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La faillite d'Enron et la crise du système de profit
La faillite du géant de l'énergie Enron annoncée le 2 décembre dernier -la plus importante banqueroute de l'histoire entrepreneuriale des États-Unis- a entraîné la parution de toute une série d'articles de plus en plus critiques tant dans la presse américaine qu'internationale. Bien que tous ces articles détaillent en profondeur la faillite de l'entreprise, ainsi que la corruption et les activités peut-être même criminelles qui ont joué un rôle aussi crucial dans le fonctionnement d'Enron, parfois en des termes assez stridents, ils ne servent qu'un but essentiellement politique en cherchant à bloquer toute analyse au niveau même où il serait nécessaire d'aller en profondeur. La question décisive non formulée et à laquelle la presse a encore moins de réponse à offrir est de savoir quelles sont les forces agissantes au sein de l'économie qui ont mené à cette situation où la corruption et même les activités criminelles en sont venues à jouer un rôle aussi central. Car Enron n'était pas seulement la septième plus grosse entreprise américaine, elle était aussi vue comme un « chef de file dans le marché ». Dans un article publié dans l'édition du 22 janvier de l'Australian Financial Review, George Will, commentateur de droite à l'emploi du Washington Post, a déclaré que les problèmes révélés par la faillite d'Enron « ont leur racines dans les récents changements survenus dans les professions légales, financières et comptables aux États-Unis » dont les origines remontent à « l'agressivité épidémique des années 1980, où les acteurs de ces trois professions on commencé à se voir comme des gens « capables » -'des régleurs de problèmes' qui pensent autrement ». Le résultat de cette mentalité et l'utilisation croissante de l'actionnariat, soutient l'auteur, a entraîné la création « de cadres supérieurs hyper agressifs tentant constamment d'impressionner les analystes en se fixant des objectifs ambitieux de croissance de la valeur des actions. Lorsque les objectifs étaient atteints, les analystes montaient la barre encore plus haut, et il arrivait que les attentes ne puissent être satisfaites sans recourir à des pratiques financières et comptables équivalentes à la prise de stéroïdes ». Will conclut que la cause première du « comportement à risques » d'Enron est « l'arrogance croissante de gestionnaires certains que personne ne regardait par dessus leur épaule et ne comprenait ce qu'ils faisaient ». Mais les questions essentielles restent sans réponse. Par exemple, ce qui compte pour les transformations dans les pratiques comptables et financières dans les années 1980 et comment en sont-elles venues à dominer ? Pourquoi la concentration sur la valeur des actions et les attentes toujours plus importantes ? Et pourquoi l'abandon de procédures de régulation qui avaient nécessiter des décennies à être établies ? Aucune de ces questions n'est même effleurée. Dans un article publié le 15 janvier l'éditorialiste Paul Krugman du New York Times qualifie l'affaire Enron de « capitalisme d'initiés à l'américaine » en soulignant que « la vraie histoire va beaucoup plus loin » qu'une seule entreprise. Trois jours plus tard, dans un autre article intitulé « A system corrupted » (Un système corrompu), il poursuit son idée : « La débâcle d'Enron n'est pas que l'histoire d'une simple faillite d'entreprise, mais bien celle de la faillite de tout un système. Et ce système a échoué non pas parce qu'il est mal géré ou ankylosé, mais bien parce qu'il est corrompu ». Selon Krugman, l'affaire Enron a révélé que les institutions gouvernant l'économie capitaliste, de même que la régulation des pratiques comptables actuelles, les vérificateurs indépendants, les lois régissant les titres et le marché financier et les interdictions contre les délits d'initiés ont été corrompues. « La vérité est que les institutions essentielles à la base de notre système économique sont corrompues. La seule question laissée sans réponse est de savoir jusqu'à quel point et jusqu'à quel niveau cette corruption s'étend ». Mais malgré toutes ses dénonciations du « système », Krugman laisse l'analyse au point où elle devrait commencer. Ses articles se résument en effet à une série de descriptions qui n'expliquent rien en dernière analyse. La corruption d'Enron est expliquée par la corruption du système qui était supposé la réguler et la contrôler. Alors en bout de ligne, l'existence de la corruption est expliquée par... la corruption, dont la source n'est jamais fouillée. La signification de la faillite d'Enron et ses implications ne peuvent être saisies qu'en les examinant dans le contexte du développement historique de l'économie capitaliste particulier à la période qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale. En gros, cette époque peut se diviser dans son ensemble en deux. L'accumulation croissante du capital, la croissance des profits, et une augmentation générale des niveaux de vie dans les principaux pays capitalistes ont marqué la période de 1945 à 1973. Puis au cours de 25 dernières années, soit depuis la récession mondiale de 1974-1975, les taux de profit ont été estimés à seulement environ la moitié de ce qu'ils étaient au cours de la période précédente. Au cours de la même période, les niveaux de vie ont stagné et même diminués alors que le chômage n'a cessé d'augmenter. Le cycle économique -boum, ralentissement, récession et reprise- a été présent au cours des deux périodes, mais ses caractéristiques ont profondément changé. Comme l'expliquait Léon Trotsky, le cycle économique est au capitalisme ce que la respiration est à l'homme. La respiration est présente de la naissance à la mort, mais son caractère change. Et ces changements fournissent une indication de la santé de l'organisme. Pareillement, ce cycle économique accompagne le capitalisme depuis sa naissance et se poursuivra aussi longtemps que le système existera. Tout comme la respiration, il fournit un indice de la santé économique générale. De ce point de vue, la dernière décennie d'expansion économique aux États-Unis -la période qui a vu la montée d'Enron et des autres entreprises relevant de la soi disant « nouvelle économie » -contraste fortement avec les cycles précédents. La reprise et le boum des années 1990 a constitué la plus longue période de croissance dans l'histoire du capitalisme américain. Mais le taux de croissance annuel de l'économie américaine au cours de la même période n'a été que de 3,1 %. C'est nettement moins que ce qui existait dans les années 1970, et à peine un peu plus que le taux de croissance des années 1980 -une décennie pourtant passée à l'histoire comme marquée par des problèmes économiques considérables -et bien en dessous des taux de croissance de 4 % et plus que l'économie américaine a connu dans les années 1950 et 1960. Ce contraste devient encore plus frappant si on considère le caractère de la vie économique des années 1990 avec celui des années 1950 et 1960. La dernière période, et surtout la dernière décennie qui a vu l'arrivée en masse de l'informatique a été caractérisée par de vastes changements dans les processus de production, alors que les périodes précédentes étaient caractérisées par une relative stabilité des processus de production. Pourtant le taux de croissance de la période précédente dépassait très fortement celui de la dernière décennie. Autrement dit, il faut maintenant plus d'activités économiques pour produire les mêmes résultats qu'avant. Bref, la « respiration » du système capitaliste est devenue plus pénible. Cela met en relief les changements survenus au cur même du processus de production capitaliste. Sous ce système, la production n'a pas pour but d'accroître la richesse sociale ou satisfaire les besoins sociaux, mais bien d'accroître le Capital en accumulant des profits. Ce processus est présent de la naissance du capitalisme jusqu'à sa mort. La question cruciale qui détermine son état de santé dans n'importe quelle période est celle du taux auquel cette accumulation survient. En dernière analyse, la « respiration » de l'économie capitaliste, c'est-à-dire le cycle économique, dévoile le taux auquel cette accumulation, indiquée par le taux de profit, prend place. Dans son analyse de l'économie capitaliste, Marx a démontré que le taux d'accumulation du Capital, mesurée par le taux de profit, avait une tendance inhérente à baisser. Cette tendance provient de la structure même de l'économie capitaliste. Alors que la seule source de profit est la plus value extraite du travail humain au cours du processus de production, la partie occupée par cette force de travail représente une proportion toujours plus petite du Capital total engagé dans le processus de production. Autrement dit, une quantité relativement moindre de travail humain doit faire grossir une masse toujours plus importante de Capital. Lorsque le taux d'augmentation de la plus value extraite de ce travail ne parvient pas à suivre l'expansion du Capital, le taux de profit commence à chuter. Ce déclin du taux de profit entraîne d'autres processus au sein de l'économie capitaliste destinés à le surpasser -des processus qui sont devenus de plus en plus apparents au cours des vingt dernières années. « Si le taux de profit décroît, écrit Marx, il se produit, d'une part, une tension du Capital, sans le but de permettre au capitaliste individuel d'abaisser, par de meilleures méthodes, etc., la valeur individuelle de ses marchandises au-dessous de leur valeur sociale moyenne et de réaliser un profit extra pour un certain prix de marché; d'autre part, se développe la spéculation : ce qui la favorise, c'est que tout le monde se lance dans des tentatives passionnées pour trouver de nouvelles méthodes de production, réaliser de nouveaux investissements de capitaux, se lancer dans de nouvelles aventures en vue de s'assurer quelque surprofit, indépendant de la moyenne générale et plus élevé qu'elle. » [Le Capital, Volume III, Marx, p.274]. Tout au long de son histoire, le capitalisme a continuellement développé la productivité du travail en introduisant de nouvelles méthodes de production basées sur de nouvelles technologies. Cependant, cette augmentation de la productivité du travail entraîne un effet contradictoire sur le taux de profit. Dans la mesure où la productivité accrue du travail élimine la main d'uvre du processus de production, elle tend à diminuer la masse de la plus value et ainsi à diminuer le taux de profit. Toutefois, dans la mesure où la productivité de la main d'uvre permet accroître l'extraction de la plus value des travailleurs qui restent dans le processus de production, elle tend à augmenter la masse de la plus value, entraînant ainsi une expansion de l'accumulation du capital. Cela signifie que le développement de la productivité du travail dans l'économie tendra à fournir une expansion du taux de profit dans la mesure où cette dernière tendance prédomine sur l'ancienne. Si tel est le cas, l'économie capitaliste subit une expansion et la « respiration » redevient plus facile. Or ce fut certainement le cas pour les trois décennies qui ont suivies la Seconde Guerre mondiale. Les vastes augmentations de la productivité du travail résultant de la prolifération des méthodes de production des lignes d'assemblage dans les principaux pays capitalistes a entraîné un accroissement du taux de profit et une expansion générale de l'accumulation. Cependant, depuis le milieu des années 1970, les profits se sont remis à diminuer. Au cours des 25 dernières années, le Capital a réagit comme l'avait prévu Marx. D'un côté, il y a eu une poussée frénétique pour augmenter la productivité du travail alors que de l'autre il y au une augmentation des tentatives spéculatrices de surmonter la baisse des profits par des moyens financiers. Il est indéniable que les changements technologiques ont entraîné une vaste augmentation de la productivité au travail. Par exemple, US Steel employait 120 000 travailleurs en 1980. Mais une décennie plus tard, sa force de travail n'était plus que de 20 000 personnes, et la production était à peine légèrement plus basse. Au cours des années 1980, la région sidérurgique de Sheffield a vu la destruction de dizaines de milliers d'emplois. Pourtant la production de l'acier dans cette région est plus élevée qu'elle ne la jamais été. Au cours de la même décennie, la société General Electric a réduit sa force de travail de plus de 40 %, et pourtant ses ventes ont triplé. Plusieurs exemples dans les autres industries peuvent également être donnés démontrant bien l'importante augmentation de la productivité au travail. Mais ce qui est tout aussi évident, c'est que l'augmentation de la productivité a entraîné peu, sinon aucune augmentation du taux de profit moyen. Selon l'économiste américain Fred Moseley, le taux de profit est passé de 22 % à la fin des années 1940 à 12 % au milieu des années 1970 -un déclin de presque plus de 50 %. Les vastes changements survenus dans l'économie américaine au cours des deux décennies suivantes -dont la baisse du niveau des salaires réels- ont ensuite entraîné une augmentation. Mais malgré cela, le taux de profit au milieu des années 1990 n'était passé que de 12 à 16 %. C'est-à-dire que seulement environ 40 % du déclin précédent avait été récupéré et le taux de profit était toujours de 30 % inférieur à son sommet précédent. De nombreux processus économiques témoignent de la constante pression à la baisse sur les taux de profit dans tous les secteurs industriels : existence d'une surcapacité de production dans de nombreuses industries essentielles, compétition intense dans tous les secteurs de l'économie et fusions de plusieurs milliards de dollars dans la récente période alors que les entreprises tentant de réduire leurs coûts et d'éliminer la compétition. L'incapacité de surmonter la pression à la baisse du taux de profit dans le processus de production a entraîné des tentatives plus nombreuses de contournement par des moyens financiers. Selon l'économiste britannique Harry Shutt, depuis le début des années 1980, une proportion accrue du retour sur les investissements provient des gains en capitaux (par appréciation de la valeur sur le marché des avoirs financiers) plutôt des avoirs. Il a estimé qu'environ 75 % des retours totaux au Royaume-Uni et aux États-Unis provenaient de cette source depuis 1979 alors qu'en comparaison ce taux était bien en deçà des 50 % de 1900 à 1979. « Cela démontre clairement, conclut-il, que la hausse des valeurs provient plus de l'afflux croissant de fonds dans le marché et de la spéculation que les prix vont continuer à être poussés à la hausse... que par le courant de revenu actuel provenant des actions » [The Trouble with Capitalism, Harry Shutt, p. 124]. Une caractéristique cruciale de l'économie politique de la période récente apparaît ainsi. Dans des conditions où les profits prennent de plus en plus la forme de gains provenant de transactions financières, les marchés requièrent des entrées de fonds toujours plus grandes -une véritable « muraille d'argent »- pour les soutenir. Ceux qui achètent des avoirs financiers (par exemple des actions) à des prix qui il y a peu auraient été rejetés comme « déraisonnables » peuvent maintenant le faire en fournissant plus d'argent sur le marché pour pousser les prix encore plus à la hausse et entraîner des gains en capitaux. Cette nécessité d'un afflux de fonds toujours croissant est l'une des raisons pourquoi la dernière décennie a vu le démantèlement des anciens systèmes de régulation -l'abandon notamment de la Loi Glass-Steagall en 1999 aux États-Unis en est un bon exemple (cette loi empêchait les banques de s'engager dans des activités d'investissement et commerciales)- et l'hostilité envers la mise sur pied de nouveaux régimes de contrôle. L'opposition à toute réglementation découle du fait que cela équivaut finalement à restreindre l'afflux des argents nécessaires pour soutenir la dépendance aux marchés financiers. La nécessité pour les marchés financiers de recevoir un afflux de fonds toujours croissant est une des forces motrices derrière les transformations du système de retraite aux États-Unis et ailleurs dans le monde. À la base de ces changements réside la décision de lier les fonds de retraite directement aux marchés financiers. Ainsi, dans le cas d'Enron, les travailleurs font face à la possibilité voir toutes leurs économies et tous leurs revenus futurs balayés d'un coup. L'étendue de ces transformations est soulignée par les chiffres publiés par l'OCDE -ce groupe de 30 pays représentant les principales économies capitalistes. Cet organisme a démontré que la valeur des avoirs financiers détenus par les institutions d'investissement de ses pays membres (consistant en fonds de pensions et de compagnie d'assurances) a augmenté de 9 800 milliards $US entre 1990 et 1995 -une augmentation annuelle moyenne équivalent à 10 % de leur PIB [voir The Trouble with Capitalism, Harry Shutt, pp. 110-111.] C'est cet accroissement de l'afflux des fonds dans les années 1990 qui a entraîné tant d'illusions dans la soi-disant « nouvelle économie » -des illusions qui sont nourries par le fonctionnement même du capitalisme L'une des sources de la mystification au sein du système capitaliste est que du point de vue du marché, toutes les sections du Capital semblent identiques. Il semble en effet qu'une certaine masse d'argent produit des profits de par sa nature même sous forme d'autres argents. Mais il y a des différences fondamentales entre les diverses formes de capitaux. Bien qu'ils produisent un revenu, les avoirs financiers en eux mêmes ne sont pas des capitaux productifs engagés dans l'extraction directe de la plus value de la classe ouvrière. Ce ne sont que des titres de propriété, c'est-à-dire des réclamations sur les revenus produits par d'autres sections du Capital. Cela signifie que bien qu'il soit possible pour les entreprises de surmonter la pression sur les taux de profit au moyen du marché financier, il y a des limites définies à ce processus, commandées par le fait que la source finale de toutes les formes de revenus en capitaux est la plus value extraite de la classe ouvrière. L'approche vers ces limites entraîne des changements significatifs dans la physionomie de l'économie capitaliste. Forcées d'embrasser des opérations sur les marchés financiers pour assurer leurs profits, toutes les sections du Capital deviennent de plus en plus dépendantes de leur capacité à attirer de l'argent neuf. Keynes comparait les marchés financiers à un concours de beauté dans lequel les participantes doivent se mettre sur leur trente-et-un, cacher leurs défauts et toutes informations nuisibles aux juges. Il en va de même des marchés financiers. Mais contrairement à un concours de beauté, un événement ayant une finalité, le jugement du marché est un processus permanent. Dans la lutte pour récolter des fonds, des mauvaises nouvelles peuvent entraîner la chute de la valeur des actions et se transformer en désastres. Dans des conditions où chaque entreprise se voit contrainte de faire plus de profits que ce que qui est perçu comme les « attentes du marché », la pression pour cacher la situation véritable devient intolérable. Ainsi, les nouvelles potentiellement nuisibles comme un accroissement de la dette, comme ce fut le cas pour Enron, doivent être cachées. La comptabilité doit gonfler les chiffres des ventes et des profits et retirer les mauvaises nouvelles du « bilan ». Les fonds de retraites et les régimes 401(k) doivent être gelés pour empêcher la chute de la valeur des actions. Le mensonge et la falsification deviennent ainsi monnaie courante. Prenant la parole lors de l'émission d'actualité « Meet the Press » diffusée sur NBC le 27 janvier dernier, Joseph Berardino, directeur du géant de la comptabilité Arthur Andersen, firme employée par Enron, a souligné l'importance de ces méthodes. « À ma connaissance, il n'y a rien d'illégal dans ce que nous avons trouvé », a-t-il déclaré. Autrement dit, les pratiques financières et comptables d'Enron sont vues comme la norme. Dans les semaines et les mois à venir, les appels au contrôle, à la réglementation et au resserrement des pratiques comptables se feront plus nombreux afin d'éviter qu'une autre situation comme Enron ne se reproduise... tout comme cela a été le cas à la suite d'autres désastres financiers. Un article publié dans l'édition du Newsweek du 28 janvier a déjà donné le ton : « L'essentiel à comprendre dans le désastre d'Enron, c'est qu'on a laissé l'entreprise transmettre des informations financières trompeuses pendant des années. Ces chiffres fictifs qui montraient Enron comme une entreprise dont les profits montaient doucement lui ont permis de devenir la septième plus importante entreprise des États-Unis avec des revenus de 100 milliards $US par année. Mais dès que les chiffres réels ont commencé à être connus en octobre suite aux pressions des actionnaires, des bailleurs de fond et de la Commission des opérations de bourse auparavant discrète, Enron a fait faillite dans les six semaines. Conclusion : il faut changer la réglementation afin de terroriser les entreprises qui seraient tentées de publier des chiffres malhonnêtes, ainsi que les comptables qui les approuvent. Toute autre mesure ne serait que poudre aux yeux ». De tels articles ne visent qu'à tenter d'apaiser la colère du public d'un côté et de bloquer toute analyse en profondeur des causes sous-jacentes du désastre de l'autre. La débâcle d'Enron n'est pas le fruit de l'échec des méthodes comptables. Elle est profondément enracinée dans les transformations structurales de l'économie capitaliste même. Kenneth Lay et la direction d'Enron n'ont pas planifié de mettre sur pied une entreprise corrompue ou peut-être même criminelle. Mais tout l'environnement économique dans lequel ils évoluent, conditionné par la profonde crise du système de profit, a dicté leur recours à des pratiques de plus en plus douteuses. De plus, les transformations des procédures comptables, l'abandon des normes régissant les audits, le développement des conflits d'intérêt etc. qui ont libéré le chemin pour les agissements de la haute gestion d'Enron, sont le résultat de ce même environnement. Les cabinets de comptabilité responsables des audits et des prévisions économiques ne sont pas plus sujets aux pressions du marché que leurs clients. Les appels pour un contrôle plus serré restant dans le cadre de l'économie capitaliste et du système de profit passent à côté du point essentiel. La débâcle d'Enron qui entraîne la désastreuse dévastation économique de milliers de personnes n'est qu'un symptôme et non la maladie même. Elle est le résultat de la crise de l'économie capitaliste dans son ensemble. La subordination de la production de richesses pour l'extraction de profit privé -la base même de l'économie capitaliste- a atteint un niveau de dégénérescence tel que la fraude et le mensonge sont devenus ses modes d'opération. Un contrôle véritable ne peut être établi
si on resserre simplement les règles et les procédures
comptables car les cabinets de comptabilité sont eux mêmes
d'importants joueurs sur le marché et le système
comptable même est basé sur le système de
la propriété et du profit privés qui est
au cur de la crise. Un contrôle véritable ne pourra
en aucun cas être appliqué par une caste d'administrateurs
et de hauts-fonctionnaires. Il ne peut pourra être établi
que lorsque la société dans son ensemble et les
membres qui la compose, c'est-à-dire les producteurs de
toutes les richesses, seront capables de déterminer démocratiquement
comment la société doit être gérée
et développée. Un tel ordre social présuppose
l'établissement de la propriété collective
des moyens de production. Voilà la tâche commandée
par l'effondrement d'Enron. Voir aussi :
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