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La Cour suprême arrête le décompte des voix en Floride : jour de deuil pour la démocratie américainePar le comité éditorial Cet article fut publié en anglais le lendemain de l'injonction émise par la Cour suprême des États-Unis qui ordonnait que cesse le recomptage des votes, pour ne pas « nuire » au camp Bush. Quelques jours plus tard, la Cour suprême scellait le sort de l'élection avec un jugement divisé qui donnait l'élection à Bush en empêchant que soient pris en compte des milliers de votes pour Gore. Considérant l'importance historique des événements américains, et l'excellente récapitulation des événements qui est faite dans ce document, nous le publions malgré le retard. L'injonction émise le samedi 9 décembre par la Cour suprême des États-Unis pour arrêter le décompte manuel des bulletins de vote de l'élection présidentielle qui n'ont pas encore été comptés en Floride, s'oppose directement au droit démocratique le plus fondamental, celui de voter. C'est le point culminant de la tentative continuelle du camp de George W. Bush et du Parti républicain d'empêcher un décompte des voix qui démontrerait que le candidat démocrate Al Gore, et non pas Bush, avait gagné l'élection dans l'État et donc la présidence. Au cours d'un mois de procès et de manoeuvres juridiques et politiques, la question essentielle a été posée. La Cour suprême de la Floride, dans sa décision vendredi, a déclaré que la loi de la Floride demandait que « le vote de chaque citoyen soit compté quand il est possible de le faire, dans le cas d'une élection pour un fonctionnaire local aussi bien que celui d'une élection pour le président des États-Unis ». Les cinq juges de droite à la Cour suprême fédérale quant à eux ont adopté la position, tel que le disait le 1er décembre le juge Antonin Scalia, qu'« il n'y a pas de droit de suffrage » lors d'une élection présidentielle. Les quatre juges de la Cour suprême qui se sont opposé à l'arrêt des décomptes (John Paul Stevens, Stephen Breyer, Ruth Bader Ginsburg, et David Souter) se sont mis d'accord sur une déclaration minoritaire émise par Stevens. La minorité a dénoncé l'arrêt comme une contravention des procédures constitutionnelles et des principes démocratiques. La Cour suprême de la Floride avait clairement le droit légal et constitutionnel d'interpréter la loi électorale de l'État et d'ordonner un décompte des voix. Ce qui, par contre, est un acte extraordinaire de « dépassement » des pouvoirs judiciaires est la décision de la Cour suprême fédérale de contrecarrer la décision de la cour de l'État sans avoir même entendu une seule présentation sur les questions de droit. Dans sa déclaration, le juge Stevens écrivait : « Sur des questions des lois des États, nous avons toujours respecté les opinions des Cours suprêmes des États. » Le camp Bush, selon les minoritaires, n'a pas donné de base légale pour l'émission d'une injonction qui arrête les décomptes. Il aurait fallu que Bush fasse la démonstration qu'il encourrait des « dommages irréparables » si les décomptes continuaient. « L'acte de compter tous les votes légaux ne peut pas constituer des dommages irréparables », maintenait la déclaration. « Cependant, il y a danger que cet arrêt pourrait causer des dommages irréparables aux répondants [c'est-à-dire le camp Gore] et, ce qui est plus important, au public Empêcher les décomptes affaiblira inévitablement la légitimité de l'élection. » La minorité a insisté qu'ils considèrent que la décision de la Cour suprême de la Floride était justifiée, et par les lois de la Floride et par des considérations démocratiques plus larges. « Comme question même plus fondamentale », écrit Stevens, « la décision de la Cour en Floride reflète le principe fondamental, inhérent en notre Constitution et en notre démocratie, que chaque vote légal devrait être compté ». C'est un commentaire remarquable sur le déclin de la démocratie américaine qu'une majorité de la Cour suprême fédérale rejette une affirmation tellement élémentaire de la souveraineté populaire. Des juges pour qui personne n'a jamais voté tentent de détruire le droit de voter. Les mensonges cyniques de Scalia Quatre des cinq juges de la Cour suprême qui ont voté pour arrêter les décomptes (le juge en chef William Rehnquist, Clarence Thomas, Sandra Day O'Connor, et Anthony Kennedy) n'ont même pas donné de raisons pour leur décision. Seul Scalia, qui a des prétentions à la direction intellectuelle de la section de droite, a écrit une brève opinion, en fait une succession de mensonges cyniques. Scalia écrit : « La question principale n'est pas, comme le dit la déclaration minoritaire, si 'l'acte de compter chaque vote légal peut constituer un dommage irréparable'. Une des questions principales de l'appel que nous avons accepté est précisément de déterminer si les votes que la Cour en Floride a ordonné de compter sont, au sens des lois de la Floride, des 'votes légaux'». Voilà une invention extraordinaire ! Le camp Bush n'a jamais dit que les voix non comptées en Floride n'étaient pas légales. Scalia a inventé cet argument de toutes pièces, sans expliquer comment « l'interprétation des lois de la Floride » est devenue une question pour les tribunaux fédéraux. Ces voix étaient incontestablement légales, soumises par des électeurs en règle, et reconnues comme des voix légales pour une série d'autres élections et de questions de référendum, depuis l'élection de sénateurs fédéraux jusqu'aux élections de fonctionnaires. La question n'est pas la légalité des bulletins, mais le fait que les décomptes automatisés n'aient pas détecté certains votes pour l'élection présidentielle. Il est impossible de décider si les machines ont faussement rejeté des votes ou si les électeurs n'avaient pas l'intention de voter pour un candidat à la présidence sans inspecter les bulletins. Mais c'est précisément ce que la majorité de droite essaie d'empêcher. Compter ces votes, selon Scalia, « menace en effet de causer des torts irréparables pour le demandeur [George W. Bush] et le pays, en mettant en question ce qu'il dit être la légitimité de l'élection. Compter d'abord, décider de la légalité ensuite, cela n'est pas une façon de produire des résultats électoraux qui ont le soutien public comme le demande la stabilité démocratique. » Scalia est sur le bord d'admettre ouvertement que l'injonction a été émise pour protéger la crédibilité politique de George W. Bush à la présidence, en empêchant un recomptage qui démontrerait le contraire. Si assez de voix avaient été comptées en Floride pour prouver que Gore avait gagné l'élection, dit Scalia, il serait impossible d'obtenir « l'acceptation publique » d'une présidence Bush. Ces inquiétudes ont été mentionnées par les avocats de Bush dans leur déclaration à la Cour, qui attaquait la décision de la Cour suprême de la Floride parce qu'elle entraînait 'une possibilité raisonnable que la certification du 26 novembre du Gouverneur Bush serait mise en doute ou même retirée ». Autrement dit, ils ont demandé à la Cour suprême de bloquer les décomptes parce Bush perdrait. Les avocats de Gore ont fait de cette admission un point de leur propre déclaration à la Cour suprême. Celle-ci commence : « La demande des demandeurs pour une injonction contient une déclaration remarquable : dans l'intention, selon eux, d'avancer les intérêts des électeurs, ils demandent d'urgence à la Cour d'arrêter les décomptes des voix. Leur déclaration surprenante est qu'un candidat à une position publique pourrait souffrir des dommages irréparables lors de la détection et du décompte de la volonté des électeurs. Cette suggestion est contraire à la loi établie, à la Constitution des États-Unis, et aux principes élémentaires de la démocratie ». Les critères pour compter les votes La dernière question abordée par Scalia fut la décision par la Cour suprême de la Floride ne de pas donner des critères exacts qui indiquerait ce qui constituerait un vote. Il mettait en question « la pertinence, même la constitutionnalité, de permettre aux critères pour la détermination de l'intention de l'électeur bulletins à perforation indentés ou en partie perforés, etc. de varier de comté en comté ». Ici Scalia fait écho à la propagande hystérique du camp Bush, reprise par les médias, que 64 comtés emploient 64 séries de critères différents pour compter les votes. Cette question, cependant, est inventée pour les besoins de la cause. Les lois sur les décomptes électoraux dans la plupart des États, y compris en Floride, ont tendance à laisser la question aux fonctionnaires locaux. En plus, il y a une grande variation dans les méthodes pour « mesurer l'intention des électeurs » utilisées par les différentes localités à travers les États-Unis. Certains comtés utilisent des machines à voter, d'autres des bulletins à perforation, d'autres des bulletins où le vote est indiqué au crayon et lus par ordinateur, ou même comptés à main. La règle suggérée par Scalia déclarerait anticonstitutionnelle, non seulement le décompte en Floride, mais l'élection présidentielle et toute autre élection fédérale. La Cour suprême de la Floride n'a pas donné de critères détaillés car la législature et les lois électorales de l'État n'en donnent pas. Ils ont simplement affirmé le critère légal stipulé par les lois de l'État que les fonctionnaires locaux doivent tenter de déterminer « l'intention des électeurs » à partir de l'apparence du bulletin de vote. On voit ici encore une fois les mensonges remarquables du camp Bush et de la majorité de la Cour suprême. Le camp Bush a fait appel à la décision originale de la Cour suprême de l'État, qui avait reculé la date limite pour la certification du vote du 14 au 26 novembre, en insistant que c'était un acte judiciaire illégal et non-constitutionnel qui avait l'effet de réécrire les lois électorales de la Floride. Scalia, Rehnquist, et les autres juges de droite ont répeté cette opinion lors de la première audience devant la Cour suprême, le 1er décembre. A présent Scalia et le camp Bush dénoncent la Cour suprême de la Floride car elle n'a pas réécrit les lois électorales de la Floride en donnant des critères uniformes pour déterminer l'intention d'un électeur. La malhonnêteté cynique de ces arguments montre le caractère réactionnaire de la position prise par Scalia et la majorité de la Cour. Ils ne raisonnent pas logiquement à partir de principes légaux, même conservateurs. Ils commencent tout bonnement par la fin désirée que George W. Bush gagne la Maison Blanche et inventent des prétextes légaux ou constitutionnels pour justifier le résultat, sans porter attention à l'absence de logique cohérente. Il y a un élément évident de désespoir et de sans-gêne dans ces machinations légales. Un candidat présidentiel américain n'a jamais essayé d'entrer à la Maison Blanche après avoir perdu le vote populaire et le vote électoral. Bush a utilisé le gouvernement de la Floride contrôlé par son frère, le Gouverneur Jeb Bush pour tenter de renverser la volonté du peuple de la Floride et du peuple des États-Unis. A présent, avec le soutien des médias obéissants et d'une Cour suprême remplie de juges de droite, la conspiration antidémocratique atteint son paroxysme. La prosternation des démocrates La réponse timide du camp Gore et du Parti démocrate à cette décision réactionnaire fait encore une fois la démonstration de la banqueroute du libéralisme américain et de son incapacité de défendre les droits démocratiques contre l'assaut de la droite. Le contraste avec la brutalité des républicains est remarquable. Après la décision de la Cour suprême vendredi, le porte-parole pour Bush, James Baker, n'a pas eu peur d'offrir une réponse furieuse, dénonçant la majorité comme des usurpateurs, suggérant qu'une décision de 4 contre 3 n'avait de légitimité, et menaçant de faire casser leur décision par un appel à la Cour suprême, la législature de la Floride, et le Congrès des États-Unis contrôlé par les républicains. Mais après la décision de samedi de 5 contre 4 arrêtant les décomptes, les porte-parole légaux et politiques de Gore n'ont donné aucune indication publique de colère, de refus, ou même de critique sérieuse. Où est la colère ? Pourquoi le refus de dire ce que tout le monde sait être vrai : la majorité à la Cour suprême fait partie d'une conspiration de droite de voler la présidence. L'avocat en chef de Gore, David Boies, a préféré parler de la légitimité de la Cour suprême. Pendant la campagne électorale, Gore a plusieurs fois mentionné le danger que Bush puisse nommer davantage de juges tels Scalia et Thomas comme raison pour voter pour les démocrates. A présent que Scalia et ses complices se dévoilent comme des crapules judiciaires en guerre contre la démocratie, Gore maintient la position absurde que la Cour suprême est un arbitre neutre au-dessus des luttes politiques. Ainsi, les démocrates contribuent à l'illusion que ce qui se passe est un exercice raisonné en procédure judiciaire, non pas une atteinte sordide et criminelle aux droits démocratiques. Même si l'arrêt n'est pas suivi par une décision lundi annulant la décision de la Cour suprême de la Floride, l'arrêt des décomptes a déjà eu un effet majeur, puisque la date préliminaire pour conclure la sélection des électeurs de la Floride est le 12 décembre. Citant une loi obscure de 1887 à laquelle on n'a jamais fait appel jusqu'ici, la législature de la Floride contrôlée par les républicains menace d'imposer les grands électeurs du camp Bush, peu importe l'intention du peuple de la Floride, s'ils n'étaient pas encore choisis le 12 décembre. Le délai supplémentaire de deux jours que signifie la décision de la Cour suprême rend encore plus difficile le recomptage des voix avant cette date butoir. Si la Cour suprême émet une décision en appui à Bush, supprimant des dizaines de milliers de votes en Floride, ce serait un assaut sur les droits démocratiques sans parallèle, tant par son cynisme et que par sa brutalité, depuis l'infâme décision Dred Scott de 1857. Lors de cette décision, la Cour suprême avait soutenu le système d'esclavage, déclarant que les noirs étaient des biens et ne pouvaient être des citoyens. Aujourd'hui la même Cour est sur le point d'émettre une décision aussi fondamentale, déclarant qu'une minorité de droite, non pas les voix du peuple américain, devrait choisir le prochain président. Les luttes du mois passé ont démontré le manque de soutien pour la démocratie parmi les élites de la société américaine, aussi bien dans les milieux des grandes entreprises que parmi les hommes politiques et les juges ainsi que dans les médias. Les éléments de droite sont de plus en plus conscients du fait qu'ils ne peuvent imposer leur programme social et économique : des diminutions d'impôts pour les riches, la destruction des programmes sociaux du gouvernement et l'élimination de toute contrainte sur les corporations américaines, dans un contexte démocratique. Il y a un consensus grandissant parmi l'élite dirigeante sur la nécessité de s'approcher d'un régime plus autoritaire et d'éliminer les structures et les institutions démocratiques qui furent à la base des États-Unis à travers leur histoire. Ce consensus s'exprime par la férocité et l'agressivité des républicains, la propagande éhontée des médias, la timidité et la lâcheté des démocrates, et l'attitude imbécile et complaisante parmi les cercles libéraux et universitaires. En dernière analyse, la crise de l'élection 2000 démontre que les formes politiques des États-Unis s'ajustent à la structure sociale du pays, qui constitue de plus en plus une oligarchie des riches, avec une minorité qui s'est fabuleusement enrichie avec le boom de la Bourse, tandis que la vaste majorité confronte des difficultés grandissantes en essayant de survivre. Les succès de la droite, cependant, seront illusoires.
Les élites riches abandonneront peut-être même
leurs prétentions de s'astreindre aux principes démocratiques,
mais les masses populaires américaines ne se sont pas
encore exprimées. Jusqu'ici, la crise de l'élection
2000 a pris la forme d'une lutte sans merci à l'intérieur
de l'élite dirigeante. Mais les questions qui se décident
sont d'une importance extrême pour toute la population.
Tandis que l'assaut contre les droits démocratiques fondamentaux
devient de plus en plus évident et que les questions politiques
se clarifient pour des millions de personnes, ces évènements
auront un immense effet radicalisant. D'immenses convulsions
sociales et politiques se préparent en Amérique.
Voir aussi:
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