World Socialist Web Site www.wsws.org

wsws : Nouvelles et analyses : Étas-Unis

Qu'est-ce que le ben-Ladenisme ? La lettre du leader d'al-Qaeda aux américains

Par Bill Vann
29 novembre 2002

Une traduction récente d'une lettre de 4000 mots prétendument écrite par Oussama ben Laden donne peut-être la présentation la plus claire qu'on ait donnée jusqu'à présent des points de vue politiques et sociaux complètement réactionnaires qui sous-tendent cette forme de terrorisme intégriste.

Malgré la menace d'une nouvelle vague d'attentats contre des cibles américaines, l'administration Bush et les médias ont fait peu de cas de cette lettre. Celle-ci arrive à un moment très délicat, au milieu de l'offensive de l'administration pour une guerre en Irak et d'une série de nouvelles révélations qui rattachent les services de renseignement saoudiens et américains aux terroristes du 11 septembre.

Il y a un an, on a beaucoup parlé l'enthousiasme révoltant de ben Laden pour les attaques contre le World Trade Center dans une tentative de remonter la popularité de l'invasion américaine de l'Afghanistan. A présent cependant, Washington ne veut pas de distractions alors qu'il est occupé à démoniser l'Irak et qu'il tente de décrire les «armes de destruction massive» de Bagdad comme la principale menace. Ainsi le prétendu auteur des attaques du 11 septembre, que Bush décrivait auparavant comme «le Mauvais» qu'il voulait «mort ou vivant», n'existe pas pour le moment aux yeux de Washington.

Cette lettre mérite pourtant une étude sérieuse, d'abord à cause de ses menaces de nouvelles atrocités terroristes. La lettre les décrit comme des actes de vengeance pour l'assaut militaire des États-Unis contre l'Irak. Par exemple : «Toute personne qui essaiera de détruire nos villages et nos villes, nous essaierons de détruire leurs villages et leurs villes. Toute personne qui volera nos fortunes, nous devons détruire leur économie. Tout groupe qui tuera nos civils, nos tuerons leurs civils».

Ces phrases soulignent combien attardés et barbares sont ben Laden et ses semblables, qui ont maintes fois aux ordres de Washington et de ses agences de renseignement attaqué des mouvements révolutionnaires et aidé l'impérialisme au Moyen-Orient, avant de se retourner contre les États-Unis.

Une grande section de la lettre est dévouée à une défense dégoûtante des attaques terroristes contre des civils. Il cite la sanction divine d'Allah et justifie aussi de telles attaques comme une vengeance pour les Palestiniens tués par les forces d'occupation israéliennes en Cisjordanie, pour les victimes afghanes des bombardements américains et pour les Irakiens qui sont morts de maladies ou de privations à cause des sanctions économiques imposées par Washington.

Ceux qui ont suivi l'évolution politique de ben Laden remarqueront que ses inquiétudes au sujet de l'oppression des Palestiniens et des 1,5 millions d'Irakiens que l'on estime être morts à cause des sanctions américaines sont une addition relativement récente à une perspective idéologique dominée par un anti-communisme féroce et le fanatisme religieux.

Contre les affirmations des sionistes d'extrême-droite que Dieu a laissé «la Judée et la Samarie» aux juifs, l'intégriste islamique utilise le même style religieux et archaïque pour annoncer que les musulmans sont les seuls véritables héritiers des prophètes bibliques.

Il rejette toute protestation que les civils américains, tels les 3000 personnes ­ employés de bureau, passagers dans les avions, pompiers, et autres ­ massacrées le 11 septembre, ne sont pas responsables de la répression du peuple palestinien, du bombardement de l'Afghanistan ou des sanctions contre l'Irak.

«Le peuple américain choisit son propre gouvernement de son propre chef ; un choix qui provient de leur accord avec sa politique», écrit-il. «Le peuple américain paie les impôts qui achètent les avions qui nous bombardent en Afghanistan, les chars qui attaquent et détruisent nos maisons en Palestine, les armées qui occupent nos pays dans le Golfe Persique, et les flottes qui garantissent le blocus de l'Irak Donc le peuple américain est de ceux qui financent les attaques contre nous, et qui contrôlent les dépenses de cet argent comme ils veulent, par leurs élus.»

Cette diatribe ignorante ne peut sortir que d'un mouvement qui ne vise pas une transformation révolutionnaire de la société, mais l'utilisation de la terreur pour forcer l'impérialisme à accepter une accommodation.

«Le peuple américain choisit son propre gouvernement de son propre chef» Il écrit ceci au sujet d'un pays où le président est arrivé au pouvoir en supprimant le «libre arbitre» du peuple, dans la mesure où ce dernier réussit à s'exprimer dans les élections, il y a deux ans. C'est un pays dans lequel l'aliénation des masses du processus politique est si grande qu'à peine un tiers de l'électorat a participé dans les élections au Congrès au début du mois de novembre. Le fait que des centaines de milliers de personnes à travers le pays ont manifesté contre les projets de guerre de l'administration Bush ­ et que des millions d'Américains sont hostiles au militarisme et à la répression ­ laisse ben Laden totalement indifférent.

Les États-Unis, finalement, sont un des pays les plus socialement stratifiés au monde. Un gouffre immense sépare la masse des travailleurs, qui n'ont presque aucun contrôle sur le gouvernement et l'économie, de la strate étroite de multi-millionaires qui contrôlent les hommes politiques des deux partis et qui dictent une politique intérieure et étrangère qui n'ont rien à voir avec les intérêts de la majorité. Ben Laden ne fait aucune distinction entre les couches exploitées et opprimées de la société américaine et le système qui les exploite et les opprime. Ils sont tous dignes de vengeance.

Quant à sa critique religieuse de la société américaine, une grande partie, avec des changements mineurs, pourrait servir de programme à cette base vitale du Parti républicain, la droite chrétienne. Ben Laden tonne contre l'Amérique à cause de sa tolérance de l'homosexualité et de la fornication, et de la présence des femmes dans les publicités américaines.

Faisant écho à la chasse aux sorcières lancée par la droite républicaine dans la campagne de destitution de 1998-99, ben Laden déclare : «Qui peut oublier les actes immoraux que votre président Clinton a commis dans le Bureau ovale ? Après cela, vous ne l'avez même pas condamné devant vos cours, si ce n'est que du fait qu'il avait "commis une erreur", après quoi il n'y a pas eu de punition. Y a-t-il une pire sorte d'évènement pour lequel votre nom restera dans l'Histoire et restera dans l'esprit des nations ?» Avec quelques changements éditoriaux, ces mots pourraient faire une chronique du Washington Times ou du American Spectator.

Dans sa mise en accusation de la société américaine comme «la pire de l'histoire de l'humanité», la principale accusation est que l'Amérique est «un pays qui, plutôt que de vivre par la charia d'Allah dans sa constitution et ses lois, choisit d'inventer ses propres lois, comme il le veut et le désire. Vous séparez la religion de vos politiques, contre la nature pure qui affirme l'autorité totale de Dieu, votre Créateur.»

Ce credo du fascisme clérical a aussi ses parallèles dans la politique américaine. En fait, on croit presque entendre une des attaques incessantes de la droite républicaine contre la laïcité de l'État. Il ne faut pas s'étonner du fait que Bush et les autres hauts fonctionnaires de l'administration ne parlent qu'obliquement de ben Laden et des siens en tant que «les mauvais», sans oser à explorer la politique qui motive leurs actions horribles.

Les rapports avec les États-Unis

Les ressemblances entre la réaction islamiste et la politique de la droite américaine sont-elles simplement une coïncidence formelle ? À peine. Ben Laden et les siens ont longtemps eu des rapports étroits avec l'impérialisme américain.

Tout le monde admet aujourd'hui que les relations entre les familles ben Laden et Bush sont de longue date, George Bush père ayant arrangé bon nombre de contrats lucratifs entre sa firme d'investissements Carlyle Group et la famille du leader d'al-Qaeda. Ben Laden a commencé sa carrière politique comme partenaire de la CIA dans une guerre secrète qui a commencé en 1979 et a duré dix ans contre le régime pro-soviétique en Afghanistan. Les États-Unis ont déversé pour 5 milliards de dollars d'armes meurtrières et d'aide dans les coffres des moudjahidin, ceux recrutés localement comme les volontaires arabes que ben Laden a aidé à recruter et coordonner.

Le conseiller à la Sécurité nationale du président Carter, Zbigniew Brzezinski, a expliqué la politique américaine dans un interview avec le journal français Le Nouvel Observateur en 1998, avouant que Washington avait consciemment favorisé l'intégrisme islamique pour attirer l'URSS dans une guerre. «Nous avons à présent l'occasion de donner à l'URSS sa guerre au Vietnam» a-t-il dit à Carter en 1979, après l'intervention des troupes soviétiques.

Quand on lui a demandé s'il regrettait avoir créé un mouvement responsable d'actes de terrorisme à travers le monde, Brzezinski a éludé la question, déclarant : «Qu'est-ce qui est plus important dans l'histoire du monde ? Les talibans ou la chute de l'empire soviétique ? Quelques islamistes agités ou la libération de l'Europe centrale et la fin de la guerre froide ?»

Le fait que les différents gouvernements américains portent la responsabilité politique pour la mort de milliers de civils américains aux mains des terroristes intégristes musulmans est encore souligné par les dires de Ronald Reagan, qui a déclaré en 1985 que les moudjahidin étaient «les égaux moraux de nos pères fondateurs et des hommes et des femmes courageux de la Résistance française».

Les buts américains réalisés, l'Afghanistan réduit en ruines et 1,5 millions de personnes tuées, l'opération de la CIA a terminé et ben Laden s'est retrouvé isolé. C'est alors que son orientation politique a viré vers l'anti-américanisme. Même à cette époque, Washington et ses alliés soutenaient les protecteurs et les proches de ben Laden parmi les talibans, comme moyen de contrer l'influence russe et iranienne en Afghanistan.

Les relations entre l'impérialisme et l'intégrisme islamique en Afghanistan n'étaient pas un phénomène isolé. Washington et ses agents ont maintes fois encouragés ces éléments pour tenter de combattre le nationalisme laïc et les mouvements ouvriers orientés vers le socialisme à travers le Moyen-Orient. Même aujourd'hui, tout en attaquant l'Iran comme partie de «l'Axe du mal», Washington se prépare à assister un imam chi'ite soutenu par les Iraniens pour essayer de provoquer une révolte en Irak du sud contre le régime de Saddam Hussein.

Le développement du mouvement révolutionnaire des travailleurs au Moyen Orient et en Asie centrale a toujours confronté la nécessité d'une lutte âpre contre les tendances comme celle de ben Laden. Au Second Congrès de l'Internationale communiste en 1920, Lénine a présenté un brouillon de thèse sur la lutte de la classe ouvrière dans les pays sous-développés qui éclaircissait la question.

Tout en insistant que les travailleurs des pays capitalistes avancés devaient soutenir activement la lutte contre l'oppression coloniale, la thèse soulignait «la nécessité d'une lutte contre le clergé et les autres éléments influents religieux et moyenâgeux» dans les pays opprimés, et surtout «le besoin de combattre le panislamisme et des courants semblables, qui tentent de combiner le mouvement libérateur contre l'impérialisme américain et européen avec une tentative de renforcer les positions des khans, propriétaires, mullahs, etc.»

Ici Lénine a décrit l'essence sociale et politique du ben Ladenisme. Ce n'est pas un mouvement politique de combattants libérateurs désorientés qui exprime d'une manière quelconque les luttes des masses opprimées mais confuses du point de vue politique. Dans ses idées politiques comme dans ses activités, ben Laden représente une section dissidente et démoralisée de la bourgeoisie nationale en Arabie Saoudite et généralement au Moyen Orient.

Cette couche sociale privilégiée trouve que l'impérialisme ne l'a pas bien traitée et se trouve frustrée par les limitations imposées à ses ambitions. Ce n'est pas un accident que ben Laden et des mouvements comme le sien ont reçu un financement important des PDG et d'éléments de l'État en Arabie Saoudite.

Incapables d'avancer une alternative progressiste à la domination mondiale du capital financier américain et international et dédaigneux des intérêts sociaux des masses de leurs propres pays, pour ne pas parler du reste du monde, ces forces glorifient l'utopie réactionnaire d'un État panislamique qui ferait revenir les pays à majorité musulmane ou peut-être le reste du monde, un millénaire en arrière au gouvernement de la charia et des califes.

Étant donnée l'absence d'une perspective révolutionnaire, l'intégrisme islamique peut exploiter le mécontentement profond de larges couches de la population au Moyen-Orient à des fins réactionnaires. Ces mouvements ont exploité l'incapacité des projets nationalistes laïcs ­ de Nasser à l'OLP ­ d'améliorer les conditions sociales des masses populaires ou d'arriver à une véritable indépendance vis-à-vis l'impérialisme.

La politique de Washington ­ le soutien porté à l'occupation et l'agression israélienne, la volonté de Washington de faire une guerre en Irak, et ses tentatives de dominer militairement les pays pétroliers du Golfe ­ a attisé la colère populaire dans la région.

La relation entre l'impérialisme américain et le terrorisme intégriste musulman est symbiotique. La prétendue «guerre contre le terrorisme», une façon déguisée de permettre la violence militaire pour arriver aux fins stratégiques mondiales de Washington, créera plus de recrues pour les mouvements intégristes musulmans. Entre-temps, on saisira de nouveaux actes terroristes contre des cibles américaines pour justifier davantage d'agressions américaines à travers le globe. L'apparence d'un certain désintérêt de la part de l'administration Bush à la capture de ben Laden s'explique en partie par l'aspect politiquement utile pour lui du terrorisme d'al-Qaeda.


 

Untitled Document

Haut

Le WSWS accueille vos commentaires


Copyright 1998 - 2012
World Socialist Web Site
Tous droits réservés