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La Mondialisation, Jospin et le programme politique d'Attac

 

de Nick Beams
10 septembre 2001

Lionel Jospin, premier ministre français, a manifesté son soutien à l'une des revendications principales du mouvement anti-mondialisation européen.

Au cours d'un entretien télévisé de cinquante minutes, le 28 août, Jospin a déclaré que la France mettrait la question d'une taxe sur les mouvements internationaux du capital à l'ordre du jour de la prochaine réunion des ministres des finances européens qui se tiendra en Belgique dans le courant du mois de septembre.

L'imposition d'une telle taxe sur les transactions de devises internationales, portant le nom de «taxe Tobin» d'après l'économiste américain James Tobin qui l'a, le premier, prônée en 1972, est la pierre angulaire de l'organisation française Attac (Association pour une Taxation des Transactions financières et pour l'Aide aux Citoyens), fondée fin 1997 et qui compte actuellement un certain nombre d'affiliés en Europe et de par le monde.

Jospin dit à son interlocuteur : «Nous devons effectivement poser ces problèmes (de la mondialisation) .... Je suis favorable à ce que la France propose que l'Union européenne prenne une initiative à cet égard» afin que l'Europe souscrive à la taxe Tobin.

Cette prise de position représente un certain changement de politique de la part de Jospin et du gouvernement du Parti socialiste. Bien que Jospin lui-même ait été favorable à une telle politique - comme il le rappela lors de l'entretien, il avait préconisé une taxe Tobin en 1995 lorsqu'il était candidat aux présidentielles - des éléments clé dans son gouvernement s'y étaient opposés.

En août de l'année dernière, Laurent Fabius, ministre des finances, présenta à la chambre des députés un rapport rejetant l'idée de la taxe au prétexte que celle-ci était irréalisable et qu'elle déstabiliserait les marchés monétaires.

Mais le paysage politique a changé assez rapidement depuis et c'est pourquoi Jospin est prêt à défendre cette taxe, même face à l'opposition de Fabius et d'autres membres du Parti socialiste.

Les manifestations au sommet du G8 en juillet, reflétant l'opposition croissante aux transnationales et à la domination du capital financier, ont révélé la base de plus en plus étroite de soutien social sur laquelle la bourgeoisie internationale peut compter.

Tandis que certains représentants des classes dominantes préfèrent, à la manière des Bourbons, ignorer la réalité sociale, n'apprenant rien et n'oubliant rien, d'autres comme Jospin, extrêmement sensibles au fait que ces contestations laissent présager un mouvement de la classe ouvrière contre le capitalisme mondial, cherchent des moyens de détourner et de dévier ce mouvement.

Jospin avait commencé à se rapprocher de cette proposition de taxe avant le sommet de Gênes, en autorisant une rencontre entre ses adjoints et des représentants d'Attac. Suite aux manifestations, il déclara que bien que la France dénonçât la violence d'une infime minorité agissant «sous le prétexte de mettre en évidence les fléaux de la mondialisation», elle était «ravie de voir se former un mouvement de citoyens à l'échelle planétaire désirant que la majorité des hommes et des femmes partage les bénéfices potentiels entre les pays riches et les pays pauvres».(retraduit de l'anglais).

«Nous voulons mettre en place un système de régulation durable», avait-il poursuivi, «qui fasse de la planète un atout commun exploité de manière équitable ; nous voulons établir une communauté équitable, aussi respectueuse de l'environnement que des différentes cultures et civilisations. C'est là le cur du message universel dont la France veut être porteur dans le monde».(retraduit de l'anglais).

Les perspectives d'Attac

L'histoire et le programme d'Attac démontrent que, malgré ses dénonciations parfois véhémentes des opérations du capital mondial et de la pauvreté et des inégalités qui en résultent, son but n'est pas la construction d'un mouvement anticapitaliste fondé sur un programme socialiste. Attac cherche plutôt à bloquer le développement d'un tel mouvement en prônant l'idée que le capitalisme peut être régulé au moyen d'actions conjuguées de gouvernements nationaux, en commençant par l'imposition d'une taxe sur les transactions monétaires étrangères qui arrêterait la spéculation financière et empêcherait que les initiatives économiques nationales ne soient minées.

Le but politique d'Attac n'est pas le socialisme - transfert du pouvoir politique à la classe ouvrière et reconstruction économique de la société sur la base du besoin humain - mais la restitution du pouvoir politique et de la souveraineté économique à l'état nation capitaliste.

Le mouvement Attac fut lancé en décembre 1997, en pleine crise financière asiatique, par une déclaration dans le mensuel Le Monde diplomatique de son rédacteur en chef Ignacio Ramonet.

«Le typhon sur les Bourses d'Asie menace le reste du monde», écrit-il, «La mondialisation du capital financier est en train de mettre les peuples en état d'insécurité généralisée. Elle contourne et rabaisse les nations et leurs états en tant que lieux pertinents de l'exercice de la démocratie et garants du bien commun.»

Ramonet poursuit en dénonçant la mondialisation financière comme ne connaissant d'autre loi que la sienne et ayant ses propres organisations supranationales (comme le Fonds Monétaire International et l'Organisation mondiale du commerce).

«Cet Etat mondial est un pouvoir sans société, ce rôle étant tenu par les marchés financiers et les entreprises géantes dont il est le mandataire, avec comme conséquence, que les sociétés réellement existantes, elles, sont des sociétés sans pouvoir (...) Et cela ne cesse de s'aggraver».

Le programme fondateur d'Attac reprit ces idées, en déclarant que la mondialisation financière aggravait «l'insécurité économique et les inégalités sociales» tout en rabaissant «les choix des peuples, les institutions démocratiques et les Etats souverains en charge de l'intérêt général,» en mettant en place une «logique purement spéculative» n'exprimant que «les intérêts des sociétés multinationales et des marchés financiers».

Une «taxe Tobin» sur les transactions monétaires internationales, déclarait le programme, «mettrait du sable dans les rouages de la spéculation» et «alimenterait des logiques de résistance» et «redonnerait des marges de manoeuvre aux citoyens et aux états» tout en montrant que la politique peut «reprendre le dessus».

Cette plate-forme appelait à la reconquête des «espaces perdus par la démocratie au profit de la sphère financière» et à l'opposition «à tout nouvel abandon de la souveraineté des états au prétexte du droit des investisseurs et des marchands».

Ces déclarations démontrent clairement la manière d'opérer de l'organisation Attac. Elle cherche à se baser sur l'hostilité croissante envers les inégalités sociales, à contrer les atteintes aux droits démocratiques produites par la domination du capitalisme mondial, et à bâtir à partir de cela un programme politique nationaliste.

Loin d'être anticapitaliste, le programme d'Attac a pour but la défense d'une certaine section de la classe capitaliste.

Le mouvement Attac entreprend cette défense de deux façons. Premièrement, il cherche à bloquer le développement d'une conscience politique en affirmant que la montée des maux sociaux causée par la domination du capital global peut être combattue en limitant le pouvoir du capital financier - comme si celui-ci était séparé du capital dans sa globalité.

Deuxièmement, Attac oeuvre pour créer une base sociale pour ces sections de la bourgeoisie, en France et plus généralement en Europe, dont l'hostilité à l'égard du capital américain s'accroît au fur et à mesure qu'elles luttent pour défendre leurs propres intérêts dans le contexte international.

Jospin exprima ces intérêts en termes de «message universel dont la France veut être porteur dans le monde» (retraduit de l'anglais). Son ministre des affaires étrangères, Hubert Védrine, exprima la question avec plus de franchise. Lors du colloque annuel des diplomates qui se tint à Paris à la fin du mois dernier, il déclara :«Nous allons continuer nos efforts pour une mondialisation humaine et maîtrisée, même si le nouvel unilatéralisme autoritaire des américains ne facilite pas les choses.»(retraduit de l'anglais)

La déclaration de Susan George

Les objectifs politiques d'Attac et son opposition fondamentale au développement d'un mouvement socialiste ont été clairement exprimés par sa vice-présidente, Susan George.

George, qui a dénoncé à plusieurs reprises dans ses écrits, et sans mâcher ses mots, les opérations du système financier international et la misère infligée par la croissance de l'endettement international, fut l'un des intervenants majeurs du Forum Social Mondial qui se tint à Porto Alegre, Brésil, en janvier de cette année. Cependant avant même qu'elle ne fasse son intervention, le point de vue fondamental de son organisation était mis en évidence par le fait qu'Attac avait invité deux ministres du gouvernement de Jospin à assister au forum.

George dit à l'assemblée qu'il fallait soumettre les méga-sociétés et les marchés financiers internationaux au «contrôle démocratique» et que «tout comme nos ancêtres s'étaient battus pour des systèmes nationaux de taxation afin de réduire les inégalités et de fournir des services publics nationaux, nous aussi devons nous battre pour une taxation internationale.» De telles taxes, insista-t-elle, étaient réalisables techniquement. «Le monde globalement n'a jamais été aussi riche et la technologie nécessaire existe si les gouvernements veulent l'utiliser. Le vrai problème c'est qu'ils ne veulent pas.»

Ensuite pour souligner son opposition au développement d'un mouvement socialiste international, George poursuivit: «Je regrette de l'avouer, mais je n'ai pas la moindre idée de ce que pourrait signifier le renversement du capitalisme au vingt et unième siècle. Peut-être allons-nous assister à ce que le philosophe Paul Virilio a appelé l'accident mondial, mais cela serait accompagné d'une énorme souffrance humaine. Si toutes les Bourses et les marchés financiers venaient à s'effondrer subitement, des millions de gens se retrouveraient à la rue tandis que les grandes et petites sociétés sombreraient, les fermetures de banques dépasseraient de loin la capacité des gouvernements à empêcher la catastrophe, l'insécurité et la criminalité régneraient, et nous nous retrouverions dans l'enfer décrit par Hobbes de la guerre de tous contre tous.

«Traitez-moi de réformiste si vous voulez - je veux éviter un tel avenir. Je veux aussi éviter l'avenir néo-libéral programmé. Si mon analyse est bonne, elle veut dire qu'il faut à la fois arrêter le programme de l'adversaire et faire pression pour que soient prises des mesures qui puissent remplacer le système actuel de capitalisme sauvage par un système coopératif où les marchés auront une place mais ne pourront imposer leur loi sur toute la société.»

Nous avons longuement cité ces remarques car elles résument tous les éléments essentiels des perspectives d'Attac.

En s'efforçant d'empêcher que les gens ne tirent des conclusions socialistes révolutionnaires en examinant le capitalisme mondial et les faits et chiffres qu'elle-même a présentés - George érige un homme de paille.

Le cauchemar de Hobbes, qu'elle évoque, ne représente pas le renversement révolutionnaire du capitalisme mais, au contraire, les conséquences des tendances les plus fondamentales du système capitaliste. Comme l'a longtemps soutenu le mouvement marxiste, le pronostic historique se réduit finalement, en dernière analyse, à l'alternative entre socialisme ou barbarie.

Un aperçu de ce qui nous attend s'est produit en Asie, quand la crise financière de 1997-98 plongea des millions de gens dans la pauvreté, pratiquement du jour au lendemain. Mais la crise asiatique, comme cela s'est révélé depuis, ne fut que l'expression initiale de tendances fondamentales intrinsèques au capitalisme mondial. Ces tendances se manifestent actuellement dans le développement d'une récession mondiale, et la menace toujours présente d'une crise financière, provoquée par le défaut de pays comme l'Argentine ou la Turquie ou même une crise centrée sur le dollar américain et le système financier américain.

Selon George, l'unique perspective viable consiste à subordonner les marchés à la domination politique de l'état. Mais ni elle, ni aucun des défenseurs de ce programme, n'examine jamais les raisons pour lesquelles le système de régulation national et international, qui formait le cadre de l'ordre capitaliste pendant un quart de siècle après la seconde guerre mondiale, s'est effondré.

Deuxième partie...

 

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