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Le budget et la loi pénale en France: la dérive réactionnaire accélèrePar Alex Lefebvre Utilisez cette version pour imprimer La population française attend la publication du budget du gouvernement Raffarin pour 2003 depuis la date traditionnelle au début du mois d'août, quand le gouvernement a jugé que sa publication risquait d'affaiblir sa position déjà chancelante dans les sondages. Entretemps, il a gardé un silence hermétique sur le sujet, se fixant d'abord la date limite du 18 puis du 25 septembre pour la présentation du budget. Malgré les tentatives du gouvernement de présenter le budget sous le meilleur aspect, celui-ci démontre le caractère anti-social et répressif de sa politique. Il a éliminé un milliard d'euros chez le ministre du Travail, décrétant l'élimination de 100.000 des 260.000 «contrats emploi-solidarité» et du programme d'emplois pour les jeunes, précisant que cela «se ferait en douceur». Il a annoncé de petites augmentations à l'intérieur de certaines sections du budget du ministère de la Culture, qui se voit néanmoins privé d'environ quatre pour cent de son budget dont 78 pour cent de la section qui s'occupe des monuments et du patrimoine. Le budget pour l'éducation nationale a légèrement augmenté à cause des augmentations obligatoires des salaires des enseignants, mais plusieurs milliers de surveillants ont perdu leurs postes. On coupe aussi largement les crédits des ministères de la recherche et de l'agriculture. Entretemps, le budget prévoit une hausse massive des crédits pour les forces armées, la justice, et la police. Le gouvernement va entre autres construire un deuxième porte-avions et ériger un système de défenses côtières pour réprimer l'immigration ; Le budget militaire augmente d'environ 11 pour cent. Le budget de la justice augmente de 7,5 pour cent, permettant notamment d'augmenter de 70 pour cent les constructions de prisons. De larges sections de la presse bourgeoise ont tenu à critiquer le budget Libération parlait d'un budget «de bric, de broc, et de bluff». On a cité le fait qu'il table sur un taux de croissance de 2,5 pour cent en 2003 qui paraît de plus en plus invraisemblable. La Commission européenne a aussi critiqué un budget qu'il jugeait laxiste, remarquant qu'il ne prévoyait pas assez de retraites non-remplacées de fonctionnaires. L'annonce du budget arrive à un moment très délicat pour l'administration Raffarin. Sa politique de privatisations se heurte au fait que deux des grandes compagnies à privatiser, France Télécom et Electricité de France (EDF), se sont surendettés lors des acquisitions internationales des dernières années France Télécom en particulier a 70 milliards de dettes que l'Etat devra en partie rembourser. Ces compagnies ont donc des valeurs en bourse qui ne rend pas leur vente attrayante. Il y a déjà eu plusieurs grèves à Air France, chez les surveillants, et dans les transports en commun parisiens. On prépare des grèves de l'ensemble du personnel de l'éducation nationale, chez la société Alcatel, et aussi des compagnies publiques qui risquent la privatisation. Les sondages officiels ont récemment recensé de fortes baisses dans sa cote de popularité et aussi de l'approbation de sa politique, qui trouve une large majorité d'opinions négatives sur plusieurs sujets essentiels (le chômage, la durée de la semaine de travail, les retraites, l'immigration). Le gouvernement a décidé que Raffarin devait passer à l'émission «100 minutes pour convaincre» pour tenter d'améliorer l'image publique de son budget. Sur l'émission, on lui a demandé s'il était inquiété par la mémoire des grèves du secteur public de 1995, qui ont paralysé le gouvernement Juppé pendant plusieurs semaines lorsqu'il a tenté de faire passer un programme semblable à celui de Raffarin. Raffarin a répliqué en demandant s'il avait l'air d'un «psychosé». En fait, la principale inquiétude du gouvernement Raffarin est un retour massif de l'opinion publique contre sa politique. Cela explique la préoccupation avec la «communication» qu'il a affichée à la télévision, qui n'a pas pour but de garder les Français au courant de ses intentions concrètes celles-ci, comme le budget, restent en général sous le sceau du secret jusqu'à la dernière minute mais de présenter des mesures impopulaires d'une manière attrayante. Cela explique aussi l'écart implicite entre ses promesses de campagne, quand il parlait d'éliminer 40 pour cent des fonctionnaires en 15 ans, et la proclamation récente de Raffarin qu'il n'a pas «comme objectif de supprimer des postes ici ou là» dans la fonction publique. Le gouvernement vit aussi une autre crise depuis la publication dans Le Monde du projet de loi barbare du ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, qui propose une réforme de la procédure pénale. Le texte propose d'augmenter fortement les peines qui touchent les couches les plus défavorisées de la société 3.500 euros d'amende et 6 mois de prison pour les squatteurs, 2.000 euros d'amende pour absentéisme scolaire, 7.500 euros d'amende et 6 mois de prison pour mendicité ou pour prostitution, avec expulsion du pays dans le cas où la prostituée est étrangère. Visant explicitement la protestation politique, la loi permettrait d'expulser tout étranger en séjour temporaire ou non autorisé pour participation à une manifestation ou pour «tapage nocturne». Le projet changerait radicalement la procédure pénale, allongeant le délai maximal à l'intérieur duquel un détenu doit avoir accès à un avocat à 36 ou 48 heures, permettant davantage de comparutions immédiates devant un juge, et libérant la police de l'obligation de rappeler à un détenu qu'il a le droit de garder le silence. Il permettrait aussi le fichage génétique des simples suspects et étendrait les mesures «extraordinaires» de surveillance mise en place après le 11 septembre 2001 par le gouvernement du Parti socialiste (PS) de Lionel Jospin. Le gouvernement a essayé de minimiser l'importance de l'affaire en prétendant que c'était un «brouillon» qui était «dépassé» par de nouveaux projets, sans spécifier quel était le contenu de ces projets. En tout cas, cela permet un constat sur les méthodes et les buts du gouvernement Raffarin : confronté à une montée de l'opinion publique contre lui, il veut approfondir des méthodes de répression. L'autodéfense gouvernementale détruit tous les arguments, très répandus lors du second tour des élections présidentielles de 2002, selon lesquels on pouvait compter sur la droite française pour faire un «barrage républicain» aux forces de l'extrême-droite. En tentant de justifier son projet, Sarkozy s'est réfugié derrière l'idée qu'il fallait faire face aux «nouveaux phénomènes de délinquance qui ont amené M. Jean-Marie Le Pen au deuxième tour de la présidentielle». Vu que 72 pour cent des électeurs trouvaient «mauvaise» ou «très mauvaise» la campagne contre l'insécurité quand le parti de Sarkozy l'a lancée lors des présidentielles, c'est un aveu que le gouvernement Raffarin essaie d'occuper un terrain politique qui était jusqu'à récemment occupé seulement par l'extrême droite. Le Parti socialiste, fragmenté par les déroutes des élections présidentielles et législatives, essaie de se présenter comme une opposition sérieuse à l'offensive gouvernementale tout en se regroupant sur son aile droite. Les leaders du PS ont bruyamment critiqué les privatisations ébauchées par Raffarin, le projet répressif de Sarkozy, et le décret augmentant le nombre d'heures supplémentaires qu'un employeur peut imposer à un employé. Cependant, leurs critiques sonnent assez creux car les socialistes ont fait bien des privatisations, ils ont mis en place les lois de surveillance après le 11 septembre 2001 que le projet Sarkozy propose de pérenniser, et ils s'étaient tous mis d'accord sur le fait qu'il fallait «assouplir» la loi fixant à 35 heures la semaine de travail. Les cercles dirigeants du PS s'engagent dans des machinations cyniques, tandis que différentes sections se battent pour le contrôle du parti après la défaite de Lionel Jospin [l'ancien premier ministre Socialiste de 1997-2002] et que la menace d'une radicalisation populaire plane sur l'esprit de tous. L'aile gauche du PS, le courant Gauche socialiste (GS), vient de se diviser entre les partisans de Julien Dray, qui veut s'unir avec le socialiste centriste Henri Emmanuelli pour «peser sur la majorité du PS», et de Jean-Luc Mélenchon, qui dénonce une «liquidation préméditée et sans discussion de la GS». Le centre du PS, dirigé par François Hollande, se rapproche de l'aile droite libérale, représentée par Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn, de manière à leur passer le pouvoir. Hollande a d'abord insisté que les différentes «sensibilités» au sein du PS avaient vécu, demandant publiquement à Fabius et Strauss-Kahn de le rejoindre, mentionnant la possibilité qu'ils liquident leurs courants dans le centre socialiste. Il a ensuite rencontré Strauss-Kahn pour lui demander de ne pas dissoudre son courant, comme certains de ses membres l'avaient proposé. Les libéraux du PS semblent attendre pour s'unir avec Hollande que le centre leur donne le pouvoir sous des conditions plus favorables. Claude Bartolone, un proche de Fabius, a demandé pourquoi les fabiusiens créeraient «un pôle central dans lequel [ils] ne ser[aient] que les invités du deuxième cercle»? Un proche de Dominique Strauss-Kahn, Jean-Marie Bockel, a dénoncé «l'idéologisme de gauche», attaquant implicitement l'opposition hypocrite de Hollande aux privatisations de Raffarin en remarquant que «Lionel Jospin a certainement plus privatisé que certains de ses prédécesseurs de droite». Il a insisté que «les principes de justice sociale doivent être compatibles avec ceux de l'initiative privée». À l'inverse du regroupement de plus en plus étroit des partis autour d'un programme réactionnaire, tous les signaux indiquent une montée du mécontentement populaire. Les bureaucraties syndicales s'inquiètent déjà du fait que la politique extrémiste du gouvernement risque de discréditer les syndicats auprès des travailleurs en exposant leur incapacité de stopper ses projets réactionnaires : selon François Chérèque, chef du syndicat CFDT, «Nous ne sommes pas partisans de la démocratie directe. Il existe en France des corps intermédiaires, syndicats et associations, en permanence sur le terrain, et qui ont la capacité à en exprimer les demandes. Si les politiques court-circuitent cette société civile, le fossé entre les citoyens et les élites révélé par le séisme du 21 avril [où Le Pen est arrivé au second tour des élections présidentielles] risque de se creuser encore». Pour combattre la politique du gouvernement Raffarin, on ne
peut compter ni sur la gauche politique dominée par le
PS ni par les chefs syndicaux, qui se conçoivent comme
une couche intermédiaire servant à atteler les
travailleurs à l'élite politique. Une opposition
sérieuse ne peut se faire que grâce à l'articulation
indépendante par la classe ouvrière d'une perspective
socialiste. Voir aussi :
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