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La France s'attaque aux Moudjahidin iraniensPar Marianne Arens Utilisez cette version pour imprimer Le 17 juin à l'aube, la police française prenait d'assaut à Auvers-sur-Oise, en grande banlieue parisienne, ainsi que dans cinq autres communes, les maisons et domiciles des membres de l'Organisation des Moudjahidin du peuple iranien (OMPI) en exil et vivant en France. La police arrêta 165 personnes, saisit des ordinateurs, des documents et des voitures, et confisqua une importante somme d'argent en liquide. Parmi les personnes interpellées se trouvaient Maryam Radjavi et Saleh Radjavi, l'épouse et le frère du président de l'organisation, Massoud Radjavi, ainsi que Majid Taleghani, un porte-parole de l'organisation. Les services secrets français de la Direction de la Surveillance du Territoire (DST), qui dépendent du ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, dirigeaient la rafle à laquelle participèrent quelque 1.300 fonctionnaires. Dans une opération préparée en coordination avec les policiers de la DST, du Raid, du GIGN, de la police judiciaire et de huit compagnies de CRS, des portes furent défoncées, des personnes furent tirées de leurs lits, menottées et placées en garde à vue. Les locaux furent perquisitionnés, vidés et partiellement démolis pour ensuite être scellés. Ni armes ni faux papiers furent découverts. Par contre la police confisqua plusieurs millions de dollars en liquide, des fonds apparemment récoltés par des sympathisants. Cette intervention sans précédent menée par l'Etat et baptisée cyniquement « Théo » - du nom du frère du peintre Vincent van Gogh qui, tout comme le peintre lui-même, a vécu à Auvers-sur-Oise et y est enterré - a occasionné des actions de protestations de par le monde parmi les militants et les sympathisants des Moudjahidin. En France, des centaines se rassemblèrent pour manifester près de la tour Eiffel, sur la place de la Concorde et devant la préfecture du Val-d'Oise. Des grèves de la faim furent entamées et plusieurs immolations par le feu eurent lieu à Paris, Londres, Rome et Berne. Une Iranienne est décédée et au moins six autres personnes furent grièvement brûlées. Ce sur quoi, le ministère de l'Intérieur décréta une interdiction de manifester aux Moudjahidin qui ne fut pas suivie et entraîna d'autres interpellations d'Iraniens. Quarante huit heures plus tard il n'était toujours pas possible aux personnes relâchées de réintégrer leurs propriétés scellées. Nombreux furent ceux qui campèrent en plein air devant leurs maisons et auxquels les voisins apportèrent le nécessaire. Neuf Iraniens en possession de documents issus d'autres pays européens furent expulsés en urgence vers les pays où ils résident. Vingt-deux personnes n'ont toujours pas été libérées, entre autres les dirigeants. Le gouvernement iranien a favorablement accueilli la rafle des Moudjahidin en France. Le président Mohamad Khatami félicita son homologue français Jacques Chirac mercredi en déclarant : « Si nous voulons lutter contre le terrorisme, cette lutte doit être globale . Nous avons la même attente vis-à-vis des Etats-Unis qui ont eux aussi déclaré ce groupe terroriste. Malheureusement l'attitude des Américains à l'égard de ce groupe en Irak est suspecte et nous laisse soupçonner, malgré leurs affirmations, qu'ils peuvent l'utiliser contre nous. » Khatami a demandé leur extradition vers l'Iran. Les Moudjahidin du peuple avaient été créés durant les années 1960 en opposition au régime du Shah qui bénéficiait du soutien des Etats-Unis. Après la révolution de 1978/79, ils avaient activement soutenu la prise de pouvoir de l'Ayatollah Khomeini. Ils avaient pourtant rapidement eu des divergences avec lui. Suite à la répression sanglante du régime des Mollah qui poussa l'organisation à fuir l'Iran, celle-ci répliqua par une politique d'attentats contre des hauts fonctionnaires de l'Etat. En Irak, l'organisation disposait de son propre commandement militaire qui fut entretenu militairement et financièrement par Saddam Hussein ; lors de guerre Iran-Irak, elle avait combattu au côté de Hussein contre l'Iran. À Auvers-sur-Oise, se situait le poste de commandement européen de l'organisation. C'est là que, durant 22 ans, elle était tolérée par le gouvernement français et protégée par les gendarmes. La rafle représente donc un changement abrupte dans l'attitude de la France. Le chef de la DST, Pierre de Bousquet de Florian, s'est vu obligé d'informer le public en tenant une conférence de presse exceptionnelle pour expliquer les raisons de cette brutale opération policière, ce qui lui causa beaucoup de difficultés car se trouvant dans l'incapacité d'avancer aucune preuve concrète. Bousquet précisa que l'organisation figure sur la liste des mouvements terroristes, qu'elle a, après la guerre en Irak, transféré de plus en plus ses cadres en France. Indépendamment de sa rhéthorique qui tend à préconiser la démocratie et la lutte contre le régime iranien, son extrême culte de la personnalité et son régime autocratique sont les signes d'un danger potentiel. L'on a été forcé de croire, tout particulièrement après la guerre en Irak et après qu'elle ait été chassée du Moyen-Orient, qu'elle projetait de commettre des attentats en Europe « bien qu'il n'existe aucun élément permettant de les soupçonner de vouloir commettre des attentats en France» a déclaré Bousquet. Les Moudjahidin nient de telles intentions et même la rafle ne fournit aucune preuve allant dans ce sens. La signification stratégique de l'Iran rend évident le fait que des raisons tout autres sont à l'origine de cette vague de répression contre les Moudjahidin. Depuis la guerre contre l'Irak, l'Iran s'est vu de plus en plus poussé au centre de l'intérêt de la machine de guerre américaine. Dès février 2002, le président Bush avait rangé le pays parmi les pays de « l'axe du mal » et depuis la chute de l'Irak le ton employé par le gouvernement américain envers l'Iran s'était aiguisé. Le secrétaire américain à la défense, Donald Rumsfeld, accusait Téhéran, d'avoir cachés des terroristes d'Al-Qaïda, qui auraient commis des attentats en Arabie Saoudite contre des citoyens américains, et incité à la haine les Shiite en Irak contre les forces d'occupation américaines. La conseillère américaine à la Sécurité nationale, Condoleezza Rice, accusait la république islamique d'utiliser à des fins militaires son programme d'électricité nucléaire. « Nous en possédons d'innombrables preuves » affirma-t-elle. Il s'agit là des vieux reproches qui ont déjà dû service de prétexte lors de l'invasion américaine en Irak. Les Etats-Unis exigent à présent de l'Iran qu'il accepte de façon inconditionnelle des inspections inopinées de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). C'est ainsi qu'Ari Fleischer, le porte-parole du gouvernement déclarait le 19 juin : « L'Iran doit obtempérer. Sans quoi le monde en conclura que l'Iran est peut-être en train de produire des armes nucléaires ». Le gouvernement américain a fait savoir depuis un certain temps qu'il ne comptait plus sur une réforme du régime par l'intermédiaire du groupe du président Khatami, mais cible plutôt sur un changement de régime à Téhéran. À cette fin, il soutient des groupes de droite en exil qui ont été obligés de fuir en 1979 suite à la révolution islamique, tel celui du fils du Shah, Reza Pahlevi, qui émet d'une radio satellite iranienne à partir des Etats-Unis. Les Moudjahidin du peuple sont eux aussi considérés aux Etats-Unis par une partie de l'extrême droite et par la presse comme un facteur qui pourrait bien servir dans le projet de changement de régime en Iran. Certes, en raison de leur proximité au régime de Saddam Hussein, Washington les avait initialement rangés parmi les mouvements terroristes, mais changea d'avis lors de la guerre contre l'Irak. Les unités des Moudjahidin qui combattaient au côté de Hussein furent d'abord bombardées et enfermées derrière des barbelés, ensuite les Etats-Unis signèrent un armistice séparé avec elles. Au dire des porte-parole des Moudjahidin, cet accord a permis à l'organisation de contrôler ses propres armes et son propre camp. Il existe au Congrès américain un groupe de Républicains qui souhaiterait rayer les Moudjahidin du peuple de la liste des mouvements terroristes. Le 21 mai 2003, Daniel Pipes posait trois questions dans le New York Post sur les Moudjahidin ou Mujahedin-e Khalq (MEK) : Premièrement, sont-ils terroristes la réponse était négative. Deuxièmement, pourraient-il « libérer » l'Iran réponse également négative. Troisièmement, demandait Pipes : « Le MEK pourrait-il être utile ? » Là, la réponse fut oui : « Les organisations d'espionnage occidentaux manquent « d'un élément humain » - ce qui vient à dire : des espions en Iran même, au lieu d'yeux dans le ciel. » Les Moudjahidin pourraient aussi bien livrer des informations sur les activités subversives des Mullahs en Irak que sur les développements en Iran même, écrivait Pipes : « Par exemple, leur information en 2002 sur le programme nucléaire de l'Iran dépassait ce que l'Agence internationale de l'énergie atomique savait, ce qui incita un gouvernement américain choqué de déclencher une enquête, qui confirma le stade avancé de la construction d'une bombe atomique en Iran. » En effet, les Moudjahidin se trouvent à l'origine de bien des accusations américaines contre l'Iran affirmant que le pays s'adonne à un programme d'armement nucléaire. L'attaque française contre les Moudjahidin du peuple a anéanti de tels projets et il serait naïf de croire que ceci n'ait pas été intentionnel. Dans le but surtout de sauver la face, Washington a accueilli cette opération de façon aigre-douce. La France et l'Union européenne dans son ensemble ont fait un pas en direction des Etats-Unis en reprenant les menaces américaines contre le programme nucléaire de Téhéran. Le dernier sommet européen à Thessaloniki a sommé l'Iran de se plier à des contrôles nucléaires plus sévères et à signer un protocole additionnel de l'AIEA. Il refusa toutefois par les voix de la France et de l'Allemagne de fixer un ultimatum réclamé par la Grande-Bretagne à l'Iran. Les Etats-Unis par contre maintiennent que la république islamique devrait être empêchée, au besoin, par des moyens militaires de procéder à un armement nucléaire. La demande européenne en faveur de contrôles plus sévères devrait avant tout être d'ordre tactique. Après que la France et l'Allemagne se soient retrouvées dans la défensive en ce qui concerne l'Irak, elles comptent prendre l'initiative en Iran. Contrairement à Washington, qui n'entretient pas de relations diplomatiques avec Téhéran, elles entretiennent d'étroits liens avec l'Iran et les soi-disant « réformes » du président Khatami. Un coup militaire de la part des Etats-Unis contre l'Iran aurait des conséquences catastrophiques pour l'Europe. La France et l'Allemagne entretiennent des relations commerciales intenses avec le pays le plus peuplé de la région. Les accords commerciaux des pays de l'Union européenne avec l'Iran s'élèvent à plus de 13 milliards de dollars. L'Iran est pour l'Europe le premier fournisseur de pétrole. Après que les entreprises européennes aient en grande partie été écartées de l'industrie pétrolière en Irak par le gouvernement Bush, la menace des Etats-Unis d'étendre également leur domination sur l'Iran, est d'autant plus inquiétante. L'Iran étant en plus d'une importance stratégique énorme en tant que lien entre le Golfe persique et la Mer Caspienne. À ceci s'ajoute que la France au même titre que la Russie s'intéresse à l'extension des usines nucléaires iraniennes. La république islamique a annoncé vouloir faire construire par des partenaires étrangers six centrales nucléaires. La première centrale nucléaire de Busher, qui avait été projetée initialement par l'entreprise allemande Siemens, est actuellement construite sous la direction du ministère russe de l'énergie atomique et devrait être achevée sous peu. Par cette récente opération contre les Moudjahidin qui se livrent à une lutte exacerbée contre le régime iranien, la France a rempli une demande que Téhéran attendait de longue date. Parallèlement elle a lancé un signal en direction des Etats-Unis, comme quoi elle envisage de rester présente dans le Moyen-Orient et de faire valoir ses propres intérêts. Les méthodes brutales auxquelles Paris a eu recours, représentent une menace pour des opposants de tout bord. Le raid policier contre les Moudjahidin est le deuxième du genre depuis la rafle des Roms il y a six mois et est la première collaboration à grande échelle entre différents services policiers. La même chose pourrait bien arriver à des travailleurs qui entreraient en conflit avec l'Etat dans la défense de leurs droits à la retraite ou tout autre acquis social. Le quotidien bourgeois de droite, Le Figaro écrit : « C'est plutôt sur le plan intérieur que l'arrestation massive des Moudjahidin prend tout son sens ... L'opération ... marque la volonté du gouvernement d'en finir avec un certain nombre d'anachronismes : au nom d'une bien curieuse vision des droits de l'homme, les Moudjahidin iraniens, les brigadistes italiens, les «etarras» espagnols et bien d'autres ont fait de notre pays le sanctuaire de leurs élucubrations meurtrières. Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy ont décidé d'y mettre bon ordre. » Il ne faut pas souscrire aux objectifs des Moudjahidin pour
condamner le raid de l'Etat contre les membres de leur organisation
dont un certain nombre ont le statut de réfugiés
politique. Ils furent assaillis et emmenés dans une rafle
à la pointe du jour, leur biens confisqués et,
en cas de rapatriement en Iran, c'est la peine de mort assurée.
Et tout cela, en dépit du fait qu'une vague suspicion
de « terrorisme » fut avancée. Une telle intervention
de l'Etat est une méprise des droits démocratiques
les plus élémentaires et doit être catégoriquement
condamnée. Voir aussi :
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