Les élections
canadiennes :
Le Bloc québécois est un piège pour les
travailleurs
par François Legras
24 novembre 2000
Même si le Bloc québécois (BQ) se prétend
une coalition de circonstance et pas un véritable parti
politique, c'est la troisième fois qu'il se présente
dans une élection fédérale. Alter ego fédéral
du Parti québécois (PQ), le parti indépendantiste
qui forme le gouvernement provincial au Québec, le BQ
s'attend à gagner la majorité des 75 circonscriptions
fédérales au Québec, mais est loin de gagner
la majorité du vote total.
Le BQ a des liens intimes avec les trois principales fédérations
syndicales au Québec, et bénéficie de leur
appui, sinon ouvert, au moins tacite. Le chef du parti, Gilles
Duceppe, ancien maoïste, fut choisi des rangs de la bureaucratie
syndicale pour devenir le premier candidat et premier député
élu du BQ. Le vice-président du BQ, Pierre Paquette,
fut secrétaire-général de la CSN (Confédération
des syndicats nationaux).
Le Bloc ne manque pas de faire valoir cet appui des syndicats
pour se présenter comme un remplacement de gauche ou encore
social-démocrate au Parti libéral qui forme le
gouvernement fédéral et pour promouvoir la tromperie
que l'indépendance du Québec transcende la lutte
des classes.
En fait, le Bloc fut créé en 1990-91 par des
députés des partis qui représentent depuis
longtemps la grande entreprise. À la suite de l'échec
de l'accord constitutionnel du lac Meech, qui avait pour but
d'accommoder les demandes pour plus d'autonomie et de pouvoir
de l'élite économique et politique québécoise,
un groupe de députés québécois du
Parti conservateur et du Parti libéral au niveau fédéral
ont quitté leur parti respectif pour former le BQ, sous
la direction de l'ex-ministre conservateur Lucien Bouchard, dans
le but de promouvoir la « souveraineté ».
Lorsqu'il a fondé le BQ, Bouchard, aujourd'hui premier
ministre du Québec, en plus de l'appui du PQ, bénéficiait
aussi de celui du gouvernement québécois libéral,
qui voulait faire les plus grandes pressions sur Ottawa et les
autres provinces pour des changements constitutionnels. (Le Parti
libéral du Québec est depuis longtemps indépendant
du Parti libéral du Canada dirigé par Jean Chrétien)
Contre les droits démocratiques et ceux
des travailleurs
La campagne que mène le Bloc pour les élections
du 27 novembre fait bien ressortir son caractère de droite
et fournit d'autres éléments de preuve que son
projet de faire du Québec un nouvel État-nation
capitaliste n'est qu'une « cage à homard »
pour les travailleurs.
N'ayant aucun espoir de former le gouvernement fédéral,
le Bloc a toujours joui de la liberté d'user du populisme
contre le gouvernement libéral. Dans le passé,
il a été possible d'entendre les bloquistes se
fâcher contre les libéraux pour les compressions
budgétaires des programmes sociaux, particulièrement
celles dans l'assurance-chômage et dans les paiements de
transfert aux provinces, et dénoncer le gouvernement libéral
pour ne pas adopter une loi qui rend illégaux les briseurs
de grève.
Mais au cours de la présente campagne électorale,
Duceppe et le BQ ont bien peu dit sur la politique socio-économique.
Ils ont plutôt appliqué leurs énergies à
demander une loi antigang et à dénoncer Jean Chrétien
pour être corrompu et un laquais du Canada anglais. Reprenant
à son compte la rhétorique de la loi et l'ordre
de la très à droite Alliance canadienne, Duceppe
a accusé les libéraux de mollesse en face du crime
organisé parce qu'ils ont pris en considération
les avis des experts juristes et des défenseurs des droits
civils selon qui la proposition de loi anti-gang des bloquistes
violerait le droit d'association garanti par la Constitution.
Duceppe appelle lui pour faire usage de la clause « nonobstant
» pour assurer que la loi anti-gang ne soit pas jugée
anticonstitutionnelle. Cette clause rarement utilisée
permet aux législatures de voter des lois qui violent
les droits garantis par la Charte des droits et libertés
enchâssée dans la Constitution canadienne. «
Vous savez où j'aimerais mettre les droits constitutionnels
des Hell Angels » a dit Duceppe.
Le BQ ne s'inquiète pas plus des droits des travailleurs.
Il a refusé de critiquer le plan du PQ de suspendre les
droits syndicaux de dizaine de milliers d'employés municipaux
lors de la fusion forcée des municipalités du Québec.
Et le Bloc garde un silence calculé, lorsqu'à la
mi-campagne, le gouvernement péquiste s'est rallié
aux compagnies de camionnage qui embauche des briseurs de grève
au port de Montréal. Une loi d'urgence du PQ menace les
grévistes d'importantes amendes, de congédiements
et de saisie de leurs camions s'ils ne reprenaient pas immédiatement
le travail.
Si le Bloc a choisi de négliger les aspects socio-économiques,
c'est en grande partie parce que s'il avait fait autrement, cela
n'aurait pas manqué d'attirer l'attention sur combien
semblables sont les politiques du gouvernement provincial séparatiste
et celles du gouvernement fédéral libéral.
En fait, le ministre des Finances québécois,
Bernard Landry a accueilli le mini-budget des libéraux
fédéraux en octobre dernier, qui permet aux riches
et aux ultrariches de s'approprier une part encore plus importante
de la richesse nationale et qui entraîne que l'État
manquera des ressources nécessaires pour restaurer les
services publics et les programmes sociaux. La seule plainte
de Landry fut que les libéraux ont attendu trop longtemps
pour annoncer leur plan de réductions d'impôts de
100 milliards dans le but d'augmenter les chances d'être
réélus. « La bonne nouvelle, a dit Landry,
est que nous avons ces réductions d'impôts, la mauvaise
que nous aurions dû l'avoir il y a plusieurs mois. Et tout
ceci dans le but de mieux servir la popularité électorale
du Parti libéral du Canada... »
La plateforme du Bloc ébauche une politique fiscale
qui reprend les mêmes lignes que celles du Parti libéral
et de l'Alliance : la plus grande partie des surplus fédéraux
prévus est destinée à financer des réductions
d'impôts et le paiement de la dette, alors qu'il est impensable
d'augmenter les dépenses gouvernementales.
Les promesses du BQ et les réalisations
du PQ
Il faut admettre que le plan de réductions d'impôts
du BQ, qui ne coûterait « que » 73 milliards,
favorise moins les biens nantis. Toutefois, ce plan est de la
poudre aux yeux, un stratagème cynique pour consolider
les prétentions du Bloc d'être moins à la
solde de la grande entreprise et de la richesse que leurs adversaires
libéraux.
Pour avoir une idée du programme réel du Bloc
et de quelle classe il défend vraiment les intérêts,
il faut analyser les réalisations de son parti frère,
le PQ. Reprenant le pouvoir en 1994 après avoir passé
presque 10 ans dans l'opposition, le PQ a été applaudi
par la grande entreprise lorsqu'il a entrepris de fermer des
hôpitaux et de réduire les dépenses sociales
au nom de la lutte au déficit. En octobre 1995, alors
qu'il cherchait à obtenir un mandat pour la sécession,
le PQ disait, un peu grandiloquent, que l'indépendance
serait un rempart contre le vent d'extrême-droite qui soufflait
sur le continent nord-américain. Souvent presque du même
souffle, il demandait aussi l'appui de la grande entreprise en
expliquant que la séparation serait le meilleur moyen
de sabrer dans les dépenses publiques et de mobiliser
les ressources de l'État au service du « Québec
incorporé » dans la compétition pour les
marchés internationaux. À la suite de la défaite
serrée au référendum, et de l'arrivée
de Bouchard au poste de premier ministre, le PQ a imposé
des compressions des services publics et des programmes sociaux
comparables à ceux des libéraux fédéraux
et des conservateurs ontariens. Et lorsque les infirmières
se sont révoltées contre les mauvais salaires et
la trop grande charge de travail lors de l'été
de 1999, le gouvernement péquiste a répondu par
une loi antisyndicale extrêmement sauvage.
Au cours des six dernières années de règne
du PQ, les listes d'attentes des hôpitaux se sont allongées
alors que la dette des étudiants postsecondaires a explosé.
Les bénéficiaires de l'aide sociale ont subi des
diminutions des sommes des prestations et des mesures punitives
pour les forcer à accepter des emplois mal payés.
Brisant une promesse qu'il a faite au Sommet de la jeunesse en
mars dernier, le PQ a rendu obligatoire ce mois-ci la participation
des jeunes bénéficiaires à des programmes
de « réinsertion au marché du travail ».
La réforme la plus vantée du PQ, un arrangement
pour permettre à tous les Québécois d'avoir
une assurance-médicaments, a imposé de nouvelles
contraintes financières aux bénéficiaires
de l'aide sociale, aux personnes âgées et aux travailleurs
défavorisés. Les véritables impacts de ce
programme commencent déjà à se faire sentir
alors que plusieurs études sérieuses démontrent
que les patients psychiatriques ainsi que des personnes souffrant
de maladies potentiellement fatales ne peuvent se procurer les
médicaments dont ils ont besoin.
Ignorant l'état lamentable des services sociaux publics,
le gouvernement péquiste, tout comme les libéraux
de Chrétien, fait de la « lutte au déficit
» le pivot de sa politique et proclame que les réductions
d'impôts est son objectif principal.
Mais il existe pourtant une différence entre ces deux
gouvernements. Le PQ accorde une plus grande importance à
se gagner l'appui des syndicats pour mener son assaut contre
les services sociaux publics. Le PQ s'est assuré de l'appui
des bureaucraties syndicales pour son programme de diminutions
des dépenses publiques lors de deux sommets économiques
en 1996 et ce sont les syndicats eux-mêmes qui ont offert
au gouvernement d'éliminer des emplois de la fonction
publique avec une offre de préretraite.
Le Bloc et la séparation du Québec
Le Bloc cherche à mobiliser la base petite bourgeoise
du mouvement séparatiste en déclarant qu'une augmentation
du nombre des sièges et du vote pour le BQ représentera
un pas vers l'indépendance. Au même temps, le Bloc
cherche à séduire les Québécois qui
s'opposent ou sont indécis quant à la séparation
en disant qu'une élection fédérale ne déciderait
pas du sort constitutionnel du Québec, qu'ils devraient
voter pour le Bloc pour exprimer leur insatisfaction contre Chrétien,
et que le Bloc défendra les « intérêts
du Québec ».
Ces déclarations contradictoires, et disons le mot
hypocrites, sont un exemple typique de ce que l'on attend des
péquistes et des bloquistes. Pour gagner l'appui des travailleurs
et des jeunes, les séparatistes présentent l'indépendance
comme une option radicale par laquelle, pour reprendre un slogan
du référendum de 1995, « tout devient possible
». Au même moment, ils cherchent à convaincre
la grande entreprise la classe moyenne aisée que si jamais
le Québec devenait indépendant, rien ne changerait
vraiment, et qu'en fait la séparation serait le meilleur
moyen pour les investisseurs québécois d'organiser
l'appareil de l'État et de s'assurer de la coopération
de la classe ouvrière, policée par les syndicats,
dans la lutte pour les marchés et les profits.
Dans les 1970, le PQ associait l'idée de l'indépendance
avec l'expansion de l'État-providence. Aujourd'hui, ses
projets de Québec souverain sont ouvertement de droite.
Un Québec « souverain » serait un partenaire
à part entière de l'OTAN et de l'ALENA.
Le Bloc fait pression sur Ottawa pour qu'il considère
jeter le dollar canadien aux orties pour le remplacer par le
dollar américain, voyant dans l'abolition de la monnaie
canadienne un moyen supplémentaire de réduire la
dépendance des capitalistes québécois face
à leurs rivaux anglo-canadiens et un gage de son néolibéralisme.
Le caractère réactionnaire du Bloc et de son
programme séparatiste est démontré par le
fait qu'il soit prêt à négocier avec l'Alliance
canadienne, le fer de lance de la réaction politique.
Bien que niant vouloir entrer dans une coalition ouverte avec
l'Alliance, le Bloc a indiqué que si jamais le prochain
gouvernement devait être minoritaire, il aiderait l'Alliance
à débarquer les libéraux et lui offrirait
son appui sur certains points. L'Alliance, basée dans
l'Ouest canadien, et le Bloc ont en commun de vouloir affaiblir
l'État fédéral. Selon Duceppe, « Il
faut voir s'il [Stockwell Day] pratique ce qu'il prêche.
» Même si plusieurs sections de l'élite dirigeante,
particulièrement celles basées en Ontario, s'opposent
à la décentralisation, d'autres la voient comme
un bon moyen de compléter le démantèlement
de l'État-providence.
Le BQ est un piège pour les travailleurs au Québec.
Les appels à l'unité des Québécois
et à la défense des intérêts québécois
ont depuis longtemps servi à subordonner les intérêts
des travailleurs au besoin de la grande entreprise et à
diviser les travailleurs québécois de leurs frères
et soeurs de classe du reste du Canada et d'ailleurs dans le
monde. Au nom de la solidarité nationale, les dirigeants
syndicaux ont participé aux sommets économiques
de Bouchard et endossé son plan d'élimination du
déficit par d'importantes compressions des dépenses
sociales.
Les travailleurs québécois, francophones, anglophones
et allophones, ne peuvent défendre leurs propres intérêts
de classe en se ralliant à une des factions de l'élite
dirigeante dans la dispute sur l'avenir de l'État fédéral
canadien. La création d'un Québec capitaliste souverain,
même si cela ne dégénérait pas en
un conflit ethnique réactionnaire, créerait les
conditions pour d'autres attaques contre les droits démocratiques
à la fois au Québec et au Canada anglais, et érigerait
un nouvel obstacle à l'unification au niveau international
de la classe ouvrière. Pour défendre les droits
fondamentaux, les travailleurs québécois doivent
se joindre aux travailleurs du reste du Canada pour lutter pour
un programme socialiste et internationaliste : un gouvernement
ouvrier et l'unité de la classe ouvrière internationale
contre le capital mondial.
Voir aussi:
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