L'affaire
Michaud :
Les appels ouverts au chauvinisme divisent le Parti québécois
par Guy Charron
21 décembre 2000
Le Parti québécois, le parti indépendantiste
qui forme présentement le gouvernement provincial, passe
par une crise qui lève le voile sur ses profondes contradictions,
et laisse présager un virage important du mouvement séparatiste
québécois vers le chauvinisme ouvert.
Les propos teintés d'anti-sémitisme tenus par
Yves Michaud, associé à l'aile « pure et
dure » du mouvement séparatiste québécois
et prononcés à l'occasion des audiences publiques
sur le renouvellement des lois linguistiques du Québec,
ont été l'élément déclencheur
de cette crise. Fait significatif, cette même journée
d'audiences avait été marquée par une série
d'autres déclarations d'hostilité à l'endroit
des immigrants et des non-francophones, accusés d'un refus
obstiné de s'intégrer au « Québec
français ».
La sortie de Michaud a provoqué une vive réaction.
Il a été blâmé à l'unanimité
« sans nuances, de façon claire » par l'Assemblée
nationale du Québec pour les propos intolérants
qu'il avait tenus au cours des jours précédents
« à l'égard des communautés ethniques
et en particulier à l'égard de la communauté
juive ».
Les 66 députés péquistes présents
à l'Assemblée nationale lors du vote, y compris
le cabinet ministériel, ont appuyé la motion. Ces
derniers représentent l'aile du PQ regroupant les éléments
plus proches de la grande entreprise et espéraient ainsi
empêcher les manifestations les plus ouvertes de chauvinisme,
les allusions antisémites et les appels ouverts à
l'appartenance ethnique.
À l'occasion du vote, le premier ministre péquiste,
Lucien Bouchard, a déclaré en Chambre : « Je
suis en total désaccord avec les propos tenus hier par
M.Michaud. Je les déplore, je les condamne, je m'en dissocie
totalement. » Bouchard a par la suite laissé entendre
qu'il ne pourrait pas demeurer chef d'un parti où Michaud
serait membre du caucus parlementaire, toutefois sans aller jusqu'à
mettre explicitement son leadership en jeu.
La motion de blâme a déclenché un tollé
dans les rangs mêmes du PQ et du mouvement nationaliste.
Jacques Parizeau, le précédent premier ministre
péquiste, et Fernand Daoust, qui fut secrétaire-général
de la Fédération des Travailleurs du Québec
pendant un quart de siècle, ont cosigné avec 30
autres personnages publics une page de publicité condamnant
le vote de l'Assemblée nationale. Gilles Duceppe, le chef
du parti indépendantiste à Ottawa, a dit qu'il
n'était « pas d'accord avec le contenu des propos
» de Michaud, mais que l'Assemblée nationale ne
devait « se mettre à décerner des blâmes
». Le président de la CSN, Marc Laviolette, s'est
joint au groupe de ceux qui ont condamné l'Assemblée
nationale et s'est rallié à Michaud.
Ainsi les éléments les plus nationalistes au
sein du PQ se sont mobilisés pour venir à la défense
d'Yves Michaud et en faire un martyre de la cause indépendantiste.
L'affaire Michaud, comme on l'appelle maintenant, a pris une
telle ampleur parce que sa candidature annoncée dans le
comté de Mercier est perçue par une faction importante
du PQ comme un moyen important pour faire pression sur Bouchard
afin que ce dernier prenne une attitude beaucoup plus radicale
sur la question de l'indépendance. Pour cette faction,
il ne sert à rien de ménager les « ethnies
», puisque de toute façon, elles n'appuient pas
l'indépendance.
Avec le vote sur la motion de blâme, Bouchard ne vise
pas seulement à bloquer les aspirations de Michaud à
devenir député de Mercier. Il cherche aussi à
garder une certaine crédibilité, particulièrement
au niveau international. Référant aux accusations
d'intolérance dirigées à l'endroit du PQ,
il a avoué son véritable motif d'inquiétude
: « Le jour où j'endosse les propos de M. Michaud
en considérant qu'il peut les répéter sous
la bannière du Parti québécois, comment
vais-je répondre à de telles accusations ? »
Toutefois, il s'est avéré que Bouchard avait
mal évalué la situation. Après que la motion
de blâme à l'Assemblée nationale ait soulevé
un tollé de protestation dans les milieux péquistes,
Michaud a annoncé qu'il tentera toujours de briguer la
candidature péquiste du comté de Mercier, aux mains
du PQ depuis 1976, et pour lequel il y aura élection partielle
dans la première moitié de 2001.
Les supporteurs de Michaud ont qualifié le vote de
l'Assemblée nationale de mesure « infâme »
et « anti-démocratique », et il a lui-même
exigé des excuses publiques du premier ministre, l'accusant
d'avoir « tenté d'assassiner politiquement un de
vos militants ». Ce langage extrême, quasi hystérique,
est une caractéristique des tendances ultra-nationalistes
et est un sûr indice de la nature des éléments
qui se sont ralliés à la défense de Michaud.
Ce dernier se vante d'avoir reçu plusieurs milliers
de messages d'appui, mais plusieurs seront franchement impubliables.
Sur les lignes ouvertes, dans les lettres aux journaux, plusieurs
supporteurs de Michaud faisaient appel à l'antisémitisme
ouvert et dénonçaient l'Assemblée nationale
pour être « à plat ventre devant l'influence
du lobby juif ».
Les déclarations de Michaud
C'est à la dernière journée des audiences
de la Commission des États généraux sur
la situation et l'avenir de la langue française au Québec,
une commission gouvernementale itinérante qui a pour mandat
d'entendre des organisations, des spécialistes et de simples
citoyens, que Michaud a présenté son mémoire.
Depuis un mois et demi, plusieurs organisations et individus
sont venus y proposer des durcissements aux lois linguistiques,
par exemple, restreindre l'accès à l'éducation
collégiale anglaise et aux garderies anglaises, restreindre
le bilinguisme dans l'affichage si ce n'est imposer l'unilinguisme
français, durcir les politiques d'immigration. Souvent,
ces demandes furent accueillies par des applaudissements nourris
de la salle.
Même l'ex-syndicaliste et très nationaliste président
de la Commission, Gérald Larose, a dû modérer
les ardeurs des nationalistes : « Il n'y a pas d'avenir
pour le Québec si ce Québec ne se construit pas
sur la solidarité... Si on est pas capable de développer
des stratégies inclusives, hé bien, je vous dis
qu'on ira pas loin. »
Mais c'est la contribution d'Yves Michaud, bien connu des
milieux politiques et nationalistes qui a mis le feu aux poudres.
Michaud était un proche de l'ex-premier ministre du Québec
et fondateur du PQ, René Lévesque; il fut éditeur
du défunt quotidien souverainiste Le Jour; il a aussi
été choisi par le gouvernement péquiste
comme délégué général du Québec
à Paris; et c'est à l'invitation expresse de Bernard
Landry, l'actuel ministre provincial des Finances, qu'il a annoncé
qu'il se présenterait à l'investiture péquiste
dans Mercier.
Michaud a commencé par invoquer le chanoine Groulx,
principal idéologue nationaliste québécois
des années 1920 aux années 1950 et antisémite
notoire, qu'il a louangé comme « un maître
à penser de deux générations de Québécois
». Il a cité un passage où le chanoine appelle
les Québécois à imiter les Juifs, «
leur âpre volonté de survivance, leur invincible
esprit de solidarité, leur impérissable armature
morale ».
Michaud a continué en déclarant que les immigrants
n'avaient pas que des droits « ... à l'égard
de l'une des sociétés les plus généreuses
du monde qui les accueille à bras et porte-feuilles ouverts
» mais aussi le devoir « de nous accompagner sur
le chemin qui mène à la maîtrise de tous
les outils de notre développement ». Et pour démontrer
que « les ethnies » sont opposées au «
peuple québécois », il choisit comme exemple
la communauté juive de St-Luc qui lors du référendum
de 1995 qui a voté à « 100 pour cent contre
la souveraineté du peuple québécois. »
À la sortie de l'audience, Michaud en rajoute «
Si nous ne faisons pas en sorte d'intégrer nos immigrants
et de les assimiler, hé bien, nous entrerons sur la pente
de la louisiannisation, de la folklorisation de
notre société. » En plus d'adopter le point
de vue d'une certaine « pureté ethnique »,
il ne semble suffisant pour Michaud que la communauté
juive de St-Luc soit établie depuis plus de 100 ans pour
en faire des Québécois. Si plusieurs Juifs sont
aujourd'hui méfiants envers le projet séparatiste,
c'est parce qu'ils se sentent rejetés, et avec raison.
Depuis au moins la fin du XXe siècle, le clergé
catholique, y compris Lionel Groulx, ce « maître
à penser de deux générations de Québécois
», a tenu à ne pas les admettre dans les écoles
francophones qui furent toutes sous son contrôle jusqu'au
milieu des 1960.
La logique des propos de Michaud est la suivante : tout comme
les sionistes qui accusent d'antisémitisme tous ceux qui
s'opposent à la politique d'Israël, Michaud prétend
que tous ceux qui s'opposent à l'indépendance du
Québec sont des antiquébécois. Lorsque,
selon ses propres mots, Michaud louange les Juifs, tout comme
Groulx, ce qu'il louange c'est l'esprit sioniste, l'État
religieux réactionnaire et la séparation sur des
bases ethniques. Et cette conception est tout-à-fait compatible
avec l'antisémitisme. Reprenant des stéréotypes
réactionnaires sur les Juifs, Michaud a banalisé
l'Holocauste en déclarant : « C'est toujours vous
autres [les Juifs]. Vous êtes le seul peuple au monde qui
avez souffert dans l'histoire de l'humanité. » Dans
une entrevue diffusée la journée précédent
son apparition aux États généraux sur la
langue, il avait qualifié l'organisation juive B'nai Brith
de « phalange extrémiste du sionisme mondial ».
Réaction panique chez les péquistes
La réaction de l'exécutif du PQ, qui en votant
avec les libéraux la motion de blâme contre Michaud,
un geste exceptionnel très rarement utilisé par
l'Assemblée nationale, est une manifestation du peu de
crédibilité qu'il lui reste pour se distancier
du chauvinisme ouvert et du nationalisme ethnique.
Alors que dans les années 1960 et les années
1970, il était encore possible pour le PQ, surtout grâce
à l'appui de la bureaucratie syndicale, de faire croire
qu'il avait un « préjugé favorable envers
les travailleurs », qu'il participait à la lutte
« anti-impérialiste », aujourd'hui le projet
indépendantiste a mis au rancart son très modeste
programme de réformes sociales en faveur de la «
responsabilité fiscale ». Aussi, de plus en plus,
il ne lui reste plus pour tenter de rallier l'appui populaire
que d'en appeler au chauvinisme et à l'appartenance à
l'ethnie.
Des dénonciations par le PQ de Michaud, il manque la
plus importante : Michaud glorifie l'ethnie québécoise.
Pour Michaud, le « nous » québécois
est francophone, blanc et « de souche ».
Si les dirigeants du PQ se sont empressés de condamner
Michaud, c'est parce qu'ils craignent de voir ce dernier devenir
un point de ralliement pour les éléments ouvertement
chauvins qui constituent une partie importante de la base du
PQ. Tout en voulant contenir la ferveur nationaliste de tels
éléments, qui pourrait ternir l'image d'ouverture
que cherche à projeter le PQ, l'establishment péquiste
s'efforce néanmoins de l'entretenir. En fait la tenu des
États généraux sur la langue est une concession
à ces éléments et ont été
mis en place pour leur permettre de tenter de mobiliser l'opinion
publique sur la question linguistique.
Les nationalistes outrés
Ces éléments ultra-nationalistes ont été
sidérés par le vote de l'Assemblée nationale.
La position qu'a défendue Michaud est loin d'être
nouvelle, et on peut en trouver de semblables dans nombre d'articles
et de livres écrits par des nationalistes notoires, y
inclus les péquistes.
Elle est tellement courante, que Larose qui s'était
insurgé contre les manifestations d'intolérance
les plus flagrantes devant la Commission qu'il présidait
n'y a rien trouvé de fâchant.
En fait, la position de Michaud est courante au sein du PQ
lui-même. Commentant le vote, Pierre Bourgault, fondateur
du premier mouvement indépendantiste significatif (le
RIN) et un idéologue du séparatisme québécois
depuis 40 ans, a écrit que ce « geste est d'autant
plus humiliant quand on sait que plusieurs de ces représentants
pensent exactement la même chose que Yves Michaud et que
c'est sans doute pour échapper au même sort qu'ils
se sont pliés à cette parodie de justice. »
Jacques Parizeau lui-même, qui a appelé le référendum
de 1995 en tant que premier ministre péquiste et ardent
séparatiste, a déclaré lors de son discours
le soir du référendum que « nous »
avions été battus par « l'argent et le vote
ethnique ». Pourtant, les non francophones constituent
environ 15 pour cent de la population.
En fait, les appels au chauvinisme et le nationalisme québécois
sont indissociable, y compris les définitions du peuple
québécois basés sur l'ethnie, même
si elles ne sont pas toujours exprimées en des termes
aussi clairs que ceux de Michaud et de ses accolytes. Le PQ lui-même,
parti de la grande entreprise férocement hostile aux intérêts
des travailleurs, a une longue tradition de lois chauvines, surtout
la loi 101 qui restreint les droits démocratiques de la
minorité anglophone et des immigrants.
Michaud et ses supporteurs veulent induire la population en
erreur lorsqu'ils disent qu'il a été condamné
sans être entendu, et qu'il « n'a rien dit d'illégal
». En fait, aucune accusation n'a été portée
contre lui par l'Assemblée nationale. Pour leurs propres
raisons, les députés libéraux et péquistes
ont blâmé ses propos qu'ils ont qualifiés
d'« inacceptables », mais d'un point de vue politique,
et non juridique.
Si les défenseurs de Michaud cultivent la confusion
et présentent ce dernier comme la victime d'un régime
antidémocratique, c'est dans une tentative de raviver
le projet indépendantiste de plus en plus moribond sur
la base d'un appel ouvert au nationalisme ethnique.
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