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La guerre du Kosovo, les « intérêts nationaux » allemands et le virage à droite du SPD

Par Peter Schwarz
Le 21 septembre 1999

Cet article est l' éditorial du numéro de septembre/octobre du magazine Gleichheit publié par le Partei für Soziale Gleichheit (Parti de l'Égalité Socialiste), la section allemande du Comité International de la Quatrième internationale.

L'histoire voit passer le temps, mais son rythme ne correspond pas aux changements réguliers des semaines, des mois et des années. Après la période relativement stable de l'ère Kohl (à l'exception de l'année tourmentée 1989-1990 qui vit la réunification allemande), les événements se bousculent maintenant rapidement depuis le changement de gouvernement de novembre 1998 qui a vu le Parti Social-Démocrate (SPD) s'installer au pouvoir avec les Verts. Même alors, la plupart des membres de la coalition « rouge-verte » auraient été stupéfaits s'ils avaient su ce qui adviendrait d'eux neuf mois plus tard : la confiance des électeurs s'est complètement effritée et les espoirs d'assister à une réduction du chômage et à l'amélioration des conditions sociales ont cédé la place à une puissante poussée pour effectuer des compressions aux dépends des plus démunis. La protection de l'environnement promise a débouché sur un asservissement sans borne devant les grandes associations du patronat. Enfin, au lieu d'une politique étrangère axée sur la promotion de la paix, on a assisté à une guerre qui a ruiné les Balkans tant politiquement que matériellement.

La vitesse de ces changements ne peut s'expliquer en entier par l'accession au pouvoir d'un gouvernement qui s'est dévoué à la « modernité ». En effet, loin de déterminer les événements, le gouvernement a été submergé par eux. La perspicacité politique et la conscience des processus sociaux ne figurent certes pas parmi les qualités du chancelier Gerhard Schröder et elles sont très certainement étrangères à ses partenaires écologistes de la coalition. Les déplacements tectoniques qui sévissent sous la superstructure de la société et qui sont maintenant ressentis en surface en produisant secousse après secousse ont commencé à se développer il y a plusieurs années déjà. La guerre au Kosovo a certes marqué un point tournant, mais elle n'a fait qu'apparaître dans le fond un processus commencé depuis longtemps.

Depuis l'unification allemande et l'effondrement du Pacte de Varsovie et de l'Union Soviétique, la position de l'Allemagne a fondamentalement changé dans le monde, ce qui a eu un impact saisissant sur la politique nationale de cette dernière. Auparavant située à la limite de la sphère d'influence de l'Occident, la république fédérale se retrouve maintenant au centre de l'Europe. Plus que jamais, elle est la principale puissance à l'Ouest de la Russie. Finalement, malgré son existence prolongée et échelonnée sur quatre décennies, la période de l'après-guerre ne s'est révélée dans ces circonstances n'être qu'une simple parenthèse historique.

Au cours de cet intervalle, deux illusions politiques étroitement reliées entre elles ont prévalues et ont façonnées les conceptions du SPD. La première illusion qui prévalait, c'était que les conflits armés entre grandes puissances impérialistes qui entraînèrent deux guerres mondiales sanglantes étaient devenues choses du passé. L'hégémonie indiscutable des États-Unis et la confrontation avec l'Union Soviétique semblaient en effet garantir une stabilité telle que toute scission dans l'Alliance atlantique semblait exclue. Parallèlement, le processus de l'intégration européenne progressait lentement mais inexorablement, sans même être perçu comme une menace de l'autre côté de l'Atlantique. Dans ces circonstances, l'Allemagne n'avait pas besoin d'une politique étrangère indépendante, hormis celle de s'efforcer de s'assurer d'entretenir de bonnes relations commerciales avec le reste du monde. Dans le sillage des États-Unis, l'Allemagne s'est développée à son tour en une grande puissance économique, sans même avoir à consacrer de forces spéciales pour assurer ses intérêts nationaux.

Or, tout cela a changé avec la chute de l'Union Soviétique. La nécessité de serrer les rangs face à la superpuissance de l'Est n'existe plus. L'OTAN a perdu sa raison d'être. Dans le milieu de la politique étrangère, l'idée que l'Allemagne ait à défendre ses intérêts nationaux avec plus d'agressivité en allant même jusqu'à faire appel à sa force militaire est maintenant généralement acceptée. Cette situation est qualifiée de « retour à la normale ». Les revues de politique étrangère reprennent sans cesse le langage des XIXe et XXe siècles. La politique étrangère s'exprime une fois de plus en terme d'« objectifs stratégiques » et d'« intérêts vitaux ».

À cet égard, l'intervention de Christian Hacke, professeur au Bundeswehrhochschule (Université des Forces armées fédérales) de Hambourg dans l'hebdomadaire Das Parlament est bien représentative. Il a en effet posé crûment la question à savoir si les tendances à la renationalisation en Europe et dans le monde, conjuguées à la crise et aux ratés évidents de la politique étrangère conjointe lors de la guerre des Balkans « signifiaient que l'Allemagne unifiée doit continuer à diaboliser sa politique d'intérêt national et idéaliser la poursuite d'un intérêt commun ? » À cette interrogation, il répondit qu'« une nouvelle perception des intérêts nationaux de l'Allemagne » était requise de toute urgence.

La guerre au Kosovo a projeté dans la conscience politique des questions qui n'ont été discutées pendant longtemps que par les experts. Derrière la façade de l'unité, l'affrontement couvant des intérêts entre l'Allemagne et les États-Unis est devenu clair. C'est là l'une des raisons les plus importantes de l'abandon abrupt des positions pacifistes antérieures du SPD et des Verts. Ils reprennent ce que leurs prédécesseurs politiques avaient déclaré en 1914 : « si les intérêts nationaux sont menacés, nous ne laisseront pas la mère patrie dans le besoin ».

La seconde grande illusion qui a prévalu pendant l'après-guerre était que les contradictions de classe de la société capitaliste pouvaient être atténuées à long terme. Au moyen de l'État providence, des politiques d'équilibre social et de partenariat, les écarts sociaux pouvaient être rapprochés et même cimentés. Dans le langage du SPD, un parti qui a grassement subsisté grâce à cette situation, cette politique équivalait à la « justice sociale ».

La fin de la politique étrangère pacifiste signifie également la fin de la paix au pays car, pour agresser l'étranger, l'ordre doit être rétabli au pays. Dans une telle situation, l'État providence et ses politiques d'équilibre social deviennent alors des régulateurs superflus et apparaissent même comme des désavantages à la promotion de l'économie nationale et un obstacle à l'augmentation devenue impérative des dépenses militaires.

Ce n'est pas un hasard si le programme de compressions du ministre des Finances Hans Eichel a été voté au plus fort de la guerre au Kosovo. Le redressement budgétaire est en effet soudainement devenu une nécessité incontournable. Eichel est même allé jusqu'à prétendre que son programme était « socialement équitable » puisque c'était le seul moyen qui permettait à l'État de recouvrer sa capacité d'action. Comme si les dépenses sociales seraient à nouveau augmentées éventuellement ! Aux États-Unis, pays où le budget est maintenant redressé, les compressions se poursuivent ; les riches bénéficient de réductions d'impôts et les dépenses pour la défense augmentent de façon astronomique.

L'abrupt virage à droite du SPD a déclenché au sein de ce parti les appels gutturaux à la « justice sociale » des réformistes sociaux et des dirigeants syndicaux - les spécialistes des questions de partenariat social sociale ». Mais ces appels ne sont qu'un réflexe du passé, un nostalgique regard jeté en arrière sur les années 60 et 70.

Arriver à la justice sociale dans des conditions de mondialisation demande une orientation toute autre que celle des social-démocrates, un parti habitué à penser en termes nationaux et craignant plus que tout la lutte de classe ouverte.

Les opposants aux compressions au sein du SPD ont en effet vite pris peur dès que leur appel à la justice sociale a reçu un écho. Leurs protestations ont rapidement été suivies d'une déclaration de banqueroute. Les députés parlementaires dissidents du SPD ont expliqué qu'ils se soumettraient à la discipline du parti pour finalement voter en faveur des compressions au Bundestag (parlement allemand). Quatre jours plus tard, le SPD perdait les élections dans le land de la Sarre ; Reinhard Klimmt, ami d'Oskar Lafontaine accédait à un poste ministériel au gouvernement fédéral, se pliant lui aussi à la discipline du cabinet, ce qui éliminait une autre source potentielle d'opposition.

Dans le sillage du SPD, le PDS (Parti de la Démocratie socialiste, le successeur du SED stalinien est-allemand) s'efforce depuis avec zèle de ramasser les militants passés par dessus bord lors du virage abrupt à 180 degrés du SPD. Le PDS suit les social-démocrates à distance respectueuse dans leur cheminement vers la droite. Blair et Schröder ont en effet à peine eu le temps d'annoncer leur programme pour une social-démocratie moderne que le chef du PDS, Gregor Gysi parlait à son tour de socialisme « moderne ». Pour eux ce petit mot anodin, « moderne », signifie toujours la même chose : remettre en question les valeurs du parti et s'éloigner de tout ce qui peut même rappeler de loin toute idée de justice sociale.

Après la chute de l'Allemagne de l'Est, le PDS a du abandonner plusieurs aspects du stalinisme, tout en conservant cependant son orientation nationaliste, une idéologie que les staliniens partagent depuis des décennies d'ailleurs avec la social-démocratie. Ainsi, tant que la guerre a été dirigée contre Belgrade et Milosevic, le PDS a adopté une position pacifiste. Mais lorsque viendra le temps de défendre les intérêts allemands face à l'« hégémonie des États-Unis », les ministres de la Défense Rudolf Scharping et des Affaires étrangères Joschka Fischer pourront compter sur eux. Après tout, les camarades français du PDS ont bien concurrencer pendant longtemps les gaullistes en matière d'anti-américanisme. Dans les lands où le PDS assume la responsabilité du pouvoir, Mecklenburg-Poméranie et Saxe-Anhalt notamment - le parti a accepté depuis belle lurette la « responsabilité nationale » et a effectué des compressions dans l'aide sociale.

C'est surtout l'absence d'opposition sérieuse aux politiques gouvernementales qui profite actuellement à l'extrême-droite. La désorientation et le découragement qui règnent au sein des électeurs se reflètent dans les gains du DVU (Union populaire allemande) et la croissance des gangs de jeunes d'extrême-droite.

Comme le montre le nombre élevé d'abstentions, la vaste majorité de la population reste passive. La rage et l'indignation contre les compressions ne manquent pas. Ce qui manque, c'est une orientation politique.

À l'ère de la mondialisation, cette orientation ne peut être basée que d'un point de vue internationaliste. Elle doit rassembler les masses des travailleurs par delà les barrières nationales, ethniques et autres. Ce n'est qu'ainsi qu'il sera possible de s'opposer aux puissants intérêts financiers et économiques qui contrôlent actuellement la vie politique. Une telle orientation ne peut venir du SPD, parti organiquement lié à l'État national et l'intérêt national.

 

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