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France: Des fusillades révèlent des tensions sociales explosivesPar Therese LeClerc Le 27 mars à une heure du matin dans la ville de Nanterre, en banlieue parisienne, un homme de 33 ans ouvre le feu à la fin d'une séance du conseil municipal, tuant huit conseillers municipaux et en blessant quatorze autres dont huit sérieusement. Richard Durn, diplômé universitaire, qui n'avait jamais trouvé d'emploi stable, avait attendu que les gradins réservés au public se vident pour tirer des rafales d'arme automatique sur les quarante élus présents dans la salle. Quatre membres du Parti communiste français (PCF) furent tués sur le coup de même que trois membres de l'Union pour Nanterre, une coalition locale de l'opposition de droite et un représentant du parti des Verts. Un conseiller municipal qui avait été touché par deux fois en essayant de ceinturer Durn afin de le remettre à la police, est toujours à l'hôpital dans un état critique. A la fin de la tuerie Durn s'est écrié "Tuez-moi! Tuez-moi!". Trente six heures plus tard il se suicidait en sautant du quatrième étage des locaux de la brigade criminelle au Quai des Orfèvres. Les politiciens réagirent aux événements de Nanterre en appelant à un surcroît de sanctions plus sévères contre la violence et en affirmant que la tuerie restera inexplicable. La plupart des commentaires avaient pour objet comment Durn, qui suivait un traitement psychiatrique, avait été autorisé à acheter des armes et avait pu se suicider pendant sa garde à vue. A moins d'un mois des élections présidentielles, prévues le 21 avril et le 5 mai, les principaux candidats avaient placé le thème de l'insécurité et de la délinquance juvénile au coeur de la campagne présidentielle. Jacques Chirac, le président sortant, avait décrit
les actes, tels ceux de Durn, d'inhumains en disant qu'il fallait
tout faire pour qu'ils soient "réprimés et
empêchés". Son principal protagoniste le premier
ministre socialiste, Lionel Jospin, qui s'est lui aussi déclaré
en faveur de sanctions plus sévères a qualifié
l'acte de Durn d'"absolument insensé". Jospin
avait lancé une mise en garde contre tout amalgame entre
"un acte de folie meurtrière qui s'est produit et
[qu'] il ne faut donc pas le traiter comme d'autres phénomènes
dont on parle par ailleurs". Le déséquilibre mental a certainement joué un rôle dans les événements de la semaine passée. Durn est décrit par sa mère comme n'ayant jamais eu d'amis. Il avait été traité pendant douze ans avec des antidépresseurs et avait à deux reprises tenté de se suicider. Mais, d'après la déposition faite à la police, son sentiment d'avoir été traité comme un déchet par la société est partagé par de nombreux jeunes. Durant plusieurs années déjà les gouvernements successifs ont réduit les dépenses publiques, telles les allocations chômage et autres prestations sociales. Le nombre de chômeurs en France s'élève aujourd'hui à 2.200.000 voire 9 pour cent de la population. Dans certaines régions le chômage des jeunes est de l'ordre de 50 pour cent. Près de 4 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté dont un grand nombre de travailleurs pauvres. La France détient en Europe le plus haut taux de suicide. Des actes d'extrême violence de la part d'individus désespérés sont associés en France avec les Etats-Unis. Pourtant ces problèmes se sont également multipliés en France. Au cours de ces dix dernières années, au moins dix-sept cas similaires ont eu lieu et qui ont souvent abouti au suicide de leurs auteurs. En juillet 1992, un jeune ouvrier avait tué sept personnes dans l'usine de Besançon qui venait de le licencier. Il devait ensuite se suicider. Douze mois plus tard, un membre de la communauté gitane tuait six personnes de sa familles et se donnait la mort ensuite. En septembre 1995, un jeune de seize ans tuait seize personnes dont trois membres de sa famille, en blessant sept autres avant de se tuer. En octobre dernier un employé des chemins de fer ouvrait le feu en plein centre-ville de Tours (au sud de Paris), tuant quatre personnes et blessant onze autres personnes. Il est actuellement en prison. Aux dires de plusieurs maires, le fait que Durn ait pris pour cible une mairie et des élus locaux est symptomatique de la dégradation des relations entre la population et les élus locaux de l'ensemble du monde politique. Stéphane Gatignon, maire communiste de Sevran (Seine-Saint-Denis) aurait dit: "Depuis pas mal de temps, les gens estiment que, parce qu'ils gueulent, ils obtiendront ce qu'ils veulent On avance vers des problèmes majeurs". Gatignon avait été agressé en janvier par un groupe de jeunes alors qu'il venait de s'interposer entre eux et un restaurateur de la ville. Manuel Vals, maire d'Evry (Essonne) et membre du Parti socialiste, rapportait au Monde que "De plus en plus de gens viennent dans le bureau des élus parfois très remontés, prêts à en découdre physiquement parce qu'ils n'ont pas obtenu tel logement ou telle subvention". Claude Pernes, maire de Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) un partisan du parti de droite Démocratie Libérale, dit: "J'ai eu un problème avec une jeune fille qui doit accoucher. Elle est sans toit, sa mère la rejette. Son compagnon m'a dit: Si elle accouche dans la rue, vous êtes la première victime." Une réaction plus perspicace que celle des politiciens
est apparue la semaine dernière dans Libération
sous la forme d'une lettre d'un jeune qui est d'avis que la société
même est en grande partie responsable de l'acte meurtrier
de Durn. "Si Durn paraissait dépressif, invoquer
la folie est une excuse facile." Ecrivait Michaël Moretti.
"Cet acte terrible éclaire plus le malaise d'une
génération sacrifiée que tous les discours
monotones d'hommes politiques lors d'échéances
électorales. ... Durn, diplômé d'une maîtrise
de sciences politiques et d'une licence d'histoire, vivait avec
le RMI [Revenu minimum d'insertion] chez sa mère. Cette
situation n'est pas rare. Les Rmistes, sans évoquer les
jeunes exclus de cet ultime dispositif, survivent dans une souffrance
inimaginable. Etre au RMI, c'est évoluer sans reconnaissance,
être un humain de seconde zone. Depuis la Seconde Guerre
mondiale, nous sommes la première génération
à gagner moins d'argent que nos aînés. Notre
avenir est incertain. De tout ceci résulte des facteurs
de fragilisation du psychisme individuel. Les clochards, pudiquement
étiquetés SDF, sont de plus en plus jeunes. L'horizon
paraît terne. Notre avenir, ce sont des emplois de courte
durée, mal rémunérés, requérant
une inflation de diplômes. Notre avenir est de ne pas en
avoir. Nous vivons une grande détresse. C'est aussi cela
qu'exprime l'acte inexcusable de Durn."
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