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Des travailleurs français de Whirlpool aux emplois menacés s'entretiennent avec le WSWS

Par David Walsh

22 juin 2002

Une équipe de reporters du WSWS s'est entretenue le 12 juin dernier avec des travailleurs de Whirlpool aux portes de l'usine d'Amiens, à 140 kilomètres au nord de Paris. En avril, Whirlpool Europe a annoncé que 360 des 860 travailleurs de l'usine pourraient être licenciés. L'entreprise veut transférer la production des lave-linge à ses installations de Propad en Slovaquie, et ne garder à Amiens que la production des sèche-linge. Elle y employait 1049 travailleurs en 1999.

De telles coupures d'emplois porteraient un nouveau coup à l'économie d'Amiens où, selon les statistiques fournies par les syndicats locaux, le nombre de chômeurs atteint déjà les 15.000, soit près de 14 pour cent de la force de travail. Un représentant local de la CGT, la confédération syndicale dominée par le Parti communiste français (PCF) a fait savoir que Whirlpool avait reçu 63 millions d'euros en subsides gouvernementaux.

La compagnie, basée à Benton Harbor, au Michigan, est l'un des plus importants fabricants d'électroménager dans le monde, ses ventes s'élevant à $10,5 milliards en 1999. Elle occupe la première place sur le marché nord-américain et la troisième en Europe, marché qu'elle ne convoite que depuis 1989. Au dernier trimestre de l'an 2000, Whirlpool a connu une brusque chute de ses profits, de l'ordre de 41 pour cent par rapport au dernier trimestre de l'année d'avant, et a annoncé l'élimination de 6.000 emplois, dont une bonne partie en Europe. Les coupures d'emplois ont continué.

La réponse des cinq syndicats aux plans annoncés par Whirlpool en avril a été de lancer une campagne démagogique appelant les employés à «refuser tout licenciement sur le site», sans proposer la moindre stratégie pour unir les travailleurs aux installations de la compagnie en Europe et ailleurs dans le monde. Les syndicats en sont réduits à suggérer des moyens à la direction pour mener les opérations de l'entreprise de façon plus rentable. Un tract de la CFDT, par exemple, diffusé l'après-midi où les reporters du WSWS étaient à la sortie de l'usine, proposait un plan visant à réduire la production de lave-linge à l'usine «pour renforcer la montée d'activité du sèche-linge. Le transfert se faisant ainsi progressivement sur une période de 18 mois à 2 ans et limitant les suppressions de postes.»

La direction fait la sourde oreille aux plaintes des syndicats, et les travailleurs sont généralement incertains et pessimistes quant à leur sort. Plusieurs personnes nous ont dit qu'elles sentaient que l'usine fermerait complètement ses portes dans un proche avenir.

En plus des militants CFDT diffusant leur tract, le député local, Maxime Gremetz du PCF stalinien, faisait campagne pour sa réélection aux portes de l'usine. (Il a gagné le second tour le 16 juin.) Une entrevue avec Gremetz sera mise en ligne à part.

Nous avons parlé à plusieurs travailleurs, y compris un sympathisant complaisant du PCF, une travailleuse inquiète pour son emploi et un vétéran de 29 ans à l'usine qui avait voté pour le candidat d'extrême-droite Jean-Marie Le Pen et son Front national aux récentes élections. Ce dernier a dénoncé les syndicats et le PCF pour leur inaction, mais son propre point de vue était nationaliste et individualiste. Il n'était nullement intéressé aux travailleurs employés par Whirlpool dans tout autre pays, et a choisi de croire que Le Pen défendrait les «emplois français». Ce n'était pas un «fasciste» endurci, on pouvait le voir quelques minutes plus tard discutant stratégie avec Gremetz du PCF.

La confusion politique exprimée est essentiellement le produit de l'abandon des travailleurs français par leurs organisations traditionnelles. Le Parti socialiste est devenu l'une des principales formations politiques bourgeoises convoitant le droit d'administrer le capitalisme français. Le PCF, saturé de nationalisme et de chauvinisme, a été plongé dans une crise fatale par l'écroulement de l'Union soviétique d'une part, et l'émergence d'un capitalisme mondialement intégré d'autre part. Les syndicats, bien qu'ils lancent les hauts cris de temps en temps, sont attachés à l'état-nation et à l'économie nationale. Ils ne représentent de toute façon qu'une fraction de la force de travail. La discussion à Whirlpool souligne le besoin d'une lutte sans compromis pour l'internationalisme au sein de la classe ouvrière française.

* * *

Stéphane, opérateur sèche-linge

WSWS : Que pensez-vous des résultats du premier tour des législatives?

Stéphane : Au niveau des législatives, on ne va pas dire que c'est bien réparti, mais c'est pas pire. On n'a pas la même surprise qu'aux présidentielles, on va dire.

WSWS : Que pensez-vous du gouvernement Jospin?

Stéphane: Vous savez, moi je ne suis pas trop politique. C'est pas mon parti de toute façon. Je ne pourrai pas vous en dire forcément que du bien même s'il y a eu des choses de bien faites, faut le dire. Mais je trouve que c'est resté plus ou moins correct.

WSWS : Et la semaine de 35 heures?

Stéphane: Il y a des choses à prendre et à laisser. Faut peser le pour et le contre.

WSWS : Et la situation ici avec les licenciements?

Stéphane: La direction nous a imposés - nous a proposés - un plan de restructuration, un plan social qui consiste à envoyer la ligne de production lave-linge en Slovaquie et à supprimer 360 emplois. Ils veulent une mono-production sur ce site.

WSWS : Qui est menacé?

Stéphane: Le premier collège, le deuxième et le troisième collège lave-linge , sèche-linge confondus. C'est tout le monde, tous les salariés de l'entreprise qui sont visés par ce plan.

WSWS : Comment combattre ce plan du patronat et la mondialisation?

Stéphane: Moi j'appelle ça tout simplement des licenciements boursiers. Ce n'est pas qu'on ne fait pas de profits, c'est qu'on n'en fait plus assez pour ces messieurs. Donc ils partent en Europe Centrale pour pouvoir faire plus de profits. La main-d'oeuvre est payée beaucoup moins cher, ils ont beaucoup moins de charges donc forcément ça les intéresse plus d'aller voir là-bas pour avoir plus d'argent. Économiquement, l'usine a été reconnue viable sur tous les plans, donc si l'usine est viable, je ne vois pas pourquoi on vient délocaliser et supprimer 360 emplois.

WSWS : Pensez-vous qu'il faut unir les ouvriers de Slovaquie, d'ici et de tous les autres pays?

Stéphane: Déjà nous ici, à Amiensm pour pouvoir essayer de faire quelque chose et par la suite au niveau européen, pourquoi pas.

WSWS : Vous soutenez quel parti?

Stéphane: Moi je suis du Parti Communiste.

WSWS : Pourquoi ont-ils perdu tant de voix aux élections?

Stéphane: Là, je ne pourrai pas vous dire exactement. Je ne suis pas impliqué dedans, dedans. S'ils perdent des voix, c'est forcément qu'il n'y a pas eu de résultats au niveau des demandes.

WSWS : Y a-t-il des gens ici qui ont voté pour Le Pen?

Stéphane: Sûrement, je pense.

WSWS : Pourquoi?

Stéphane: Je ne sais pas, chacun ses opinions. Je ne peux pas dire pourquoi quelqu'un a voté Le Pen ou autre.

WSWS : Que pensez-vous du rôle des syndicats actuellement?

Stéphane: Je pense que l'action des syndicats - on est en intersyndicale - marche assez correctement. On est unis. On se tient la main dans la main, donc à partir de ce moment-là, ils ne se dispatchent pas chacun de leur côté pour pouvoir essayer de récupérer plus de fric pour eux. Non, les syndicats fonctionnent parfaitement bien et je pense qu'on aura des résultats très positifs sur la bataille qu'on mène.

WSWS : Quel syndicat est majoritaire ici?

Stéphane: La CGT.

WSWS : Vous êtes membre de la CGT?

Stéphane: Je suis délégué CGT du personnel.

WSWS : Depuis quand travaillez-vous ici?

Stéphane: Moi cela fait 6 ans que je travaille chez Whirlpool.

WSWS : Et comment avez-vous réagi lors du plan social chez Michelin quand Jospin a dit qu'il ne pouvait rien faire?

Stéphane: Il n'avait surtout pas envie de s'emmerder, je crois. C'est grave. Il y a eu une mauvaise réaction de la part du gouvernement. On peut toujours faire quelque chose, c'est clair, il y a toujours quelque chose à faire même si les actions restent vaines. Il y a toujours quelque chose à essayer.

WSWS : Le fait d'être membre du PC et que Jospin, en tant que représentant de tout le gouvernement de la Gauche Plurielle a pu dire cela, a dû vous décevoir?

Stéphane: Ben oui, c'est sûr, on ne peut pas se réjouir de ça.

Jean-Marie, 29 ans chez Whirlpool, et Pascale, 10 ans


WSWS : Comment va la politique en France?

Jean-Marie: Politiquement, ça ne va pas terrible en France. Ils sont en train de supprimer toutes les usines, de mettre le travail partout à l'étranger et puis nous, niet! On n'a plus rien.

WSWS : Et que se passe-t-il ici maintenant?

Jean-Marie: On va envoyer le lave-linge à l'étranger mais après dans 3 ou 4 ans peut-être ce sera le sèche-linge, après encore il va y avoir encore une usine qui va fermer à Amiens.

WSWS : Combien de monde travaille ici maintenant?

Jean-Marie: Ici maintenant on est à peu près dans les 800 et il y aura 360 suppressions d'emploi.

WSWS : C'est à dire 40%... Que pensez-vous de la situation politique des élections?

Jean-Marie: Les élections cela ne changera rien. Ce sera toujours 360 suppressions d'emploi. La Gauche, la Droite c'est tous les mêmes. On n'est ni bien avec la Droite ni bien avec la Gauche. Ils ont la bonne place. C'est comme ces messieurs-là ( Gremetz et Cie) une fois qu'ils auront la bonne place on ne les verra plus à la porte de l'usine. Ils resteront bien au chaud dans leur bureau et puis terminé.

WSWS : Que pensez-vous du gouvernement Jospin?

Jean-Marie: Moi, de la politique, je n'en fais pas. Pour moi c'est tous des guignols. Il n'y en a pas un meilleur que d'autres. C'est pour avoir un poste, ce n'est pas pour nous défendre. On voit bien ce qui se passe en France: le chômage qui augmente. Si ça allait, il n'y aurait pas tout ça.

WSWS : Est-ce qu'il y a ici des gens qui ont voté pour Le Pen?

Jean-Marie: Bien sûr, il y en a beaucoup qui sont écoeurés. Beaucoup qui ont voté pour Le Pen. Moi, le premier.

WSWS : Pourquoi?

Jean-Marie: Parce que il faut que ça change. Il y en a marre de rester toujours pareil. On nous promet toujours et on n'a jamais rien. Faut essayer Le Pen, faut voir. On verra bien après, on ne sera pas plus malheureux, hein, vous savez. On ne sera pas pire que maintenant. On n'a jamais essayé, on ne peut pas dire. Ceux au pouvoir, qu'est-ce qu'il font? Ils ne font rien!

WSWS : Je suis d'accord avec ça mais je ne suis pas d'accord avec Le Pen.

Jean-Marie: Ce que Le Pen dit, il a raison. Du travail pour les Français avant tout. S'il en reste c'est pour les autres.

WSWS : Il défend les patrons contre la classe ouvrière. Nous disons, nous qu'il faut unir la classe ouvrière partout dans le monde, en Slovaquie, en France, en Italie... Le problème est le même pour la classe ouvrière. Aux États-Unis, c'est la même histoire. J'étais à l'usine Whirlpool en Arkansas...

Jean-Marie: Oh, aux États-Unis, les usines ne viennent pas en France, je ne pense pas...

WSWS : Si, de temps en temps. Les patrons mettent les usines où ça leur rapporte et la dernière chose qui compte pour eux c'est vous et moi.

Jean-Marie: Bien sûr, si ça leur rapportait, ils garderaient l'usine ici. Enfin les Américains c'est le pognon, tu ramènes des sous, ça va, tu ramènes pas ou peu ...

WSWS : Et les patrons français c'est différent?

Jean-Marie: Non, les Français, c'est pareil. Mais les Américains c'est pire. C'est grosse gueule, pognon en poche et toi, il n'en ont rien à foutre.

WSWS : Depuis quand travaillez-vous ici?

Jean-Marie: 29 ans. Je vais avoir 49 ans. Demain la porte à 49 ans.

WSWS : Est-ce qu'ils ont choisi les gens qu'ils vont mettre à la porte?

Jean-Marie: Pas encore.

WSWS : Et sur quelles bases vont-ils décider?

Jean-Marie: Je ne sais pas, on ne sait rien.

WSWS : Et les syndicats qu'est-ce qu'ils disent?

Jean-Marie: Rien. Les syndicats ils sont entre eux, comme ça. Entre eux ils ne s'entendent pas.

Pascale : Il faudrait qu'ils se mettent tous d'accord avant de pouvoir nous aider, parce que nous on s'en aperçoit. On va tous se faire avoir.

Jean-Marie: Alors qui croire? La direction? FO ? la CGT ? Machin-truc ?

Pascale : On est dans une situation où on ne croit plus personne de toute façon. Moi personnellement je dis que l'usine sera fermée d'ici l'année prochaine, fermée complètement.

WSWS : Quelle est l'alternative pour les ouvriers, qu'est-ce qu'ils doivent faire?

Pascale : Déjà il faudrait qu'on en sache un peu plus vis-à-vis des bureaux, de qui est touché, qui ne l'est pas.

WSWS : Et si vous perdez votre emploi ici, qu'allez-vous faire?

Pascale : Le pire pour moi c'est que je n'ai rien. Je n'ai pas de diplôme, donc je ne sais pas pour l'instant. Je suis encore jeune. Il faut que je cherche du travail ailleurs, donc il va falloir partir d'Amiens. Déjà à Amiens si on regarde partout, toutes les usines ferment. Ailleurs aussi, mais on s'aperçoit qu'à Amiens, ça ferme partout.

WSWS : Et ça fait combien de temps que vous travaillez ici?

Pascale : Moi ça ne fait que 10 ans.


 

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