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Réforme de la justice en France Délation et attaques en priorité contre les jeunes

Par Marianne Arens
Le 15 août 2002

L'Assemblée nationale française a adopté en session extraordinaire une nouvelle loi sur la justice mettant hors d'usage des principes fondamentaux datant en partie de la révolution française.

Après avoir été adopté au Sénat dès le 26 juillet, le projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice du ministre de la justice, Dominique Perben, fut examiné, durci et adopté en session extraordinaire à l'Assemblée nationale le 3 août, juste avant les vacances parlementaires. Notons que la droite est fortement majoritaire à l'Assemblée nationale depuis les dernières élections législatives.

Trois des nouvelles mesures qui frappent l'attention sont les suivantes: dans les banlieues, il sera instituée une justice de proximité sous la présidence de juges non professionnels, les soi-disant juges de proximité qui seront censés punir plus efficacement et plus rapidement les petits délits commis par des mineurs. À l'avenir, la possibilité de témoignage anonyme sera étendu à de nombreuses procédures judiciaires. De plus, les mineurs délinquants seront punis plus durement et leurs familles pourront être privées d'allocations familiales. À cette fin, il sera donné à la justice des moyens supplémentaires considérables.

Des tribunaux de proximité

Jusqu'à présent, il incombait exclusivement aux juges pour enfants d'intenter des procès contre des mineurs. À présent, 3 300 nouveaux juges de proximité nommés personnellement par décret par le président de la République seront placés dans des quartiers ouvriers et des banlieues défavorisées. Seule condition requise: avoir entre 30 et 75 ans et être titulaire d'un diplôme sanctionnant un cycle de quatre années d'études en droit. Il pourra donc s'agir d'anciens magistrats ou d'auxiliaires de justice ne disposant d'aucune expérience professionnelle auprès des enfants.

Le dispositif pénal relatif à l'enfance délinquante sera sensiblement durci. C'est ainsi que des jeunes qui manqueraient de discernement ou qui seraient coupables d'outrage à un enseignant seraient immédiatement punissables de six mois de prison et passibles d'une amende de 7 500 euros. Ce faisant, le statut des professeurs sera aligné sur celui des policiers et des gendarmes. Quiconque serait pris en flagrant délit de faire des tags devra verser 3 750 euros d'amende à laquelle s'ajoutera une peine de travail d'intérêt général.

Désormais des mineurs de 13 ans pourront être emprisonnés dès lors qu'ils seront considérés comme des "mineurs récidivistes". À ce titre des centres éducatifs fermés seront créés qui ne sont rien d'autre que des prisons pour enfants et adolescents. Jusque-là, il n'était pas possible d'incarcérer des jeunes de moins de16 ans.

C'est donc un principe qui avait été transcrit dans le code pénal dès 1791, donc à l'époque de la Révolution française, qui vient d'être supprimé, à savoir que l'âge légal de la responsabilité pénale est de 16 ans. En 1906, la majorité pénale fut portée à 18 ans. Dans l'ordonnance de 1945, le principe fut posé selon lequel les mesures éducatives devraient prévaloir sur les sanctions pénales. Tout ceci est à présent rendu nul et non avenu. Cette nouvelle loi démontre le ridicule de l'appel lancé par Jacques Chirac le 5 mai pour ce faire réélire au nom de la défense des "valeurs de la République".

La loi prévoit des "sanctions éducatives" applicables aux mineurs de 10 à 13 ans. Le tribunal pourra ainsi interdire à un enfant de fréquenter certains endroits publics ou de rencontrer certaines personnes.

Les familles de mineurs délinquants placés en centre éducatif fermé (CEF) risquent la suspension des allocations familiales. Cette double peine n'avait jusque-là été prônée que par l'extrême-droite, le Front national de Jean-Marie Le Pen. Elle fut intégrée dans la loi au moyen d'un amendement de Christian Estrosi, député de l'Union pour la Majorité présidentielle (UMP) des Alpes-Maritimes. "Il s'agit de responsabiliser les parents", telle fut la justification de cette mesure. Elle a provoqué les critiques de la Ligue des droits de l'homme (LDH) dont le porte-parole la qualifia de "logique de pénalisation et de guerre aux pauvres".

Des témoignages sous X

La procédure du témoin sous X sera étendue. C'est ainsi qu'elle s'appliquera aux délits punis de trois ans d'emprisonnement ou plus.

À l'Assemblée nationale les raisons évoquées pour cet élargissement sont que par là des délits seront également traités "dans des quartiers d'habitation où les témoins hésitent à déposer par peur des représailles". Ceci signifie toutefois qu'à l'avenir un prévenu pourra être accusé et condamné sur simple témoignage d'un "Monsieur X", qui restera inconnu de l'accusé, qui sera dispensé de se découvrir au tribunal et qui ne pourra de ce fait pas faire l'objet de débats contradictoires. Cette mesure invite à la dénonciation en rappelant les pires méthodes en vigueur dans des Etats policiers les plus autoritaires.

La LDH critiqua ces dispositions en dénonçant l'irrecevabilité du texte, le jugeant contraire à la convention internationale des droits de l'enfant, à la Constitution européenne et à la Déclaration universelle des droits de l'homme. Michel Tubiana, président de la LDH, déclarait: "Contrairement à ce que prévoit la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, la loi généralise une pratique qui ne garantit pas les droit de la défense en empêchant les confrontations et les débats contradictoires avec les témoins."

Alors que les droits des accusés sont piétinés, la protection des victimes devrait soi-disant être améliorée: à l'avenir, chaque victime portant plainte pourra à la fois demander la désignation d'un avocat d'office dès sa première audition par la police et bénéficier de l'aide juridictionnelle. Le bien-fondé de la protection de la victime sert ici d'alibi à un recours de l'Etat à la moindre infraction.

Le fait que la loi facilite à l'avenir considérablement l'incarcération de suspects - adolescents et adultes - signifie la dissolution d'une mesure adoptée il y a deux ans à peine. En 2000, forcé de mettre la France au niveau de la législation européenne, le gouvernement Jospin avait validé, avec les voix de l'opposition, une loi renforçant la protection de la présomption d'innocence jusqu'à preuve du contraire. La nouvelle mouture de la loi va exactement dans le sens contraire. Les condamnations par les juges de proximité ainsi que les sévères sanctions punissant la moindre infraction contribueront à largement remplir les prisons.

Deux amendements supplémentaires ne furent cependant pas adoptés, mais leur texte illustre l'ambiance dans laquelle eut lieu le vote de la nouvelle loi et démontre le degré de surenchérissement dont firent preuve les députés dans le but de vouloir la durcir. Le premier amendement réclamait l'apprentissage obligatoire de la Marseillaise à l'école primaire. Le deuxième prévoyait de nouveau l'instauration du délit de lèse-majesté en sanctionnant d'une amende de 80 000 euros et d'une peine d'emprisonnement de deux ans toute offense au président de la République.

Une enveloppe de 3,65 milliards d'euros de dépenses supplémentaires sera affectée à la justice pour la période de 2002-2007.

Débat parlementaire

Les parlementaires de droite ne s'étaient pas montrés unanimes lors du débat parlementaire sur la loi. C'était avant tout l'Union pour la Démocratie Française (UDF) de François Bayrou qui avait en partie présenté ses arguments contre la nouvelle loi sans pour autant voter contre: "Au total, voilà donc une loi qui s'imposait" avait affirmé le porte-parole de l'UDF, Pierre-Christophe Baguet. Ses critiques se portaient surtout contre le fait que la loi n'aille pas assez loin et n'encourage pas suffisamment les sanctions éducatives dans l'éducation, de plus, il aurait préconisé un juge de paix pour concilier l'auteur d'un délit et la victime.

Certains députés de l'UMP avaient également émis des critiques. Selon Le Monde, Xavier de Roux, député UMP-UDF de Charente-Maritime fustigea "l'immensité de cette exception" et Claude Goasguen (UMP) renchérit que "depuis 1789, même les régimes les plus autoritaires n'avaient pas osé le faire". En dépit de cela, ces députés votèrent pour dans le but "d'envoyer un signe à l'opinion".

Le Parti socialiste (PS) a voté contre la loi en menaçant de déposer un recours devant le Conseil constitutionnel. André Vallini, le porte-parole du groupe, avait déclaré que le PS prônait "une opposition totale, frontale et réfléchie" au texte et mettait en garde "à ne pas générer une surviolence par une surpénalisation".

Cette opposition du Parti socialiste est pourtant tout à fait de mauvaise foi. Rappelons que lors de la campagne électorale, le candidat PS, Lionel Jospin, avait précisément inscrit à son programme de telles propositions à l'encontre de jeunes délinquants. C'est également le PS qui avait préparé le terrain pour de telles mesures. Dans la loi sur la sécurité quotidienne (LSQ) qui avait été instaurée par le gouvernement Jospin, les droits démocratiques avaient déjà été fortement enfreints. C'est ainsi qu'elle prévoyait un emprisonnement ferme en cas de resquille dans les transports publics. L'ancienne ministre de la justice, Marylise Lebranchu, avait introduit après le 11 septembre 2001 des dispositions relatives à la dénonciation anonyme, certes à titre d'exception et pour des procès de cour d'assises.

Les juges de proximité, au même titre que la police de proximité, sont le produit du Parti socialiste. Julien Dray, un ancien membre de la Ligue communiste révolutionnaire de Pablo et qui, aujourd'hui, fait partie du conseil national du PS en représentant l'aile gauche de Gauche socialiste, préconisait en tant que vice-président du conseil régional d'Ile-de-France, la mise en place de ces juges de proximité.

En ce qui concerne les syndicats, le ministre de la justice, Dominique Perben, les avait déjà associé au projet de loi. Dans son intervention à l'Assemblée nationale il avait déclaré: "Je tiens à préciser qu'en raison même de l'urgence de l'action, j'ai, contrairement à ce que l'on a lu ou entendu ici ou là, mené une concertation approfondie sur ce texte: j'ai reçu personnellement plus de 60 délégations, dont 29 organisations syndicales".

Que représente cette loi?

Au moyen de cette loi, est introduite une approche différente de rendre la justice - tout comme préalablement le renforcement de la police - cette nouvelle approche accorde à la répression de l'Etat un poids considérablement plus lourd. Des mesures qui avaient déjà été préparées et partiellement introduites sous le gouvernement Jospin, se voient à présent généralisées et portées au rang de principe.

Il est dorénavant permis à l'Etat de contrôler la vie au quotidien des travailleurs et des jeunes jusque dans les moindres détails. La délation est encouragée, le besoin de sécurité des personnes âgées, par exemple, est mis à mal au profit d'un système de mouchardage. Les familles de travailleurs et les pauvres sont doublement punis dès qu'ils entrent en conflit avec la justice.

Par ailleurs, par l'adoption de la loi instituant les contrats-jeunes, la situation des jeunes s'aggrave doublement. Cette loi qui avait été présentée en juillet par François Fillon, le ministre des affaires sociales, prévoit que 250 000 jeunes sans qualification pourront être placés dans des PME (petites et moyennes entreprises), non pour y bénéficier d'une formation, mais pour être exploités comme manuvres sous-payés et ne disposant d'aucun droit alors que les patrons seront totalement exonérés de charges sociales.

Dans une telle situation, la nouvelle loi sur la justice incorpore également la crainte de la bourgeoisie face à de nouveaux mouvements de grève, tels ceux de mai-juin 1968 ou de décembre 1995. Finalement, ce sont ces mêmes politiciens qui revendiquent pour la jeunesse la tolérance zéro, qui viennent d'augmenter généreusement leur traitement et qui réclament une amnistie pour enterrer leurs innombrables affaires de corruption.

La crainte de la bourgeoisie paraît justifiée au vue des dizaines de milliers de jeunes qui s'étaient spontanément rassemblés et ce des jours durant après l'annonce des résultats du premier tour des élections présidentielles en avril dernier dans le but de barrer la voie au fasciste Le Pen.

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