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Menace de guerre civile et intervention française en Côte d'Ivoire
La France, soucieuse de ne pas être accusée d'ingérence dans la politique de son ancienne colonie, prépare toutefois une intervention sous le prétexte d'assurer la sécurité des civils français. C'est le même procédé qu'avait employé la Grande Bretagne pour intervenir dans le pays voisin, en Sierra Leone, et qui vira rapidement en une sorte de nouvelle colonisation. Depuis un coup militaire qui avait eu lieu le 24 décembre dernier, une junte militaire dirigée par le Général Gueï gouverne la Côte d'Ivoire. La semaine passée, Gueï avait eu des entretiens avec l'ambassadeur de France en Côte d'Ivoire pour le questionner au sujet du renfort de troupes françaises dans le pays. Un contingent de la Légion étrangère est venu renforcer de 170 hommes l'actuel 43e bataillon d'infanterie de marine, portant l'effectif à 680. Ils sont cantonnés près d'Abidjan, la capitale, où 40 soldats sont stationnés à l'ambassade de France. L'ambassadeur a affirmé que les troupes «n'avaient rien d'exceptionnel» et étaient simplement destinées à ajuster le nombre aux niveaux convenus. Elles étaient simplement destinées à protéger des ressortissants français durant une période électorale où «il y a toujours un peu de tension» précisa-t-il. Un article dans le magazine Jeune Afrique dépeint un tableau bien différent. Il fait remarquer que, sous la direction d'un comité permanent au ministère des Affaires étrangères du Quai d'Orsay, un centre de crise avait été établi à l'ambassade de France à Dakar au Sénégal. Jusqu'à dix unités de commandos spéciaux ultra secrets avaient été envoyés à Abidjan en juillet «dans le but d'inspecter le terrain». Leur but avait été de préparer l'évacuation, en l'espace de «trois à cinq heures au plus», des ressortissants français restants. La déclaration de l'ambassadeur à savoir qu'aucune intervention significative n'avait eu lieu fut également réfutée par un rapport du Washington Post où l'on pouvait lire que la France «y avait augmenté ses troupes de plusieurs centaines» et qu'un cuirassé croisait au large de la côte «ayant à bord plusieurs centaines de soldats de plus». Le signe le plus récent de l'instabilité qui règne en Côte d'Ivoire avait été la tentative d'assassinat contre le général Gueï dans les premières heures du 18 septembre. Sa résidence avait été attaquée par des soldats rebelles, mais l'attaque avait été repoussée par des forces loyalistes après une fusillade de plusieurs heures. Deux des gardes du corps de Gueï furent tués. Il n'est pas clair qu'elles sont les forces politiques qui soutiennent les rebelles. Gueï avait pris le pouvoir l'année dernière alors que des soldats protestant contre des bas salaires s'étaient mutinés et avaient forcé le président Henri Konan Bédié à fuir le pays. Gueï, en tant que chef militaire respecté, était supposé rétablir le calme dans l'armée. Au lieu de cela les protestations pour des salaires impayés avaient persisté. Des soldats loyaux à Gueï avaient écrasé une révolte en mars. En juillet des centaines de soldats mutins s'étaient emparés des rues d'Abidjan ainsi que dans d'autres villes et Gueï avait tout juste réussi à garder le pouvoir. Bédié avait été le dirigeant du Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI), qui avait régné dans le pays depuis l'indépendance en 1960 grâce au support français. La Côte d'Ivoire est le principal producteur mondial de cacao et avait été considérée comme l'un des pays les plus stables de l'Afrique subsaharienne. En raison d'une baisse excessive des prix du cacao à partir du milieu des années 1980 et d'une augmentation considérable de la dette qui avait conduit à l'application d'un programme d'ajustement structurel imposé par le FMI, la population n'a cessé d'endurer une pauvreté et un chômage croissants. Bédié était devenu de plus en plus impopulaire et le PDCI fut confronté à la croissance du Rassemblement des républicains (RDR), le parti dirigé par Alassane Ouattara. Ouattara, un ancien fonctionnaire du Fonds monétaire international (FMI) et qui bénéficie de l'appui de l'occident, doit son soutien au fait qu'il a combattu la corruption, toutefois son programme, qui est basé sur une économie de libre marché en préconisant des investissements transnationaux supplémentaires, n'a rien à offrir aux masses paupérisées. La réponse de Bédié avait été de s'attaquer au RDR, en enfermant ses dirigeants et en attisant le nationalisme ivoirien. Il avait affirmé que Ouattara, qui est natif du Nord à forte prédominance musulmane, avait des parents originaires du Burkina Faso voisin (anciennement Haute-Volta) et, en conséquence, était inéligible à la présidence. Des attaques ethniques contre des Burkinabés qui, durant les années 1970, s'étaient installés en Côte d'Ivoire dans le but de trouver du travail et qui représentent 40 % de la population, furent encouragés et des milliers furent obligés de quitter le pays. Gueï avait apparemment été un supporter d'Ouattara. A sa prise de pouvoir il avait libéré les dirigeants du RDR et nommé quelques-uns d'entre eux dans son Ministère. Il avait affirmé n'avoir aucune ambition politique et en promettant des élections présidentielles qui semblaient ouvrir la voie à Ouattara. Toutefois, en l'espace de quelques mois, il se dressa contre le RDR, le renvoyant de son gouvernement en soulevant une fois de plus la question de la nationalité d'Ouattara. Bien que le PDCI ait refusé d'accepter Gueï en tant que candidat présidentiel - ce dernier s'est déclaré candidat indépendant aux élections - apparemment il bénéficie du soutien d'une section de la même clique dirigeante qui a régné en Côte d'Ivoire durant ces dernières 40 années. La position de Gueï est loin d'être sûre compte tenu des divisions qui existent au sein de l'armée, dont une partie supporte Ouattara et l'autre d'autres candidats. Gueï a également encouragé le nationalisme ivoirien. Au cours des deux dernières semaines, des combats récurrents avaient eu lieu dans les zones rurales entre «Ivoiriens» et ouvriers immigrants et qui s'étaient soldés par onze morts. Les autorités locales évacuent les Burkinabés de leurs villages et quelque 2 500 d'entre eux qui ont échappé aux combats ont trouvé refuge dans des écoles situées dans des villes du sud-ouest du pays. Bien que dix-neuf candidats se présentent à l'élection présidentielle, le contrôle de leur éligibilité n'a toujours pas été effectué. L'élection présidentielle qui initialement devait avoir lieu en septembre a été reportée alors que se poursuit le contrôle d'éligibilité. Le président de la Cour suprême qui supervise le processus de contrôle a été nommé par Gueï. La candidature d'Ouattara est mise en question par des avocats mandatés par l'Etat et risque fort d'être rejetée en raison de la nationalité de ses parents. L'autre principal candidat, Emile Constant Bombet du PDCI, ex-ministre de l'Intérieur de Bédié, est poursuivi pour détournement de fonds. Les efforts de Gueï pour empêcher la participation aux élections des principaux candidats de l'opposition devra forcément accroître le risque d'un conflit militaire comme en témoigne la tentative d'assassinat. L'intervention française a été tenue en sourdine pour deux raisons. Premièrement, pour empêcher Gueï d'avoir recours à une rhétorique anti-française en vue d'accroître son soutien. En juillet, Charles Josselin, le ministre français délégué à la coopération, avait critiqué Gueï pour sa candidature à la présidence en disant, «l'uniforme se conjugue mal avec la démocratie». Il avait également exprimé son inquiétude en ce que la constitution qui avait été votée en juillet par référendum était employée à exclure des candidats pour raison de nationalité. Gueï avait immédiatement organisé une manifestation devant l'ambassade de France à Abidjan. Les remarques avaient été interprétées comme un soutien français à l'adresse d'Ouattara. Josselin fut obligé de donner au quotidien Le Monde une interview dont les propos avaient été soigneusement pesés tout en insistant que la France n'espérait «qu'une bonne application [de la constitution] par les instances responsables» et qu'elle n'avait aucune préférence de candidature. Deuxièmement, il existe des divisions au sein de la classe dirigeante française en ce qui conerne le candidat favori. Selon des rapports publiés dans le magazine Africa Confidential, le président Chirac et les gaullistes «appuyés par un riche homme d'affaires Vincent Bollork, un des principaux bénéficiaires de la privatisation en Afrique, préféraient Bédié et le PDCI. Maintenant que Bédié est sous le coup d'un mandat d'arrêt ou d'exclusion politique au cas où il rentrerait dans son pays, il est vraisemblable que les gaullistes rejoignent la candidature de Gueï.» Le magazine fait remarquer que Gueï est proche d'un nombre de généraux français en retraite et qui sont devenus des hommes d'affaires, y compris le général Jeannou Lacaze, chef d'état-major de l'armée française dans les années 1980 et qui était alors conseiller en matière de sécurité du dictateur Mobutu Seso Seki au Zaire. Quoi qu'il en soit, ces généraux à la retraite ainsi que des sections de la classe dirigeante française dans l'entourage de Chirac avaient été discrédités en Afrique, particulièrement après leur participation dans le génocide au Rwanda en 1994. Il semble à présent que c'est le Quai d'Orsay qui dirige la politique africaine plutôt que le Palais de l'Elysée. Le problème que connaît actuellement le Quai d'Orsay et l'actuel gouvernement socialiste est qu'en dépit du fait que nombre d'entre eux favoriseraient une approche de libre marché représentée par Ouattara, le Front populaire ivoirien (FPI) est officiellement affilié au Parti socialiste français (PS). Ce parti dispose également d'un candidat présidentiel, Laurent Gbagbo, et qui bénéficie du soutien de la part de quelques députés du PS et malgré qu'il soit un ultra-nationaliste ivoirien. La Côte d'Ivoire est d'une importance stratégique à la fois pour sa production de cacao, de café et d'huile de palme mais aussi en raison de son exploitation potentielle de pétrole offshore. Compte tenu de ces données, il existe une vraie possibilité que la France surmonte ses hésitations et décide de mener une intervention militaire dans le but de sauvegarder sa suprématie dans la région. Voir aussi:
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