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wsws : Nouvelles et analyses : Europe
Par Antoine Lerougetel
11 janvier 2003
Le 6 novembre, le quotidien français Libération annonçait dans un court article que le contenu du petit appartement d'André Breton au 42 rue Fontaine, près de Pigalle à Paris, où il vécut de 1922 à sa mort, serait vendu aux enchères entre le 1 et 18 avril 2003.
Breton (1896-1966) est le chef de file historique du surréalisme, mouvement artistique révolutionnaire qui, lancé à Paris en 1924, a influencé de nombreuses sphères de créativité de par le monde. Poète, théoricien de la création artistique, critique d'art et socialiste, il prit part à la plupart des mouvements sociaux et artistiques d'avant-garde de son époque.
Et cependant comment se fait-il que ce témoignage inestimable de la culture du vingtième siècle court le risque d'être morcelé et dispersé sans levée de boucliers de la part du milieu intellectuel français?
Libération écrit: « Ses ayants droit, sa femme Elisa puis sa fille Aube, avaient gardé sur place , pendant trente-six ans et malgré des sollicitations qu'on imagine pressantes, l'ensemble des tableaux, livres, photographies, objets appartenant à Breton; tout le bordel philosophique d'un brocanteur de génie était resté là, dans son jus d'origine. »
Dans le catalogue de CamelsCohen, organisateurs de la vente aux enchères qui se tiendra à l'Hôtel Drouot-Richelieu, on trouve des oeuvres du Douanier Rousseau, Magritte, Picabia, Toyen, Miro, Arp, Tanguy, André Masson, Max Ernst plus de 400 tableaux. On trouve aussi quelques 1 500 photos, de nombreux tirages originaux de Man Ray, Nadar, Denise Ballon, Bellmer, Boiffard et Claude Cahun. Il y a des livres dédicacés à Breton par Léon Trotsky, Freud, Appolinaire et bien d'autres. Il y a des objets d'art de sociétés aborigènes des Amériques et d'Océanie ainsi que les manuscrits de nombreux écrits de Breton lui-même. La vente devrait rapporter entre 30 et 40 millions de dollars.
L'unique exposition publique majeure du chef de file du surréalisme
est le « Mur de Breton », mur qui se trouvait derrière
son bureau au 42 rue Fontaine, avec ses étagères
couvertes d'objets trouvés, de tableaux, de photographies,
dont son épouse Elisa Breton Elléouet fit don à
l'état pour s'acquitter des droits de succession, et qui
prendra place au Musée d'Art du Centre Pompidou à
Paris.
«Présenté au musée, cet ensemble est
en passe d'entrer dans les collections permanentes par voie de
datation, en paiement des droits de succession d'Elisa Breton
» (Le Monde, 21.12.02)
Le catalogue de la vente, que l'on trouve sur internet, fait ainsi état de l'effort entrepris sans succès pour trouver un lieu d'exposition adapté à la collection:
L'association ACTUAL, fondée par Jean Schuster en mai 1982, avait pour objectifs principaux de dresser l'inventaire des archives surréalistes réparties dans le monde et de créer à Paris un Centre de documentation sur le surréalisme ou, selon le souhait de José Pierre, Le Palais idéal du Surréalisme ouvert à tous le plus largement. Ambition jugée utopique par la plupart des observateurs. Négligée par les principales institutions culturelles, privée de subventions, ACTUAL a dû renoncer, en décembre 1993, ne récoltant pour finir que les sarcasmes de ses détracteurs. Cette association a malgré tout permis de mettre définitivement en lumière, dans la collection Archives du surréalisme chez Gallimard, avec le concours de Marguerite Bonnet et de Paule Thévenin, des ensembles de documents essentiels à l'histoire interne du « mouvement »
Dans l'impossibilité de conserver intacte l'intégralité
de ce patrimoine, avec les lourdes charges et les responsabilités
morales que cela implique; compte tenu également des diverses
démarches entreprises sans succès, au cours des
années écoulées depuis la disparition de
Breton le 28 septembre 1966, pour tenter de créer une fondation
du surréalisme à Paris et devant le peu d'empressement
des pouvoirs publics à soutenir cette initiative, Aube
et sa fille Oona, seules détentrices aujourd'hui du pouvoir
légal de décider du sort définitif de cette
succession, ont pris la décision d'organiser une vente
publique. »
Le silence quasi général des médias français sur cet événement et le désintérêt total parmi les cercles d'intellectuels français témoignent de l'état de sclérose et de suffisance qui règne dans ce milieu et de leur hostilité fondamentale à la remise en question permanente et sans répit du conformisme et de l'autorité dans les domaines artistique, social et politique, qui était la marque de Breton, et à son refus d'accepter l'état des choses. Le site internet du Monde ne comportait aucune mention de cette vente jusqu'à la date du 21 décembre. En page 20, un article de Michèle Champenois s'étonne que « L'annonce de la dispersion aux enchères du trésor de la rue Fontaine n'a pour l'instant soulevé aucune polémique. » Remarque quelque peu insincère étant donné que le rédacteur en chef du Monde, Edwy Plenel, revendique une certaine « culture trotskiste » résiduelle datant de son passage à la Ligue communiste révolutionnaire, pabliste, dans les années 70.
C'est cette même couche sociale qui, de façon quasi unanime, s'est rangée derrière la campagne pour Chirac entre le premier et second tour des élections présidentielles d'Avril 2002.
Maurice Nadeau, membre actif du mouvement surréaliste auprès de Breton pendant un temps après la seconde guerre mondiale, et à présent directeur du magazine littéraire, La Quinzaine littéraire, a attendu le numéro du 16 décembre pour réagir. Sa déclaration est enfouie dans moins d'une colonne de son « journal en public » en page 27, et n'est annoncée par aucun gros titre ou même sous-titre. Nadeau a des contacts avec le Parti des travailleurs de Pierre Lambert; Breton intervenait, jusque dans les années 60, dans les réunions et les publications de l'Organisation communiste internationaliste (OCI), prédecesseur du PT, quand celle-ci était encore membre du Comité international de la quatrième internationale (CIQI). Jusqu'à sa mort, Breton défendit Trotsky contre ses détracteurs staliniens, réformistes et bourgeois.
Lorsque le WSWS prit contact avec Nadeau, ce dernier dit qu'il n'avait rien à ajouter à ce qu'il avait écrit dans son article. Son article est plein de résignation, n'a rien de la combativité de son ancien collaborateur et donne une idée de l'atmosphère qui règne dans ce milieu aujourd'hui: « Une 'vente publique', c'est-à-dire aux enchères, c'est-à-dire à l'encan, de tout ce qu'André Breton avait réuni, sa vie durant, chez lui, 42 rue Fontaine.
L'information m'est parvenue comme à tous mes confrères. Aucun, à ma connaissance, n'en a fait état. André Breton? Vous connaissez? Le Surréalisme? Ah, oui, ce truc ringard.... Mais penser que tout ce qu'avait choisi André Breton pour enchanter son existence 42 rue Fontaine, penser que tout cela, qui nous aussi nous faisait rêver, va finir à la criée, est-ce que, vraiment, cela ne vous fait rien? »
Nadeau ne suggère aucune campagne, aucun mouvement de protestation. Jean-Jacques Marie, principal historien du Parti des travailleurs, qui vient de publier Le trotskysme et les trotskystes, qui écrit aussi dans la Quinzaine littéraire, ne s'est pas encore manifesté sur le sujet.
Il nous reste encore à découvrir les raisons de l'échec des efforts pour créer un lieu approprié permettant de conserver cet héritage historique qui devrait être mis à la disposition des chercheurs et du grand public. Nous nous engageons à enquêter davantage sur le sujet.
A une époque où, dans chaque pays développé, au nom de la « guerre contre le terrorisme » et des contraintes économiques, les droits civiques et démocratiques subissent des attaques incessantes, nous avons autant besoin aujourd'hui de la déclaration de Trotsky et Breton affirmant le lien organique entre la création artistique et l'émancipation humaine que lorsque le manifeste « Pour un art révolutionnaire indépendant » fut rédigé par eux à Mexico en 1938:
« Le besoin d'émancipation de l'esprit n'a qu'à
suivre son cours naturel pour être amené à
se fondre et à se retremper dans cette nécessité
primordiale: le besoin de l'émancipation de l'homme. »
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