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France : les projets de loi sécuritaires préparent le passage à un état policier

Par Alex Lefebvre
23 juillet 2002

Le nouveau gouvernement prépare une refonte majeure des forces de l'ordre et du système légal, jetant les premières bases administratives et institutionelles d'un état policer. Le Ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy a dévoilé son projet de loi sur les forces de l'ordre le 16 juillet ; le lendemain le Garde des Sceaux Dominique Perben présentait sa réforme de la justice à l'Assemblée Nationale. Dans l'ensemble, ces mesures augmentent les ressources des forces de l'ordre, leur capacités répressives, et les moyens légaux à leur disposition pour détenir ceux qu'ils arrêtent.

Le budget des forces de l'ordre (police et gendarmerie) sera de 5,6 milliards d'euros, prévoyant une hausse de 25% des fonds destinés à l'équipement. Sarkozy créera 13.500 nouveaux postes, dont 7.000 à la gendarmerie et 6.500 à la police ­ 6.800 destinés à la « police de proximité » qui patrouillera les rues, 1.600 pour les services d'enquêtes, 1.200 pour surveiller les routes, 700 pour réprimer l'immigration clandestine, 300 pour les operations anti-terroristes, etc. En plus, il destine prioritairement 1,2 milliards d'euros à « l'immobilier », c'est-à-dire aux prisons.

Pour assurer des revenus supplémentaires, la loi prévoit la possibilité de saisir les biens des délinquants ­ bien que le terme ne soit pas clairement défini ­ et de les attribuer aux forces de l'ordre.

Le projet de Sarkozy opère une réorganisation massive de l'administration des forces de l'ordre. La police et la gendarmerie tomberont tous deux sous le contrôle du ministre de l'Intérieur. Le « super-ministère » de la sécurité prônée par le nouveau gouvernement prend forme : un conseil national de sécurité intérieur présidé par le chef de l'Etat dirigera un réseau de conseils départementaux et municipaux, suppléé par 28 Groupements d'Interventions Régionaux (GIR) ­ des centres regroupant police et gendarmerie pour des opérations « ciblées ». Le gouvernement cependant n'est pas satisfait de cet aggrandissement des forces de l'ordre et prépare la formation d'une « réserve civile » de policiers retraités, qui pourraient servir de force d'appoint en cas de « crises ou d'évènements exceptionnels ».

Si le gouvernement met ainsi en place le dispositif nécessaire pour réprimer des mouvements sociaux à grande échelle, à court terme cette réorganisation menace directement les sections de la classe ouvrière les plus défavorisées. L'objectif principal est le contrôle et la répression des banlieues pauvres. Laurent Mucchielli, un criminologue du Centre National de Recherches Scientifiques (CNRS), décrit ainsi les tensions : « les jeunes de quartiers sensibles et la police [ont des] relations classiquement mauvaises, qui se sont sans doute encore dégradées depuis la seconde moitié des années 1980 pour installer dans certains quartiers une sorte de guérilla permanente qui, au moindre incident grave sortant de l'ordinaire, peut tourner à l'émeute ».

Le remaniement des CRS, la célèbre et brutale police anti-émeute, permettra d'en affecter partout dans le territoire. Fort du succès prévu de sa loi, Sarkozy a déclaré que « pas un centimètre carré de la République ne doit pouvoir être considérée comme une zone de non-droit » ­ un commentaire dont l'importance n'échappera sans doute pas aux sans-papiers qui se réfugient à présent dans les sanctuaires des églises.

Les GIR ont simplement le but de terroriser les zones défavorisées, et ils n'ont pas hésité à le démontrer. Le jour même où Sarkozy présentait son projet à l'Assemblée, les GIR menaient leur premier opération « coup de poing ». 240 policiers, gendarmes, agents du fisc, etc. ont pénétré un quartier de la banlieue parisienne de Nanterre à l'aube, saisissant 200 g de cocaïne et arrêtant trois personnes « qui faisaient l'objet de condamnations pénales ».

Ressentant le besoin d'expliquer la démesure évidente des moyens attribués à cette opération, le GIR a cité la « nécessité de créer un rapport de force dans un quartier qui est le plus difficile de la ville ». Bref, le GIR voulait intimider les banlieusards et les habituer à des façons d'opérer qui rappellent celles de l'armée française dans la Casbah d'Alger pendant la guerre d'Algérie. La mission a aussi inspecté les HLM ­ les habitations subventionnées par l'état ­ pour y freiner « l'occupation illégale des HLM vides », c'est-à-dire pour mettre des pauvres à la rue.

Le projet de loi du Garde des Sceaux Dominique Perben forme le volet judiciaire du système répressif mis en place par Sarkozy. Reprenant le thème de la décentralisation prônée par Raffarin puis Sarkozy, il veut former un système de « juges de proximité », qui n'auraient pas une pleine formation de magistrat, mais qui seraient nommés par le procureur et chargés de traiter les « petits litiges ».

La loi prévoit la formation de « centre d'éducation fermés » pour les mineurs délinquants à partir de 13 ans, avec transfert possible en prison si l'on le juge nécessaire. Elle envisage donc les réformes nécessaires de l'ordonnance du 2 février 1945 contre l'incarcération des mineurs.

Finalement, le projet Perben modifie la loi sur la présomption d'innocence, pour allonger la longueur légale maximale d'une détention avant de procéder à un procès. Selon Perben, ceci permettrait d'éviter les « libérations intempestives de détenus dangereux ».

Les deux lois ont suscité pas mal de cris parmi des sections de la gauche minoritaire ­ plusieurs socialistes, Verts, et communistes se sont étranglés pour attaquer « un retour en arrière », bien que plusieurs socialistes se soient déclarés en faveur des projets. Cette opposition cynique, et qui n'engage à rien car la gauche ne peut empêcher les projets de passer à l'Assemblée, espère que l'on oubliera tout sur son passé : par exemple, que le socialiste Lionel Jospin a aussi proposé des révisions à la loi du 2 février, 1945 quand, au courant de la campagne présidentielle, la gauche a tenté de se présenter comme plus musclée que la droite contre « l'insécurité » ; que les « centres fermés » de Perben ne font que reprendre et augmenter les pouvoirs des « centres d'éducation renforcée » créés par Jospin quand il était premier ministre.

L'opposition des associations des magistrats, alliées avec les organisations pour les droits de l'homme, semble avoir reporté à la rentrée scolaire la mise en vigueur de certains aspects du projet Perben. Les magistrats ont critiqué le statut imprécis de la formation et du comportement des juges de proximité ­ d'abord le fait que, malgré leur statut inférieur, ils pouvaient imposer des amendes de jusqu'à 45.000 euros, la suspension du permis de conduire, et l'interdiction d'exercer sa profession.

Les magistrats ont aussi posé la question évidente sur les relations entre les « juges de proximité » et les procureurs. Quelle serait l'indépendance de « recrues choisies parmi les notables du coin, nommées sur proposition du procureur et qui relèvent d'une commission de discipline où siège ce même procureur ? » demandait Ulrich Schalchli, membre du syndicat de la magistrature. En effet, le système semble garantir que les juges de proximité ne feront que punir les suspects selon la volonté des procureurs et de la police.

L'opposition des magistrats se bornait pourtant à critiquer les aspects les plus évidemment répressifs du projet de loi ; ils ne se sont pas opposés au gouvernement sur la totalité des lois. Le Conseil d'état va à présent étudier la question de la formation des juges de proximité et émettre une décision avant la rentrée. Sur la question des compétences des juges de proximité, Perben a décidé d'enlever les « compétences pénales » des juges de proximité. Cependant, la promesse est assez douteuse, vu que selon les textes remis à la presse, les juges de proximité pourront en matière pénale juger des infractions telles que le tapage nocturne, les violences légères, passibles actuellement de contraventions prononcées par les tribunaux de police. En tout cas, l'opposition des organisations de magistrats a au plus retardé la mise en vigueur du gros du projet Perben de quelques semaines.

Les français ont été bombardés par des statistiques douteuses sur la criminalité émises par les forces de l'ordre. Selon le Los Angeles Times, la police indiquait que « La criminalité a augmenté de 7,6% en 2001, rentrant dans une courbe qui a vu un quadruplement des agressions physiques et verbales contre des officiers des forces de l'ordre depuis 1997 ». L'article mentionnait ailleurs qu'en 1997 la police française avait commencé à patrouiller bien plus activement les rues des quartiers pauvres, une tendance qui s'est poursuivie et que la loi Sarkozy ne fera que continuer.

L'article du LA Times a d'ailleurs précisé que « La France reste mois violente que les Etats-Unis. En 2000, ce pays de 60 millions d'habitants a vu 1.051 homicides contre plus de 1.000 à l'intérieur de Los Angeles [10 millions d'habitants]. La hausse de criminalité résulte en partie, selon les experts, de taux plus élevé de notification des forces de l'ordre et d'une poussée de vols de portables dans les rues ­ une expérience qui fait peur, mais qui ne tue pas ».

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