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Le véritable rôle du gouvernement allemandEn réponse à Günter GrassPar Ulrich Rippert Utilisez cette version pour imprimer Cher Günter Grass, J'ai lu avec intérêt mais non sans grande surprise votre article de lundi dans le Los Angeles Times. Oui c'est vrai: la guerre contre l'Irak est préparée de longue date. C'est une guerre d'agression, elle enfreint le droit international et elle promeut la loi du plus fort au rang de norme légale internationale. « Bienvenue au moyen-âge » comme l'a dit Sonja Mikich dans Monitor (une émission de la télévision allemande). Que vous parliez de l'« autre Amérique » me réjouis beaucoup. Vous vous rangez aux côtés des opposants américains à la guerre afin précisément de défendre les droits démocratiques et les principes pour lesquels de nombreux Américains ont, dans les grandes battailles du dix-huitième et du dix-neuvième siècle, donné leur vie et qui inspirent depuis les hommes du monde entier. Je m'étonne d'autant plus que ce ne soit pas le même discernement qui vous guide lorsque vous observez la situation allemande, car vous donnez l'impression que l'attitude du gouvernment allemand est compatible avec les grandes manifestations contre la guerre qui ont eu lieu ici. Je dois m'opposer en particulier à cette phrase: « Je remercie le chancelier Gerhard Schröder et son ministre des Affaires étrangères Joschka Fischer de leur fermeté; ils sont restés crédibles malgré toute l'hostilité et la calomnie auxquelles ils durent faire face tant à l'intérieur qu'à l'extérieur». Si l'on considère le « Nous refusons cette guerre!» du chancelier Schröder et du ministre des Affaires étrangères Fischer non plus du point de vue de l'abstraction pure mais de celui des faits, les choses changent du tout au tout. Des experts en droit internationaux renommés ont qualifié sans embages l'attaque de l'Iraq par les Etats-Unis de nette rupture du droit international. La Commission internationale des juristes de Genève parle d'une « violation flagrante de l'interdiction de l'usage de la violence ». Et cependant, le gouvernement allemand a garanti l'utilisation sans restriction de l'espace aérien et des bases militaires américaines en Allemagne. Il enfreint lui-même par là le droit allemand et le droit international. Car la constitution allemande tout comme la charte des Nations unies interdisent qu'on prépare, conduise et soutienne une guerre d'agression. Cette guerre, ou plutôt, ce massacre de la population iraquienne, est organisé dans une bonne mesure depuis le territoire allemand. Ces derniers jours, c'est toutes les heures que des avions de transport militaires américains ont décollé et atterri de la base aérienne de Ramstein, la plus importante en dehors des Etats-Unis et de la base aérienne de Rhein-Main, afin de transporter matériel de guerre et munitions vers la zone de combat irakienne et de ramener des soldtats américains blessés. C'est du centre de logistique de l'"European Command" à Stuttgart que les troupes et les transports de matériels furent coordonnés et c'est sur le terrain de manuvre américain de Grafenwöhr, le plus grand que les Etats-Unis ait en Europe, qu'au début de l'année, eurent lieu sous le nom de « Victory Scrimmage » les manuvres virtuelles qui servirent de préparation directe à cette guerre. Peut-on voir en cela autre chose que de la complicité ? La façon dont les partis au gouvernement on justifié ce soutien à une guerre contraire au droit international, est intéressante et instructive. Il y a trois semaines, le jour où la guerre commenca, la direction du groupe parlementaire des Verts passait une résolution dont le but était d'accorder en toutes formes les droits de survol du territoire et d'utilisation des installations militaires américaines et britanniques. La résolution dit que ceci constituait « indépendamment d'une évaluation de l'action des USA et de la Grande-Bretagne par rapport au droit international» une décision politique afin de ne pas mettre en danger les « indispensables piliers de la politique étrangère et de sécurité de l'Allemagne ». En d'autres mots, le gouvernement allemand place les intérêts de sa politique étrangère au-dessus du droit international. Mais c'est précisement ce que fait aussi l'administration Bush qui se donne le droit d'attaquer l'Iraq et d'établir un protectorat américain en invoquant ses intérêts en matière de sécurité et de politique étrangère. Le conflit entre Washington et Berlin n'est donc pas causé par la préoccupation du gouvernement allemand à préserver le droit international mais par l'existence d'intérêts opposés en matière de politique étrangère, un conflit qui augmente en dépit de la fréquente évocation de l'amitié transatlantique. Où cela mène-t-il ? Je me rends bien compte que je m'adresse à quelqu'un qui a vécu et a commenté de près les tragédies du siècle dernier. Mais c'est précisément pour cela qu'il faut poser la question en toute franchise : pourquoi la politique européenne et allemande sous-estime-t-elle le gouvernement américain de façon aussi grotesque? Que doit-il encore se passer pour qu'elle cesse de faire contre mauvaise fortune bon cur et reconnaisse qu'à Washington c'est une bande de gangsters qui s'est appropriée le pouvoir et qui, si on ne l'arrête pas, menace de mettre le feu à la planète tout entière? La conquête de Bagdad n'a pas calmé l'appétit des va-t-en guerre du Pentagone mais au contraire elle l'a aiguisé. Les objectifs prochains de leur stratégie de conquête sont déjà définis. L'espoir que l'administration Bush puisse être ramenée dans l'orbite des Nations unies par des concessions, des manuvres diplomatiques et une légitimation a posteriori de la violation du droit international et qu'on puisse la contrôler, est naïf et dangereux. Le monde a déjà assisté à semblable spectacle il y a soixante-cinq ans. Rétrospectivement on ne peut lire qu'avec un hochement de tête les articles sur la « politique d'apaisement » de Chamberlain par laquelle le gouvernement britannique essaya de dompter l'Allemagne hitlérienne et de la pacifier. Lors de la première rencontre, les puissances européennes étaient prêtes à soutenir les ambitions d'Hitler concernant l'Autriche, à certaines conditions. Lors de la deuxième rencontre la question n'était déjà plus à l'ordre du jour. L'« Anschluss » avait déjà été réalisé de façon brutale et violente. A la troisième rencontre l'Angleterre et la France approuvèrent l'annexion du territoire des Sudètes. Un an plus tard la Deuxième guerre mondiale commençait avec l'agression de la Pologne. Et aujourd'hui? Les gouvernments européens et tout particulièrement le gouvernment allemand se sont révélés totalement incapables de s'opposer à la politique de conquête américaine sur une base démocratique et légale. Les intérêts des grands trusts et des grandes banques qui donnent le ton à Berlin sont trop étroitement liés à ceux des grandes sociétés américaines et de leur politique. Tandis que la politique tout à fait lâche de la coalition sociale-démocrate et Verte, faite de demi-mesures et de compromis, encourage les éléments les plus droitiers de la politique américaine, on forge des plans pour faire avancer à grands pas le réarmement européen. Une course aux armements aux conséquences fatales est ainsi declenchée. J'insiste pour dire qu'il est faux d'exprimer une quelconque gratitude au gouvernement Schröder-Fischer. Encore une remarque. On ne peut pas juger ce gouvernment selon deux critères différents et dire que sa politique étrangère serait bonne quand sa politique sociale serait mauvaise. Jamais depuis les années trente un gouvernment n'a attaqué de façon aussi flagrante et éhontée les couches les plus faibles et les plus démunies de la société. Les mesures d'austérité que le chancelier Schröder a annoncées dans sa déclaration de politique générale il y a quatre semaines sont presque sans exception dirigées contre les chômeurs de longue durée, ceux qui bénéficient de l'aide sociale, les malades et les retraités, c'est-à-dire contre ceux qui se trouvent déjà au plus bas de la société et qui n'ont personne pour défendre leurs intérêts. La réduction de la durée de versement des allocations de chômage et la fusion de l'aide sociale et de l' « aide au chômage » va pousser la plus grande partie d'une génération à la ruine. La création d'une telle misère dans la couche inférieure de la société est non seulement anti-social au plus haut point, elle est encore politiquement criminelle. Cela accélère le processus de décomposition de la société et désagrège précisément la force sociale sur laquelle la lutte contre le militarisme et la guerre doit s'appuyer la grande majorité de la population laborieuse. La grande leçon du siècle précédent est précisément que les crise sociales et les guerres sont étroitement liées entre elles. Aujourd'hui aussi le danger de la guerre s'accroît avec l'augmentation des tensions et des conflits sociaux. C'est pourquoi le mouvement de la paix ne doit pas se laisser atteler à la charrette du gouvernement, mais doit au contraire devenir un large mouvement social qui unisse la population travailleuse au-delà des frontières dans le monde entier. L'exemple à suivre n'est pas celui de Sisyphe, qui recommence son ouvrage de façon infatigable et auquel vous faites allusion à la fin de votre article, mais celui des grands humanistes et socialistes qui ont toujours voulu une transformation de la protestation contre la guerre en une lutte politique systématique afin de créer une société qui place les intérêts de la population au-delà de ceux des profits des grandes entreprises. Je vous salue amicalement Ulrich Rippert *) L'article du Los Angeles Times s'appuyait sur un discours que Günther Grass avait déjà prononcé en février, à l'occasion de la remise du « Bürgerpreis » de la ville de Halle.
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