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Le désastre dû à la canicule révèle la crise de la santé en France

Par Francis Dubois
Le 9 septembre 2003

La crise sanitaire qui s'est produite en France suite à la vague de chaleur du mois d'août était tout sauf accidentelle. Des années durant, le personnel de santé avait mis en garde contre les conséquences que pouvait avoir une politique entraînant des carences de personnel, l'absence de formation, le manque d'équipement, la fermeture d'hôpitaux et le renchérissement pour le public des soins et des médicaments.

La crise est survenue quelques semaines seulement avant que le gouvernement de droite de Jacques Chirac et Jean-Pierre Raffarin n'entende introduire une série de « réformes » dont le but est de s'attaquer aux fondements même du système de santé tel qu'il existe en France depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. De façon prévisible, le gouvernment dut faire face à une vague de colère, en particulier de la part du personnel de santé et des médecins, dont les mises en garde, et les pires craintes, se trouvaient tragiquement confirmées.

La cause la plus immédiate du nombre extrêmement élevé des victimes de la canicule fut l'inaction du gouvernment. Celui-ci ignora les appels lancés durant les deux premières semaines d'août, alors que les décès augmentaient de façon spectaculaire, pour que soit prises des mesures d'urgence. Tandis qu'on laissait la canicule multiplier les victimes, les ministres restaient dans leurs villégiatures, le président Chirac gardant, lui, le silence pendant trois semaines. Lorsque le gouvernement interrompit ses vacances, forcé d'intervenir devant la colère grandissante du public, sa première réaction fut de faire porter la responsabilité de la situation aux familles des victimes et au public en général. Il défendit sa propre inaction et nia avoir une quelconque responsabilité dans le désastre en cours.

Dans les deux semaines qui suivirent le pic de la canicule, qui eut lieu à la mi-août, le gouvernement français refusa de publier tout chiffre officiel, répétant qu'il ne pouvait obtenir aucune estimation précise. Pendant plus d'une semaine, une polémique fit rage à propos du nombre exact des victimes de la canicule. Les motifs invoqués par le gouvernement pour refuser de publier des chiffres et sa soi-disante incapacité d'en obtenir furent sérieusement mis en doute. De nombreux médecins, des responsables des services de santé et des pompes funèbres s'opposèrent à la façon du gouvernement de traiter les chiffres et l'accusèrent de vouloir minimiser la crise.

Le 23 août, Raffarin fut copieusement sifflé lorsqu'il inaugura les championnats du monde d'athlétisme de Paris. Finalement, le 29 août, le gouvernment annonça que plus de 11.000 personnes étaient mortes de la canicule pendant la première quinzaine d'août seulement.

Au cours des deux dernières semaines d'août, Chirac et Raffarin tentèrent avec persistence de faire passer le message, fidèlement repris par les médias malgré son manque de véracité, selon lequel, « tout le monde » était responsable, la leçon à tirer de la canicule étant que les Français manquaient fondamentalement de solidarité. Afin de s'assurer que la chose soit bien comprise on fit grand tapage dans l'administration et dans la presse des corps de victimes de la chaleur qui ne furent pas réclamés par des proches et qu'on fit enterrer dans des tombes anonymes. On se servit ensuite de cela cyniquement pour étayer la thèse selon laquelle tout le monde devrait « faire preuve de solidarité » vis-à-vis des personnes âgées.

En fait, la critique de la politique de santé des personnes âgées n'est pas chose nouvelle en France. L'opposition aux restrictions budgétaires gouvernementales aussi est une tradition. Entre 1988, où eut lieu une des plus grandes grèves du personnel de santé de l'après-guerre et 2003, il y eut de nombreuses grèves et manifestations en opposition aux coupures de budget, aux fermetures d'hopitaux et aux restrictions affectant soins et médicaments. Ces protestations étaient dirigées contre le refus des gouvernements ­ tant ceux du Parti socialiste que ceux de la droite ­ d'investir dans la santé, et contre les mesures destinées à privatiser la santé.

Les personnels de santé et les médecins ont régulièrement mis en garde contre la dégradation générale du système de santé et contre ses conséquences, dangereuses pour la population. Au cours des seules quatre dernières années les actions de protestation de la part de presque toutes les catégories et professions de la santé : infirmières, internes, médecins, dentistes et personnel hospitalier en général, furent nombreuses. Ces protestations furent invariablement présentées par les différents gouvernements comme ayant des motivations égoïstes ou corporatistes et comme une interruption des soins dus aux patients. De 2000 à 2003, le personnel hospitalier organisa, soit seul soit en association avec d'autres secteurs du service public, de grandes manifestations et des grèves largement suivies.

Le personnel de nombreux hôpitaux s'est encore une fois mis en grève en mai et juin derniers en s'associant au vaste mouvement contre l'attaque du droit à la retraite et aussi pour protester contre l'intention du gouvernement d'imposer un nouveau "plan hospitalier" dont le but est la privatisation des hopitaux.

Le 18 juin, les 16 organisations professionnelles des maisons de retraite appelèrent à une journée d'action de protestation contre la politique gouvernementale. Dans une déclaration commune ils expliquèrent leur action ainsi :

« Parce que nous, (les résidents, les familles et les directeurs) ne voulons pas être des assurés sociaux de seconde zone et ne pouvons plus attendre : la Sécurité sociale n'a pas été construite par notre génération pour les seuls jeunes, riches et malades, mais aussi pour les vieux, pauvres et handicapés. Parce que nous voulons une société solidaire qui n'oublie pas ses aînés hébergés dans les maisons de retraite»

Loin de répondre à ces revendications, le gouvernement Raffarin exploite au contraire la crise pour imposer des mesures plus draconniennes encore contre le système de santé. Le 26 août, Raffarin invita un certain nombre de représentants d'organismes de santé et de maisons de retraites à des entretiens à Matignon afin de discuter la crise sanitaire, mais refusa de libérer des fonds d'urgence ou même de discuter quelles sommes pourraient être débloquées. Au lieu de quoi Raffarin annonça à l'issue de la réunion qu'il avait l'intention de supprimer un jour férié afin de financer les soins aux personnes âgées.

Le "débat" qui eut lieu dans les médias à la suite de cette annonce et ce, malgré l'hostilité générale rencontrée par la proposition du gouvernement, eut pour principal objet de discuter lequel des jours fériés il fallait sacrifier afin de financer l'aide aux personnes âgées. Des propositions variées furent faites à cet effet comme le 8 mai (qui commémore la défaite de l'Allemagne nazie), le 11 novembre (commémorant l'armistice de 1918) et le lundi de Pentecôte. L'Eglise catholique fut l'une des premières à donner son accord, indiquant qu'il n'y avait pas d'argument « théologique » s'opposant à la suppression du Lundi de Pentecôte. Le président du Medef (la condédération du patronat français), Ernest-Antoine Seillière, s'exprimant au cours de l'université d'été de cette organisation, qui se tenait alors près de Paris, s'empressa de féliciter le gouvernement, jugeant la proposition « formidable » et saluant le fait qu'on songeait enfin à «régler les problèmes en travaillant plus».

Les députés de l'UMP, le principal parti de la droite, montèrent au créneau, expliquant pour certains que de toutes façons la France avait le plus grand nombre de jours fériés en Europe (ce qui n'est pas vrai), l'ancien premier ministre Edouard Balladur appelant même à supprimer deux jours fériés. Raffarin mit en avant l'argument qu'une telle mesure avait déjà été prise en Allemagne et qu'il était donc tout à fait normal de l'appliquer en France. En réalité, lorsqu'en 1994 la suppression d'un jour férié avait été annoncée, les ouvriers allemands s'y étaient, même si ce fut sans succès, vigoureusement opposés. A présent le patronat allemand exige - sans que cela ait rien à voir avec l'aide aux personnes âgées ­ que d'autres jours fériés soient supprimés, exigeant que les gens travaillent plus pour le même salaire.

La confédération patronale vit dans l'annonce du gouvernment le signe que leurs appels à travailler plus longtemps pour moins d'argent avaient été entendus et qu'ils pouvaient bientôt s'attendre à voir disparaître tous les obstacles à une augmentation du temps de travail. Une des toutes premières réactions des ministres du gouvernment Raffarin, accusés de négligence par le personnel de santé, avait en effet été d'attaquer la semaine de 35 heures introduite par le précédent gouvernement, déclarant (contre toute preuve) que c'était cette mesure qui avait créé la crise en réduisant le personnel hospitalier.

L'annonce de la mesure déclencha une vague d'opposition verbale de la part de la gauche officielle (le Parti socialiste, le Parti communiste et les Verts) et de presque tous les syndicats, beaucoup se montrant incrédules face à l'attitude du gouvernement. D'autres dénoncèrent le cynisme de celui-ci ou firent des commentaires ironiques, comme cette union locale de Force Ouvrière qui proposa au gouvernement de « fêter Noël tous les quatre ans », si le Medef décidait que Jésus Christ était né un 29 février. Beaucoup de ces déclarations furent faites pour devancer la profonde colère du public vis-à-vis des actions gouvernmentales.

Les syndicats ne sont pas fondamentalement opposés à ce genre de mesures et sont même tout à fait prêts à discuter les attaques contre les retraites et contre la sécurite sociale avec le gouvernment. En fait cette mesure même fut dicutée avant la vague de chaleur avec au moins un syndicat, Force Ouvrière. Selon l'Agence France Presse, le leader de Force Ouvrière, Marc Blondel dit « que le Premier ministre avait déjà évoqué avec lui 'l'idée de travailler une journée gratuitement et d'affecter le résultat pour les handicapés ', une idée que lui avait suggéré (le ministre de la santé, Jean-François) Mattei ».

La crise est loin d'être terminée pour le gouvernement Chirac-Raffarin. Le 2 septembre, Raffarin, de toute évidence secoué par l'opposition qui s'était manifestée au mois d'août et la giflée prise par son ministre de la santé, annonça qu'il avait l'intention de reporter la « réforme » de la Santé au mois d'octobre 2004.

Cette réforme consiste en partie en un plan visant à ouvrir les hôpitaux et les maisons de retraites au capital privé suivant le "modèle américain". Des modifications de la structure et du mode de gestion des hôpitaux doivent être réalisées, dans le but de les faire fonctionner sur la base de critères purement mercantiles. Le marché privé de la santé se développe rapidement en France ­ au point que certaines sociétés privées actives sur ce marché sont depuis peu quotées en bourse.