wsws : Nouvelles et analyses : Asie
Par John Chan
2 Avril 2004
La principale décision du Congrès National du Peuple
Chinois de 2004 (CNPC),
qui s'est achevé le 14 Mars, a été d'amender
la constitution du pays pour
protéger explicitement la propriété privée
des biens, des entreprises et de
la richesse.
Il a procédé à treize changements constitutionnels,
avec l'ajout de clauses
comme "la propriété privée légale
est inviolable" et un appel à l'état afin
qu'il "encourage, supporte et guide l'économie privée".
La théorie des "Trois
Représentants" de l'ancien président Jiang
Zemin, qui permettait aux
entrepreneurs privés de se joindre au Parti Communiste
Chinois (PCC), a été
ajouté aux "principes phares" de l'état,
rejoignant "la pensée de Mao Zedong
et la théorie de Deng Xiaoping".
Les amendements ont été rédigés par
le nouveau Comité Central du PCC, dirigé
par le Président Hu Jintao et le Premier ministre Wen Jiabao.
Les 3000
délégués du CNPC - principalement des hommes
d'affaires triés sur le volet,
des officiels du gouvernements et des professionnels - les ont
adoptés
presque à l'unanimité.
Les changements constitutionnels continuent la refonte de l'appareil
d'état
stalinien de Chine, dans l'intérêt de la nouvelle
classe capitaliste qui a
été engendrée durant ces 25 dernières
années par l'ordre du jour du marché
libre.
En 1982, trois ans après qu'ait été lancé
les réformes du marché, la
constitution fut révisée pour reconnaître
le secteur privé comme étant
"complémentaire" de l'économie nationalisée.
En 1993, la catégorie de
"économie de marché" fut ajoutée.
En 1999, les entreprises privées furent
élevées au statut de "part essentielle"
de l'économie chinoise.
Même les médias officiels présentent cette
chronologie comme "une feuille de
route de privatisations irréversible". A la fin de
2003, le nombre
d'entreprises privées a atteint 2,97 millions, pour un
capital cumulé de 40,5
milliards de dollars US. Le secteur privé est maintenant
responsable de la
moitié de la croissance annuelle chinoise.
Les chefs de file des hommes d'affaire chinois et du reste du
monde ont grêlé
les derniers changements comme une garantie ferme de la protection
par
l'état. Les références constitutionnelles,
antérieures, à la propriété privée
ne protégeaient pas explicitement la propriété
des moyens de production, les
revenus capitalistes et les droits de propriété
intellectuelle.
Tang Haibin, un directeur de la Fédération d'Industrie
et du Commerce de
Chine, a déclaré à l'agence de presse officielle
Xinhua que les amendements
"élimineront les doutes cachés des entrepreneurs
quant à la sécurité de leurs
capitaux et renforceront leur confiance dans des investissements
à long
terme." Liu Yonghao, fondateur de la banque privée
China Minsheng Banking
Corp, a déclaré : "Les propriétaires
d'entreprises privées ont appelé à une
protection légale de leur capitaux privés depuis
de nombreuses années. Cela
nous rendra plus confiants et plus optimistes pour le futur."
Un diplomate occidental à Pékin a déclaré
à Reuters : "Il est significatif
qu'ils aient décidé de dire que la propriété
privée est aussi légitime que la
propriété collective publique. C'est une manière
de reconnaître que
l'exploitation est une bonne chose. C'est un grand pas."
La logique du Stalinisme
Les commentaires éditoriaux ont, partout dans le monde,
interprété ces
changements constitutionnels comme marquant une rupture idéologique,
qui
montrerait que le régime chinois n'est plus "communiste".
Le South China Morning Post, par exemple, commenta le 8 Mars :
"Ce mois-ci, le
Congrès National du Peuple adoptera un amendement constitutionnel
reconnaissant la protection de la propriété privée,
une décision allant à
l'encontre des principes et théories de base du Marxisme.
Cela revient à dire
que pendant que le Parti Communiste Chinois conserve son nom historique,
il a
adopté un héritage entièrement différent."
"Une interprétation est que la Chine n'est plus communiste.
Une autre est que
la 'Chine S.A.' est devenue l'économie capitaliste avec
la plus forte
croissance au monde, conservant un système de parti unique,
quoi que celui-ci
soit composé de nombreux intérêts et collèges
électoraux concurrents."
La réalité est que la Chine n'a jamais été
une société communiste, ni
socialiste. Depuis 1949, elle a été dirigé
par une bureaucratie répressive.
Loin d'être un éloignement du "communisme",
les dernières mesures marquent
les résultats logiques du Stalinisme chinois.
La révolution chinoise de 1949 a vu, non pas la mobilisation,
indépendante, du
prolétariat et l'établissement d'une véritable
démocratie ouvrière, mais
l'arrivée au pouvoir du mouvement, basé sur la paysannerie,
conduit par Mao
Zedong. Mao défendit le programme du "bloc de quatre
classes" - une alliance
avec des sections de la classe capitaliste chinoise et la paysannerie
rurale.
L'établissement du CNPC lui-même visait à
rassurer ces capitalistes chinois,
qui étaient prés à travailler avec le PCC,
et de leur assurer qu'ils auraient
une place dans le nouveau régime.
Tout en clamant qu'elle représentait "le socialisme
chinois", la politique
Maoïste était en réalité une forme d'autarcie
nationale, cherchant à
organiser virtuellement tous les aspects d'une économie
arriérée et largement
paysanne, organisation basée sur des plans et des quotas
de production issus
de la bureaucratie.
Une sévère crise économique, un blocus par
l'impérialisme américain et la
fuite de la plupart des capitalistes chinois vers Taïwan
et Hong Kong,
contraignirent le PCC à nationaliser la plupart des industries.
La
collectivisation rapide de la terre dans les années 50
était conduite par la
nécessité de générer des revenus pour
supporter l'industrialisation ainsi que
pour maintenir un soutien populaire des masses paysannes pour
le régime.
A la fin de la Révolution Culturelle des années
60 et du début des années 70 -
un mouvement réactionnaire visant à asseoir l'autorité
de Mao - l'économie,
isolée, stagnait et chancellait vers une faillite. Mao
mit en place
personnellement les préconditions pour un retour vers le
marché libre quand
il renoua des relations avec les Etats Unis en 1973.
Après la mort de Mao en 1976, une faction organisée
autour de Deng Xiaoping
prit le contrôle. La politique économique sous Deng
était ouvertement copié
sur l'expérience de la Corée du Sud et de Taïwan,
qui étaient devenus des
plate-forme de production pour les compagnies transnationales,
qui tiraient
avantage à la fois de la main d'oeuvre bon marché
et du strict contrôle
militaire du prolétariat. En 1978, la Chine établit
sa première zone
commerciale franche, cherchant à attirer une part des investissements
globaux.
Durant les décades qui ont suivi, et particulièrement
les années 1990 quand
les investissements massifs se sont déversé sur
la Chine, les familles des
bureaucrates du PCC utilisèrent le pouvoir politique et
les relations avec
les capitaux étrangers pour se transformer eux-mêmes
en une nouvelle élite
capitaliste possédante. Des entrepreneurs liés au
Parti, des cadres, des
négociants d'approvisionnement à l'extérieur,
des importateurs, des
exportateurs et des professionnels, tous ont émergé
en tant qu'associés en
second des grands groupes transnationaux en exploitant impitoyablement
la
classe ouvrière.
La quatrième génération de dirigeants
Les intérêts de cette couche sociale sont exprimés
par les décrets du CNPC.
Cependant, dans le même temps, le régime de Pékin
a montré qu'il avait
conscience des immenses antagonismes qui ont été
construits durant les 25
dernières années.
Même le New York Times a avertit, le 29 Février,
que la classe dirigeante
chinoise devait apprendre de l'Histoire que "des inégalités
extrêmes ont
tendance a nourrir les révolutions".
Le Times écrivit : "La mesure la plus récente
par laquelle les sociologues
jugent l'inégalité de répartition des richesses
dans un pays montrent que la
Chine est plus inégale, par exemple, que les Etats Unis,
que le Japon, que la
Corée du Sud ou encore que l'Inde. En fait, les niveaux
de cette inégalité
sont proches de ceux de la Chine à la fin des années
40, quand les
Communistes, avec l'aide des pauvres, renversa le gouvernement
nationaliste."
La nouvelle direction de Hu et de Wen cherche à étayer
la crédibilité du
régime avec des mesures nettement populistes visant à
donner à ce régime un
aspect libéral et même démocratique. Dans
ce contexte, une garantie des
"droits de l'homme" a été ajouté
à l'article 33 de la constitution.
Dans une posture de prise en considération des masses chinoises,
la plupart
des leaders passèrent le réveillon pour la nouvelle
année lunaire dans les
maisons de paysans pauvres. Au cours de l'année dernière,
ils ont fait
des visites inédites aux mineurs, aux malades du SIDA ainsi
qu'à d'autres
couches "défavorisées".
D'autres tentatives ont été conduites pour atténuer
le sentiment très répandu
que le gouvernement est corrompu et bureaucratique. La réunion
annuelle
traditionnelle, mais réservée aux dirigeants du
Parti, au luxueux palais
d'été de Beidaihe a ainsi été abolie.
Les transcriptions des réunions du
Politburo, ainsi que des ordres du jour, ont été
rendu accessible au public.
Hu profita de l'épidémie de SARS de l'année
dernière pour présenter son
nouveau commandement comme un fervent supporter de "l'ouverture"
et de
"l'honnêteté" des officiels de l'état
ainsi que des médias contrôles par
l'état.
Une lettre a même été présenté
au CNPC, lettre qui appelait à la
ré-examination de la condamnation par le PCC des protestations
de Mai-Juin
1989 de la place Tiananmen - manifestations jusqu'alors considérées
comme
"contre-révolutionnaires". La lettre, signée
par un ancien chirurgien
militaire Jiang Yangyong - celui qui le premier fit état
de l'épidémie de
SARS en Chine en Mars dernier - fut envoyée à la
fois au comité permanent du
CNPC et au comité central du PCC.
Le budget et le bilan du Premier Ministre Wen Jiabao, présenté
au CNPC,
continua avec la même posture "réformiste"
de la nouvelle direction. Avec un
changement notable par rapport au langage des précédents
rapports, qui était
souvent stigmatisés comme "élitistes"
et accordant plus d'importance à la
"croissance économique" qu'aux considérations
sociales, Wen décrivit les
politiques de son gouvernement comme une stratégie du "peuple
d'abord" afin
de "compenser" la restructuration économique
avec un "développement social" à
long terme.
Alors que le revenu par habitant en Chine a dépassé
l'an dernier la barre des
1000 $ US, le rapport de Wen se focalise sur les aspects des inégalités
sociales croissantes du pays, tels que le déclin des revenus
ruraux et la
disparité entre riches et pauvres.
Wen déclara lors d'une conférence de presse le 14
Mars que l'économie chinoise
est à une jonction critique : "Des problèmes
profonds et des déséquilibres
dans l'économie au cours des années n'ont pas été
résolus fondamentalement...
Si nous échouons à gérer convenablement la
situation, les reculs de
l'économie seront inévitables."
Malgré 9,1 % de croissance économique l'année
dernière, le taux officiel de
chômage s'est élevé de 4,3 % à 4,7
%. Zheng Silin, un ministre du
gouvernement, déclara le 9 Mars lors d'une conférence
de presse au CNPC qu'au
moins neuf millions de nouveaux postes devaient être créés
pour simplement
maintenir le niveau actuel du chômage, car 24 millions de
nouveaux
travailleurs sont attendus sur le marché du travail.
"J'ai rejoint le ministère du travail et de la sécurité
sociale depuis
seulement un an et j'ai auparavant été responsable
de la fermeture
d'entreprises d'état. Si j'avais su que je serais transféré
à ce poste, je
n'aurais pas été si enthousiaste pour la fermeture
des compagnies",
déclara-t-il.
Dans les zones rurales, les revenus n'ont augmenté que
de 4,3 % l'année
dernière, une baisse par rapport aux 4,8 % d'augmentation
en 2002. Les
habitants des villes gagnent aujourd'hui plus de 3,2 fois plus
que les
revenus des 900 millions de résidents des campagnes de
Chine - une situation
à peine meilleure que dans le très pauvre Zimbabwe.
D'après le fond de
soulagement de la pauvreté en Chine (China-Poverty Relief
Fund), 30 millions
de ruraux manquent de la nourriture et des vêtements nécessaires,
alors que
60 millions d'autres gagnent moins de 100 $ US par an. A l'autre
bout de
l'échelle, les 400 individus les plus riches ont une fortune
cumulée de 301,1
milliards de yuan (36 milliards de dollars).
Afin de maintenir l'ordre dans les zones rurales, Wen a annoncé
qu'un montant
record de 150 milliards de yuan serait dépensé pour
venir en aide à la force
de travail rurale, ceci incluant des réductions d'impôts
et des programmes de
formation pour la jeunesse rurale au chômage. Il a aussi
annoncé l'octroi de
77,9 milliards de yuan pour un programme limité de sécurité
sociale pour les
travailleurs congédiés des entreprises d'état.
L'argent doit être concentré
dans les provinces du nord, où de nombreuses compagnies
ont été fermées.
En tout, Wen a annoncé un budget de 2,68 billards de yuan
- une augmentation
de près de 8,8 % par rapport à l'année dernière
- incluant une augmentation
des dépenses pour l'éducation et la santé.
Ce budget implique que l'état
Chinois, qui a déjà une dette publique qui représente
30 % de son PIB, ira
même un peu plus loin dans le rouge. Le régime considère
clairement ces
dépenses pour le bien-être comme quelquechose d'essentiel
pour refouler le
malaise social et promouvoir les illusions en faveur de la nouvelle
direction.
Les limites de la "réforme"
Les "réformes" politiques et économiques
sont soigneusement contrôlées. Tout
appel aux masses à intervenir directement dans la politique
- masses qui
défieraient la dictature du PCC - restent proscrits. D'après
un reportage du
Washington Post daté du 14 Mars, l'adoption par les dirigeants
chinois
"d'éléments d'un système politique occidental"
est calculée pour maintenir
leur mainmise sur le pouvoir.
Le Post nota : "En effet, selon des officiels du parti et
des étudiants qui
ont participé à des discussions internes, Hu et
ses collègues sont à la
recherche d'un nouveau modèle politique pour la Chine.
Ils arguent du fait
que ce pays, avec son énorme population et son histoire
d'agitation
politique, n'est pas compatible avec une démocratie multi-parti.
Mais il
semble qu'ils aient aussi conclu que le système actuel
de la Chine est
estropié par la corruption et est de moins en moins à
même de gérer le
mécontentement social ni de mettre en oeuvre les réformes
économiques
nécessaires pour assurer la croissance."
Avant le CNPC, Pékin a affermit son contrôle des
médias et des intellectuels,
ainsi que d'internet. La police n'a pas cessé sa répression
des protestations
de travailleurs et de paysans, et la sécurité nationale
a reçut l'ordre de
surveiller les conférences universitaires. Les traductions
en chinois de
livres étrangers sont systématiquement découragées.
Le récent best-seller An Investigative Report of China's
Peasantry, par
exemple, qui est une enquête journalistique indépendante
sur les réclamations
des paysans, a été porté sur la liste noire
du Département Central de
Propagande du PCC, la veille de l'ouverture du CNPC, sur la base
qu'il était
trop sensible politiquement pour que cela soit discuté.
Bien que certains commentateurs occidentaux aient interprété
ce contrôle
social persistant comme le reliquat de l'influence du président
Jiang Zemin -
maintenant président de la Commision Centrale Militaire
- les nouveaux
dirigeants sont en fait aussi prêts que leurs prédécesseurs
à lâcher une
répression brutale si le prolétariat défie
le régime.
Dans une conférence de presse qui suivit le CNPC, Wen Jiabao
a explicitement
rappelé que la nouvelle direction considérait toujours
les débordements
antigouvernementaux, qui eurent lieu au milieu de l'année
1989, comme une
"très sérieuse perturbation politique"
qu'ils devaient réprimer. Après le
massacre de la place Tiananmen, le 4 Juin 1989, Hu Jintao fut
le premier
dirigeant du PCC a féliciter publiquement Deng Xiaoping
pour avoir défendu
l'ordre social.
Derrière la détermination de maintenir la chape
dictatoriale sur la
population, on trouve la peur que les efforts entrepris pour prévenir
une
nouvelle "très sérieuse perturbation politique"
puissent s'avérer vains. Le
gouvernement chinois est par ailleurs sous la pression des compagnies
internationales pour accélérer et amplifier la restructuration
économique.
Le magazine britannique Economist, par exemple, était d'avis,
le 20 Mars, que
tandis que Pékin faisait face à des difficultés,
le régime devait "considérer
une gamme de mesures risquées mais nécessaires"
pour assurer la croissance
économique et l'apport continu d'investissements étrangers.
"De véritables privatisations des entreprises d'état
sont essentielles, même
si cela a pour conséquence dans beaucoup d'entre elles
le renvoi de
travailleurs. Les entreprises privées pourraient fournir
de nouveaux postes
pour remplacer ceux perdus dans le secteur public, si on donne
à celles-ci la
liberté de croître. Cela signifie améliorer
l'énorme bureaucratie Chinoise,
qui englue trop de sociétés dans la zone rouge et
dans la corruption. Réduire
graduellement les taux d'imposition des sociétés
et des particuliers, parmi
les plus hauts d'Asie, aiderait aussi les entreprises à
grandir", insistait
le journal.
En contradiction directe avec les tentatives limitées du
gouvernement de
refouler le développement du mécontentement, les
demandes du marché pour plus
de restructuration conduiront les tensions de classe à
la rupture.
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