wsws : Nouvelles et analyses : Europe
par Chris Marsden
6 juin 2003
Au sommet du G8 à Evian, où se sont réunis les dirigeants des sept plus importantes nations industrialisées et la Russie, la capitulation abjecte des puissances européennes devant Washington a dépassé tout ce que l'on avait connu jusqu'à maintenant.
On se rappellera cet événement comme celui où la France, l'Allemagne et la Russie sont allé beaucoup plus loin que simplement oublier leurs précédentes critiques de la guerre de l'administration Bush contre l'Irak. Ce dernier pas avait déjà été franchi le 22 mai dernier alors que ces pays avaient voté au Conseil de sécurité des Nations unies pour endosser la domination d'après-guerre des États-Unis sur l'Irak. Cette fois, malgré que ce soit officiellement nié, la déclaration conjointe du G8 du 3 juin a ouvert la porte à l'action militaire des États-Unis contre l'Iran et la Corée du Nord.
Le président George W. Bush ne pouvait espérer de plus grand succès de sa visite en France au meeting présidé par le président français Jacques Chirac, qui fut un temps la bête noire de l'administration des républicains américains à cause de son opposition à la déclaration unilatérale de guerre des États-Unis contre l'Irak.
Bush n'a montrer qu'un grain de mépris en consacrant moins d'une journée au sommet, quittant le centre de villégiature dans les Alpes pour une ronde de pourparlers sur sa proposition de «feuille de route» pour la paix au Moyen-Orient avec les dirigeants arabes, l'Israël et l'Autorité palestinienne. Mais avant qu'il quitte Evian, ceux qui lui avaient dernièrement causé tant de problèmes ont tenu à lui faire des mondanités, le flatter et lui offrir tout ce qu'il désirait.
Le premier jour du sommet s'est déroulé sur fond de manifestations massives par des organisations anti-mondialisation et anti-capitalistes qui furent vicieusement attaquées par la police anti-émeute.
À travers le monde, les actualités ont été dominées par des reportages sur le fait que l'administration américaine et le gouvernement travailliste britannique avaient falsifié ou exagéré les informations de leurs agences du renseignement dans le but de pouvoir déclarer que l'Irak avait des armes de destruction massive et de justifier ainsi leurs plans de guerre. Ces reportages venait après l'échec des inspecteurs des Nations unies à trouver la moindre preuve d'un programme de développement d'armes de destruction massive et après des déclarations embarrassantes du secrétaire d'État à la défense Donald Rumsfeld et de son adjoint Paul Wolfowitz. Rumsfeld a admis que l'Irak n'avait pas d'armes de destruction massive et Wolfowitz que cette question n'avait été qu'un prétexte bureaucratique pour la guerre. En conséquence de ces nouvelles révélations, les deux pays ont institué des enquêtes gouvernementales bien balisées qui ont pour but de limiter l'ampleur des dommages politiques potentiels. Dans l'atmosphère raréfiée d'Evian, toutefois, celui qui porte la plus grande responsabilité pour avoir lancé cette guerre d'agression illégale pouvait se détendre au milieu de ses amis ou de ses courtisans pour être plus précis.
Dans leur hôtel de luxe avec vue sur le lac Leman, le temps était surtout consacré à poser pour les photographes en serrant la main de Bush et en se donnant mutuellement de grandes tapes dans le dos. Dans une rencontre particulière de 25 minutes, Bush a louangé la connaissance du Moyen-Orient de Chirac, promettant de le consulter en rapport avec sa tentative de résoudre le conflit israélo-palestinien. Il a qualifié les relations entre les États-Unis et la France de bonnes, malgré le fait qu'elles venaient de passer par «une période difficile».
La main sur l'épaule de Chirac, Bush a remercié ce dernier pour avoir appuyé sa résolution de l'ONU qui donnait le champ libre aux États-Unis pour gouverner l'Irak. Il a ensuite donné trois livres dans un coffret en cuir traitant de la culture amérindienne au dirigeant français. En échange, il a reçu un cadeau de Chirac d'une valeur beaucoup plus grande: la promesse d'envoyer des troupes françaises en Afghanistan.
Bush a aussi fait une brève apparition sur la terrasse de l'hôtel avec le chancelier allemand Gerhard Schröder, à qui Bush n'avait pas adressé un mot depuis plusieurs mois en conséquence de la rhétorique anti-guerre de celui-ci. Après le sommet, Schröder a considéré qu'on l'avait sorti du congélateur. «Il était clair que le passé n'avait pas disparu, mais il était derrière nous», a-t-il dit.
Le président de Russie, Vladimir Poutine, à qui les États-Unis ont donné carte blanche pour sa propre guerre criminelle en Tchétchénie, a ajouté: «Après le sommet, j'avais la ferme conviction que la situation s'est améliorée et ceci en est le principal résultat.»
Bush s'est envolé pour le Moyen-Orient au milieu de l'après-midi, avec la bénédiction et les bons voeux du G8 pour son effort diplomatique. Le premier ministre du Canada Jean Chrétien a déclaré qu'«il a les bons souhaits de tous les autres pays dans les discussions».
Avant de quitter, il s'est d'abord assurer d'avoir l'ébauche d'une déclaration sur la nécessité de contrecarrer le terrorisme mondial qui promettait de ne pas permettre aux terroristes d'avoir «un abri sûr», obtenant ainsi un prétexte pour des interventions militaires sans interruption des États-Unis à travers le monde.
Plus important encore, il y a eu un accord unanime pour explicitement menacé la Corée du Nord et l'Iran. Une déclaration sur la nécessité de combattre contre la prolifération nucléaire émise le 2 juin et une déclaration finale émise le jour suivant pressait «fermement la Corée du Nord à démanteler de manière visible, vérifiable et irréversible ses programmes d'armes nucléaires». On pouvait aussi y lire un avertissement à l'Iran que ce pays serait ciblé si le développement de son programme nucléaire ne devait pas «respecter entièrement ses obligations en vertu du Traité de non prolifération».
Washington a immédiatement déclaré que cela était un feu vert pour une action militaire s'il le jugeait nécessaire. Un haut-fonctionnaire américain a expliqué qu'un paragraphe de la déclaration faisait référence à la «gamme des outils» disponibles pour empêcher le développement des armes de destruction massive tels les traités internationaux et les inspections. Il a ajouté que d'«autres mesures» pourraient être utilisées si nécessaire, «en accord avec la loi internationale». Il a aussi dit que les «autres mesures» étaient un code pour l'usage de la force.
Cette dernière déclaration a causé l'inquiétude des autres dirigeants du G8. «Cette interprétation me semble extraordinairement osée», a déclaré le président français Jacques Chirac. «Il n'a jamais été question d'utiliser la force à l'égard de qui que ce soit dans quelque domaine que ce soit.»
Le premier ministre japonais Junichiro Koizumi a dit que «Contrairement à l'Irak, nous avons accepté que la question de la Corée du Nord doit trouvé une solution pacifique et diplomatique.»
Le principal allié de Bush, le premier ministre Tony Blair a été forcé de rassurer les députés parlementaires que «personne ne menace de prendre des actions militaires contre l'Iran». Le premier ministre canadien Chrétien a dit que «la diplomatie, les Nations Unies et les organisations internationales offraient toujours la meilleure voie.»
Toutefois, la preuve que les partenaires du G8 sont toujours prêts à accéder aux demandes des États-Unis a été donné par une autre déclaration de Chrétien pour qui, même si la diplomatie serait mieux, dans le cas de la Corée du Nord, «vous avez ici un gouvernement qui n'est pas très connu et qui n'est pas tellement bien compris.»
En tous cas, les interprétations différentes de la signification des détails de déclarations de ce genre ne pèseront pas lourd devant la poussée incessante de Washington pour dominer le monde par la force des armes. En autant que la clique de Bush est concernée, elle a toutes les munitions diplomatiques dont elle a besoin. Et en autant que les autres principales puissances sont concernées, elles vont continuer à appuyer l'administration américaine si cette dernière continue à leur offrir quelque chose en échange.
Dans une conférence de presse organisée après la fin du G8, Chirac a déclaré avec un parfait cynisme qu'il n'avait pas changé d'avis sur l'invasion de l'Irak par les États-Unis, elle était «à la fois illégitime et illégale». Il a ajouté que «la situation étant ce qu'elle est, il faut travailler ensemble. On peut éventuellement faire une guerre seul mais on ne peut pas faire la paix seul.»
En résumé, tout ce que Paris avait besoin pour
appuyé la conquête américaine de l'Irak était
d'avoir sa part du butin. Et tout ce dont elle a eu besoin pour
appuyer une action militaire contre l'Iran et la Corée
du Nord fut un arrangement sujet à interprétation.