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Nouveau gouvernement en France Chirac consolide son pouvoir

Par Peter Schwarz
Le 17 mai 2002

La Constitution française confère au président de la République des pouvoirs uniques en leur genre en Europe. Jacques Chirac dont le mandat présidentiel fut reconduit le 5 mai avec une grande majorité grâce au soutien des partis de gauche, profite de façon systématique de ses attributions pour consolider sa propre position.

Pour le second tour des élections, qui opposait Chirac au néo-fasciste Le Pen, les partis de gauche avaient appelé à voter pour Chirac, le président sortant, en affirmant que c'est la seule voie possible pour défendre la démocratie et la République. A présent, Chirac s'empresse d'ériger un régime qui rappelle plus une dictature bonapartiste qu'un régime démocratique. Il essaie de s'attribuer des pouvoirs que seul son modèle, Charles de Gaulle, avait détenus avant lui. Contrairement aux gouvernements précédents qui avaient été voués à l'échec, il espère pouvoir ainsi imposer des attaques contre la classe ouvrière.

Immédiatement après sa réélection, Chirac usa de son droit en tant que président pour nommer à volonté le chef de gouvernement. Il mit en place un gouvernement de droite dont il sera le véritable chef jusqu'au 16 juin, date des élections législatives, et qui pourra gouverner sans l'assentiment du Parlement dans lequel les partis de gauche détiennent encore la majorité. Alors que, conformément à la Constitution, c'est le président qui nomme le premier ministre qui, à son tour, forme le gouvernement qui sera ensuite ratifié par le président, Chirac a pris en main propre la nomination des ministres.

Tous les postes-clés - l'intérieur, les affaires étrangères, la défense, les affaires sociales et la justice - furent attribués à des proches de Chirac. Le ministère de l'économie qui est également responsable des finances et de l'industrie est dirigé par un patron de la sidérurgie et un représentant du Mouvement des entreprises de France (Medef). Jean-Pierre Raffarin, le chef du gouvernement est un représentant de Démocratie libérale (DL); il a été désigné comme symbole de modération dans le but de leurrer les partisans de l'ancienne majorité gouvernementale. Sur les 28 ministres et secrétaires d'Etat, douze sont issus du RPR gaulliste, six de l'UDF centriste et cinq de Démocratie libérale. Cinq sont indépendants.

La composition du gouvernement sert plusieurs objectifs. Le premier et le plus important est d'assurer une majorité de droite à l'occasion des prochaines élections législatives. Plusieurs ministres furent nommés dans le but d'attirer des électeurs de l'ancienne majorité gouvernementale voire du Front national néo-fasciste de Le Pen. En disposant de sa propre majorité gouvernementale, Chirac serait en mesure de dicter, non seulement la politique étrangère qui lui incombe de par sa fonction, mais aussi de définir la politique intérieure. Contrairement aux Etats-Unis, où le Congrès tient lieu de contrepoids au président, l'Assemblée nationale ne dispose en France que de peu de moyens d'action.

Chirac a également profité de la formation du nouveau gouvernement pour mettre de l'ordre dans son propre camp en récompensant ses partisans et en éliminant ses rivaux. Ne sont issus des partis gaullistes rivaux UDF et DL que des politiciens qui l'avaient soutenu durant sa campagne électorale. C'est ainsi que Jean-Pierre Raffarin, le nouveau premier ministre, avait voté au premier tour pour Chirac et non pour Alain Madelin, le candidat de DL dont il est lui-même le vice-président. Raffarin soutient également l'Union pour la majorité présidentielle (UMP), le nouveau mouvement créé par Chirac et qui est censé rassembler l'ensemble des partis bourgeois de droite afin de lui procurer une majorité parlementaire.

De plus, Chirac s'efforce de créer le maximum de faits accomplis durant la période d'exemption de contrôle parlementaire, à savoir jusqu'aux élections législatives. De cette manière, il compte impressionner les électeurs tout en adoptant des mesures irrévocables.

Des symboles modérés

Le nouveau chef de gouvernement, Jean-Pierre Raffarin, passe pour être un politicien modéré et du centre. Il doit cette réputation avant tout au fait qu'il préconise en politique économique une voie corporatiste. Dans son discours d'entrée en fonctions, il déclara qu'en plus du rétablissement de l'autorité de l'Etat, la reprise du dialogue social constituaient les deux piliers du travail de son gouvernement. Il accusa même le gouvernement Jospin d'avoir permis la rupture du dialogue social.

Par dialogue social il entend une étroite collaboration entre gouvernement, organisation patronale et syndicats. Suite aux résultats catastrophiques du Parti socialiste et du Parti communiste à l'élection présidentielle, la bureaucratie syndicale n'est que par trop prête à suivre les avances du nouveau gouvernement. Souffrant d'une perte chronique de leurs adhérents - moins de huit pour cent des salariés étant syndiqués - il en va pour les organisations syndicales de leur survie, à moins d'être acceptées comme partenaires dans les négociations avec le gouvernement.

Marc Blondel, le secrétaire général de Force ouvrière (FO), a immédiatement réagi à l'offre de Raffarin en réclamant un "dialogue social" avec le gouvernement. L'ensemble des autres grands syndicats ont également exprimé leur volonté de prendre part aux négociations du gouvernement avec les "partenaires sociaux".

Il incombe également à Raffarin de remédier à la morosité qui existe face à l'establishment politique distancé et corrompu de la capitale française. Le président de la région Poitou-Charentes, âgé de 54 ans, passe pour un homme affable et de terrain. Durant ces dernières années, il s'était tenu à l'écart des milieux politiques discrédités pour nouer des liens étroits avec la classe moyenne rurale. Il avait déjà occupé une première fois un poste ministériel, entre 1995-1997 quand Chirac, en guise de remerciement pour son soutien contre son rival Edouard Balladur l'avait promu au poste de ministre aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat.

Mis à part Raffarin, deux secrétaires d'Etat font également fonction d'enseigne à l'adresse d'électeurs modérés. Tokia Saïf qui a été nommée au développement durable, auprès de la ministre de l'écologie et du développement durable, est la première descendante "beur" d'immigrés algériens à être incorporée dans un gouvernement. Dominique Versini, directrice du Samu social de Paris, est responsable pour la lutte contre la précarité et l'exclusion.

Les partisans de Chirac

Alors que Raffarin s'efforce de se forger une image libérale, le véritable homme fort du gouvernement est solidement enraciné à droite. L'ancien secrétaire gaulliste et confident de Chirac, Nicolas Sarkozy, dirige le super-ministère de la sécurité intérieure nouvellement créé et dont les compétences dépassent de loin celles du ministère de l'intérieur précédent.

A l'origine, Sarkozy avait escompté accéder lui-même au poste de premier ministre. Mais son positionnement très à droite risquait de rebuter bon nombre d'électeurs. C'est ainsi qu'en 1998, à l'occasion de l'attribution de logements sociaux et d'emplois, il avait préconisé la préférence nationale à des citoyens français au détriment des immigrés - une position que revendique également le Front national.

Nicolas Sarkozy, au même titre que Patrick Devedjian, qui est responsable au ministère de l'intérieur pour "les libertés locales" montrent à quel point la différence est minime entre le gouvernement actuel et les néo-fascistes. Devedjian qui, jusque-là, avait été le conseiller politique de Jacques Chirac, fut durant sa jeunesse un membre du groupe d'extrême-droite "Occident". Le 12 janvier 1967, il avait participé à l'université de Rouen à une attaque d'un stand du Front de Libération vietnamienne. Plusieurs étudiants, gravement blessés au moyen de barres de fer, durent être hospitalisés. Devedjian s'en tira avec une amende alors que d'autres coupables furent emprisonnés. En 1976, Devedjian participa en tant que juriste à l'élaboration des statuts du RPR, le parti gaulliste nouvellement fondé.

Le ministère des affaires étrangères se trouve également entre les mains d'un proche de Chirac. Le diplomate Dominique Galouzeau de Villepin avait été jusque-là secrétaire général adjoint de la présidence de la République. Depuis une dizaine d'années il fait partie des proches de Chirac.

Le ministère de la défense est dirigé par Michèle Alliot-Marie, l'ex-présidente du RPR, qui est considérée être la main droite de Chirac.

Le ministère de la justice est dirigé par l'un des quelques ministres ayant à son actif une expérience gouvernementale. Dominique Perben avait déjà, durant les années 1990, fait partie des gouvernements Balladur et Juppé. Plusieurs lois réduisant les droits des représentants syndicaux dans les entreprises et aggravant les conditions des travailleurs précaires portent sa signature.

Alain Juppé, le premier ministre malheureux des deux premières années du mandat présidentiel, est le seul proche de Chirac à ne pas être présent dans le gouvernement. Et pourtant il joue un rôle-clé en tirant les ficelles. Il passe pour être le successeur de Raffarin au cas où les gaullistes sortiraient renforcés après les élections législatives.

Le représentant du monde des affaires

La nomination de Francis Mer au super-ministère de l'économie, des finances et de l'industrie est un signe fort à l'adresse du monde des affaires. Mer, qui a dirigé le groupe sidérurgique européen Arcelor, est un influent représentant de l'organisation patronale Medef.

Il y a quinze ans, Mer avait été responsable de la sidérurgie lorraine et de sa "restructuration" qui entraîna la destruction de 70.000 emplois. Il est un ami de François Bayrou (le candidat présidentiel de l'UDF et défenseur d'une politique économique de "libre-marché"), du socialiste Jacques Delors, ancien président de longue date de la Commission européenne et de Jean Peyrelevade, le président du Crédit Lyonnais. Il porterait également une opinion favorable sur Nicole Notat, la secrétaire générale du syndicat CFDT.

En qualité de représentant du Medef, Mer avait participé l'année dernière aux négociations avec les syndicats sur les programmes d'enseignement professionnel qui contribuèrent fortement à la transformation des caisses d'assurance chômage (unedic). Cette transformation eut pour but la suppression du droit aux allocations de chômage. La réforme de l'unedic avait été le premier pas vers la soi-disant refondation sociale qui avait déjà été mise en route sous le gouvernement Jospin. Sa poursuite, notamment les changements dans le domaine des retraites et de la santé en vue de répondre aux exigences du marché, forme un objectif central du nouveau gouvernement.

Un autre dossier, figurant au programme du ministre de l'économie, est celui de l'ouverture du capital du groupe public d'EDF (Electricité de France) au privé, et qui a déjà été décidée lors du sommet européen de Barcelone. Il n'est donc pas étonnant que le nouveau ministre de l'économie apprécie le fait que la nouvelle ministre de l'écologie et du développement durable, Roselyne Bachelot-Narquin, se soit prononcée pour le nucléaire.

François Loos, ministre délégué à l'enseignement scolaire auprès du ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, occupe lui aussi un poste important. Loos vient de l'industrie chimique et avait été directeur de Rhône-Poulenc à Thann-Mulhouse. Il dirigera le département de la recherche et de l'enseignement supérieur.

François Fillon, le futur ministre des affaires sociales apportera lui aussi un bagage allant dans le sens du monde des affaires. En tant que spécialiste des questions militaires, il ne paraît pas être, à première vue, particulièrement prédestiné à occuper le poste de ministre du travail et de la solidarité, mais en sa qualité de ministre de la poste dans le gouvernement Juppé il avait engagé en 1996 la privatisation de France Télécom en obtenant l'accord des syndicats pour des retraites anticipées et des plans sociaux.

Il n'est donc pas surprenant que le Medef ait fait connaître avec enthousiasme son approbation du nouveau gouvernement. Raffarin, le chef du gouvernement "est un homme de terrain qui a l'expérience de l'entreprise", dont "tout le monde dit que c'est un homme d'écoute..." dit en termes élogieux le patron des patrons, Ernest-Antoine Seillière. Quant à Francis Mer, il "est parfaitement informé de la situation de l'économie française, de la nécessité d'en rétablir la compétitivité, il connaît le poids de la fiscalité et des charges qui pèsent sur les entreprises."

Des réformes "au galop"

A l'initiative de Chirac, le gouvernement adopta lors de la première séance du conseil des ministres un vaste catalogue de mesures qui devront encore entrer en vigueur avant les élections législatives. "Il faut aller au galop" précisa le premier ministre après la séance.

Le principal dossier est celui de la sécurité intérieure. Immédiatement après sa nomination au poste de ministre de l'intérieur, Sarkozy, s'était rendu dans des quartiers de la banlieue parisienne pour suivre les policiers dans leurs patrouilles nocturnes et témoigner sa solidarité aux forces de l'ordre. Après la séance du conseil des ministres, il annonça des projets de changements juridiques importants, en ce qui concerne la sécurité et la justice, qui doivent être achevés avant cet été et votés par la nouvelle Assemblée nationale.

Parmi les mesures à appliquer immédiatement, il y a la collaboration étroite de la police, des gendarmes, des douaniers, des juges d'instruction et des inspecteurs de l'évasion fiscale dans la répression de la criminalité organisée dans les banlieues, l'utilisation accrue des CRS, police paramilitaire qui, jusqu'à présent, n'étaient utilisée que pour des opérations spéciales. Les CRS devront travailler plus étroitement avec la police.

Le 15 mai, le conseil des ministres a décidé par décret de placer le conseil de sécurité intérieure (CSI) sous le contrôle direct du président. Le CSI, qui comprend les ministres de l'intérieur, de la justice, de l'économie et des finances, fut fondé en 1988 par le premier ministre socialiste Michel Rocard, et il fut reconduit par Jospin en 1997. Le CSI était alors sous le contrôle du premier ministre et représentait un point central du pouvoir gouvernemental.

A présent, sous le contrôle du président, les pouvoirs du conseil seront considérablement élargis. Dans la pratique, dorénavant le conseil supervise les éléments-clés de la politique intérieure. Selon le porte-parole du nouveau gouvernement, il revient au conseil de déterminer des aspects-clés de la politique de sécurité intérieure, en coordonnant le travail de divers ministères et en veillant à l'application de la nouvelle politique sécuritaire. Il aura le même statut que le conseil de défense, lequel a été traditionnellement sous la houlette du président et qui est responsable de la politique de sécurité étrangère.

Une autre décision convenue par le conseil des ministres a été d'élaborer un projet de loi pour une réduction de 5 pour cent des impôts sur les revenus. Le projet de loi sera achevé dans dix jours et sera voté tout de suite après les élections législatives.

Une autre mesure démontre la capacité du gouvernement à exploiter l'opposition populaire aux actions du gouvernement précédent. Gilles de Robien, ministre des transports et de la construction a annoncé une révision fondamentale des projets pour un troisième aéroport international près de la capitale. Ces projets avaient été imposés par son prédécesseur, Jean-Claude Gayssot du Parti communiste, en bravant l'opposition de la population en général qui craignait l'augmentation de bruit et de pollution qui en résulterait.

Le nouveau gouvernement a réussi à gagner le soutien de secteurs habituellement associés à la gauche. Le journal le Monde, qui, depuis la période de François Mitterrand, a tendance à soutenir les socialistes, chante les louanges du gouvernement. Le gouvernement Raffarin fait belle figure, commenta le journal, qui déclara que la nomination des ministres indépendants, Mer (économie et finances) et Ferry (éducation) représente un beau coup de la part de Chirac. Le journal ajouta que Chirac avait fait un pied de nez à Le Pen en nommant comme secrétaire d'Etat, Saïfi, d'origine algérienne.

Le concert d'approbation pour le nouveau gouvernement de Chirac représente une consolidation de toutes les nouvelles forces bourgeoises qui ont soutenu Chirac au second tour des présidentielles. L'unité toute nouvelle derrière Chirac, relève moins, cependant, d'un rejet de Le Pen - à bien des égards le nouveau gouvernement, en renforçant l'Etat, s'adapte aux demandes de Le Pen - que de la peur de cette colère et de ce mécontentement populaires exprimés, au premier tour des élections présidentielles, par les abstentions massives et les trois millions de voix pour des candidats se disant socialistes révolutionnaires.

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