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Antoine Lerougetel
7 mars 2003
Au début de cette année, le gouvernement Raffarin a commencé une nouvelle tentative pour réformer le système de retraites en France. Les salariés lui ont opposé une résistance massive tandis que les syndicats se sont adaptés progressivement à la ligne du gouvernement.
Le premier février, jusqu'à 500 000 personnes dans plus de 100 villes ont maniesté pour défendre leurs droits à la retraite. Les 140 000 salariés d' EDF/GDF, électriciens et gaziers des grandes industries publiques énergétiques françaises avaient déjà montré leur refus des projets de réforme de leur régime de retraites et de privatisation de leurs industries en faisant grève à 80% et en manifestant massivement le 3 octobre 2002.
Ensuite, le 9 janvier, ils ont voté à 53,4% contre le relevé de conclusions proposé par leurs patrons et la majorité de leurs directions syndicales(CFDT, CFTC, CGC , CGT) et soutenu par le gouvernement Raffarin. Les propositions que les gaziers et les électriciens ont rejeté signifient l'imposition d'une augmentation de plus de 50% de leurs contibutions pour leur retraite, une diminution effective de salaire de plus de 4%.
Le lendemain, le 10 janvier, le premier ministre Jean-Pierre Raffarin et son ministre de l'économie et des finances Francis Mer ont déclaré leur intention de passer outre le vote des gaziers et des électriciens et de faire passer en force la réforme de leur régime de retraite.
Attaque en trois phases
Le gouvernement projette d'attaquer le système de retraites en trois phases:
1 : Obliger les salariés d'EDF/GDF à accepter la réforme de leur régime spécial comme préalable à la privatisation de leur industrie
2 : Commencer à aligner les retraites de la Fonction publique, basées sur 37,5 annuités pour avoir droit à une pension à taux plein, sur celles du privé qui avaient perdu cet acquis en 1993, et qui sont elles, basées actuellement sur 40 annuités.
3 : Accentuer les pertes des salariés du privé suite à la réforme Balladur-Veil de 1993 en allongeant jusqu'à 42 ans les annuités nécessaires pour accéder à une retraite à taux plein.
L'offensive contre les salariés d'EDF/GDF joue un rôle déterminant pour miner tout le système. Si le gouvernement et le MEDEF, principale organisation des patrons français, arrivent à faire sauter le verrou du régime spécial d'EDF/GDF et celui des 37,5 annuités pour pouvoir accéder à la retraite à taux plein dans la Fonction Publique la porte sera ouverte à une rétrogression historique des conditions de vie de tous les salariés.
La réforme proposée pour EDF/GDF signifie une baisse de plus de 4% de leur salaire en vue de payer leurs contributions à leur retraite. Leurs contributions vont passer de 7,58 à 12%, ce qui signifie qu'elles seront d'un pourcentage plus élevé que les contributions des salariés du privé qui sont actuellement autour de 10%. Cette réforme opère aussi un changement du système de financement de leur régime comme préalable à la privatisation de leurs industries.
Pour le MEDEF Edouard Balladur et une bonne partie de l'UMP (Union pour un mouvement populaire), le parti de droite du gouvernement, les projets du gouvernement ne vont pas assez loin. Ils revendiquent les 47 annuités, et critiquent le manque d'ambition des propositions du gouvernement. Ils trouvent les propositions pour EDF-GDF beaucoup trop généreuses.
L'allongement de la durée de cotisation pour avoir droit à une pension à taux plein ne peut que produire une baisse de revenu pour les retraités. Grand nombre de gens n'arrivent pas à l'atteindre pour multiples raisons: chômage, maladie, obligations familiales, fatigue. La moyenne d'âge du départ à la retraite en France est autour de 58,5 ans. La politique de 'retraites à la carte' du MEDEF maquille une situation de fait ou les gens, surtout les femmes, sont obligés d'arrêter de travailler avant d'atteindre les annuités nécessaires pour le taux plein.
Il a été calculé, se basant sur des statistiques du ministère de travail, que le projet du MEDEF d'allonger dès 2023 les annuités à 45 ans pour avoir la retraite à taux plein, amputerait de 35 à 50% les pensions et cela dès 2023. La conquête humaine de la longévité accrue est vue par ces gens, pour qui la rentabilité est la valeur décisive, non pas comme un triomphe de l'ingénuité et de la science humaines, une amélioration de la qualité de la vie humaine, mais comme un fardeau, un désavantage.
Le MEDEF veut tout faire pour désengager les patrons de leur responsabilité en matière de salaires d'inactivité. Actuellement ils se plaignent du fait que le taux des cotisations pour la retraite est de 25% d'un salaire brut, dont 10% contribués par les salariés. Ceci passe par la réduction des retraites par répartition et la mise en place accrue de retraites par capitalisation. Les salariés sont ainsi poussés à investir dans les fonds de pension, si possible dans les actions de leur entreprise, comme chez Enron.
En France chaque salarié verse un pourcentage de son salaire, qui est complété par son employeur, dans une caisse qui distribue aux retraités leur pension. En moyenne la retraite représente 78% du dernier salaire. Il existe des mécanismes pour équilibrer les ressources selon les fluctuations des taux d'emploi.
En 1982, au début des années de la présidence du dirigeant du Parti socialiste François Mitterrand, une réforme a ramené l'âge de la retraite du régime général, le secteur privé, de 65 à 60 ans et abaissé les annuités nécessaires pour accéder à la retraite à taux plein à 37,5. Les patrons n' ont jamais digéré la contribution accrue imposée par cette réforme. Le MEDEF a menacé de faire la grève des versements à la caisse qui paie ces 5 années supplémentaires de pension.
Après la défaite électorale cuisante de la Gauche ayant déçu par sa politique d'austérité, la Droite revint au pouvoir en 1993. Edouard Balladur et Simone Veil imposèrent leur contre-réforme du régime général (le privé):
1 : Passage progressif de la durée d'assurances de 37,5 à 40 ans (150 à 160 trimestres) pour obtenir une pension à taux plein.
2 : La base du calcul du salaire minimum passe progressivement des 10 aux 25 meilleures années - ce qui implique immédiatement une pension plus basse compte tenu du fait que le revenu en fin de carrière tend à être meilleur qu'au début.
3 : Les retraites sont revalorisés selon l'indice des prix et non plus indexés sur les salaires ce qui contribue à creuser un écart grandissant entre les actifs et les retraités et entre les retraités du public, toujours indexés sur les salaires, et ceux du privé. Indexés sur les prix, le pouvoir d'achat des pensions ne peut, au mieux, que stagner tandis que celui des salaires a progressé.
Depuis, les inégalités entre les retraites du privé et du public, qui, avant, tendaient à converger, n'ont cessé de s'accentuer encore du fait de la réforme des retraites complémentaires de 1996 du gouvernement d'Alain Juppé (le prix payé par la classe ouvrière du fait que les syndicats et les partis de gauche ont refusé de l'obliger de démissioner lors de grèves de masse contre 'le plan Juppé en 1995).
Dans le textile et l'habillement, la moyenne des retraites est de 740,96 euros (4 860 francs) par mois.
Les contre-réformes de 1993 et de 1996 ont été peu contestées, cependant quand le gouvernement Juppé, dans le contexte d'une attaque sur toute la sécurité sociale, le plan Juppé, a voulu aligner la durée de cotisation des agents de l'état et des régimes spéciaux sur le privé, il a été obligé à céder devant le plus grand mouvement de grève depuis mai/juin 68.
C'est le gouvernement de la Gauche Plurielle qui a préparé le terrain de la nouvelle offensive de Raffarin. En 1997, Jospin avait confié à J-M Charpin la préparation d'un rapport prônant l'allongement de la durée des cotisations.
Cette offensive sur le système de retraites français fait partie d'une tendance mondiale à réduire le coût du travail dont les retraites représentent un élément majeur. En grande Bretagne l'âge de retraite vient d'être remonté à 65 ans et l'âge de 70 ans est envisagé. En mars 2002, Jospin et Chirac approuvèrent le texte de la réunion des quinze pays de l' Union européenne de Barcelone qui fixa l'objectif de faire reculer de cinq ans l'âge effectif - et non pas légal - du départ en retraite. Il est aujourd'hui de 60 ans. Ce fut l'une des raisons pour lesquelles Jospin et les partis de la Gauche plurielle furent désavoués par leur électorat le mois suivant aux élections présidentielles. Le MEDEF se réjouit d'indiquer qu'en Finlande et aux Etats Unis l'âge légal de départ va remonter de 2 ans à 67 ans. Il va monter de 3 ans en Nouvelle Zélande et de 5 ans au Japon, en Corée, en Espagne et en Italie.
La marge de manoeuvre du gouvernement français est limitée par 'l'avertissement préventif' lancé par les ministres des finances européens le 21 janvier contre la France qui risque de dépasser en 2003 la limite des déficits publics de 3% du PIB, critère de santé économique de Maastricht. Ceci oblige le gouvernement à geler des crédits de 4 à 5 milliard d'euros. La sécurité et la défense, bénéficiaires d'importantes augmentations budgétaires seront protégées de l'austérité, qui frappera plutôt les services publics.
Au même temps que les syndicats se sont efforcés de limiter l'opposition massive aux projets du gouvernement en organisant un activisme aux perspectives brouillées, leurs efforts pour aider le gouvernement à faire accepter ses réformes sont flagrants.
Le 6 janvier, sans même attendre le résultat de la consultation des salariés d'EDF/GDF, les sept confédérations syndicales (CFDT, CFTC, CGC, CGT, FO, FSU et UNSA) ont réalisé une unité de vues. La plate-forme sur les retraites des sept organisations syndicales, qui appelaient à la manifestation du 1 février, mentionne 40 annuités et, par conséquent, sacrifie le principe des 37,5 annuités, durée actuelle des cotisations dans le secteur public et dans le privé jusqu'en 1993. Pendant les grandes grèves de 1995 contre le plan Juppé , Nicole Notat, dirigeante de la CFDT s'était faite conspuer par ses propres adhérents à cause de ses discours de soutien à ces réformes. Bernard Thibault était alors le dirigeant du syndicat CGT des cheminots, le fer de lance de ce mouvement. Le congrès de la CGT tenu en pleine période de grèves a voté pour abandonner officiellement sa perspective de « la réalisation d'une société nouvelle basée sur la socialisation des moyens de production ». Cela ne faisait qu'entériner une politique de fait de longue date mais cela montrait que la bureaucratie stalinienne de la CGT, abandonnait même le semblant d' opposition systématique au système capitaliste.
Thibault a remplacé Viannet à la tête de la CGT
La CGT est devenue ce que le Monde aime qualifier de 'syndicat
de proposition au lieu de contestation'.Son rôle maintenant
est ouvertement un rôle de soutien du capitalisme français
pour imposer les sacrifices à la classe ouvrière
dans la guerre commerciale mondiale.
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