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Pauvreté et exploitation en hausse: la France à la veille des élections parlementaires

Par Ulrich Rippert

7 juin 2002

Les élections législatives françaises de dimanche prochain prennent place dans le contexte d'une société profondément polarisée. Les couches supérieures de la société ont bénéficié d'une énorme augmentation de leurs richesses et vivent de plus en plus dans le luxe. Selon les chiffres officiels, les profits des grandes sociétés ont augmenté de 36% l'an dernier, et de nombreuses firmes offrent de grosses ristournes à leurs actionnaires. Pendant ce temps, les conditions de vie de la grande majorité des travailleurs deviennent de plus en plus difficiles.

Au cours des cinq dernières années, sous le gouvernement du premier ministre Lionel Jospin et de sa coalition de «gauche» (composée du Parti socialiste, du Parti communiste, des Verts, du Mouvement des citoyens de Jean-Pierre Chevènement et du petit Parti radical de gauche), l'inégalité sociale est devenue de plus en plus prononcée.

Dans des discours récents de campagne, les représentants du Parti socialiste (PS) mentionnent régulièrement qu'entre 1997, date d'entrée en fonction du gouvernement Jospin, et 2001, le taux de chômage est tombé de 12 à 9% selon les statistiques officielles. Ces chiffres sont cependant trompeurs, car la baisse statistique du chômage était liée à de profonds changements dans les conditions de travail nettement au désavantage des employés.

Une bonne partie des 1,4 millions de nouveaux emplois tant vantés qui ont été créés sous l'ère Jospin appartient à la catégorie du «travail précaire», c'est-à-dire des contrats et emplois temporaires. Ils ont une durée fixe, rapportent beaucoup moins que le niveau officiel et beaucoup sont à temps partiel. La plupart de ces emplois sont offerts par des agences privées et les travailleurs sont privés de la protection sociale la plus minimale. Selon les chiffres officiels, 2,2 millions de personnes en France, soit 9% de ceux aptes au travail, détiennent de tels emplois «précaires».

Ce type d'emploi a mené à une rapide expansion d'un nouveau genre de pauvreté qui est d'abord apparu à grande échelle aux États-Unis: le phénomène des «travailleurs pauvres», c'est-à-dire les gens qui ne sont pas capables de subvenir à leurs besoins élémentaires même s'ils ont un emploi à plein temps ou plusieurs emplois à temps partiel. Un rapport récent du Ministère de l'Emploi et de la Solidarité, intitulé «Luttons contre la nouvelle pauvreté» commence avec les mots suivants: «Dans un contexte de chômage élevé, la difficulté de nombreux jeunes à s'insérer sur le marché du travail, la séparation des couples ou leur surendettement ont contribué à l'essor d'une nouvelle pauvreté.»

Les chiffres cités dans le rapport, qui sont supposés démontrer les efforts du gouvernement en faveur des pauvres, illustrent toute l'ampleur de la misère sociale. Selon le rapport, le gouvernement dépense 28 milliards d'euros par année (1 euro = 0,95 dollar US) pour soutenir les familles à faible revenu, qui représentent environ six millions de gens. Des paiements spéciaux vont en outre à près de 500.000 sans-emploi qui ne sont plus admissibles à l'aide régulière. Du soutien financier additionnel va à 2,8 millions de travailleurs qui sont employés à temps partiel par des agences de placement temporaire ou pour des contrats à durée déterminée, et qui reçoivent moins que le salaire minimum légal (une somme nette de 5,27 euros l'heure).

À cause du recul économique international, le taux officiel de chômage en France a recommencé à augmenter depuis le début de 2001, malgré la création d'un secteur de main-d'oeuvre à bon marché. Dix-sept pour cent des jeunes Français âgés de 20 à 25 ans sont officiellement sans emploi, et il est généralement admis que le vrai nombre est beaucoup plus élevé. Dans les quartiers ouvriers de Paris, devenus notoires pour leur pauvreté et dégradation sociale, le chômage chez les jeunes atteint jusqu'à 50%. La petite délinquance a doublé au cours des 10 dernières années. Mendiants, prostituées et pickpockets sont présents partout, pas juste dans les banlieues.

De nombreux reportages établissent le nombre de sans-abri à 200.000, tout en indiquant qu'un nombre additionnel de 1,5 million de gens ont de «très mauvais logements». La condition des logements publics s'est détériorée et de plus en plus de familles ne peuvent plus payer leur loyer.

Le mois dernier, la mort d'un jeune garçon a causé une indignation nationale. Alors qu'il jouait dans les escaliers d'un immeuble à étages, il est tombé dans la cage d'ascenseur et est mort parce que la porte donnant sur la cage n'avait pas été correctement verrouillée. L'agence qui gère le logement public a réagi avec arrogance et indifférence aux protestations des locataires qui ont suivi, disant que le mauvais état des ascenseurs dans les logements publics était connu depuis des années et qu'il était simplement irresponsable de laisser des enfants jouer près des portes d'ascenseur sans supervision. De telles déclarations ne font qu'augmenter l'hostilité populaire à l'endroit des autorités et des politiciens de tous les partis de gouvernement, qu'ils soient de droite ou de gauche.

Un autre symptôme très alarmant de l'état de la société française est la hausse du nombre de suicides. Selon une étude de l'Association nationale pour la prévention des suicides, en 2000, le suicide est devenu la première cause de mortalité parmi les jeunes de 25 à 34 ans. Toutes les 40 minutes en France, une personne se suicide. Fait non surprenant, le taux de suicide est 14 fois plus élevé parmi les chômeurs que les chefs d'entreprise.

«La mortalité est plus forte à mesure que l'on descend dans la hiérarchie socioprofessionnelle», a commenté Le Monde il y a quelques jours. L'article, intitulé «Un groupe social en proie aux inégalités», décrivait l'état déplorable du système de santé.

L'article continuait en soulignant que la disparité des revenus en France s'était fortement élargie. De 1983 à 1997, avec un premier ministre ou président socialiste en fonction pendant 12 de ces 14 années, le pourcentage de travailleurs qui est tombé dans la catégorie du revenu le plus bas a doublé de 5 à 10 pour cent.

La semaine de 35 heures

L'introduction de la semaine de 35 heures par le gouvernement Jospin est particulièrement significative pour ce qu'elle révèle de la profonde transformation sociale qui s'est déroulée en France au cours des dernières années. L'appel pour une réduction significative des heures de travail a été pendant des années une revendication centrale de tous les syndicats, qui se sont senti obligés de soulever la revendication sous la pression de leurs membres. Très sensibles aux perspectives réduites qui s'offraient à la nouvelle génération, beaucoup de travailleurs sentaient qu'une réduction des heures de travail était le seul moyen de donner à leurs fils et à leurs filles la chance d'obtenir des emplois décents. Cette question a été largement soulevée par les travailleurs durant le mouvement de grèves de 1995.

Lorsque la coalition gouvernementale dirigée par le Parti socialiste sous Jospin a pris le pouvoir en 1997, elle a fait de la réalisation de cette revendication l'un de ses principales promesses. La manière dont elle s'en est acquittée en dit toutefois long sur les intérêts de classe que servait le gouvernement.

D'innombrables études ont exploré les «possibilités de politiques d'emploi» associées à une diminution des heures de travail. Après des années de négociation, le parlement français a finalement passé l'automne dernier une loi «sur la réduction et la réorganisation des heures de travail». Martine Aubry (Parti socialiste), qui dirigeait alors le ministère du Travail, a fait l'éloge de la loi comme étant «un jalon historique dans l'amélioration de l'emploi et des droits des travailleurs».

Depuis ce temps, pas un mois ne s'est écoulé sans que des travailleurs dans l'industrie et dans tous les domaines des services publics (personnel hospitalier, professeurs, etc.) ne sortent en grève ou ne protestent contre les conséquences de la nouvelle loi. Il s'est avéré que la loi sur la «RTT» (Réduction du temps de travail) a été conçue non pas tant pour réduire les heures de travail que pour fournir aux employeurs de nouveaux moyens pour imposer la flexibilité du travail et le temps supplémentaire non payé. La charge réelle de travail a augmenté en moyenne à un niveau sans précédent.

Le deuxième article de la loi contient une nouvelle définition du terme «heures de travail». Il fait maintenant référence au temps durant lequel un travailleur se trouve à la disposition de son employeur et directement soumis à ses directives. Il ne comprend plus le temps nécessaire pour les questions jugées personnelles, telles que le temps pour se rendre au travail, se changer et certains aspects des déplacements pour affaires. Cela permet à l'employeur, privé ou public, de réduire formellement les heures de travail sans raccourcir en fait le temps que le travailleur passe à l'ouvrage d'une seule minute. Souvent c'est le contraire qui se passe.

Le temps de travail normal était jusqu'ici une semaine de cinq jours, suivie de deux jours de repos. Ces heures régulières, hebdomadaires, de travail étaient l'un des gains du mouvement de grève générale de 1936, qu'aucun gouvernement n'a ultérieurement remis en question. Mais avec l'introduction de la semaine de 35 heures, la situation a fondamentalement changé. Les heures de travail peuvent maintenant être calculées sur une base annuelle. Un travailleur, selon l'article 8 de la RTT, est obligé de travailler 1.600 heures par année. Les heures hebdomadaires de travail peuvent varier et atteindre 48 heures ou plus. Seule la moyenne hebdomadaire des heures travaillées au cours de l'année doit être de 35 heures.

Après la grève générale de 1936, les heures journalières de travail ont été limitées à un maximum de 10. Selon la nouvelle loi, cependant, les travailleurs peuvent être employées jusqu'à 13 heures par jour, 6 jours par semaine. Cela a non seulement drastiquement augmenté la charge de travail, mais a aussi ramené les salaires à la baisse, car les employeurs ne sont plus tenus à payer du temps supplémentaire.

Avant sa défaite à l'élection présidentielle en avril et sa démission en tant que premier ministre, Jospin a cherché à répondre aux critiques de la RTT en soutenant que les nouveaux règlements étaient entièrement conformes aux directives européennes de 1993 sur l'organisation du travail. Selon le traité de Maastricht sur l'intégration européenne, chaque pays de l'Union européenne (UE) doit garantir que son code national du travail est conforme aux directives de l'UE et aux décrets de la Commission européenne. La Commission européenne s'est avérée être l'une des forces motrices de la déréglementation des relations de travail en Europe. Elle a par exemple légalisé le travail payé de nuit pour les femmes et le travail des enfants âgés de 13 à 16 ans.

La moindre discussion préliminaire avec les travailleurs français révèle l'énorme colère qu'a provoquée cette «réduction» bidon des heures de travail. Ce ne serait pas exagéré de dire que cette mesure à elle seule a matériellement contribué à la défaite de Jospin en avril.

Le candidat du PS a reçu 2,5 millions de voix de moins en 2002 comparativement à 1995. Parmi les jeunes électeurs, le taux de participation a atteint à 53% son plus bas niveau historique, et au sein de la classe ouvrière dans son ensemble il n'était que légèrement plus élevé. Dans plusieurs régions ouvrières, moins de la moitié des électeurs inscrits s'est présentée aux urnes.

La réponse de la pompeuse direction du PS et des médias pro-PS est de jeter le blâme sur la population pour n'avoir pas su voir les avantages d'un gouvernement de «gauche». Comme l'indique ce bref retour en arrière, la réalité est à l'opposé.

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