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La fin du Rassemblement pour la France


29 juin 2000
Par Francis Dubois


Le Rassemblement pour la France (RPF) n'existe plus en tant que parti uni. Cette formation qui s'était crée à partir d'une alliance entre deux politiciens antieuropéens, Charles Pasqua et Philippe de Villiers, avant les élections européennes de 1999, avait gagné une influence rapide sur la scène politique française. Sept mois à peine après sa constitution officielle en parti, Pasqua, son président, a décidé de le « mettre en sommeil ». Cette décision prise le 22 juin par l'ancien politicien gaulliste met un terme provisoire à une lutte pour le pouvoir qui l'opposait depuis plusieurs mois à son vice-président, Philippe de Villiers et ses partisans au sein du RPF. Pasqua a décidé de continuer ses activités politiques sans son allié, mais entend bien lui disputer la dépouille du RPF.

De toutes les formations d'une droite dispersée, le RPF avait obtenu aux dernières élections européennes le vote le plus important (13% contre 12 % à la liste officiellement soutenue par le chef de l'Etat, Jacques Chirac, et moins de 10% à celle de l'Union Démocratie Française-UDF). Charles Pasqua, qui était resté dans le RPR (Rassemblement pour la République) jusqu'au début de 1999, avait décidé d'en sortir et de faire campagne pour son propre compte. Devant des sondages négatifs il avait décidé de joindre ses forces à de Villiers, installé depuis une bonne décennie bien à droite du RPR et de l'UDF et qui comme lui, faisait campagne contre l'intégration européenne.

La lutte entre les deux dirigeants avait pris un tour virulent à l'occasion d'élections internes organisées en février dernier et destinées à départager les deux tendances et qui s'étaient terminées à l'avantage de de Villiers et de son camp. Elle s'était encore aggravée quelques semaines plus tard, lorsque Pasqua tenta de se faire reconnaître comme le seul dirigeant et seul candidat légitime du RPF aux prochaines élections présidentielles (2002) et de se faire donner les plein pouvoirs par un référendum sans consulter son rival. La manuvre fut qualifiée de "putsch" par les partisans de de Villiers qui saisirent les tribunaux, les villieristes s'opposant a ce qui à leurs yeux constituait une rupture vis-à-vis des statuts du RPF.

Pasqua et de Villiers avaient bien tenté il y a deux semaines de se raccommoder autour d'une campagne contre le quinquennat (la réduction du mandat présidentiel à cinq ans au lieu de sept) et contre la 'cohabitation' (un président de droite coexistant avec un premier ministre et un gouvernement de gauche ou vice-versa) après que Jacques Chirac eut publiquement accepté le principe d'un changement de la constitution dans ce sens. Le RPF avait immédiatement organisé un meeting à Paris et on avait annoncé une campagne unie autour du référendum sur le quinquennat prévu à l'automne prochain. Un jour encore avant la décision d'en finir avec le RPF, les deux dirigeants qui ne se parlaient plus depuis des mois, s'étaient montré ensemble dans le but de donner une certaine crédibilité à cette campagne de la dernière chance.

Le RPF s'appelle "souverainiste" pour exprimer le fait qu'il s'oppose à une "perte de souveraineté" de la France vis-à-vis des autres Etats impérialistes en Europe. Il s'oppose à la monnaie unique revendiquant au lieu de cela une politique monétaire commune ; il s'oppose à une plus grande intégration européenne et en général à la mondialisation qu'ils considère comme une expression de l'extension de l'hégémonie américaine au détriment de l'Europe. Un des événements qui avait déterminé Pasqua à s'opposer ouvertement à la ligne du RPR et à Jacques Chirac fut l'action de l'OTAN au Kosovo et le fait que l'Union Européenne dut accepter que les Etats-Unis organisent la politique militaire de l'Europe. Il est pour un programme autoritaire de loi et d'ordre. Sur tous ces points les partisans de Pasqua et de de Villiers pouvaient s'entendre.

Mais si cette communauté d'idées sur l'Europe a pu les rassembler pendant un temps, cela n'a pas empêché les divergences de se manifester rapidement. Un des reproches continuels de Pasqua à l'égard de de Villiers est que celui-ci n'a jamais mis à la disposition de la caisse commune toutes les ressources financières dont il dispose (et qui sont semble-t-il considérables). Alors que l'apport de Pasqua au RPF se compte plutôt en nombre de cadres, celui de de Villiers s'estime plutôt en moyens financiers.

Les deux hommes représentent des tendances bien différentes. Pasqua se place fermement dans ce qu'on peut appeler la 'tradition républicaine', en particulier la laïcité et la séparation de l'Eglise et de l'Etat. De Villiers attire à lui depuis presque dix ans maintenant, le soutien d'un bonne fraction des royalistes et en général de ceux qui remettent en cause la Révolution française et il a constamment fait campagne sur la base du catholicisme ce qui lui donna aussi le soutien des catholiques intégristes (y compris ceux responsables des attentats anti-IVG contre les hôpitaux). C'est sur cette base qu'il s'est créé son soutien le plus consistant dans la région de la Vendée, une région peu industrialisée dont il dirige le conseil régional.

Pasqua est ce qu'on peut appeler un populiste chauvin. Il donne à ses campagnes un caractère plébéien, se met « à la portée du peuple » et recherche le vote des « petites gens ». Lorsque des ouvriers de l'Arsenal de Toulon saccagèrent une permanence du Parti Socialiste en réaction à l'annonce de licenciements, un de ses proches collaborateurs, Jean-Charles Marchiani, ancien préfet de Toulon, est cité dans la presse disant qu'il les comprenait et se réjouissait de que désormais, ils allaient voter pour lui. Dans le même article on le cite traitant les socialistes de « gauche caviar » et la droite traditionnelle de « droite du fric ». Le RPF fut capable dans les dernières élections européennes de mordre efficacement sur l'électorat populaire du Front National dans les anciens centres industriels du Nord de la France. La tendance de de Villiers est elle plus particulièrement implantée dans les couches conservatrices de la petite bourgeoisie de l'Ouest, fonctionne avec des réseaux de notables et a un caractère nettement aristocratique.

Les deux tendances couvrent un éventail politique différent. De Villiers est fermement implanté à l'extrême-droite, il a des relations longuement établies avec le CNIP (Centre National Indépendant et Paysan), un groupement qui fut une des composantes influentes de la 4e République et qui a présent navigue entre le RPR et le Front National. Pasqua tenta d'attirer à lui les « souverainistes de gauche », en particulier Jean- Pierre Chevènement et son Mouvement Des Citoyens, qui avant les élections européennes avait laissé entendre que la démarche de Pasqua (créer sa propre liste en opposition au RPR officiel) était la bonne.

Pasqua reste surtout partisan d'une économie dans laquelle l'Etat intervient, qui fut le credo de la bourgeoisie française pendant une bonne partie de la deuxième moitié du vingtième siècle. De Villiers est lui partisan d'une économie "libéralisée". Avant de se lancer dans son très conservateur "Combat pour les valeurs" en 1991 il était parlementaire de l'Union Libérale-Chrétienne-Démocrate UDF. Dans la mesure où la grande bourgeoisie française (sous la direction du Medef) se déclare ouvertement pour une complète libéralisation de l'économie et un désengagement massif de l'Etat vis-à-vis de l'économie, le RPF devait tôt ou tard se déclarer en faveur de l'une ou de l'autre option.

En même temps que la lutte pour savoir qui allait l'emporter au sein du RPF s'envenimait, la justice intervenait. Des proches de Pasqua firent l'objet d'enquêtes dans le contexte de l'affaire Elf, les juges d'instruction cherchant à savoir pourquoi le groupe pétrolier Elf avait payé les salaires de certains membres du personnel employé par Pasqua. Des proches de de Villiers font eux aussi depuis le mois d'avril l'objet d'une enquête sur d'éventuels « détournements de fonds » alloués au conseil régional de Vendée.

Si Pasqua et de Villiers ont pu profiter un temps de l'éparpillement de la droite, du laminage du RPR et de la débâcle du Front National, et récupérer une partie de leurs électeurs, ils n'échappent pas à la crise de la droite en général. Ce qui devient clair c'est qu'avec l'éclatement des partis de la droite traditionnelle et le déplacement à droite de la social-démocratie, la réorganisation de celle-ci se fait en grande partie dans le sens d'un regroupement à l'extrême-droite.

Pasqua et de Villiers avaient donné un havre politique temporaire à la fraction du RPR qui se trouvait en désaccord avec l'acceptation par ce parti de la politique ultra-libérale, mais aussi sa cohabitation avec les socialistes et les communistes qu'ils voient comme un compromis, comme celle de Charles Millon et son mouvement, La Droite, qui appela à voter pour le RPF avant les élections européennes de juin dernier (Charles Millon avait obtenu la direction du conseil régional de Rhône-Alpes grâce aux voix du FN en 1998). De Villiers a pratiqué les alliances avec le FN depuis que son Mouvement Pour la France existe du moins dans les élections locales et régionales. Depuis la scission du FN un nombre de politiciens du FN ont rejoint le RPF. Il est significatif que l'un des gestes politiques du RPF au parlement européen fut de forger une alliance avec l'Alleanza Nazionale italienne de Fini.



Voir aussi:

La crise de l'extrême-droite en France 10 juin 2000

La «bataille de Paris»: La droite française s'entre-déchire 27 mai 2000



 

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