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France : Des manifestants antimondialisation demandent la guerre économique contre les États-Unis

Par Francis Dubois
19 juillet 2000

Le 30 juin dernier, des dizaines de milliers de personnes étaient venues dans la petite ville de Millau, dans le sud de la France, pour un rassemblement de style carnavalesque dans le but de protester contre la « mondialisation commerciale », l'« agriculture de productivité » et la « puissance des sociétés multinationales ».

Ce rassemblement fut organisé de façon à coïncider avec le procès de 11 membres de la Confédération paysanne, un petit syndicat paysan, impliqué dans le démontage à Millau d'un McDonald's, le 12 août 1999. José Bové, un éleveur de moutons et un activiste radical avec un passé d'actions protestataires pro-environnement, avait dirigé l'assaut du McDonald's.

On estima à 30 000 le nombre des personnes participant à la manifestation, dont beaucoup suivirent le procès sur un écran géant installé à 200 mètres à peine du tribunal. Dans la soirée, 25 000 participants à un concert de rock gratuit et à un « banquet français traditionnel » s'associèrent au spectacle.

Le procès suscita l'intérêt au niveau international. Baptisée « Seattle-sur-Tarn », du nom de la rivière qui traverse la ville et pour rappeler les protestations antimondialisation qui avaient eu lieu l'an dernier lors de la réunion de l'Organisation mondiale du Commerce, la manifestation fut présentée comme un mouvement de protestation des « petites gens » contre les grands groupes transnationaux. Même si, parmi ceux qui participèrent au rassemblement, l'on pouvait compter des adversaires sincères du capitalisme, la perspective politique de la protestation allait, elle, dans une toute autre direction.

De nombreux journaux, en France et dans le monde, présentèrent ce procès comme une version moderne du combat de David contre Goliath. D'un côté, il y avait les agriculteurs conduits par José Bové et représentant toutes les victimes du capitalisme, de l'autre, il y avait l'accusation, représentant McDonald's et ses semblables parmi les groupes internationaux. Pendant l'audience, un des avocats de la défense, François Roux, expliqua ainsi que les hommes qu'on jugeait ce jour-là luttaient contre les injustices meurtrières « créées par notre société », une lutte qui leur faisait « honneur ».

La sentence définitive ne sera prononcée qu'en septembre, mais il est probable que les agriculteurs ne se voient infliger que des peines symboliques. L'accusation requit contre Bové une peine de prison de dix mois dont neuf avec sursis - ceci malgré des condamnations préalables pour des actes similaires - et une peine maximale de trois mois pour les autres accusés.

On n'a pas l'habitude de voir les adversaires du grand patronat traités avec tant de mansuétude. Les principaux dirigeants politiques français, aussi, firent très bon accueil à Bové. Le leader paysan se vit ainsi officieusement reconnu par le président de la République, Jacques Chirac, qui fit un détour pour lui parler au salon de l'agriculture, et par le premier ministre, Lionel Jospin, qui l'invita à déjeuner. En septembre 1999, Chirac donna publiquement son aval à Bové et s'opposa, dans un discours, à ce « qu'une seule puissance » régnât « sans partage sur les marchés alimentaires de la planète » un coup de griffe à l'adresse des États-Unis.

La popularité de Bové dans les cercles dirigeants s'explique par le fait que ses actions protestataires ne sont pas dirigées contre le capitalisme en soi, mais plus particulièrement contre le capitalisme américain. De son propre aveu, il y avait à l'origine du démontage du McDonald's la décision du gouvernement américain d'augmenter de cent pour cent les tarifs douaniers sur certains produits français en représailles contre l'interdiction d'importer en Europe du boeuf américain traité aux hormones. Parmi les marchandises affectées par la hausse des tarifs douaniers figurait le roquefort fabriqué en partie dans la ferme de Bové. De par le passé, Bové avait déjà mené des actions pour la destruction des cultures transgéniques, une mesure ordonnée récemment par le gouvernement français lui-même.

Des années durant, la France a été, en Europe, l'adversaire le plus agressif des États-Unis. La guerre commerciale entre les États-Unis et l'Europe s'est fortement intensifiée récemment dans le domaine de l'agriculture. Les États-Unis sont le plus important exportateur de produits alimentaires dans le monde. La France est, elle-même, un des principaux exportateurs de produits agricoles. La défense de la « nourriture de qualité » française contre la « malbouffe » exportée par les USA - un des mots d'ordre de la manifestation en faveur de Bové - est en réalité une défense des principaux exportateurs de produits agricoles français contre leurs rivaux américains sur le marché mondial.

La perspective de Bové est fondamentalement la même que celle mise en avant par ceux qui ont organisé ces derniers mois les manifestations protestataires de Washington, Davos et Genève. La ligne politique de ces manifestations était-elle aussi celle de « l'antimondialisation ». Les organisateurs de ces rassemblements voient les problèmes auxquels font face des millions de gens de par le monde non pas, comme le résultat spécifique de la mondialisation dans les conditions imposées par la propriété privée des moyens de production et le système de profit, mais comme la seule chose qui puisse sortir d'une intégration du commerce et de la production au niveau mondial.

Tout en attaquant les institutions et organismes internationaux telles l'Organisation mondiale du commerce, la Banque mondiale et les compagnies transnationales, ceux qui dirigent ces protestations mettent en avant une perspective défendant l'État-nation capitaliste.

La classe sociale sur laquelle Bové se base dans sa protestation antimondiale n'est pas la classe ouvrière, mais la petite paysannerie. Il contribua ainsi à créer une organisation internationale, « Via Campesina », qu'il décrit lui-même comme une « internationale paysanne ».

Comme pour beaucoup de ses coaccusés, les activités politiques de Bové remontent aux protestations radicales de la fin des années 1960 et du début des années 1970. Plusieurs des membres du groupe, jugés fin juin, firent leurs débuts politiques dans le mouvement du Larzac, qui, à l'origine, était une opposition des petits paysans du plateau du Larzac (non loin de Millau) à l'extension d'un camp militaire à leurs dépends. Ce conflit s'étendit durant plus d'une décennie, jusqu'au début des années 1980.

L'objectif de « Via Campesina » est d'arracher des concessions en faveur de la petite paysannerie dans le cadre du système économique existant. Bové explique, qu'en faisant pression sur les gouvernements et les institutions au niveau national et international on peut les forcer à consulter « les différentes organisations » et à tenir compte des « mouvements sociaux » existants, comme celui des petits agriculteurs.

Le discours antimondialisation de Bové ne sort pas d'une voie étroitement nationaliste. Il se plaint de ce que les différentes particularités nationales se trouvent nivelées sous la tyrannie d'un « nouvel impérialisme ». Et donc, la souveraineté et la « culture française » doivent être défendues contre l'« impérialisme culinaire » de McDonald's. Même lorsque Bové parle d'action internationale, il insiste sur le fait qu'elle doit avoir son origine sur le sol national.

C'est cette défense de l'État-nation français qui a valu à Bové une vaste auditoire au sein de l'establishment politique. C'est ce qui encouragea Charles Pasqua, le dirigeant du chauvin Rassemblement pour la France (RPF), de participer en juin dernier à un débat à l'université de Montpellier et qui avait Bové pour principal orateur.

Les divers groupes radicaux petits-bourgeois français ont, eux aussi, donné l'accolade à sa perspective nationaliste. La Ligue communiste révolutionnaire (LCR) qui est affiliée au Secrétariat unifié de feu Ernest Mandel, a fait de la campagne de Bové l'axe principal de son activité pendant des mois. Avant le procès, elle offrit dans les pages de son journal une tribune aux positions politiques de Bové et de ses partisans. La LCR collabora avec les Verts, le Parti communiste stalinien et les syndicats pour organiser la manifestation de Millau, puis elle en fit, dans un style exubérant, un jalon historique de la lutte contre la « mondialisation capitaliste ». Remarquons que les staliniens et les Verts font partie de la coalition gouvernementale qui est en train de démolir les aides sociales, de privatiser la santé, l'éducation et les retraites et de déréglementer de larges portions de l'économie.

 

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