat » selon Lénine ne peut donc pas servir de justification au monstre despotique et bureaucratique qu'était devenu l'Etat soviétique sous la domination de Staline.

Le Parti communiste français conserva la notion de « dictature du prolétariat » dans son programme jusqu'en 1976, bien qu'il l'eût renié dans la pratique et qu'il soutînt loyalement l'Etat bourgeois depuis longtemps. Lorsque enfin il se sépara de la formule, cela fit un bruit considérable. Ce fut perçu comme le signal politique de sa disposition à entrer dans un gouvernement bourgeois, ce qu'il fit effectivement cinq ans plus tard.

La LCR s'est donné beaucoup de mal pour nier tout parallèle entre sa façon de faire et celle du PCF. Son journal, Rouge assura à ses lecteurs dans son numéro du 11 décembre que lorsqu'elle faisait disparaître la « dictature du prolétariat » il ne s'agissait que « d'abandonner la formule tout en préservant son contenunotre organisation milite pour la révolution socialiste, le pouvoir des travailleuses et des travailleurs ». Il serait aussi erroné, poursuit Rouge « d'expliquer cette reformulation en invoquant les erreurs, réelles ou supposées, de Lénine et de ses camarades ». (6)

Nonobstant ces démentis, une discussion intense sur la relation vis-à-vis de l'Etat bourgeois a lieu en ce moment à l'intérieur de la LCR On n'y mène pas seulement campagne contre de soi-disant erreurs de Lénine mais on y considère encore un soutien au grand jour de la république française.

En novembre déjà, Rouge avait publié un article de Francois Ollivier, un des dirigeants de la LCR la représentant au niveau international, attaquant avec véhémence la notion de « dictature du prolétariat » et l'assortissant d'une critique explicite de Lénine et Trotsky..

Ollivier écrit : « Mais il faut aussi revenir sur les erreurs des révolutionnaires russes. Au nom de la dictature révolutionnaire du prolétariat, conçue comme un régime d'exception dans des circonstances exceptionnelles, Lénine, Trotsky et beaucoup d'autres dirigeants bolcheviks ont pris des mesures qui ont progressivement asphyxié la démocratie au sein des nouvelles institutions révolutionnaires. On a assisté à la substitution du pouvoir du parti à la démocratie des soviets, à la perte de substance des conseils et comités, au refus de convoquer une nouvelle assemblée constituante, puis à l'interdiction des tendances au sein même du parti bolchevik. L'exercice de la dictature du prolétariat en Russie, y compris entre 1918 et 1924, s'est traduit par la fusion de l'Etat et du parti, ainsi que par la suppression progressive de toutes les libertés démocratiques. Cette expérience historique dramatique a rendu caduque l'utilisation d'une telle notion.» (7)

L'Argumentation d'Ollivier n'est qu'une variante de la thèse ancienne selon laquelle la dégénérescence de l'Union Soviétique serait le résultat inévitable de la conquête du pouvoir par les bolcheviques en octobre 1917, le fait que le régime soviétique ait dégénéré serait moins la responsabilité de Staline que celle de Lénine et Trotsky. Pour ne pas perdre la face, il fait remonter les « erreurs des révolutionnaires russes » à 1918 et aux années suivantes. Mais si ces « erreurs » étaient une conséquence de « l'exercice de la dictature du prolétariat », alors la plus grande « erreur » fut l'instauration de cette dictature en octobre 1917. Les conclusions d'Ollivier reviennent à une répudiation de tout l'héritage du marxisme y compris la théorie de la Révolution permanente de Trotsky. Celui-ci avait insisté dès 1906 pour dire que les tâches démocratiques de la révolution russe ne pouvaient être résolues qu'à travers la dictature du prolétariat.

Un autre membre de la direction de la LCR, Christian Picquet, prit fait et cause pour faire du soutien de la république française et de ses valeurs l'axe central stratégique du programme de la LCR. C'est la déclaration essentielle de son livre « La République dans la tourmente. Essai pour une gauche à gauche » qu'il publia l'année dernière (8). Picquet généralise par là l'attitude de la LCR pendant l'élection présidentielle de 2002 quand elle rejoignit le « Front républicain » de Chirac.

Picquet justifie son offensive en disant que les gens de gauche ont en France un rapport unique avec la république. Alors qu'ailleurs en Europe face au danger de l'extrême-droite on manifestait pour la démocratie et les droits de l'homme, ces valeurs étaient condensées pour des raisons historiques en France dans l'idéal de la république. Dans les jours agités de l'entre deux tours de l'élection présidentielle on était descendu dans la rue au nom de la république.

Suit un extrait de l'histoire de la France qui ressemble à une caricature: « Le fantôme, en l'occurrence, a pris les traits du spectre hantant les classes possédantes depuis maintenant deux siècles. Chaque fois qu'il se trouva mis en danger par la contre-révolution, que la réaction ou l'obscurantisme prétendirent revenir sur ses conquêtes originelles, on vit des foules innombrables se dresser. De 1789 à 1796, de 1830 à 1848, de la Commune à l'affaire Dreyfus, du Front populaire à la Résistance, de la Libération au refus du putsch d'Alger, de la défense de l'école publique plusieurs fois mise en cause sous la 5e République au combat contre le Front national, de l'attachement sans cesse réitéré à la 'Sécu' au refus de voir porter atteinte au service public, les grands mouvements populaires auront eu en commun de représenter des variantes de 'concentration républicaine' ».

Dans son ivresse républicaine, l'auteur ignore le fait que la république française, de la première à la cinquième république, a toujours été et reste jusqu'à ce jour un instrument de domination de la bourgeoisie. Les illusions des masses dans la république qu'il décrit avec tant d'enthousiasme ont été créées délibérément pas les staliniens et les sociaux-démocrates afin d'empêcher que les soulèvements révolutionnaires ne menacent le pouvoir bourgeois. C'est précisément en cela que résidait la signification du Front populaire qui fut la cause d'une défaite catastrophique.

Même Rouge s'est senti obligé de faire allusion à un fait historique indéniable. Une critique du livre de Picquet fait remarquer que la république pouvait aussi s'avérer « être un terrible piège pour le mouvement ouvrier ». Celle-ci fut « le terrain de toute la politique d'union sacrée des classes dominantes au mouvement ouvrier réformiste. C'est au nom de la République qu'ont été conduites les expéditions coloniales contre les peuples d'Afrique du Nord, d'Afrique noire et d'Indochine et une politique de répression et d'assimilation forcée de ces peuples. Des premières expériences de 'ministérialisme' (participation d'un ministre socialiste, Millerand, dans un gouvernements bourgeois) au début du XXe siècle à la reconstruction de l'Etat bourgeois en 1944-1945 (sous la houlette de De Gaulle, avec le désarmement des forces de la Résistance), en passant par le Front populaire qui canalisa la force propulsive de la grève générale dans l'alliance avec le Parti radical, c'est pourtant à chaque fois la référence à la République identifiée aux institutions de l'Etat bourgeois démocratique qui désarma le mouvement social. ».

Le seul fait que dans la LCR on discute ouvertement d'un soutien à l'Etat bourgeois montre que de ce point de vue elle ne connaît plus de retenue. Vu dans ce contexte, ses adieux à la « dictature du prolétariat », comme ce fut jadis le cas pour le PCF, signalent clairement qu'elle est prête à devenir un parti gouvernemental bourgeois.