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Une entrevue avec Karim Pakzad, porte-parole du parti socialiste françaisPar David Walsh Utilisez cette version pour imprimer Le 14 février, un jour avant que des millions de gens ne défilent en Europe en opposition à la guerre américaine imminente contre l'Iraq, des reporters du World Socialist Web Site se sont rendus au quartier général du parti socialiste français rue de Solférino, pas loin de l'Assemblée nationale. Ce même après-midi, le ministre français des Affaires étrangères Dominique de Villepin prenait position contre les États-Unis au conseil de sécurité des Nations Unies, à la fin d'une semaine remarquable qui a vu la question irakienne provoquer la crise la plus aiguë dans les relations américano-européennes dans l'après-guerre. Nous avons parlé à Karim Pakzad, le porte-parole du parti socialiste sur l'Irak. Ses commentaires étaient révélateurs à plus d'un égard. Nous en ferons une analyse après le texte de l'entrevue. Karim Pakzad: Le PS français est opposé à cette guerre pour diverses raisons. D'abord nous pensons que la conception de l'administration Bush sur cette guerre, à savoir: une guerre unilatérale, une guerre préventive ne correspond pas au droit international. Nous sommes pour le renforcement du rôle des Nations Unies dans toutes les crises à travers le monde. C'est le seul endroit où on peut discuter et prendre des mesures pour la solution de questions internationales. Le fait que le président Bush a annoncé que les EU ont décidé d'intervenir en Irak que ça soit avec ou sans l'aval des Nations Unies ne correspond pas vraiment à la conception que nous nous avons des règles qui régissent les relations internationales. Ça c'est pour les raisons de principe. Une guerre contre l'Irak dans la situation actuelle mettrait gravement en danger la stabilité régionale, une région qui connaît déjà beaucoup d'instabilité notamment à cause du conflit entre Palestiniens et Israéliens, un conflit qui est extrêmement important dans cette région où nous pensons qu'il faudrait beaucoup plus de temps et d'énergie pour résoudre ce conflit que de créer un deuxième conflit. Donc dans cette situation nous croyons que cette guerre va déstabiliser l'ensemble de la région. Nous ne croyons pas non plus à ce que cette intervention soit destinée pour la démocratisation de l'Irak Notre conception à nous c'est qu'on ne peut pas exporter la démocratie ou un système politique quelconque par les moyens de guerre, par les moyens militaires. Nous, les socialistes français nous soutenons l'opposition irakienne, nous souhaitons un changement démocratique en Irak, nous voulons un désarmement de l'Irak, mais nous ne pensons pas que tout cela sera fait par la guerre. C'est pour cette raison-là que nous sommes favorables pour l'instant à la position du gouvernement français et de certains autres gouvernements européens: à savoir le renforcement des moyens des inspecteurs pour qu'ils mènent jusqu'au bout leur mission. Il faut désarmer l'Irak par les moyens pacifiques. Nous croyons qu'un désarmement pacifique en Irak permettra aussi à l'opposition démocratique, aux propres Irakiens d'avoir suffisamment de moyens pour renverser eux-mêmes le régime sans attendre l'intervention d'un pays étranger. Voilà, et dernière raison: nous pensons que la tâche la plus importante de la commuté internationale aujourd'hui c'est de mener à bien la lutte contre le terrorisme. Nous pensons que cette guerre va contribuer à nourrir, à renforcer le terrorisme. Cela serait une guerre destructrice ... il y aura des dizaines de milliers de morts. Le fossé entre le monde musulman et le monde occidental sera encore plus grand après cette guerre. Donc nous pensons que cette guerre au lieu de lutter contre le terrorisme elle va renforcer le terrorisme. Pour toutes ces raisons-là nous sommes contre cette guerre. Le PS n'est pas un parti pacifiste: on n'est pas contre toutes les guerres mais on est contre cette guerre pour toutes les raisons que je viens de donner. WSWS: Si l'ONU était pour la guerre est-ce vous serez pour une intervention armée? KP: Nous demandons au gouvernement français de tout faire, y compris d'utiliser son droit de veto, pour que cette guerre n'ait pas lieu. Pour une simple raison que nous pensons qu'il ne faut pas que les Nations Unies, il ne faut pas que le Conseil de sécurité se transforme uniquement en un appareil pour légitimer une guerre qui est déjà décidée. Maintenant les dirigeants américains ne cachent pas leur volonté de dire que de toutes façons nous interviendrons. Alors, dans cette situation où la décision est déjà prise d'intervenir en Irak mais c'est vrai que les dirigeants américains aimeraient avoir l'aval des Nations Unies. C'est le devoir des Nations Unies, au lieu de donner légitimité à une guerre, il faudrait que Nations Unies prennent encore si c'est possible des mesures encore plus efficaces pour désarmer pacifiquement l'Irak. WSWS: Pensez-vous que le désarmement est la vraie motivation de l'administration de Bush? KP: Nous croyons que ce n'est pas la seule. Plusieurs dirigeants importants de l'administration américaine disent clairement qu'ils veulent changer le visage politique de l'ensemble de la région, certains disent même que les États-Unis ont une mission de changer la donne dans la région et donc c'est pour cette raison-là que nous pensons que les Américains ont décidé d'intervenir que ce soit avec ou sans l'accord des Nations Unies. Donc c'est pour cette raison qu'on ne peut pas accepter cette logique basée seulement sur la guerre que ce soit avec ou sans les Nations Unies. WSWS: Êtes-vous d'accord avec Chirac sur cette question? KP: Nous pensons que Jacques Chirac doit faire encore la pression avec d'autres pays et surtout avec l'opinion publique mondiale. Demain il y aura plusieurs millions de gens dans plus de soixante pays qui manifesteront contre la guerre. Ces gens-là ne sont pas pour le régime de Saddam Hussein. La façon dont les Américains veulent mener cette guerre n'est pas juste. Donc il faut que notre gouvernement et d'autres gouvernements européens fassent pression sur les États-Unis pour que l'Irak soit désarmé d'une façon pacifique. WSWS: Comment voyez-vous le conflit entre la France et les États-Unis? KP: Il n'y a pas de conflit il y a des divergences de vue. Il y a deux appréciations différentes. Nous sommes comme vous le savez, nous les Français les amis des États-Unis mais en même temps nous ne sommes pas à la solde, nous ne sommes pas à l'ordre des États-Unis. Nos relations sont basées sur l'amitié et donc nous gardons notre propre jugement sur toutes les affaires du monde. WSWS: Qu'est-ce qui pousse les États-Unis à faire cette guerre? Quelles sont les raisons derrière cela? KP: Écoutez, il y a de différentes analyses. Ils pensent qu'ils ont les moyens de changer non seulement le régime irakien mais l'ensemble du Moyen-Orient. C'est une volonté de puissance je crois que des raisons économiques, des raisons géostratégiques et énergétiques sont présentes mais la principale raison c'est qu'aux États-Unis il y une équipe en place animée par les ultra-conservateurs du parti conservateur qui pensent que les États-Unis ont une mission de reformuler, de remodeler le visage de la région et de l'ensemble du monde. Cette façon de voir le monde est très dangereuse. L'opposition à la politique de l'administration Bush mise de l'avant par Karim Pakzad et le parti socialiste est malhonnête, sans principe, et intenable. Dans leur contenu général, ses commentaires reflètent non seulement la position du parti socialiste, mais essentiellement le consensus de l'élite dirigeante française par rapport à l'assaut militaire imminent des États-Unis contre l'Irak. Cette élite s'oppose à la politique guerrière américano-britannique entièrement du point de vue des intérêts de l'impérialisme français dans le Golfe persique et plus généralement à travers le monde. Dans son attitude d'ensemble sur l'Irak, le PS n'a aucun désaccord significatif avec le régime du président Jacques Chirac et son parti de droite, l'Union pour un mouvement populaire (UMP). Le porte-parole du PS accepte sans esprit critique et renforce tout le cadre de l'assaut américain contre l'Irak, la prétendue «guerre au terrorisme». Sur la base de cette prétendue croisade contre le mal international, l'administration Bush justifie une énorme escalade du militarisme américain. Au même moment, le gouvernement américain, et quasiment tous les autres régimes bourgeois, utilisent la menace d'une attaque terroriste en tant que prétexte pour miner sérieusement les droits démocratiques. Pakzad, cependant, ne fait que critiquer la manière dont cette «guerre» globale «contre le terrorisme» est menée. Pakzad donne du crédit au principal mensonge de Washington voulant que la crise actuelle ait été causée par la conduite de l'Irak, et alléguant que l'Irak doit être «désarmé», les inspecteurs en désarmement autorisés à faire leur travail, et l' «opposition» irakienne soutenue, le tout parce que Saddam Hussein serait une menace, etc. Il accepte implicitement la destruction de la souveraineté irakienne et, par déduction logique, l'établissement de facto d'une forme de protectorat impérialiste, à condition que cela soit fait sous l'égide des Nations Unies. Pakzad maintient la fiction que l'ONU, dont le rôle en tant qu'instrument des machinations impérialistes a été franchement révélé dans la crise irakienne, est le seul endroit «où on peut discuter et prendre des mesures pour la solution de questions internationales». L'élite dirigeante française s'accroche à l'ONU parce que cette institution fait partie du cadre des relations internationales ayant fourni une certaine stabilité à la bourgeoisie française dans la période de l'après-guerre, et plus spécialement, parce qu'elle espère que l'ONU peut s'avérer une sorte de contre-poids à la puissance américaine dans la période nouvelle et incertaine qui s'ouvre. Les différends entre les États-Unis et la France à propos de l'Irak reflètent les intérêts divergents des deux puissances. L'élite dirigeante en France a conclu qu'elle doit s'opposer à une intervention américaine en Irak, par crainte de voir l'hégémonie américaine s'établir sur une région stratégique critique ainsi qu'un monopole sur les réserves mondiales de pétrole. Pakzad révèle en outre les inquiétudes de certaines sections de la bourgeoisie européenne quant à l'impact déstabilisateur de la politique implacable et belliqueuse de l'administration Bush, lorsqu'il affirme: «Une guerre contre l'Irak dans la situation actuelle mettrait gravement en danger la stabilité régionale». La France est une grande puissance impérialiste, avec une histoire de féroce régime colonial en Afrique équatoriale, en Afrique de l'ouest et du nord, au Moyen-Orient et en Asie du sud-est, en particulier. Si le régime Chirac choisit de prendre une pose «pacifiste», c'est avant tout parce que les «gros bataillons» permettant de faire face aux États-Unis lui font présentement défaut. Il est tout à fait capable de lancer ses propres guerres de pillage dans d'autres circonstances. En fait, des troupes françaises sont actuellement engagées dans la défense d'intérêts néo-coloniaux en Côte d'Ivoire. Paris a clairement fait savoir que son différend avec Washington n'a pas un caractère de principe. Le député UMP Pierre Lellouche, par exemple, a déclaré au Monde le mois dernier que «la position de la France n'a jamais été éloignée sur le fond de la position américaine. C'est sur la méthode - passer par le Conseil de sécurité - que l'on diffère. Pakzad est incapable de démasquer les buts de guerre impérialistes des États-Unis en Irak parce que le PS est lui-même un parti de l'impérialisme français. Alors que Pakzad et le parti socialiste s'opposent à une intervention américaine dans ce cas précis, ils sont aussi déterminés que la clique de Bush à dissimuler les véritables buts qui sous-tendent celle-ci. Dans la mesure où Pakzad est pressurée sur les vrais motifs de Washington, sa position prend un caractère contradictoire et intellectuellement indéfendable. D'une part, il est prêt à reconnaître que les États-Unis ont des visées sur les réserves d'énergie irakiennes et qu'une clique d' «ultra-conservateurs» au sein du parti républicain désire ardemment une guerre dans le but de changer la configuration de la région et de «l'ensemble du monde». D'autre part, il accepte pour de l'argent comptant la ligne défendue par l'administration Bush voulant que ses inquiétudes portent sur le «désarmement» de l'Irak, et il approuve cet objectif. Pakzad n'est même pas prêt à admettre un conflit entre la France et les États-Unis autour de la politique irakienne, il s'agit d'une simple «divergence de vue» entre «amis». Il est utile d'avoir sur papier l'admission de la direction du parti socialiste français qu'il se considère l'ami de l'administration va-t-en guerre de Bush. Cette attitude envers les États-Unis comporte un élément de mystification et de refus de la réalité. La tentative du porte-parole du PS de concilier des positions mutuellement exclusives reflète le dilemme plus profond de la bourgeoisie française et européenne. Les élites européennes sont obligées, pour leur propre préservation, de s'opposer à l'établissement illimité de l'hégémonie américaine. Au même moment, elles craignent une rupture décisive avec Washington, avec toutes les conséquences incalculables et dangereuses d'un tel développement. Le soutien politique actuel du parti socialiste pour Chirac et le gouvernement UMP est la deuxième fois en moins de 12 mois que les partis traditionnels de «la gauche» en France - le PS et le parti communiste français (PCF) - et leurs satellites de «l'extrême-gauche» se sont rangés derrière la droite française. Le printemps dernier, Chirac affrontait le néo-fasciste Jean-Marie Le Pen au deuxième tour de l'élection présidentielle, après la débâcle au premier tour du candidat du PS, le premier ministre Lionel Jospin. Les partis et les syndicats de la gauche se sont ralliés à Chirac, le président sortant, qualifiant celui-ci de «défenseur des valeurs républicaines». Cette politique a ouvert la voie à la domination actuelle par la droite de tous les leviers du pouvoir politique français. Le PS et le PCF - et quasiment toute la gauche française - avancent maintenant l'argument qu'il faut soutenir le régime Chirac dans son opposition à Washington aux Nations Unies, et que la tâche de la «gauche» est de maintenir la pression sur le gouvernement pour qu'il maintienne sa position. «Mettons notre veto», peut-on voir sur l'une des affiches anti-guerre du PS posée partout dans Paris. Le PCF dit la même chose. «Tous ensemble, nous pouvons empêcher la guerre! Veto français à l'ONU!», peut-on lire sur l'une de ses pancartes. Cette campagne en faveur de Chirac et du gouvernement UMP prend place dans un contexte où ce même gouvernement tire à boulets rouges sur les emplois, les pensions et les anciens acquis sociaux de la classe ouvrière française, et mène un assaut sans précédent sur les droits démocratiques. Le parti socialiste, dont les ancêtres politiques tels que Guy Mollet et François Mitterand ont pleinement défendu les intérêts impérialistes français en Algérie dans les années 1950, n'est pas un «parti ouvrier» ni même un outil de réforme sociale. Il est devenu au cours des dernières décennies l'un des instruments de choix de l'ordre capitaliste français. Les commentaires de Pakzad et la conduite du parti socialiste français dans la crise irakienne démontrent que ce parti, et la gauche française dans son ensemble, n'est pas un instrument viable pour s'opposer à la guerre impérialiste et exprimer les intérêts et les inquiétudes de larges couches de la population ouvrière de France. C'est un milieu entièrement compromis et corrompu. Les travailleurs et les jeunes français ne peuvent
s'opposer au militarisme et à la guerre que s'ils rompent
avec le parti socialiste et son satellite stalinien, le parti
communiste, et entreprennent la construction d'un nouveau parti
qui soit basé sur le programme du socialisme international. Voir aussi :
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