wsws : Nouvelles et analyses : États-Unis
Déclaration du comité de rédaction du World Socialist Web Site
On a rarement vu un crime de guerre aussi ouvertement
exposé au monde entier que la guerre imminente contre l'Irak.
Depuis plusieurs mois le gouvernement américain fait preuve
de sa détermination à envahir cette nation appauvrie,
à la placer sous autorité militaire américaine
et à saisir ses champs pétrolifères. Les
préparatif militaires suivent leur cours selon les prévisions
établies. Tout le reste - les supposées armes de
destruction massive de Saddam Hussein, pour lesquelles il n'y
a aucune preuve crédible, les résolutions et débats
au Conseil de sécurité de l'ONU, les inspections
de l'ONU - n'est que propagande ayant pour but de manipuler et
de tromper l'opinion publique.
La guerre contre l'Irak fait planer sur l'humanité toute entière la menace d'une catastrophe. Avec son projet impitoyable, l'impérialisme américain aggrave les tensions entre les différentes nationalités et religions. La conquête de l'Irak ne satisfera pas l'appétit de Washington. Elle ne fera que l'aiguiser.
La guerre contre l'Irak représente le coup d'envoi d'une
flambée de militarisme qui menace de se terminer par une
conflagration mondiale.
Des millions de gens vont exprimer leur inquiétude et leur
opposition à cette guerre le 15 février; L'Europe
est en passe de voir les manifestations contre la guerre les plus
grandes de son histoire. Nous nous réjouissons de ces protestations.
Elles montrent que la majorité écrasante de la population
mondiale s'oppose à la guerre.
Cependant, ces protestations ne changeront pas la décision de guerre prise de longue date par Washington. Tandis que les gens de plus en plus nombreux descendent dans la rue en signe de protestation, le compte à rebours pour la guerre continue inexorablement. Bush, Cheney, Rumsfeld et compagnie ne se laisseront pas impressionner par l'opinion publique qui s'exprime en Amérique ou dans le monde entier.
Cette indifférence n'est nullement signe d'une force inhérente à l'administration Bush. Le président américain doit son poste non pas à une majorité issue des urnes mais à des élections truquées et à une décision de tribunal politiquement motivée. Malgré le battage médiatique, le peuple américain ne manifeste aucun enthousiasme pour la guerre.
Dans un article publié la semaine dernière dans le New York Times, Thomas Friedman, lui-même partisan véhément de la guerre, a reconnu qu'il existe une «base incroyablement étroite de soutien en Amérique à présent pour ce projet audacieux». Il écrivit: «J'ai l'occasion de traverser le pays de long en large depuis le mois de septembre et je peux dire sans hésiter que je n'ai pas rencontré un seul auditoire où j'ai senti une majorité en faveur de la guerre en Irak».
Cette vaste opposition à la guerre n'a cependant pas trouvé d'expression politique organisée. L'administration Bush peut se permettre d'ignorer l'opinion de la majorité parce que la paralysie du mouvement des travailleurs lui garantit qu'elle ne rencontrera aucune résistance politique sérieuse.
Aux Etats-Unis, non seulement les Républicains mais aussi les dirigeants Démocrates soutiennent comme un seul homme la guerre. En Europe, même les gouvernements et partis qui, à ce stade, rejettent une attaque militaire, admettent que les plans de guerre de l'Amérique puissent être plausibles et légitimes. Il n'y en a pas un pour déclarer les enjeux réels de cette guerre. Même le gouvernement allemand, le plus clairement engagé jusque là contre une attaque militaire, donne son soutien à cette fiction des armes irakiennes de destruction massive, légitimant ainsi les plans de guerre de Washington.
Plus la guerre approche et plus directement les gouvernements d'Europe, du Moyen-Orient et d'Asie convergent vers la voie de la guerre. L'Allemagne, bien qu'elle refuse toujours de voter en faveur d'une résolution de guerre au Conseil de sécurité de l'ONU, a néanmoins garanti aux Etats-Unis le droit de survoler l'espace aérien allemand et d'utiliser les bases militaires américaines situées sur son territoire. La France n'écarte plus la guerre «en dernier recours» et a déployé son unique porte-avions au Moyen-Orient. La Turquie, après une longue période d'indécision, a ouvert ses bases militaires aux Etats-Unis.
Dans ce contexte, des manifestations contre la guerre ne suffiront pas. La lutte contre la guerre exige une stratégie politique consciemment élaborée et cohérente.
Le mouvement contre la guerre doit se transformer en un mouvement politique puissant de la classe ouvrière. Cela exige un programme basé sur la compréhension des causes et des forces motrices de cette guerre. Il ne s'agit pas de créer l'unité à tout prix; c'est la clarté qui est l'exigence du jour.
La plupart des opposants savent que l'enjeu de cette guerre
est le pétrole. L'importance des réserves de pétrole
de l'Irak, à la seconde place mondiale, a été
largement informée. Le contrôle de ces réserves
satisferait les besoins d'énergie des Etats-Unis pour une
longue période et réduirait sa dépendance
de l'Arabie Saoudite, pays de plus en plus instable. Le fait que
le président Bush et une grande partie de son administration
sont issus de l'industrie pétrolière met en évidence
le rôle crucial que joue le pétrole dans cette course
américaine à la guerre.
Cependant, le pétrole n'est qu'un aspect de cette guerre.
Les Etats-Unis poursuivent un objectif bien plus ambitieux et
d'une bien plus grande portée. Les Etats-Unis font tout
pour obtenir l'hégémonie mondiale, c'est-à-dire
la réorganisation politique et économique du monde
au service des intérêts du capital américain.
Ceci exige que non seulement les pays faibles et sous-développés comme l'Irak, mais aussi les rivaux impérialistes de l'Amérique en Europe de l'ouest et au Japon soient forcés de se soumettre à sa volonté. La conquête de l'Irak permettrait aux Etats-Unis de dominer tout le Moyen-Orient, avec l'aide d'Israël. Le contrôle des principales ressources énergétiques du globe fournirait aux Etats-Unis un puissant levier face à ses concurrents d' Europe, du Japon et de Chine.
Comme le démontrèrent les grands marxistes du début du vingtième siècle, l'impérialisme ne vient pas seulement de l'avidité de quelque gouvernement ou clique capitaliste, mais il vient des contradictions fondamentales inhérentes à la société capitaliste. La forme de production moderne, qui lie des milliards de gens autour du globe en une interdépendance mutuelle, ne peut s'accorder avec le système d'états-nations et de relations économiques attachées à la propriété privée et sur lesquelles se base le capitalisme. L'incompatibilité entre l'économie mondiale et l'état-nation force les puissances impérialistes à diviser et rediviser le monde par la force.
C'était là la cause fondamentale des deux guerres mondiales qui dévastèrent d'importantes parties du globe au siècle dernier. L'Allemagne dont les forces productives dynamiques étaient étouffées par le système européen d'état-nation, déclencha deux tentatives pour réorganiser l'Europe. Aujourd'hui, les Etats-Unis s'essayent à un défi encore plus important: l'Amérique cherche à réorganiser le monde.
L'Europe est divisée sur la question de la guerre. La « politique étrangère commune » dont on nous a rebattu les oreilles est en miettes. Les gouvernements britannique, espagnol et italien ainsi que plusieurs autres états européens se sont ralliés à Bush. Le désir de consolider leur position par rapport à l'Allemagne est un facteur déterminant dans cette décision. La France et l'Allemagne, de l'autre côté, essaient de restreindre les Etats-Unis au moyen de la diplomatie.
Cette position n'a rien à voir avec une opposition à la guerre basée sur des principes. Les gouvernements allemand et français ne remettent pas en question le droit des grandes puissances à intervenir en Irak. Ils ont tous deux accepté la résolution 1441 des Nations Unies qui adresse un ultimatum à l'Irak avec la menace de « conséquences graves ».
Les gouvernements allemands et français craignent tout simplement qu'une prédominance américaine trop forte n'entrave leurs propres intérêts dans la région. Pour défendre ces intérêts, ils jouent cyniquement avec la vie de dizaines de milliers d'irakiens. S'il n'y a pas moyen d'arrêter les Etats-Unis, ils accepteront une seconde résolution des Nations Unies approuvant la guerre afin de ne pas laisser passer leur part du butin. Le président français Chirac et le ministre des affaires étrangères allemand Fischer ont tous deux fait des remarques dans ce sens.
L'Allemagne et la France sont de vieilles puissances impérialistes qui poursuivent leurs propres objectifs internationaux, comme le démontre la récente intervention militaire française en Côte d'Ivoire. L'agressivité des Etats-Unis les a mis face à un dilemme. Si elles s'inclinent devant les ordres des Etats-Unis, elles renoncent à tout rôle indépendant en politique internationale pendant une longue période à venir. Si, néanmoins elles opposent une certaine résistance, elles courent le risque de conflits sérieux aux conséquences économiques et militaires imprévisibles.
Un autre aspect de la critique que l'Allemagne et la France formulent au sujet des plans de guerre des Etats-Unis est l'intensification de leur propre réarmement. Pour pouvoir résister à Washington, l'Europe doit être capable d'engager une action militaire de son propre chef. Les désaccords concernant le destin de l'Irak ne sont que les signes avant-coureurs d'un conflit direct et déclaré entre puissances impérialistes elles-même.
Voilà pourquoi ce serait une erreur de mettre ses espoirs dans les gouvernements allemand ou français comme le font certaines sections du mouvement pour la paix. Leur appel à « apporter un soutien moral » à Schröder, Fischer ou Chirac contre les Etats-Unis est futile. On ne peut pas combattre l'impérialisme en soutenant une puissance impérialiste contre une autre.
Il est également erroné de confier aux Nations Unies la décision de guerre ou de paix. Que les Etats-Unis aient ou non l'aval officiel des Nations Unies quand ils attaqueront l'Irak ne changera en rien la nature impérialiste de cette guerre. Loin de représenter la « communauté internationale », les Nations Unies constituent, tout comme la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et autres institutions internationales, un outil des puissances impérialistes. Ces dernières utilisent cet outil pour imposer leur volonté sur les peuples du monde entier.
Quand l'Allemagne entra en guerre en 1914 et en 1939, elle le fit non seulement pour conquérir de nouvelles sources de matières premières, de nouveaux marchés et davantage d' « espace vital ». La guerre fut aussi un moyen d'échapper à sa crise interne. En 1939 Hitler n'avait d'autre choix que la guerre. La monnaie et l'économie allemandes étaient sur le point de s 'effondrer, ce qui aurait produit un choc auquel son régime n'aurait guère pu survivre.
Les Etats-Unis sont dans une situation similaire aujourd'hui. L'unanimité dont l'élite dominante fait preuve, y compris les dirigeants Démocrates, en s'unissant derrière Bush est une expression de leur désarroi politique. Ils ont besoin d'une guerre car ils n'ont pas de solution à apporter aux problèmes sociaux et économiques qui déchirent la société américaine.
L'effondrement de la bulle spéculative de Wall Street révéla les fondements pourris sur lesquels la croissance économique des années 1990 était basée. D 'énormes actifs financiers furent gaspillés. Des milliards de dollars furent versés dans des transactions spéculatives improductives et peu rentables. Le faux semblant selon lequel la valeur pouvait être créée indépendamment et en dehors du processus productif eut un effet profond sur la structure de la société et la nature de l'élite dominante.
La conduite des grandes sociétés prit un caractère de plus en plus criminel. Leurs transactions, dont la motivation était presque exclusivement l' enrichissement des grands dirigeants et des initiés, représentaient une spoliation de plus en plus éhontée de la société. Pendant qu'une petite élite accumulait des richesses faramineuses, la grande masse de la population laborieuse voyait sa situation stagner voire même se détériorer.
L'inégalité sociale aux Etats-Unis est plus accentuée que dans n'importe quel autre pays développé. L'ensemble des revenus annuels des 13 000 familles les plus riches dépasse celui des 20 millions de familles les plus pauvres.
Sous la surface, la société américaine est ravagée par une lutte de classes acharnée qui ne trouve aucune expression politique déclarée car les deux partis traditionnels - les Démocrates tout comme les Républicains - défendent sans réserve les intérêts de l'oligarchie dominante.
De grandes sections du mouvement contre la guerre ignorent ce lien entre la psychose de guerre de Washington et la crise de la société américaine. Mais c'est cela justement qui constitue la force motrice derrière le danger de guerre, et c'est aussi la clé pour le surmonter. L'unique moyen d'arrêter les fauteurs de guerre c'est de mobiliser la classe ouvrière.
Cette analyse historique de classe des causes et des forces motrices de la guerre conduisent à un certain nombre de conclusions fondamentales, sans lesquelles le mouvement contre la guerre est voué à l'échec.
* Ceux qui s'opposent à la guerre doivent se tourner vers les travailleurs, placés en opposition fondamentale à tout le système d'exploitation capitaliste et de spoliation impérialiste. Ils vivent quotidiennement le déclin du système, sous forme de chômage, de diminution des acquis sociaux et d'atteintes aux droits démocratiques. L'opposition à la guerre doit être étroitement liée à un programme qui aborde les questions sociales brûlantes des emplois, des salaires, de l'éducation, de la santé, du logement et de la défense des droits démocratiques.
* Les alliés des opposants à la guerre européens ne sont pas les gouvernements européens qui marchandent avec l'administration de Bush, mais plutôt les travailleurs d'Amérique. Toute alliance avec les gouvernements d'Europe divise le mouvement contre la guerre de la classe ouvrière américaine et européenne. Ce serait une alliance avec des gouvernements - la France et l'Allemagne, par exemple - qui eux-mêmes sont en train de mener des attaques brutales contre les droits démocratiques et les conditions sociales.
* Le mouvement contre la guerre doit être international. Il doit unifier les travailleurs de tous pays, de toutes origines ethniques et de toutes religions contre l'ennemi commun et rejeter toute tentative de diviser la classe ouvrière.
* Le mouvement contre la guerre doit être indépendant politiquement. Il ne doit pas se subordonner à des partis ayant un pied, voire les deux, dans le camp de l'ordre bourgeois, c'est-à-dire non seulement les Démocrates aux USA, mais aussi les Sociaux Démocrates, les Verts, le Parti communiste en France, la Gauche Démocratique en Italie ou le PDS en Allemagne. Un nouveau parti de la classe ouvrière doit se construire sur la base d'un programme international socialiste.
Le Comité International de la Quatrième Internationale (le CIQI) a créé le World Socialist Web Site comme instrument pour développer un tel parti. Tous les jours, le WSWS analyse les événements politiques majeurs et fournit à ses lecteurs une orientation politique. Avec ses bureaux de rédaction sur quatre continents et des lecteurs dans quasiment tous les pays du monde, le WSWS fournit la structure initiale pour un nouveau parti international des travailleurs.
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Le 12 février 2003
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