wsws.org/francais

Visitez le site anglais du WSWS

SUR LE SITE :

Contribuez au WSWS

Nouvelles et Analyses
Luttes Ouvrières
Histoire et Culture
Correspondance
L'héritage que nous défendons

A propos du CIQI
A propos du WSWS

AUTRES LANGUES

Allemand

Français
Anglais
Espagnol
Italien

Indonésien
Russe
Turque
Tamoul

Singalais
Serbo-Croate

 

L'autonomie partielle pour la Corse divise le gouvernement français

Par Marianne Arens et Françoise Thull
30 août 2000

Le gouvernement français se trouve dans une situation critique : le ministre de l'Intérieur, Jean-Pierre Chevènement, a annoncé sa démission pour marquer son opposition à la politique corse du premier ministre socialiste, Lionel Jospin.

Lionel Jospin a amorcé il y a des mois un processus d'autonomie partielle pour la Corse. Le 13 décembre 1999, il avait invité pour la première fois, au siège du gouvernement à l'Hôtel Matignon, les représentants de tous les partis politiques de l'île dans le but de discuter de l'avenir de la Corse. Outre José Rossi, le président de l'Assemblée de Corse et président du groupe Démocratie libérale (DL) à l'Assemblée nationale, était également présent son suppléant, Jean-Guy Talamoni, vice-président chargé des relations avec les instances européennes, et actuellement le président à l'Assemblée de Corse du groupe Corsica nazione, branche politique du FLNC-Canal historique, une organisation indépendantiste clandestine armée. La publication des photos de la réunion fit grand bruit en France car, jusque-là, aucun chef de gouvernement ne s'était affiché au grand jour avec des séparatistes corses.

Depuis, Jospin a publié son programme pour une autonomie partielle de la Corse qui prévoit une solution de transition jusqu'en 2004. La révision de la constitution envisagée dans ce projet en 2004 devrait accorder à l'île, qui fait partie intégrante de la France depuis 1797, plus d'autonomie à la condition, toutefois, d'« un rétablissement durable de la paix civile ». L'Assemblée territoriale de Corse disposerait de la possibilité d'adapter les lois françaises, sous le contrôle a posteriori du Parlement d'ici 2004. Les nouveaux champs de compétences concernés sont la gestion de l'infrastructure, le développement économique, le tourisme, les sports et l'éducation. La langue corse sera mise sur un pied d'égalité avec le français et son enseignement sera généralisé dès la maternelle et le primaire. Les exonérations fiscales, par exemple celles sur les successions, continuent de s'appliquer.

Alors que l'Assemblée territoriale corse avait approuvé ces propositions à 80 pour cent fin juillet, les critiques se multipliaient à Paris, non seulement du côté des partis de l'opposition gaulliste, mais aussi dans le camp gouvernemental, les critiques les plus vives venant de Chevènement qui bénéficia de l'appui de plusieurs membres du gouvernement.

En tant que ministre de l'Intérieur, la question de la Corse relève de l'autorité de Chevènement. Ce dernier considère qu'une décentralisation plus importante met la souveraineté de l'État français en danger. Cette concession pourrait devenir un précédent créant un « effet de contagion, ce que j'appelle l'effet ILOVEYOU » (du nom du virus informatique) avait-il déclaré. Il redoute des revendications autonomistes similaires de la part des Basques et Catalans français, de la Bretagne, de l'Alsace et même de la Savoie.

Chevènement représente l'un des plus importants piliers du gouvernement Jospin. En tant qu'Euro sceptique de « gauche », il joue un rôle de premier ordre en confortant toute une couche électorale. Il est le président du Mouvement des Citoyens (MDC) qui était issu en 1992 de la scission dans le Parti socialiste en opposition au Traité de Maastricht. Dans le passé, il avait déjà démissionné deux fois, en 1983 alors qu'il était ministre de l'Industrie et en 1991 en tant que ministre de la Défense. En 1991, il avait démissionné à cause de son opposition à la guerre du Golfe, qu'il considérait alors comme une entreprise purement américaine et allant à l'encontre des intérêts de la France.

Le plan d'autonomie partielle de Jospin

Alors que Chevènement craint un affaiblissement de la centralisation de l'État français au profit de revendications indépendantistes croissantes des régions, Jospin espère pouvoir refréner les activités des séparatistes corses au moyen de concessions limitées.

Six mois à peine après l'arrivée de Jospin au gouvernement, le 6 février 1998, le préfet français de l'île, Claude Erignac, était assassiné. L'État réagit avec une extrême rigueur. Bernard Bonnet, un fils de militaire et un « républicain énergique » devint le nouveau préfet. Il créa son propre Groupe de pelotons de sécurité (GPS) et mena une véritable guerre privée pour rétablir coûte que coûte « l'État de droit», au besoin, même par des moyens illégaux.

Alors que le 20 avril 1999, un restaurant de plage qui avait été construit en toute illégalité, fut incendié et que les traces conduisirent les enquêteurs au préfet même, Bonnet, qui, jusque-là, avait bénéficié du soutien de Jospin, ne pouvait plus être protégé et fut incarcéré. Cet épisode ébranla plus que jamais l'autorité de l'État français en Corse et Jospin eut à repousser à l'Assemblée nationale une motion de censure en pleine campagne pour les élections européennes.

Deux rapports d'enquête parlementaire du Sénat et de l'Assemblée nationale furent rédigés pour mettre en lumière les conditions politiques dans l'Ile de Beauté et leurs conséquences sur la politique corse de la France. Les deux rapports conclurent que l'État français avait commis de graves fautes en Corse. Ils reprochèrent notamment aux ministres gaullistes Debré et Balladur d'avoir également contribué à l'escalade de la violence de par des négociations secrètes avec les séparatistes ainsi que par le favoritisme. L'implication de politiciens français de haut niveau dans des méthodes mafieuses, tels l'assassinat, le trafic de drogue et le blanchiment de l'argent fut également mentionnée.

À ce stade, Jospin prit l'initiative pour une nouvelle solution du « problème corse » en recevant les représentants de l'île pour des entretiens à Matignon et en développant son projet d'autonomie partielle.

Afin d'amadouer des critiques comme celles de Chevènement, le premier ministre joua à l'équilibriste en ce qui concerne le problème corse : dans un article paru dans l'hebdomadaire Le nouvel Observateur, il défendit récemment son projet en affirmant que, dans le fond, rien ne changerait en France, les mesures n'étant pas applicables à d'autres régions. Une amnistie pour les terroristes, en l'occurrence les meurtriers du Préfet Erignac, était exclue.
Ce faisant, il ne devait d'aucune manière mettre en danger la collaboration précaire avec les nationalistes corses à son projet politique en Corse. De ce côté également, le projet risque de rencontrer une certaine opposition. Immédiatement après le vote favorable de l'Assemblée territoriale sur les propositions, il y eut une nouvelle série d'attentats.

Le 7 août, l'ex-dirigeant nationaliste corse, Jean-Michel Rossi, fut abattu en même temps que son garde du corps dans un café à L'Ile-Rousse (Haute-Corse). La veille seulement, le dimanche 6 août, s'étaient tenues à Corte, la « capitale historique de la Corse » les soi-disant « Journées internationales » des nationalistes. Là, les propositions de Jospin avaient été fêtées comme étant le résultat de la lutte armée. Elles furent interprétées comme le premier pas vers l'autonomie entière de la Corse et furent liées à une demande d'amnistie générale.

L'attentat contre Jean-Michel Rossi fut suivi par d'autres attentats : dans la cour de l'Agence pour le développement économique de la Corse à Ajaccio une voiture piégée explosait et quelques jours plus tard le bâtiment de la sous-préfecture à Sartène (Corse-du-Sud) était touché par un tir de roquette. Bien que ces derniers attentats, tout comme d'autres, ne soient toujours pas revendiqués et que la trêve, qui avait débuté en décembre 1999, n'ait pas été officiellement levée, les premières arrestations laissent supposer que les auteurs en sont des séparatistes corses qui sont loin d'accepter les propositions d'autonomie partielle.

Le séparatisme corse

Les séparatistes corses sont scindés en cliques rivales qui, en raison de leurs pratiques hautement criminelles, ont perdu leur influence dans une grande partie de la population.

Leur histoire plus récente avait débuté avec la fondation du FLNC (Front de libération nationale de la Corse) en 1976. L'année précédente, avait eu lieu un conflit entre des viticulteurs corses et des Pieds-noirs, d'anciens colons français d'Afrique du nord qui s'étaient en partie établis en Corse après que la France ait dû se retirer d'Afrique du nord en 1962. Pour protester contre l'aide particulière qui leur était accordée, les agriculteurs corses, sous la direction d'Edmond Siméoni, avaient occupé en 1975 une entreprise viticole située à Aléria, sur la côte orientale de l'île. Une lutte sanglante s'ensuivit avec la police. La fondation du FLNC fut inspirée du FLN algérien qui avait combattu la France. En 1989 était créée l'organisation clandestine armée FLNC-Canal historique.

À partir du début des années 1990, les organisations nationalistes corses dégénérèrent rapidement. Des luttes intestines se développèrent sur la question du soi-disant « impôt révolutionnaire », une source financière souvent encaissée au moyen de braquages et de racket pratiqués à grande échelle. Les sommes extorquées sont placées dans l'immobilier mais également dans des casinos et des cercles de jeux en Afrique et en Italie. Un système mafieux était en place dans le trafic d'armes et de drogue ainsi que le blanchiment de l'argent. Des politiciens importants du continent étaient également impliqués dans les collusions des séparatistes. En 1995, près d'un attentat par jour avait eu lieu en Corse et une série de huit attentats provoqua huit morts et 159 blessés sur le continent français.

Au cours des années 1990, les groupes séparatistes perdirent la plupart de leurs militants de la première heure, qui furent remplacés par des éléments délinquants. Jean-Michel Rossi, l'ex-dirigeant de l'organisation autonomiste A Cuncolta, abattu début août et qui avait abandonné la lutte armée il y a quelques années, avait accordé une interview, la veille de son assassinat, à l'hebdomadaire Marianne dans laquelle il déclarait : « Aux étudiants, agriculteurs et enseignants des années 1970, ont succédé des marginaux, auxquels on s'est bien gardé de donner la moindre conscience politique ». Faisant référence à la situation actuelle il précisa que le mouvement « n'a ni tête, ni cadres, ni projet cohérent et crédible » leur base étant « disponible pour toutes les aventures. »

Il en est de même pour les soi-disant séparatistes de « gauche » d'A Manca Naziunale qui bénéficie du soutien de la « Ligue communiste révolutionnaire » (LCR) d'Alain Krivine, et qui n'offrent aucune perspective progressiste. Dans le journal de la LCR Rouge, ils sont présentés comme « le mouvement patriotique de Gauche ». Leur représentant, Serge Vandepoorte, y critique Jospin pour avoir manqué le véritable but d'une « décolonisation » de la Corse. Dans son programme, A Manca Naziunale revendique la « reconnaissance des droits nationaux du peuple Corse ».

Une concession aux cliques bourgeoises

Aucun des groupes autonomes corses ne représente une force progressiste. Ils représentent les objectifs des cliques rivales bourgeoises et petites-bourgeoises qui voient leurs propres intérêts économiques entravés par la domination française. C'est à elles que s'adresse le projet d'autonomie partielle de Jospin.

Pour la majorité de la population, ce projet n'apportera par contre aucune amélioration. Malgré les énormes subventions européennes continuelles, la plupart des Corses vivent dans une grande pauvreté. L'île qui, comme de par le passé, vit surtout du tourisme et de l'exportation de denrées alimentaires, arrivait en août 1998 au 143ème rang des 196 régions européennes en fonction de la richesse créée par habitant. 95 % de l'ensemble des entreprises corses comptent moins de dix salariés. Sur une population de 250 000 habitants, l'on compte 15 000 chômeurs et 30 000 précaires sur 100 000 actifs.

Des concessions faites dans le passé dans le cadre d'une dévolution n'ont rien changé à cet état de fait, au contraire, la fracture sociale s'est même accrue.

C'est ainsi qu'après une série d'attentats, Alain Juppé, le prédécesseur de Jospin, avait déclaré la Corse « zone franche » dotée d'exonérations fiscales. Cette réglementation, qui s'appliquera encore jusqu'à fin 2001, exonèrent une grande partie des entreprises corses de la taxe professionnelle et des charges sociales. L'Assemblée territoriale avait approuvé la mise en place de la zone franche par un vote extrêmement serré (26 voix pour, 24 contre et 1 abstention). À la suite de quoi, les entreprises de la seule ville de Bastia (Haute-Corse) avaient pu économiser la première année 36 millions de francs de taxe.

Le gouvernement Jospin ne supprima pas ces diverses exonérations qui se révélèrent être bien plus attrayantes que les aides que l'État français avait attachées à l'introduction des 35 heures. Sur les 360 entreprises entrant en ligne de compte pour l'application des 35 heures en Corse, seules 13 signèrent un accord. En 1998, l'économie corse a pu enregistré 250 millions de francs de privilèges fiscaux.

Dès à présent, l'on peut voir que l'Assemblée territoriale usera de l'élargissement de ses pouvoirs pour intensifier le libre marché et ce aux dépens des intérêts vitaux de la population.
Le conflit issu de la privatisation du service public maritime corse en témoigne. À partir du 1er janvier 2002, le service public maritime entre la Corse et le continent, à savoir la Société nationale Corse-Méditerranée (SNCM) et la Compagnie Corse-Méditerranée (CMN) seront ouvertes à la concurrence. C'était la raison pour laquelle, en mai dernier, le personnel des deux compagnies maritimes avait débrayé par trois fois en l'espace de cinq mois : sur les 2 500 emplois existants, 700 sont menacés de disparition. Dans cette lutte, pour la défense des emplois, les marins corses et leurs collègues marseillais, de qui l'action était partie, s'étaient trouvés côte à côte.
Le même tableau ressortait dans le cas de la grève, en décembre dernier, contre la privatisation des compagnies aériennes: la compagnie concernée CCM (Compagnie aérienne Corse Méditerranée) appartient à 60 % à l'Assemblée territoriale et se trouve pratiquement entre les mains des nationalistes corses qui l'on créée après la liquidation en Corse d'Air France. Les 476 salariés de CCM ainsi que les 150 employés d'Air France reçurent le soutien des marins de la SNCM et de la CMN.

À eux seuls, ces deux événements illustrent clairement que l'encouragement des efforts en vue d'une autonomie sert également à saper la solidarité entre les travailleurs corses et français qui ne pourront sauvegarder leurs intérêts que par un combat commun.

L'autonomie corse projetée sous la direction des nationalistes menace également de provoquer des tensions ethniques. Ceci s'est manifesté clairement lorsque des projets d'avenir furent évoqués dans le quartier général du parti séparatiste Conculta. Les dirigeants de Conculta expliquèrent que la moitié des insulaires, d'origine non corse, pourraient également demeurer à l'avenir sur l'île à la condition toutefois qu'ils partagent le destin de la communauté corse.

Les avances de Jospin à l'adresse des séparatistes corses n'ont donc rien à voir avec des concessions au bénéfice de la population corse. S'il a été prêt à s'accommoder d'une crise gouvernementale, c'est avant tout, parce que la situation en Corse était devenue insoutenable pour l'État français.

L'État entretient un vaste dispositif de sécurité sur l'île, allant du simple policier à la compagnie de CRS (Compagnie républicaine de sécurité) en passant par les renseignements généraux. En Corse, le ratio forces de sécurité par habitant s'élève à environ un fonctionnaire de la sécurité publique pour 242 habitants, alors que la moyenne nationale est de un fonctionnaire pour 437 habitants. La gendarmerie est le plus importante agence de l'État français en Corse, malgré que l'île ne soit pas connue pour être une zone sensible en ce qui concerne la petite et moyenne délinquance.

Pour ce qui est de l'État et des bourgeoisies corse et française, la situation a plus que duré. Une instabilité due aux activités terroristes, à laquelle s'ajoute le fait que les subventions massives versées par Paris et Bruxelles disparaissent dans les canaux des cliques rivales, est des facteurs négatifs pour toute zone industrielle. Bref, ces facteurs sont insoutenables.

Chevènement, quant à lui, redoute que toute concession aux séparatistes corses risque d'affaiblir l'autorité de l'État en France même, au moment où celui-ci se trouve de plus en plus soumis à la pression de mouvements sociaux.


 

Untitled Document

Haut

Le WSWS accueille vos commentaires


Copyright 1998 - 2012
World Socialist Web Site
Tous droits réservés