Pourquoi l'OTAN est-il en guerre contre
la Yougoslavie ? Domination mondiale, pétrole et or
Déclaration du comité de rédaction du World
Socialist Web Site
Le 24 mai 1999
Depuis le 24 mars dernier, les forces militaires de l'OTAN dirigées
par les États-Unis ont fait subir un bombardement dévastateur
à la Yougoslavie. Effectuant plus de 15 000 sorties, l'OTAN a pilonné
les villes et les villages de ce pays, détruisant les usines, les
hôpitaux, les écoles, les ponts, les dépôts de
carburant et les édifices gouvernementaux. Des milliers de personnes
ont été tuées ou blessées, y compris des passagers
de trains de banlieue et d'autobus, des employés de télévision
et d'installations de retransmission. Des quartiers populaires ont également
été touchés tant en Serbie qu'au Kosovo.
Ceux qui ont planifié et déclenché cette guerre
disent bien peu de choses quant aux conséquences à long terme
pour la Yougoslavie, les Balkans et l'ensemble de l'Europe de l'Est. Ainsi,
la majeure partie de l'infrastructure industrielle et sociale développée
par la Yougoslavie depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale est
en ruines. En outre, le Danube, artère économique vitale pour
la plus grande partie de l'Europe centrale, n'est maintenant plus navigable.
Enfin, en Serbie, les besoins essentiels de toute civilisation moderne (l'électricité,
l'eau, les égouts) ont été frappés à
répétition. Tout comme en Irak, la véritable envergure
des ravages causés par les bombes américaines, britanniques
et françaises n'apparaîtra clairement que lorsque la guerre
sera terminée et que des rapports commenceront à apparaître
à propos de taux de mortalité anormalement élevés,
notamment parmi les enfants.
La prétention du génocide
L'assaut sur la Yougoslavie a été justifié par l'OTAN
et les médias comme un effort humanitaire pour mettre fin à
la répression des Kosovars d'origine albanaise.
Le caractère cruel et cynique de la campagne de propagande qui
a accompagné le bombardement reflète à sa façon
les contradictions flagrantes dans la défense de la légitimité
de la guerre par l'OTAN. Ainsi, la démonisation grossière
du président yougoslave Milosevic, les témoignages très
divergents à propos de massacres perpétrés par les
Serbes contre les Albanais du Kosovo, la prétention constante de
« génocide » et le barrage d'images
télévisées de réfugiés souffrants ne
sont pas utilisés tant pour convaincre par la force des arguments
que pour briser la résistance du public, l'aguerrir et l'intimider.
Ce que les politiciens de l'establishment et les spécialistes des
médias prétendent, c'est que « l'opposition
à l'OTAN équivaut à soutenir l'expulsion forcée
et le meurtre de masse des Albanais » .
Dans sa mobilisation de l'opinion publique pour bombarder l'Irak, l'administration
Clinton a répété à saturation l'expression «
armes de destruction massive » . Selon elle, ce n'est qu'en pilonnant
l'Irak jour après jour que le monde peut être sauvé
de l'arsenal invisible de gaz, d'armes bactériologiques et chimiques
mortelles accumulé par Saddam Hussein. Dans le cas de la guerre contre
la Yougoslavie, l'expression « armes de destruction massive
» a été remplacée par l'invocation hautement
plus forte et évocatrice de la « purification ethnique
» . Le principal avantage de cette expression est qu'elle fait
directement allusion à l'Allemagne nazie. Selon l'OTAN, la «
purification ethnique » au Kosovo, c'est l'holocauste
des années 90.
La comparaison est tellement tordue et biaisée historiquement
qu'elle en devient obscène. Lors de l'holocauste, des millions de
juifs ont été rassemblés dans toute l'Europe occupée
par les nazis pour être ensuite déportés vers des camps
de la mort qui n'étaient essentiellement que des usines de meurtre
massif fonctionnant selon le principe du travail à la chaîne.
Six millions de juifs sans défense ont ainsi été tués
par les nazis, en comparaison de 2 000 personnes au Kosovo l'an dernier,
selon les chiffres mêmes du Département d'État des États-Unis.
(Les derniers chiffres faisant état de 250 000 morts ne sont que
des fabrications funestes maintes fois démenties même par des
observateurs sur le terrain qui travaillant pour des quotidiens occidentaux).
Même si le nombre de personnes tuées au Kosovo était
deux fois plus grand qu'il ne l'est actuellement, les pertes de vies seraient
toujours moindres, même en tenant compte des différences de
population, que celles qui surviennent dans plusieurs conflits du même
type ailleurs dans le monde (par exemple au Sri Lanka ou en Turquie). La
comparaison n'est certes pas un argument pour se montrer indifférent
aux souffrances qui ont lieu au Kosovo, mais elle révèle en
revanche le caractère grossièrement mensonger des déclarations
de l'OTAN utilisées pour justifier son bombardement à grande
échelle de la Yougoslavie. Un autre point doit être signalé
quant au contexte de la violence au Kosovo. La violence a commencé
en 1998 lors de l'éclatement de la guerre civile entre les nationalistes
albanais et l'Armée de libération du Kosovo (UCK en albanais)
séparatiste d'un côté, et le gouvernement yougoslave
qui cherche à garder le contrôle de la province de l'autre.
Le Comité International de la Quatrième Internationale
s'oppose à toutes les formes de chauvinisme national. Nous ne défendons
pas le nationalisme réactionnaire du régime de Belgrade. Toutefois,
ce serait une falsification flagrante de la réalité politique
que de prétendre que l'année de violence sectaire qui a précédé
l'offensive de l'OTAN n'est l'oeuvre que des Serbes. L'UCK (financée
par l'argent de la drogue et jouissant du soutien en arrière-scène
des conseillers de la CIA) a elle-même mené sa propre campagne
de terreur contre les civils serbes.
L'OTAN fait preuve de bien d'hypocrisie en prétendant défendre
la minorité albanaise ethnique de la répression serbe. On
n'a qu'à regarder la fiche des alliés et des membres de l'OTAN
dans ce conflit qui ont soutenu et même mené des campagnes
de « purification ethnique » bien plus importantes
encore. Ainsi, 200 000 Serbes ont été expulsés de Croatie
en 1995 avec le soutien des États-Unis. La Croatie est devenue depuis
un allié des États-Unis et est l'un des États frontaliers
avec des troupes de l'OTAN stationnées sur son territoire sur un
pied de guerre et prêtes à fondre sur la Serbie. Par ailleurs,
au cours des quinze dernières années, plus d'un million de
Kurdes ont été chassés de leurs villages en Turquie,
non seulement grâce au soutien des États-Unis, mais également
à l'aide de matériel militaire américain. Or, la Turquie
est toujours membre de l'OTAN et elle participe d'ailleurs au bombardement
de la Yougoslavie. Enfin, dans ses représailles infligées
contre la population albanaise, la Serbie fait figure de piètre amateur,
loin derrière les sauvageries perpétrées par les Français
en Algérie et les États-Unis au Vietnam.
Si les conditions politiques leurs auraient été dictées,
les médias américains auraient pu présenter la suppression
de l'intifada de 1987 à 1991, ou encore les massacres survenus à
Beyrouth en 1982 et effectués par l'État israélien,
en termes tout aussi incendiaires que ceux utilisés lors des événements
de l'an dernier au Kosovo. En évaluant l'expression «
purification ethnique » , il faut se rappeler que les grandes
puissances mondiales ont, à plus d'une occasion, évoqué
les conflits ethniques pour justifier leurs interventions impérialistes
et préparer la scène pour un désastre. Rappelons-nous
que l'un des épisodes les plus horribles du XXe siècle est
survenu en 1947 lorsque la Grande-Bretagne a évoqué les conflits
entre Hindous et Musulmans en Inde pour comploter la création d'un
État séparé au Pakistan. La violence qui a suivi la
partition a alors entraîné un million de morts et douze millions
de réfugiés. Tout comme en Yougoslavie, l'intervention impérialiste
a eu comme résultat objectif d'accentuer l'importance de la violence
communale et d'accroître la possibilité de l'expansion impérialiste
aux pays avoisinants.
Qui est responsable de l'exode au Kosovo ?
L'OTAN affirme que l'un des objectifs premiers de son offensive est de
permettre le retour (selon les estimations) de 800 000 réfugiés
albanais dans leur foyer au Kosovo. Ici, le cynisme de l'OTAN atteint de
nouveaux sommets.
L'examen honnête de la séquence des événements
qui ont mené à la crise des réfugiés réfute
les prétentions de l'OTAN. L'exode massif a en effet commencé
après et non avant le 24 mars. Ce jour-là, dans son discours
où il livre la raison officielle de cette guerre, Clinton ne parle
pratiquement que de l'intention d'empêcher un exode. Il soulignait
en fait le danger que si l'OTAN n'intervenait pas, le nombre de réfugiés
pourrait atteindre les « dizaines de milliers » .
Or, que s'est-il passé exactement ? Les bombardements ont détruit
une bonne partie du Kosovo et terrorisé ses habitants, en plus d'accentuer
les combats entre les forces de Belgrade et de l'UCK. Ce ne sont pas des
dizaines, mais bien des centaines de milliers de personnes qui sont devenues
des réfugiés.
Toutes ces conséquences n'ont pas été accidentelles.
Les puissances de l'OTAN espéraient que l'offensive aérienne
permettrait à l'UCK de repousser les forces serbes, de la même
façon que les frappes aériennes de 1995 ont permis aux forces
croates et musulmanes de reprendre l'offensive en Bosnie et d'expulser les
Serbes.
Quant aux réfugiés, ils sont utilisés avec cynisme.
Dès que les Albanais du Kosovo ont été déplacés
immédiatement après les premiers bombardements, l'OTAN a en
effet exploité leur sort pour attiser le support de l'opinion publique
pour la guerre, tout en fournissant l'aide la plus minimale possible pour
leurs camps de fortune où les conditions sont devenues si horribles
que des émeutes ont éclaté. Même alors, seule
une poignée de réfugiés a été acceptée
dans les pays occidentaux. Certains officiers supérieurs de l'OTAN
ont reconnu (bien que leurs déclarations aient été
très peu rapportées dans les médias) que la dépopulation
du Kosovo était à leur avantage, leur laissant les mains libres
pour tapisser de bombes la province et en préparer l'invasion.
Concernant le retour des réfugiés, la question logique
à poser est la suivante : retourner vers quoi ? Quelle partie des
habitations, des lieux de travail, des routes, des ponts, des voies navigables
du Kosovo n'a pas été bombardée par l'OTAN ?
L'objectif politique de la propagande
« Le but du propagandiste, écrivait Aldous Huxley
en 1937, est de faire oublier à une partie de l'humanité que
les autres parties ne sont pas humaines » . Dans la guerre actuelle,
la démonisation des Serbes est nécessaire à cause de
la violence stupéfiante des actes de l'OTAN contre le peuple yougoslave.
Dès le début de l'été, le nombre de morts
causé par l'OTAN aura surpassé celui causé par le gouvernement
serbe et l'UCK avant l'intervention de l'alliance au Kosovo. Avant le 24
mars en effet, la plupart des observateurs évaluaient le nombre total
de tués au Kosovo à environ 2 000 en un an de guerre civile.
Or, depuis le 24 mars dernier, le nombre de Serbes et d'Albanais tués
par l'OTAN dépasse déjà le millier.
Bien entendu, l'OTAN ne commet que des « erreurs »
alors que la Serbie commet des « atrocités » .
Plus généralement, chaque nouvelle accusation de pillage ou
de meurtre dirigée contre les Serbes par l'OTAN survient rapidement
dès l'apparition de nouvelles preuves de morts de civils innocents
causée par les bombes de l'OTAN. Dès que quelqu'un ose suggérer
que le remède de l'OTAN est en fait pire que le mal, le ton du porte-parole
de l'alliance devient encore plus strident : Aurait-on oublié ici
qui est l'ennemi ? »
Question intéressante. Il semblerait en effet que l' «
ennemi » prend rapidement de l'expansion. Au début, les
souffrances et les morts des Albanais ne relevaient que du régime
Milosevic. Or, depuis quelques jours, un ton plus venimeux est apparu dans
la guerre de propagande : la population serbe en entier est à blâmer.
Selon cette nouvelle ligne, le peuple serbe est devenu corrompu, foncièrement
indifférent aux souffrances des Kosovars albanais et obsédé
par un sens quasi incompréhensible des représailles. Selon
bien des propagandistes de l'OTAN, la guérison de ce malaise passe
par une invasion terrestre, la conquête de Belgrade et une occupation
prolongée. Le tout est décrit comme une mission «
civilisatrice » , ravivant ainsi la terminologie colonialiste
du XIXe siècle.
Une guerre impérialiste
La propagande passe par la simplification. Elle nécessite que
les complexités des immenses conflits politiques soient mises de
côté et que l'opinion publique soit confrontée avec
une question piégée ne laissant qu'une seule possibilité
de réponse. Dans la guerre actuelle, cette question est : «
Doit-on faire cesser la purification ethnique ? » .
Cette simplification permet aux médias de dépeindre la
Yougoslavie comme l'agresseur plutôt que l'OTAN. L'alliance, dans
une inversion totale de la réalité, est présentée
comme conduisant une guerre essentiellement défensive au nom des
Albanais du Kosovo.
Pour déterminer la nature d'une guerre, son caractère progressiste
ou réactionnaire, il ne faut pas se borner à examiner des
atrocités sélectives, présentes d'ailleurs dans toutes
les guerres, mais plutôt effectuer une analyse des structures de classes,
de ses fondements économiques et du rôle international est
États qui y participent. De ce point de vue décisif, la guerre
actuelle menée par l'OTAN est une guerre d'agression impérialiste
contre la Yougoslavie.
Les puissances américaines et européennes qui forment le
noyau de l'OTAN comprennent les puissances capitalistes les plus avancées
au monde. Dans chacun de ces pays, la politique d'État exprime les
intérêts du capital financier, basé sur les grandes
entreprises transnationales et les institutions financières. L'existence
continue de la classe dominante dans ces pays est liée à l'expansion
du capitalisme dans le monde.
Pris dans son sens scientifique, le terme « impérialisme
» correspond à une étape historique précise
du développement du capitalisme en tant que système économique
mondial. Il dénote les tendances objectives fondamentales du capitalisme
telles qu'elles se sont développées au tournant du siècle.
Les plus importantes de ces tendances sont : la suppression de la libre
concurrence par le développement d'entreprises monopolistiques énormes
; la domination croissante des institutions bancaires gigantesques (Capital
financier) sur le marché mondial ; l'impulsion du Capital monopolistique
et financier dans les pays où le capitalisme s'est développé
le plus fortement (Europe, Amérique du Nord et Japon) pour s'étendre
au-delà des frontières nationales et gagner l'accès
aux marchés, matières premières et nouvelles sources
de main-d'oeuvre dans le monde.
L'impérialisme entretient une relation prédatrice et parasitaire
avec les pays les moins développés. De par sa position d'hégémonie
financière et au moyen d'institutions financières massives
tels le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale, l'impérialisme
est en position pour dicter ses politiques aux États plus petits
qui dépendent de son crédit. Par leur domination du marché
mondial, les puissances impérialistes gardent bas les prix des matières
premières, appauvrissant ainsi les petits États. Plus ces
derniers empruntent, plus misérables et dépendants ils deviennent.
Enfin, au-dessus des États les plus faibles plane en permanence
la menace des bombardements aériens. Que ces États soient
applaudis en tant que « jeune démocratie »
ou démonisés en tant qu' « État criminel
» ne dépend en dernière analyse que de l'endroit
où ils se retrouvent dans les plans stratégiques déployés
par l'impérialisme mondial. C'est ainsi que l'Irak, appuyé
par les États-Unis dans sa guerre contre l'Iran durant les années
80, est devenu l'objet d'attaques dès qu'elle a nui aux plans des
États-Unis pour renforcer leur poigne sur les réserves de
pétrole du Moyen-Orient.
La même situation s'applique à la Serbie. Dans les années
80, Washington favorisait Slobodan Milosevic dans la mesure où il
introduisait des politiques de marché et démantelait l'industrie
d'État en Yougoslavie. Dans les années 90, les règles
du jeu ont changé et la Serbie est devenue une épine au pied
des intérêts impérialistes. Milosevic a maintenant rejoint
Saddam Hussein sur la liste des « criminels les plus recherchés
» . Le jugement de l'impérialisme à propos de n'importe
quel pays ou dirigeant peut changer abruptement car, comme disait le premier
ministre Palmerston de l'Empire britannique, l'impérialisme n'a pas
d'alliés permanents, ni d'ennemis permanents, mais seulement des
intérêts permanents.
La Yougoslavie n'est pas une puissance impérialiste. C'est un
petit État, relativement en retard du point de vue économique,
et qui a vu sa superficie réduite dans les années 90 suite
à la sécession de quatre des six ex-républiques. Il
est indéniable que le rôle de Milosevic dans ce processus est
totalement réactionnaire. Son exploitation du nationalisme serbe
peut difficilement être opposée aux politiques chauvines de
Tudjman en Croatie, d'Izetbegovic en Bosnie, et de Kucan en Slovénie.
Milosevic n'a toutefois jamais été l'instigateur de ce processus.
Il s'est bien plutôt adapté (comme une bonne partie des ex-staliniens
d'Europe de l'Est) aux tendances sociales centrifuges déclenchées
par la restauration de l'économie de marché. C'est là
que les puissances impérialistes ont joué le rôle principal,
exigeant la destruction des industries nationalisées et l'imposition
de politiques d'austérité exacerbées qui ont réchauffé
les tensions ethniques. La pression économique exercée sur
la Yougoslavie a créé les fondements objectifs pour la dissolution
de l'État yougoslave unifié. Depuis 1991, l'éclatement
de la Yougoslavie a été assuré par l'intervention politique
des grandes puissances. Bien qu'il avait été prédit
que la dissolution de la Yougoslavie serait violente, le démembrement
a néanmoins été encouragé par l'Allemagne, qui
a abruptement reconnu l'indépendance de la Croatie et de la Slovénie
en 1991, et les États-Unis qui ont approuvé encore plus témérairement
l'indépendance de la Bosnie en 1992.
En outre, la Yougoslavie n'est pas un État capitaliste même
de stature régionale. Elle ne possède aucun conglomérat
transnational. Le capital financier yougoslave ne joue aucun rôle
significatif en dehors des frontières du pays. Dans la mesure que
l'on puisse parler de bourgeoisie serbe, elle ne fait qu'émerger
des strates entourant Milosevic qui s'enrichissent en pillant la propriété
d'État qui accompagne le processus de démantèlement
de la Yougoslavie.
Les comparaisons de la Serbie à l'Allemagne nazie et de Milosevic
avec Hitler sont une combinaison d'ignorance et de tromperies. L'analyse
scientifique politique ne consiste pas à lancer des épithètes.
La transformation d'un petit caporal autrichien gueulard et arborant une
moustache à la Charlie Chaplin en la personnification la plus monstrueuse
de la réaction mondiale dépend de certains prérequis
objectifs, à savoir : les immenses ressources de l'industrie allemande.
Hitler était le dirigeant d'une puissance impérialiste agressive
cherchant à établir l'hégémonie du capitalisme
allemand sur toute l'Europe. Avant que l'offensive sanglante de Hitler fut
stoppée, la domination allemande s'étendait de la Manche au
Caucase, englobant les Balkans, y compris la Yougoslavie. Les ambitions
militaires de Hitler reflétaient l'appétit économique
de Siemens, Krupp, I. G. Farben, Daimler-Benz, Deutsche Bank et des autres
grands conglomérats allemands.
Ne serait-ce les conséquences tragiques associées avec
cette distorsion de la réalité historique, la comparaison
de la Serbie avec l'Allemagne nazie et de Milosevic avec Hitler aurait été
risible. La Serbie, pour commencer, ne cherche pas à conquérir
des terres étrangères, mais bien à conserver un territoire
contenu à l'intérieur de ses frontières reconnues mondialement.
Quant à Milosevic, la principale préoccupation de cet «
Hitler » a été de s'accrocher à tout ce
qu'il pouvait des restes d'une fédération dont les frontières
rapetissaient année après année.
En résumé : cette guerre est une guerre menée par
une coalition de grandes puissances impérialistes contre un petit
pays semi-retardataire au niveau économique. Cette guerre a un caractère
néocolonialiste, foulant aux pieds la souveraineté yougoslave.
Son objectif est de créer un type de protectorat de l'OTAN sur le
Kosovo, qui doit ressembler au régime OTAN-FMI qui dirige aujourd'hui
la Bosnie.
Au-delà de la propagande : pourquoi cette guerre est-elle
menée ?
Une fois les déclarations frauduleuses des porte-parole de l'OTAN
et les falsifications des médias repoussées à propos
de cette guerre, que reste-t-il ?
Une agression pure et simple menée par de puissants pays impérialistes
contre une petite fédération, où les raisons officielles
données pour l'attaque ne sont qu'un écran de fumée.
Sans toute la propagande délirante et hystérique, il serait
en fait beaucoup plus difficile d'empêcher le public de s'interroger
sur les véritables raisons qui poussent les puissances impérialistes
à prendre la voie du bombardement.
Au début du siècle, Rosa Luxemburg écrivait que
le capitalisme était le premier mode de production à disposer
de la propagande de masse comme arme. L' « humanisme »
était, à l'époque de ce commentaire comme aujourd'hui,
une couverture pour prendre de force aux pays les plus faibles ce qui est
convoité. Les « missions civilisatrices »
des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France, de la Belgique
et des Pays-Bas avaient comme but en fait de s'emparer des matières
premières, des marchés et de l'avantage géopolitique
sur leurs principaux rivaux. De la même façon, l'attaque sur
la Yougoslavie vise à garder les intérêts matériels
des puissances impérialistes.
Pour commencer, les puissances occidentales se positionnent pour exploiter
les abondantes réserves minérales du Kosovo qui incluent les
dépôts substantiels de plomb, de zinc, de cadmium, d'argent
et d'or. Le Kosovo possède également 17 milliards de tonnes
de charbon en réserve selon les estimations. Mais tout cela n'est
que la « petite monnaie » des calculs impérialistes.
Les gains matériaux immédiats qui peuvent être pillés
du Kosovo sont minimes comparés aux plus grand potentiel d'enrichissement
qui miroite dans les régions plus à l'est pour lesquelles
les puissances de l'OTAN ont développé d'immenses intérêts
au cours des cinq dernières années. Il est étonnant
que si peu d'attention ait d'ailleurs été accordée
à ce lien avec cette guerre et les ambitions stratégiques
mondiales des États-Unis et des autres puissances de l'OTAN.
L'OTAN et la chute de l'URSS
Exactement comme la fin du siècle dernier a été
le témoin du développement de l'impérialisme et des
efforts des grandes puissances pour se départager le monde, le démantèlement
de l'URSS a créé une absence de pouvoir en Europe de l'Est,
en Russie et en Asie centrale qui rend une nouvelle division du monde inévitable.
La signification principale des événements en Yougoslavie
dans les circonstances critiques actuelles, c'est qu'elle est à la
périphérie occidentale d'une bande massive de territoires
dans lesquels les grandes puissances cherchent à prendre de l'expansion.
Il est impossible pour les États-Unis, l'Allemagne, le Japon, la
France, la Grande-Bretagne et les autres puissances de simplement regarder
passivement l'ouverture de cette zone. Une lutte pour l'accès à
cette région et le contrôle des matières premières,
de la main d'oeuvre et des marchés qu'elle renferme est en train
de se développer qui surpassera de loin la « ruée
vers l'Afrique » du siècle dernier.
Ce processus exprime les besoins les plus profonds du système
de profit. Les transnationales d'aujourd'hui mesurent leurs succès
en termes globaux. Aucun marché dans le monde ne peut être
ignoré par General Motors, Toyota, Lockheed Martin, Airbus ou même
Coca-Cola. Ces immenses sociétés se concurrencent sur tous
les continents pour dominer le marché. Pour elles, la pénétration
du sixième de la planète nouvellement ouvert à l'exploitation
capitaliste est une question de vie ou de mort.
L'intégration de cette région au système mondial
de production et d'échange capitaliste est la tâche la plus
critique à laquelle fait face bourgeoisie internationale actuellement.
Il est essentiel pour la survie du capitalisme au XXIe siècle. Si
au début du XXe siècle, il était nécessaire
pour le capitalisme de diviser et d'organiser le monde, qu'en est-il maintenant
que toutes les grandes entreprises sont mondiales ?
Les États-Unis exploitent le démantèlement de l'URSS
plus agressivement. Cela s'explique en partie par les limites historiques
que l'Union soviétique a imposées aux États-Unis. Le
capitalisme américain est devenu prééminent assez tard,
lors de la Première guerre mondiale. L'année même (1917)
où ce pays entrait en guerre, la victoire de la Révolution
d'Octobre en Russie jetait les bases pour la création de l'Union
soviétique. Pendant 70 ans, la conséquence objective de l'existence
de l'URSS fut qu'une vaste portion de la planète fut interdite à
l'exploitation directe du capitalisme américain.
La requête du Capital américain de prendre possession de
ce territoire, des matières premières et de la force de travail
humaine qu'il contient, bref de s'emparer de ce dont il a été
privé, constitue l'essentiel de la politique de la Guerre froide
de Washington. Débarrassée de ses exagérations et de
ses falsifications, la lutte contre « l'expansion communiste
» n'était en fait que le reflet de l'ambition implacable
pour étendre l'influence des banques et des sociétés
américaines en Europe de l'Est et en Russie afin d'en extraire des
profits. Les événements de 1989 à 1991 ont finalement
délié les mains du capitalisme américain dans cette
région du monde.
La réintégration du territoire de l'ex-URSS au sein du
capitalisme mondial s'accompagne de l'absorption par les gigantesques transnationales
occidentales de milliards de dollars en matières premières
vitales aux puissances impérialistes. Les plus importantes réserves
de pétrole inexploitées au monde sont situées dans
les anciennes républiques soviétiques qui bordent la mer Caspienne
(Azerbaïdjan, Kazakhstan, Turkménistan). Ces ressources sont
maintenant divisées entre les grands pays capitalistes. Voilà
le carburant qui alimente le militarisme ressuscité et qui doit mener
à de nouvelles guerres de conquêtes par les puissances impérialistes
contre leurs opposants régionaux et à des conflits toujours
plus importants qui opposeront les impérialistes entre eux.
Voilà la clé pour comprendre l'agressivité de la
politique étrangère américaine de la dernière
décennie. Le bombardement de la Yougoslavie n'est que le dernier
acte belliqueux de toute une série de guerres d'agression qui sont
survenues partout sur la planète. Bien qu'elles aient certaines motivations
régionales, ces guerres sont la réponse des États-Unis
aux occasions et défis ouverts par la chute de l'URSS. Washington
voit sa puissance militaire comme un atout qui peut être utilisé
pour l'emporter sur ses rivaux dans la lutte à venir pour s'emparer
des ressources.
Le pétrole de la mer Caspienne et le débat de
la nouvelle politique étrangère
« La région de la mer Caspienne est l'une des dernières
grandes sources potentielles de gaz et de pétrole au monde encore
non exploitées » expliquait l'un des exécutif d'Exxon
en 1998, ajoutant que la région pourrait très probablement
produire jusqu'à 6 millions de barils de pétrole par jour
en 2020. Il estime qu'entre temps, l'industrie pétrolière
pourrait bien investir entre 300 et 500 milliards de dollars pour exploiter
les réserves. Il estime y trouver 163 milliards de barils de pétrole
et 337 billions de pieds cubes de gaz naturel. Si ces prévisions
s'avèrent exactes, la région va devenir un producteur pétrolier
comparable à l'Iran et à l'Irak.
Tous les principaux pays capitalistes et certaines puissances régionales
en développement ont des visées sur les ressources de ces
régions. Les puissances capitalistes sont très conscientes
de l'existence d'impératifs objectifs pour intervenir, étendre
leur influence et assurer leurs intérêts au détriment
de leurs rivaux. Ces besoins pour intervenir s'articulent de plus en plus
nettement dans les pages des journaux politiques, les audiences gouvernementales
et dans les éditoriaux.
C'est aux États-Unis que ce débat est le plus significatif
et le plus alarmant. Depuis 1991, il y a parmi les stratèges de renom
aux États-Unis, une franche discussion sur la nouvelle place du pays
dans les affaires mondiales. En l'absence de l'Union soviétique,
plusieurs d'entre eux ont tiré la conclusion que les États-Unis
sont désormais les nouveaux maîtres d'un monde « unipolaire
» , dans lequel , à l'heure actuelle, ils jouissent d'une
position dominante inégalable. Ces stratèges ne se demandent
pas si, mais comment, cet avantage peut être exploité.
À cet égard, l'article de Zbigniew Brzezinski, ancien chef
de la sécurité nationale sous la présidence de Carter,
publié dans le numéro de septembre-octobre de la publication
Foreign Affairs, est très significatif. Il est titré : «
Une géostratégie pour l'Asie. »
« Il est très peu probable que le statut de première
puissance mondiale des États-Unis puisse être menacé
par quelque puissance que ce soit, pour plus d'une génération
encore » , écrit Brzezinski. « Aucun état
ne pourra vraisemblablement égaler les États-Unis dans ce
qui constitue les quatre dimensions du pouvoir (militaire, économique,
technologique et culturel) qui confèrent le poids et l'influence
politique globale. »
Ayant consolidé son pouvoir dans sa base de l'hémisphère
occidental, les États-Unis doivent maintenant, explique Brzezinski,
déployer les efforts nécessaires pour pénétrer
les deux continents de l'Europe et de l'Asie. »
« L'émergence des États-Unis à titre
de superpuissance globale, rend impératif le développement
d'une stratégie intégrale et complète pour l'Eurasie.
»
Après les États-Unis, écrit Brzezinski, les six
plus puissantes économies, ayant les budgets militaires les plus
importants sont dans cette région, de même que toutes, sauf
une, des puissances nucléaires déclarées ainsi que
toutes, sauf une, des puissances nucléaires non déclarées.
L'Eurasie compte pour 75 % de la population mondiale, 60 % de son produit
national brut, et 75 % des ressources énergétiques. Collectivement,
la puissance potentielle de l'Eurasie surpasse même les États-Unis.
« L'Eurasie est le super continent formant l'axe mondial.
La puissance qui domine l'Eurasie exercerait une influence décisive
sur deux des trois régions du monde les plus productives économiquement,
l'Europe de l'Ouest et l'Asie de l'Est. Un coup d'oeuil sur la carte suggère
aussi que le pays dominant en l'Eurasie contrôlerait presque automatiquement
le Moyen Orient et l'Afrique.
« Avec l'Eurasie comme échiquier géopolitique
principal, il n'est plus suffisant aujourd'hui d'élaborer une politique
pour l'Europe et une autre pour l'Asie. La distribution du pouvoir à
venir en sur le territoire de l'Eurasie va être d'une importance décisive
pour la primauté de la domination mondiale des États-Unis
et de son héritage historique. »
Comme il ne pense pas qu'ils puissent dominer l'Eurasie seuls, Brzezinski
voit les intérêts des États-Unis pouvant être
les mieux servis en s'assurant un rôle dirigeant, tout en créant
un rapport de force favorable aux puissances pro-américaines. Il
fait entrer une importante condition : dans une Eurasie volatile, la tâche
immédiate est de s'assurer qu'aucun état ou aucune combinaison
d'états n'acquiert la capacité d'expulser les États-Unis
ou d'en diminuer le rôle décisif » . Il qualifie
cette situation d' « hégémonie américaine
bénigne » .
Brzezinski voit l'OTAN comme étant le meilleur véhicule
pour atteindre ces objectifs. « Contrairement à ses liens
avec le Japon, l'OTAN étend l'influence politique et la puissance
militaire des États-Unis au coeur de l'Eurasie. Alors que les nations
européennes alliées sont toujours très dépendantes
de la protection militaire des États-Unis, toute expansion de la
perspective politique de l'Europe devient automatiquement une expansion
de l'influence des États-Unis. De même, la capacité
des États-Unis de projeter influence et puissance dépend de
ses relations transatlantiques étroites.
« Une Europe plus étendue et un OTAN élargi
servirait les intérêts politiques à cours et à
long terme des États-Unis. Une Europe plus étendue va entraîner
la sphère d'influence américaine sans simultanément
créer une Europe si intégrée politiquement permettant
de défier les États-Unis sur des questions géopolitiques
d'importance, particulièrement au Moyen Orient. »
Comme ses lignes le suggèrent, le rôle de l'OTAN en Yougoslavie,
où il a pour la première fois depuis sa création, initié
une offensive militaire, est clairement vu dans par les cercles dirigeants
des États-Unis comme un pas renforçant la position mondiale
américaine. Au même moment, l'expansion de l'OTAN en Pologne,
en Hongrie et dans la République tchèque représente
effectivement une expansion de l'influence américaine en Europe et
dans le monde.
La perspective particulière de Brzezinski sur cette région
n'est pas entièrement nouvelle. Il a ressuscité, en l'adaptant
aux besoins actuels des États-Unis, la stratégie géopolitique
traditionnelle de l'impérialisme britannique, qui a longtemps chercher
à protéger ses intérêts en Europe en exacerbant
les conflits entre nations rivales sur le continent.
La première « stratégie eurasienne »
moderne pour la domination du monde a été élaborée
en Angleterre. Le stratège impérial Halford Mackinder, dans
un écrit en 1904, «Le Pivot Géopolitique de l'Histoire
» maintenait que les territoires de l'Eurasie et de l'Afrique,
qu'ensemble il avait baptisé « l'ìle du monde
» , étaient d'une importance décisive pour qui
veut dominer le monde. Selon Mackinder, les barrières qui ont empêché
la formation d'empires mondiaux, surtout les limites dans le transport,
ont été largement surmontées au début du XXe
siècle, créant les conditions pour une lutte entre les grandes
puissances pour l'établissement d'une dominion mondiale. La clé,
croit Mackinder, réside dans le contrôle du « coeur
central » du territoire de la région eurasienne, délimité
grossièrement par la Volga, le Yangtze, l'Artique et les Himalayas.
Il résume sa stratégie de la façon suivante : «
Celui qui gouverne l'Europe de l'Est, gouverne le coeur central de l'Eurasie
; celui qui gouverne le coeur central, gouverne l'île du monde ; celui
qui gouverne l'île du monde gouverne le monde. »
Indépendamment du fait que ces positions aient été
critiquées par les commentateurs bourgeois, les écrits de
Mackinder, comme ceux de Brzezinski aujourd'hui, ont été attentivement
lus par les principaux hommes d'état de son temps et ont exercé
une profonde influence dans les conflits entre les grandes puissances qui
ont modelé la première moitié de ce siècle.
Pour des raisons de stratégie mondiale et de contrôle sur
les ressources naturelles, les États-Unis sont déterminés
à s'assurer une position dominante dans l'ancienne sphère
d'influence de l'Union soviétique. S'il y avait un adversaire, ou
une combinaison d'adversaires, qui effectivement menaçait la suprématie
des États-Unis dans cette région, cela remettrait en question
la position hégémonique des États-Unis dans les affaires
du monde. Cela, la classe politique américaine en est très
consciente.
Les plans de Washington pour la domination de l'Asie Centrale
Le Comité de la Chambre des représentants des États-Unis
sur les Relations Internationales a débuté des audiences sur
l'importance stratégique de la région caspienne. Lors d'une
réunion en février 1998, Doug Bereuter, le président
du comité, a ouvert en rappelant les conflits entre les grandes puissances
pour le contrôle de l'Asie Centrale au cours du XIXe siècle,
surnommé alors « la grande joute » .
Dans la course pour les empires, notait Bereuter, la Russie et la Grande
Bretagne s'étaient engagées dans une longue lutte pour le
pouvoir et l'influence. Il continua en disant que « cent ans
plus tard, la chute de l'URSS a relancé une nouvelle grande joute,
dans laquelle les intérêts de la East India Trading Company
ont été remplacés par ceux d'Unocal et de Total, et
de plusieurs autres organisations et firmes. »
« Les buts politiques déclarés des États-Unis
concernant les ressources énergétiques de la région
» , continue-t-il, « comprennent la nécessité
de nourrir la dépendance des états et leurs liens avec l'Ouest,
de briser le monopole russe sur le transport du pétrole et du gaz
naturel, d'assurer la sécurité de l'Ouest en énergie
en diversifiant les fournisseurs, d'encourager la construction de pipelines
est-ouest qui ne transigeront pas via l'Iran, et de soutirer à l'Iran
son influence dangereuse sur les économies de l'Asie Centrale. »
Comme les commentaires de Bereuter l'indiquent, Washington entrevoit
des conflits substantiels avec les puissances de la région dans la
poursuite de ses intérêts. Si des frictions considérables
ont initialement accompagné l'accès au pétrole caspien,
des conflits encore plus importants ont éclaté autour de son
acheminement vers les marchés de l'Ouest.
Bien que des contrats de dizaines de milliards de dollars aient déjà
été signés par les compagnies pétrolières
de l'Ouest, il reste à décider par quelle route les pipelines
vont passer. Pour les raisons invoquées par Bereuter, les États-Unis
tiennent absolument à une route est-ouest, qui éviterait l'Iran
et la Russie.
C'est une question qui préoccupe au plus haut niveau le gouvernement
américain. L'automne dernier, le secrétaire à l'Énergie,
Bill Richardson, a dit à Stephen Kinzer du New York Times : «
Nous tentons de diriger ces nouveaux pays indépendants vers l'Ouest.
Nous aimerions les voir s'appuyer sur les intérêts commerciaux
et politiques de l'Ouest plutôt que de les voir aller d'une autre
manière. Nous avons investi une somme politique substantielle dans
la région caspienne et c'est très important pour nous que
la carte du réseau de pipelines et de nos politiques donne de bons
résultats. »
De nombreux stratèges étaient en faveur d'une politique
plus agressive pour la région. L'un d'eux, Mortimer Zuckerman, l'éditeur
du US News & World Report, avait écrit dans un article paru en
mai 1999 que les ressources de l'Asie Centrale pourraient bien retourner
sous le contrôle de la Russie ou d'une alliance dirigée par
la Russie, un résultat qu'il qualifiait de « situation
cauchemardesque » . Il écrivait : « Nous devons
nous secouer face au danger, sinon les certitudes sur lesquelles nous fondons
notre prospérité ne seront plus que des certitudes, et rien
d'autre. »
« La région dominée par la Russie, le pont
entre l'Asie et l'Europe à l'est de la Turquie, contient une quantité
potentielle si élevée de pétrole et de gaz de la Mer
caspienne, évaluée à près de 4 milliards de
dollars, que cela pourrait redonner à la Russie sa santé et
des opportunités stratégiques. »
Zuckerman suggère que le nouveau conflit soit appelé, «
la plus grande joute » . Ce superlatif est plus approprié
pour aujourd'hui, alors que les conflits « ont des conséquences
mondiales, pas seulement régionales. La Russie, avec sa force nucléaire
pourrait bien jouer un rôle de protecteur dans un nouveau consortium
pétrolier incluant l'Irak et l'Iran, et pourrait bien faire grimper
les prix suffisamment pour renforcer les producteurs et menacer l'Ouest,
la Turquie, Israël et l'Arabie Saoudite. Pour reprendre les terme utilisés
par Paul Michael Wihbey, dans une excellente analyse pour l'Institute for
Advanced Strategic and Political Studies, le « scénario
de cauchemar du milieu des années 1970 va réapparaître
avec un bras vengeur. »
En 1998, Frederick Starr, dirigeant du Central Asian-Caucasus Institute
à l'Université Johns Hopkins, faisait remarquer que la moitié
des nations membres de l'OTAN avait des intérêts commerciaux
majeurs dans la région caspienne. Il ajoute ensuite que «
les gains économiques potentiels de l'énergie caspienne vont
entraîner dans leur sillage les armées de l'Ouest pour assurer
la protection des investissements nécessaires » .
La perspective d'un conflit militaire ente un ou plusieurs des membres
de l'OTAN et la Russie n'est pas simplement une question spéculative.
Starr écrit : « Il n'y a pas de pays plus avide d'avoir
le statut de membre de l'OTAN que l'Azerbaïdjan, très riche
en énergie, et nulle part ailleurs, le risque de conflit avec la
Russie au sujet de l'exportation des ressources de l'Azerbaïdjan, n'est
plus élevé. » En 1998 le pays a participé
dans tous les 144 exercices de « partenariat pour la paix »
de l'OTAN.
Les raisons offertes pour justifier la présente campagne contre
la Yougoslavie pourraient facilement être appliquées par les
dirigeants américains s'ils décidaient d'intervenir militairement
en Asie Centrale. Il y a des conflits ethniques dans presque tous les pays
de la région. Les trois pays à travers lesquels les États-Unis
aimeraient voir passer le pipeline, sont des cas exemplaires à cet
égard. En Azerbaïdjan, un conflit militaire fait rage contre
la population arménienne depuis plus de dix ans. Le voisin, la Géorgie
a des guerres intestines sporadiques entre le gouvernement et le mouvement
séparatiste en Abkhazie. Finalement, la Turquie, qui est l'hôte
de la station terminale du pipeline, mène une campagne de répression
contre la minorité kurde, dont la population est majoritaire dans
la région du sud-est, précisément là où
les États-Unis veulent faire passer le pipeline.
Ce point n'est pas oublié par l'actuelle administration des États-Unis.
Dans un discours prononcé pour les journaux américains le
mois passé, Bill Clinton a déclaré que les chambardements
ethniques yougoslaves étaient loin d'être uniques. «
Presque toute l'ancienne Union soviétique est confrontée au
même défi » , a-t-il dit, « y compris
l'Ukraine et la Moldavie, la Russie du Sud, la nation caucasienne de la
Géorgie, l'Arménie, l'Azerbaïdjan et les nouvelles nations
de l'Asie Centrale. » Avec l'ouverture de ces régions,
notait-il, « le potentiel pour les conflits ethniques devient
peut-être la plus grande menace de nos intérêts les plus
critiques: la transition des anciens pays communistes vers la stabilité,
la prospérité et la liberté. »
Une série de guerres à venir
Mais l'attitude agressive des États-Unis envers l'intervention
en Yougoslavie et la perspective de futures percées américaines
dans la région caspienne ne seront pas reçues avec indifférence
à travers le monde.
Le potentiel d'un conflit avec la Russie a augmenté au cours des
dix dernières années. Il en est de même pour la possibilité
d'un conflit majeur entre les États-Unis et une ou plusieurs puissances
européennes. La bourgeoisie européenne ne va pas se contenter
à jamais d'un statut subordonné par rapport aux États-Unis.
Sa position serait continuellement érodée à mesure
que les États-Unis cherchent à renforcer leur avantage. Il
est inévitable que des conflits naissent à propos du partage
du butin en Asie centrale et en Europe de l'Est entre les États-Unis,
l'Allemagne, la France, l'Angleterre et l'Italie.
Des éditorialistes et des politiciens européens ont récemment
protesté contre l'implication grandissante des États-Unis
dans les affaires concernant la sécurité de l'Europe et la
pression américaine pour une expansion de l'OTAN. Que doivent-ils
penser des plans américains, comme ceux tracés par Brzezinski,
prévoyant une massive extension de la puissance américaine
en Europe et en Asie ?
Les tensions sont déjà visibles. L'intervention militaire
en Yougoslavie se déroule au cours d'une année qui a vu une
hausse des conflits commerciaux transatlantiques. De plus, les puissances
européennes cherchent depuis longtemps le moyen de saper l'hégémonie
américaine dans le commerce mondial, établissant une union
monétaire et créant l'euro pour rivaliser avec le dollar en
tant que monnaie de réserve mondiale. La principale puissance dans
l'union monétaire européenne, l'Allemagne, possède
en outre des intérêts commerciaux substantiels en Europe de
l'Est et en Russie. La perspective d'un conflit américano-russe et
d'une instabilité croissante à Moscou met sa position en péril.
De nouveaux conflits entre les États-Unis et le Japon vont également
surgir. La nation insulaire, grand importateur de pétrole, a ses
propres intérêts dans la région caspienne et est engagée
dans toute une série de conflits commerciaux avec les États-Unis.
Dans la mesure où les États-Unis voient le renforcement de
leur rôle militaire comme la clé de leur succès en Asie
centrale, il faut s'attendre à ce que certains cercles dirigeants
du Japon réclament la fin des restrictions d'après-guerre
sur la taille et la capacité d'intervention de son armée.
Un conflit ouvert entre les États-Unis et la Chine est inévitable.
La Chine, un pays historiquement opprimé et non une puissance impérialiste,
a cependant fait des pas de géant vers la restauration du capitalisme
et aspire au rôle de puissance économique régionale.
Comme en témoigne l'actuelle hystérie anti-chinoise dans
la presse américaine, une section importante de l'élite dirigeante
américaine s'oppose énergiquement à un tel développement.
L'expansion de l'influence américaine en Asie centrale pose une menace
directe et immédiate à la Chine, entre autres parce que l'expansion
de l'économie chinoise dépend directement de son accès
au pétrole. Ses besoins en pétrole pourraient doubler d'ici
2010, ce qui forcera le pays à recourir à l'importation pour
couvrir 40 pour cent de ses besoins, comparativement à 20 pour cent
en 1995.
Pour cette raison, la Chine a déjà exprimé son intérêt
dans la construction d'un pipeline qui transporterait le pétrole
caspien en direction de l'est et a signé en 1997 une entente de $4,3
milliards pour s'assurer une part de 60 pour cent dans une entreprise de
pétrole de Kazakh. Les États-Unis vont certainement chercher
à miner ses activités dans cette région.
À travers le monde, les gouvernements craignent de bien pouvoir
devenir la prochaine cible d'actions militaires, s'ils devaient résister
aux demandes américaines. Une telle appréhension n'est pas
du tout limitée aux pays moins développés qui figurent
sur la liste noire américaine. On peut être certain que Paris
et Berlin sont très inquiets des intentions américaines en
Europe et que le Pentagone a des plans de guerre avec la France et l'Allemagne
qui peuvent être rapidement tirés des étagères.
Ces deux pays sont pris en exemple pour attirer l'attention sur un autre
point important. Il est loin d'être assuré que tout prochain
conflit impliquant les États-Unis sera aussi à sens unique
que le conflit actuel. Washington va se retrouver avant longtemps en guerre
contre un adversaire qui n'est pas complètement sans défense.
La région de l'Asie centrale, vitale d'un point de vue stratégique
et riche en ressources naturelles, ne saurait être divisée
de façon pacifique entre les grandes puissances impérialistes
mondiales alors qu'elle est réintégrée à la
structure du capitalisme mondial. Comme Lénine devait écrire
en 1915, en parlant du partage des pays coloniaux entre les puissances impériales
: « La seule méthode concevable de partage, sous le capitalisme,
des sphères d'influence, des intérêts, des colonies,
etc., repose sur une évaluation de la force des pays participants,
au niveau économique, financier, militaire, etc. Et la force des
participants au partage ne change pas de façon égale, car
le développement uniforme des différentes entreprises, branches
d'industrie ou nations est impossible sous le capitalisme. Il y a un demi-siècle,
l'Allemagne était un pays insignifiant comparé à l'Angleterre
de l'époque ; tout comme le Japon, comparé à la Russie.
Est-il 'concevable' que dans dix ou vingt ans, la force relative des puissances
impérialistes n'aura pas changé ? Ceci est hors de question.
»
La mise à jour de l'évaluation de Lénine en substituant
les grandes puissances de l'heure à celles de 1915 soulève
la question : est-ce que les États-Unis, l'Europe et le Japon vont
finir par s'arranger à l'amiable et trouver un terrain d'entente
sur des questions aussi explosives que l'élaboration d'accords commerciaux,
l'établissement de pactes militaires et l'octroi de contrats de pétrole
et de construction valant des trillions de dollars ? Aucune réponse
affirmative n'est possible.
Les grandes puissances vont également chercher à profiter
des conflits locaux. Ceux-ci vont augmenter, non diminuer, alors que l'Asie
centrale est intégrée au système global de production
et d'échanges. À mesure que croît le financement occidental
des projets de pétrole, les enjeux des conflits régionaux
ethniques grossissent. Lorsque le contrôle d'un territoire rapporte
des milliards en exportation de pétrole, les batailles deviennent
plus féroces.
Déjà, les conflits qui ont éclaté dans la
région abkhazienne de la Géorgie ont stoppé la construction
des pipelines plus d'une fois. En outre, la pénétration du
capital occidental a été accompagnée de mesures d'austérité
dictées par le FMI. Ces changements ont appauvri davantage la vaste
majorité des peuples de l'Asie centrale, tout en enrichissant une
minorité. Comme la Russie, les républiques caspienne et caucasienne
ont vu la création d'une couche extrêmement riche, mais mince,
de « nouveaux Kazakhiens » , « nouveaux
Azériens » , etc., alors que le niveau global de la production
et des revenus a chuté depuis 1991.
Ces développements sont porteurs d'un nouveau partage du monde,
qui sera décidé par les principales puissances impérialistes,
appuyées sur leurs armées. Les conflits militaires à
venir vont prendre place dans une région du monde encore plus explosive
que les Balkans. Tous les grands protagonistes possèdent des armes
nucléaires, ce qui soulève le danger d'un nouveau conflit
impérialiste majeur, le troisième en l'espace d'un siècle,
dont le potentiel dévastateur, au niveau matériel et humain,
serait de loin supérieur aux deux premiers combinés.
Les implications du bombardement de la Yougoslavie
C'est la signification de l'action militaire actuelle contre la Yougoslavie
et la croissance du militarisme en général. Le Kosovo est
le banc d'essai de guerres à venir dans l'ancienne région
soviétique.
La guerre est au même moment l'expression d'immenses contradictions
au sein des pays impérialistes eux-mêmes. Ces tensions sociales
sous-jacentes seront exacerbées par la guerre. Tout le XXe siècle
a montré que les périodes de voracité impérialiste
sont nécessairement accompagnées d'une intensification des
conflits sociaux dans les centres métropolitains de l'impérialisme.
Les structures sociales internes des États-Unis et des états
de l'Europe de l'Ouest sont ébranlées par d'intenses contradictions
de classe. Les deux dernières décennies ont vu une profonde
polarisation matérielle dans ces pays. Une mince couche a atteint
un niveau de richesse jamais vu dans l'histoire. Le reste de la population
vit à divers degrés dans l'anxiété et même
le désarroi économiques et une couche substantielle fait face
à la misère. Tous les indices laissent voir une continuation,
et même une accélération, de cette tendance de base.
Les conflits sociaux ont pris une forme maligne dans la mesure où
ils sont restés politiquement inarticulés. L'Amérique
quant à elle donne l'impression d'une société qui se
trouve au bord de la dépression nerveuse. La vie publique est ponctuée
d'éruptions de violence par des enfants d'école qui ont laissé
le pays dans un état de semi-choc. Aucune explication, en dehors
des plus banales, n'a été offerte par les autorités
ou les experts sur ces explosions de violence antisociale. Elles attestent
cependant à leur manière la brutalité de la vie contemporaine
américaine et les antagonismes étouffés qui sommeillent
juste sous la surface.
Ce point suggère un autre motif du bombardement de la Yougoslavie.
Le père de l'élaboration d'une politique impérialiste
à la fin du siècle dernier, Cecil Rhodes, a noté les
avantages sociaux-psychologiques d'un militarisme agressif en tant que soupape
pour alléger les pressions sociales accumulées au sein même
des pays impérialistes. Mis à part ses intérêts
économiques directs et indirects dans le conflit actuel, la bourgeoisie
américaine voit là une occasion de détourner les frustrations
et le désarroi accumulés vers une cible extérieure.
Elle reconnaît au même moment les limites de telles diversions
et s'apprête déjà à remodeler sa politique interne
selon ses ambitions impérialistes. Le pays va continuer sur la voie
d'une garnison de haute technologie, où le gros des dépenses
publiques est consacré à des visées militaires à
l'étranger. Les programmes sociaux se verront remplacés au
fur et à mesure par la répression interne crue. Cette approche
fondamentale sera suivie dans les autres grands états impérialistes.
Quant aux droits démocratiques, ils sont loin d'être garantis.
La véritable attitude de l'élite dirigeante sur cette question
a été révélée de façon beaucoup
plus claire dans sa conduite de la guerre actuelle que dans toutes ses garanties
légales officielles et ses déclarations publiques : n'a-t-elle
pas fait bombarder des stations de télévision serbes et menacé
de fermer l'Internet ?
Au grand dam des autorités gouvernementales, de la cabale militaire
et des médias, la majorité des peuples des pays de l'OTAN
ne sont pas saisis de la fièvre guerrière. Celle-ci est largement
confinée à l'establishment politique. Dans le grand public,
on est plutôt perplexe et inquiet. Dans la mesure où ce sentiment
ne s'est pas développé en opposition organisée à
la guerre, il est en large mesure le résultat du processus d'abandon
politique des masses par les organisations auxquelles elles avaient autrefois
donné leur allégeance.
La guerre a mis à nu la faillite complète des partis politiques
établis qui se présentaient comme les défenseurs de
la classe ouvrière et du socialisme. Des partis social-démocrates,
travaillistes et staliniens, ont été recrutés non seulement
les partisans mais aussi les dirigeants de la guerre actuelle. C'est loin
d'être une surprise pour des observateurs plus expérimentés.
De telles organisations ont démontré pendant longtemps leur
soumission politique aux marchés et à la grande entreprise,
et elles ont été intégrées à l'appareil
de l'impérialisme. La guerre n'a fait que révéler le
nouveau stade de ce déclin politique, à savoir que c'est un
processus complété. Alors qu'ils représentaient autrefois
un obstacle aux demandes politiques et économiques du capital, sans
représenter toutefois une alternative socialiste viable à
l'impérialisme, ils ne sont aujourd'hui rien de plus que des partis
bourgeois de droite.
La guerre a mis en relief une autre caractéristique, peut-être
mieux décrite comme un « vide » , du paysage
politique : l'absence d'une intelligentsia vouée à la critique
sociale et prête aux sacrifices. Dans les rangs universitaires, quasiment
aucune voix ne s'est élevée pour critiquer les arguments et
les hypothèses qui ont servi à justifier la guerre. Dans la
mesure où l'on a pu entendre des voix dissidentes, elles viennent
en général de la droite, réclamant une politique plus
agressive. Il faut croire disparues, même des mémoires, les
journées fébriles faites de protestations, de «
teach-ins » sur les campus, et d'examens à la loupe des
affirmations de l'état.
D'où vient une telle situation ? Il y a beaucoup à apprendre
d'une transformation politique similaire qui a pris place dans la première
partie du XXe siècle. L'éclatement de la guerre en 1914 a
vu toute une couche de la bureaucratie ouvrière et de la social-démocratie
apporter son soutien politique à la bourgeoisie dans chacun des pays
impliqués. Des partis et des leaders politiques qui avaient officiellement
adopté une politique d'opposition à la guerre impérialiste
ont abandonné leurs principes proclamés, voté pour
les crédits de guerre et appelé la classe ouvrière
à défendre l'état. Les conséquences catastrophiques
de leur décision, qui ont eu l'impact le plus lourd sur les travailleurs
européens, sont bien connues.
Lénine a cherché une explication matérielle à
ce phénomène dans le processus de corruption d'une section
des chefs syndicaux et social-démocrates par l'impérialisme.
La féroce exploitation des colonies et le pillage de leurs ressources
ont permis à la bourgeoisie européenne de partager assez de
miettes avec les dirigeants ouvriers officiels pour obtenir leur soumission
aux diktats de l'impérialisme.
Un phénomène analogue s'est produit dans la récente
période. Toute une couche des éléments qui avaient
été radicalisés par l'expérience du Vietnam,
les événements de mai-juin 1968 en France, et les conflits
ouvriers militants fin 1960 et début 1970, a abandonné au
cours des deux dernières décennies toute opposition à
l'impérialisme et est retournée à la vie de la classe
moyenne. Plusieurs de ces ex-radicaux ont vu leurs fortunes monter en flèche
avec l'envol des marchés boursiers dans les années 1990. Ceci
a produit un réajustement dramatique de leur politique. Certains
des plus fervents promoteurs de la guerre actuelle viennent de cette couche.
Le processus d'enrichissement ne se limite pas bien sûr à
ceux qui ont un passé de politique radicale. Comme il a été
noté plus haut, une mince couche, en termes de pourcentage, est devenue
riche, mais elle compte un nombre important d'individus. Un pour cent de
la population des États-Unis possède quarante pour cent de
ses richesses. Ceci explique le niveau de vie faramineux dont jouissent
plus de deux millions et demi de gens. Juste en dessous, de dix à
vingt pour cent de la population ont vu leurs avoirs grossir énormément
au cours des vingt dernières années. Des chiffres similaires
pourraient être cités pour les autres grands pays capitalistes.
C'est de cette couche enrichie que viennent les leaders de tous les partis
officiels, les médias, ainsi qu'un nombre important d'universitaires.
L'accumulation de biens a fourni à l'élite dirigeante le ciment
politique pour faire bloc en faveur de la guerre; elle a aussi encouragé
une section à réclamer une expansion de celle-ci.
Le boum à Wall Street a été cependant un processus
à deux faces. La course pour les valeurs boursières a requis
l'adoption d'un nouveau régime d'austérité, de «
flexibilité au travail » (c'est-à-dire insécurité
de l'emploi) et d'exploitation accrue de la population travailleuse dans
les centres impérialistes et partout à travers le monde. Si
la formation des nouveaux riches dans les années 1980 et 1990
a fourni un nouveau point d'appui à l'impérialisme, elle a
aussi créé un auditoire beaucoup plus large pour un mouvement
anti-capitaliste et anti-impérialiste parmi la classe ouvrière
internationale. La croissance du prolétariat mondial; la réduction
du niveau de vie pour la majorité dans les pays avancés; l'appauvrissement
de la majeure partie de l'Asie, de l'Afrique et de l'Amérique latine;
et les sombres perspectives d'avenir des jeunes : autant de processus qui
mènent objectivement à un mouvement de changements sociaux
révolutionnaires.
Le terrain a été préparé pour la transformation
de ce potentiel objectif en force politique consciente. Ce qui est nécessaire
avant tout aujourd'hui, c'est la lutte pour le socialisme parmi les travailleurs,
les intellectuels et les jeunes qui formeront le noyau d'un tel mouvement
révolutionnaire. La confusion du marxisme avec son antithèse
réactionnaire, le stalinisme, doit être effacée par
un processus d'éducation politique. Il faut lancer la lutte contre
toutes les idéologies qui servent directement ou indirectement à
perpétuer le système actuel. Ces efforts doivent trouver leur
plus haute expression dans la construction d'un parti politique socialiste
unifié de la classe ouvrière internationale.
C'est la tâche à laquelle se consacre le World Socialist
Web Site, la voix du Comité International de la Quatrième
Internationale.
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