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France: Bien que reconnu coupable, l'ancien premier ministre Juppé ne se retire pas de la vie politique.Par Antoine Lerougetel Utilisez cette version pour imprimer Alain Juppé, premier ministre français de 1995 à 1997 et dauphin du président Jacques Chirac, récemment condamné à dix huit mois de prison avec sursis et dix ans d'inéligibilité a annoncé le 3 février dernier son intention de ne pas se retirer de la vie politique. Lors d'un entretien accordé à la chaîne privée TF1, Juppé a indiqué qu'il conserverait ses mandats de député et de maire de Bordeaux ainsi que la présidence de l'UMP (Union pour un mouvement populaire) 'pendant la durée de l'appel'. Juppé a déjà manqué à sa promesse de se retirer immédiatement de la vie publique en cas de condamnation. Au lieu de cela, à peine le verdict de sa culpabilité rendu, il a aussitôt fait appel du jugement et dit qu'il annoncerait sa décision quatre jours plus tard. Ces quatre jours ont été le théâtre d'une campagne orchestrée par Chirac- lui-même menacé par des procédures juridiques similaires en 2007, date à laquelle son mandat présidentiel s'achève et par là même son immunité - pour convaincre son ancien premier ministre tombé en disgrâce de s'attaquer au pouvoir judiciaire et de faire fi de son opprobre. La machine du parti a déchaîné une campagne de dénigrement du jugement et des juges qui l'avaient rendu et pour ce faire a eu accès à un temps d'antenne illimité. Il est nécessaire de garder à l'esprit les délits de Juppé car la plupart des discussions dans les médias ont concerné la 'sévérité' de la condamnation plutôt que les méfaits commis. On a presque l'impression qu'un innocent a été jugé coupable ! En fait, Juppé a été déclaré voleur, et pire encore, voleur des biens du 'peuple souverain' qui lui avait confié la responsabilité de servir en qualité de maire adjoint de la ville de Paris. L'ancien premier ministre ne nie pas les faits. Dans un entretien accordé au journaliste de TF1, Patrick Poivre d'Arvor, Juppé a reconnu 'avoir commis des erreurs, peut-être des fautes' et a cherché à se présenter en victime contrite d'un zèle judiciaire excessif. Par contraste, durant ses comparutions devant le tribunal, Juppé avait un comportement arrogant, et il nia catégoriquement avoir connaissance des emplois fictifs. Il réfuta avec emphase le témoignage d'Yves Cabana, son ancien directeur de cabinet, selon lequel 'tout le monde savait ' que le RPR (précédent nom du parti de Chirac) utilisait des emplois fictifs. 'Je ne partage pas l'opinion de M. Cabana. Personne n'a porté cette information à ma connaissance lorsque j'ai pris mes fonctions'. Dans Le Monde du 4 février on peut lire : 'La prise illégale d'intérêt pour laquelle Alain Juppé est condamné est très simplement décrite ainsi par les juges de Nanterre : de septembre 1990 à mai 1995, alors qu'il avait la charge et la responsabilité de contrôler et d'ordonner les dépenses afférentes aux employés de la ville, il a présenté lors du vote des budgets annuels de la Ville de Paris une masse salariale comprenant les dépenses afférentes à sept personnes 'qu'il savait être en réalité mises à la disposition du RPR'.' Et Le Monde de poursuivre : 'Autrement dit, pendant des années, les contribuables parisiens ont payé sans le savoir les salaires de permanents du RPR. Selon la formule de l'actuel maire de la capitale, Bertrand Delanoë (PS), 'un clan a mis la main sur la ville, sur les fonds d'une collectivité locale à travers des emplois fictifs'... Le préjudice, selon les services municipaux, s'élève à 1.2 millions d'euros. [1.5 millions de dollars]. Tels sont les faits sur lesquels Alain Juppé et les dirigeants du RPR poursuivis à ses côtés ont été condamnés.' Delanoë demande que cet argent soit rendu. Mais cette question n'a pas été considérée dans les médias ni même soulevée lors de l'entretien de TF1. Une cible bien distincte pour l'UMP est la magistrate Catherine Pierce qui déclare qu'il y a eu intrusion suspecte dans son bureau ainsi que dans ceux de ses collaborateurs du tribunal de Nanterre, ainsi que des intrusions téléphoniques et informatiques. Elle a aussi reçu une lettre de menace. La machine politique de l'UMP a tenté de minimiser l'importance de ces plaintes et en même temps suggéré que le jugement pourrait être annulé étant donné qu'il avait été rendu dans un climat peu serein. Le Conseil supérieur de la magistrature, CMS a déjà ouvert une enquête concernant le harcèlement du juge Pierce. Néanmoins Chirac a mis en place sa propre 'mission d'enquête administrative'. Une enquête parlementaire a aussi été mise en place par le président de l'Assemblée nationale et dirigeant de l'UMP, Jean-Louis Debré. Libération du 4 février annonce que de nombreux magistrats sont révoltés par 'la décision de Jacques Chirac de nommer une commission administrative qui est une façon de contourner le CMS, seul organe habilité à prendre en charge la défense de ses membres'. Le Parti socialiste (PS) et le parti de droite UDF ont refuse de participer à l'enquête parlementaire. Il reste à savoir si les députés UMP décideront de poursuivre l'enquête seuls. Il y a aussi des rumeurs selon lesquelles les juges refuseraient de témoigner devant la commission de Chirac puisqu'elle n'a aucun mandat légal. Le journal cite des magistrats qui font remarquer que 'le CMS est déjà saisi, puisque le 25 novembre, le président de la République nous a demandé de réfléchir sur les tentatives de déstabilisation dont les juges pouvaient être l'objet'. Les magistrats ont ajouté: 'Un certain nombre d'entre nous a été très étonné de voir le président de la République maintenir publiquement sa confiance à un homme condamné par une décision de justice, alors qu'il est garant de l'indépendance judiciaire. Tout cela ne ressemble plus vraiment à une démocratie, où la séparation des pouvoirs serait respectée'. La force de l'attaque de l'UMP contre le principe démocratique de séparation des pouvoirs et de l'indépendance du pouvoir judiciaire par rapport au pouvoir exécutif le gouvernement au pouvoir se mesure au tollé soulevé parmi ses adhérents. Eric Raoult, vice président de l'Assemblée nationale, a dénoncé ce 'jugement disproportionné, hypocrite et cynique'. Josselin de Rohan, président du groupe UMP au sénat s'est indigné 'qu'on puisse traiter quelqu'un de cette qualité comme un malfaiteur', tandis que Jacques Barrot, président du groupe UMP à l'Assemblée nationale a dit trouver les attendus du jugement 'particulièrement cruels' et 'une atteinte à sa [Juppé] dignité'. Le 2 février, Chirac vanta publiquement les 'qualités exceptionnelles' de Juppé et le distingua pour son 'honnêteté'. Le ministre délégué aux Libertés locales, Patrick Dévédjian, déclara que Juppé devrait avoir 'droit à une appréciation plus raisonnable' et que sa décision de ne pas quitter la scène politique montrait qu'il avait 'agi avec un sens des responsabilités'. Le juge Eric Halphen, qui a mené l'enquête sur les accusations de corruption contre Chirac et qui sait ce que c'est que d'être harcelé lorsque l'on enquête sur les hommes politiques de haut rang, a dû, le 2 février sur la chaîne Antenne 2, avertir Dévédjian, ami de Juppé et avocat de profession, que contester l'honnêteté de la décision d'un juge était passible de six mois d'emprisonnement. L'intensification de la guerre civile entre les branches de l'exécutif et du judiciaire de l'état français commence à ressembler à la situation italienne où les juges étaient, et sont toujours, harcelés quand ils essaient d'appliquer la loi contre la mafia et les hommes politiques corrompus dans l'opération connue sous le nom de mani pulite mains propres. Le Monde, porte-parole du centre gauche de l'establishment et Libération (proche de la bureaucratie du Parti socialiste) dans leur éditorial du 4 février se sont tous deux rangés derrière le judiciaire. Ils craignent que la stabilité et la crédibilité de l'état français sous grande pression en politique extérieure (au sein de l'Europe et dans le conflit avec les Etats-Unis) et en politique intérieure (crise sociale provoquée par l'imposition de mesures d'austérité) ne soient compromises par cette attaque contre le judiciaire et l'affaiblissement du système juridique. Le Monde commence par citer le commentaire d'un magistrat: 'Cette affaire montre que la France est un pays en voie de développement démocratique dont les élus n'ont pas encore intégré psychologiquement l'idée d'indépendance de la justice'. Le propos n'est pas d'un gauchiste, mais de Dominique Barella, président de l'Union syndicale des magistrats, syndicat majoritaire et modéré. Il résume sobrement l'invraisemblable réaction de la plupart des responsables de la droite française au lendemain de la condamnation d'Alain Juppé'. L'éditorial de Libération parle de la 'Berlusconisation' (référence au premier ministre italien Silvio Berlusconi) de la vie politique française. 'Chirac entend faire plier ces audacieux Chirac veut tenter sa chance dans une lutte sans pitiéCette Berlusconisation de Chirac, dont Juppé n'est que le prétexte, est un tournant du quinquennat. Dont il est à parier que l'extrême droite, plus que l'Etat de droit, risque d'être le bénéficiaire'. Libération touche ici des questions profondes datant de la Révolution française de 1789. Pour que la France se développe en une société capitaliste moderne, les privilèges (représentés par des lois différentes gouvernant respectivement l'Aristocratie, l'Eglise et le Tiers-état, c'est-à-dire le reste de la population) devaient être abolis. L'arbitraire, droit arbitraire du roi à être au-dessus des lois, fut remplacé par un état de droit, où tous les citoyens sont censés être égaux devant la loi. Telle est la signification du terme 'égalité' dans le célèbre 'Liberté, Egalité, Fraternité'. Mais 'l'égalité devant la loi' n'a jamais été réalisée en fait et n'a jamais remis en question la réalité d'une loi pour les riches et d'une loi pour tous les autres. L'accumulation massive de richesses par l'élite capitaliste et leurs serviteurs politiques comme Chirac et Juppé dans le contexte de pauvreté grandissante de la population dans son ensemble rend cet état de fait encore plus flagrant. Tout comme Berlusconi, Chirac détourne la loi pour ses amis capitalistes. Il y a à peine deux mois, Chirac décida que l'état français devrait payer des centaines de millions de dollars à l'état de Californie dans l'affaire Executive Life, en faveur de François Pinault, un des hommes les plus riches de France. Pinault, ami intime de Chirac, avait participé au rachat illégal et frauduleux d'Executive Life au moyen de sa société d'investissement Artémis. Au sujet de la campagne de défense de Juppé orchestréee par l'UMP, Libération écrit : 'La droite qui prétend incarner l'ordre, la sécurité, la fermeté à l'endroit de la délinquance, se retrouve ainsi à accréditer sciemment l'idée du bien-fondé d'une justice à plusieurs vitesses : l'une sévère avec le commun des délinquants, l'autre indulgente à l'endroit des coupables du RPR'. Ni l'éditorialiste du Monde ni celui de Libération ne font référence à la manière dont Juppé, lors de l'entretien sur TF1, justifie son appel du jugement: 'Pendant vingt ans, tous les partis politiques ont eu des difficultés pour organiser leur financement. Tous. Beaucoup ont été condamnés, pas tous. Beaucoup d'organisations syndicales ont eu recours à ce qu'on appelle, à tort ou à raison, des emplois fictifs. Toutes n'ont pas été condamnées Voilà. Ca tombe sur moi, très bien. La loi doit s'appliquer à moi comme à n'importe quel autre citoyen. Qu'on m'autorise simplement à dire que je trouve que c'est un peu trop'. Quand Delanoë demanda que soient restitués les salaires des emplois fictifs, il parla ' d'un système de détournement de fonds publics au profit d'un clan' et déclara 'qu'il trouverait logique que l'UMP, héritier du RPR, paye aux Parisiens la dette de ce qui leur a été volé'. Le dirigeant de l'UMP parisienne, Claude Goasguen répliqua : 'Delanoë ferait mieux de se rappeler qu'avant le système RPR, il y a eu le système PS dont il était partie prenante !' Alain Auffray, dans Libération du 2 février rappelle qu' Henri Emmanuelli, ancien trésorier du Parti socialiste fut condamné à dix huit mois de prison avec sursis et deux ans de privation des droits civiques par la Cour d'appel de Rennes en 1996 pour recel de trafic d'influence dans l'affaire Urba. Quand Lionel Jospin, alors dirigeant du Parti socialiste parla d'une 'décision inique', le ministre de la justice de l'époque, le RPR jacques Toubon, mit en garde 'ceux qui mettent en cause les décisions de justice' et dit que leurs déclarations étaient 'contraires à la loi'. Patrick Dévédjian avait déclaré que la sévérité de la punition était 'compréhensible, compte tenu du rôle [des politiques] dans la société'. Quand François Hollande, actuel dirigeant du PS, demanda une rencontre avec le président Chirac pour trouver une solution qui permette d'effacer 'la peine qui prive Emmanuelli de ses mandats', ce dernier démissionna sans attendre. L'hypocrisie de l'élite qui demande l'indulgence quand elle est condamnée pour avoir volé l'argent du contribuable, la complicité des médias, le manque d'agressivité du soi disant parti d'opposition, le Parti socialiste, ne laisseront pas indifférents les quelques 200 000 chômeurs auxquels Juppé et ses amis au pouvoir ont retiré les allocations, ni les millions de salariés qui ont vu leurs droits à la retraite diminués. Voir aussi:
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