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L'élection de Poutine à la présidence annonce un tournant autoritaire en RussiePar Vladimir Volkov Vladimir Poutine a remporté les élections présidentielles russes du 26 mars dernier. Ayant recueilli 52,6 p. 100 des votes exprimés, il était loin devant ses opposants et a pu éviter un second tourd de scrutin. En deuxième position vient Guennady Zyouganov, président du Parti Communiste de la Fédération de Russie (CPRF), avec 29,3 p. 100 des suffrages, et en troisième, Grigori Yavlinski, président du parti libéral-démocrate « Yabloko » avec 5,8 p. 100 des voix. La participation de 68,8 p. 100 des électeurs est supérieure aux 50 p. 100 nécessaires pour valider une élection à la présidence. Hormis quelques irrégularités, les élections sont perçues comme ayant été bien menées tant par les forces politiques en Russie que par les observateurs internationaux. Toutefois, de nombreux indices laissent croire que les résultats ont été manipulés par l'État. L'élection de Poutine augure une nouvelle étape qualitative dans la vie politique et sociale de la Russie post-soviétique. Un homme pratiquement inconnu en août dernier et sans aucun passé politique particulier, Poutine vient occuper le plus haut poste de l'État avec des pouvoirs plénipotentiaire incommensurables. Ancien agent du KGB, il a atteint le sommet du pouvoir étatique grâce aux machinations de l'appareil du Kremlin. Politiquement, la présidence de Poutine met fin à la période de réformes capitalistes telles qu'elles sont associées au nom de Boris Eltsine. Lors du règne de ce dernier, la redistribution des richesses collectives de l'ex-Union soviétique entre les mains d'une mince couche de nouveaux propriétaires s'est effectuée à une échelle et une vitesse sans précédent dans l'histoire. Cette période était caractérisée par l'illusion que l'influence du marché capitaliste mondial sur le développement économique de la Russie allait apporter la prospérité à l'ensemble de la population. En contrepartie, la période actuelle se caractérise par les tentatives de plus en plus fiévreuses et désespérées des nouveaux propriétaires privés de consolider leur position par le renforcement de l'appareil d'État et l'embrasement des tendances nationalistes au sein de la société. On ne peut répondre à la question de savoir quelles politiques Poutine pratiquera en tant que président de la Russie qu'en examinant les forces sociales qu'il représente. Le Kremlin propage le mythe que Poutine s'est toujours tenu à l'écart des grands oligarques et de l'élite au pouvoir au Kremlin. Or, selon ce dernier, Poutine s'apprêterait à prendre de sérieuses mesures contre la corruption et la criminalité qui foisonnent au sein de l'appareil d'État et du monde des affaires. Mais en tant qu'« homme d'État », le président russe se préoccuperait également du bien-être de la population ordinaire. En réalité, Poutine est le représentant et le protégé d'une couche extrêmement fine de nouveaux-riches qui s'est développée au cours des dernières années, de même que des sections de la bureaucratie profitant des capitaux privés. Le succès de Poutine est synonyme de « renforcement des réformes » et du maintien de la « continuité » d'une politique dont les fondations ont été posées par Eltsine. Poutine est étroitement lié au « clan Berezovsky-Abramovitch », l'un des plus importants groupes de capitalistes à occuper des positions dominantes dans de nombreux secteurs de l'économie russe et aux plus hauts niveaux de l'État. Progéniture de ce groupe, Poutine est leur président. Ce à quoi de nombreux oligarques russes ne pouvaient que rêver il y a de cela quelques années seulement est devenu réalité. Non seulement leurs hommes sont-ils placés aux postes clés du gouvernement, au parlement et dans l'administration, mais également au plus haut poste du pays maintenant. Poutine occupe en fait la « présidence privatisée » par l'un des plus puissants clans de la nouvelle classe dirigeante russe. L'oligarque Boris Berezovsky a formulé depuis longtemps le credo fondamental de son pillage : pourquoi acheter une entreprise lorsque l'on peut nommer son directeur ? En appliquant la même logique à plus grande échelle, cela signifie que pour contrôler les importantes ressources économiques d'un pays, il faut avoir le président dans sa poche, d'où la futilité de parler que la présidence « garde ses distances » des oligarques. Les contacts de Poutine avec un clan particulier ne signifie pas nécessairement que les autres oligarques sont acculés au mur. Ce serait là une simplification excessive d'une stratégie basée sur la prudence et l'équilibre. Néanmoins, il ne fait aucun doute que la tendance à « secouer » la nouvelle classe dirigeante va se poursuivre. Du fait d'une base économique générale allant en se rétrécissant, plusieurs personnalités influentes de l'ère Eltsine ont perdu ou sont sur le point de perdre leur position. Ce processus n'a rien à voir avec une diminution du pouvoir des clans, mais bien avec le problème de savoir quels clans peuvent les mieux s'adapter aux conditions changeantes et avec le moins de difficultés. Pourquoi n'y a-t-il pas de protestations ou même de débats à propos de ce qui se passe parmi les mass médias, les politiciens et les commentateurs russes ? D'abord, certains nourrissent l'illusion qu'ils peuvent influencer Poutine selon leurs intérêts. Enfin, d'autres redoutent simplement que leurs protestations n'entraînent une répression. Le fait que le nouveau président ait accédé à son poste uniquement sur la base de sa conduite de la guerre en Tchétchénie ne semble pas déranger leurs espoirs. Par ailleurs, l'équilibre des forces qui s'était développé sous Eltsine n'existe plus. Les grands événements qui ont jalonné cette transition jusqu'à la situation actuelle sont la crise financière d'août 1998, la réaction du Kremlin à la guerre menée par l'OTAN contre la Yougoslavie au printemps 1999, le déclenchement de la seconde guerre en Tchétchénie et enfin la démission d'Eltsine à la fin de l'an dernier. Avant que Poutine ne soit élu président et que Berezovsky et compagnie ne fussent reconnus comme les oligarques les plus puissants, il y eu au moins deux tentatives pour renverser l'équilibre des forces en faveur d'autres groupes influents. La première tentative est venue de l'alliance patriotique et du PCFR de Zyouganov. Au début de 1999, forts du soutien du premier ministre d'alors, Yevgeny Primakov, ils ont en effet tenté de chasser Eltsine de la présidence en intentant une procédure de destitution contre lui. Un deuxième groupe s'est ensuite essayé sous la direction du maire de Moscou Yuri Lushkov et toujours de Primakov, alors limogé. Défaits lors des élections parlementaires de décembre dernier, tous s'inclinent maintenant devant le nouveau gagnant. Quelles sont les conséquences politiques de ce nouvel équilibre des forces ? Pour maintenir sa poigne sur le pouvoir, Poutine recrée un appareil d'État répressif. Il prône une orientation nationaliste en politique étrangère et réhabilite les aspects du passé soviétique reliés au mécanisme d'oppression totalitaire créé par Staline. À la fin des années 1980 et au début des années 1990, ces caractéristiques du passé avaient sévèrement été critiquées pour finalement être condamnées par l'opinion publique russe. Poutine incarne et poursuit le tournant nationaliste entrepris par l'élite dirigeante au cours des dernières années. Il a intégré trois tendances dans ses politiques qui sont représentées par les trois courants fondamentaux de la vie politique de la « nouvelle Russie ». La première tendance est cultivée par le « nationalisme rouge » du parti « communiste » de Zyouganov qui est fondé sur la nostalgie du régime de Staline et la mystification de l'« âme russe » qui s'incarne dans le rôle spécial et civilisateur de l'État russe. La deuxième tendance est incarnée par le mouvement de Grigori Yavlinski et son parti « Yabloko ». Elle repose sur l'illusion que le capitalisme constitue le stade de développement social le plus élevé au monde et que le capitalisme est synonyme de démocratie. Et il va de soit que selon cette vision, le développement du capitalisme entraîne naturellement et inévitablement le développement de structures de pouvoir démocratiques. Enfin, le dernier courant est représenté par le nationalisme anticommuniste représenté par le parti de Vladimir Jirinovsky. Il repose sur la xénophobie agressive, le chauvinisme, les ambitions impériales fanatiques et la démagogie fasciste. Ces courants politiques forment les trois pierres angulaires de la pyramide du pouvoir tel qu'il s'est cristallisé dans la Russie post-soviétique. Poutine a pu accéder au pouvoir en protégeant les intérêts généraux de chacune de ces tendances en se plaçant du point de vue de l'« État » - ou plus précisément de l'infime couche de nouveaux-riches. Le secret le plus important de sa popularité réside dans cette « synthèse ». Avec Poutine, la classe dirigeante russe s'est temporairement consolidée sur la base de son animosité commune à l'endroit des vastes masses de la population à l'intérieur et de sa crainte du marché capitaliste mondial à l'extérieur. Pourquoi les principaux gouvernements capitalistes occidentaux supportent Poutine ? L'« ours russe » ne se laisse pas facilement intimidé. Il est encore capable de montrer les crocs et de défendre ses intérêts. Il est encore trop dangereux de le confronter directement. La « nécessité d'assurer une poigne ferme » n'est pas un phénomène qui n'est propre qu'à la Russie. En soutenant Poutine et son régime, les grandes puissances mondiales cherchent à préparer l'opinion publique de leur pays à l'application de « dures mesures » contre la classe ouvrière. Cette option est nécessaire dans le monde entier pour assurer la liberté d'action des sociétés transnationales. En fin de compte, l'Occident reconnaît avec Poutine
le droit à l'autonomie du capitalisme russe dans le cadre
de la « société mondiale », de même
que sa justification pour utiliser la force extrême dans
la lutte contre le « terrorisme international » ou
n'importe quelle menace susceptible à l'ordre mondial
actuel.
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