L'assassinat
du dirigeant de l'opposition islamiste déstabilise l'Algérie
Par Jean Shaoul (traduit de l'anglais)
L'assassinat à Alger d'Abdelkader Hachani, le numéro
trois du Front islamique du salut (FIS) menace de déstabiliser
les relations au sein de l'Algérie. Dans un pays déchiré
par une guerre civile non déclarée depuis la répudiation
des militaires lors des élections de 1991-92, cet assassinat
annonce une nouvelle vague de répressions et de violences.
Hachani, âgé de 40 ans, a été abattu
par un ou plusieurs tireurs (les avis de la presse divergent
quant à leur nombre) alors qu'il se trouvait dans la salle
d'attente de son dentiste. Fils d'un membre influent du Front
de libération nationale (FLN) qui a remporté la
guerre d'indépendance contre la France, Hachani, de plus
en plus désabusé par le népotisme et la
corruption du gouvernement FLN rejoigna le FIS. Quand en décembre
1991 il mena son parti à la victoire lors de la première
étape des élections législatives, l'armée
prit le pouvoir et annula les élections. Hachani et les
membres du FIS furent immédiatement arrêtés
et le FIS interdit. Hachani fut emprisonné pendant cinq
ans sans jamais avoir été jugé et ce en
dépit de grèves de la faim répétées.
Libéré en juillet 1997, il fit l'objet d'une surveillance
policière constante. Il continua de faire opposition au
régime en préconisant un dialogue entre les militaires
et l'ensemble des partis politiques, y compris le FIS, pour mettre
fin, d'une part, à toute restriction imposée au
FIS qui avait été banni et, d'autre part, pour
reconnaître politiquement l'AIS, le bras armé du
FIS.
En 1998, l'AIS accepta une trêve avec l'armée, ne
laissant en lutte que les plus petits groupes islamiques, comme
le Groupe islamique armé. La guerre a provoqué
des atrocités dans les deux camps, remplissant ainsi des
listes avec des cas bien documentés de violations de droits
de l'homme par les forces militaires algériennes; la mort
de plus 100 000 hommes, femmes et enfants, un regain de l'émigration
en masse - principalement à destination de la France -
ainsi qu'une sérieuse perturbation de la vie au quotidien.
Suite à des pressions extérieures considérables
pour mettre fin à la guerre civile, pour introduire un
semblant de démocratie et pour ouvrir l'économie
aux groupes multinationaux, les militaires avaient désigné
Abdelaziz Bouteflika pour les représenter lors des élections
présidentielles d'avril dernier. Cet ancien membre du
gouvernement FLN jusqu'en 1979 avait depuis longtemps abandonné
toute prétention socialiste. Il devenait ainsi président
au moment où tous les autres candidats s'étaient
retirés de la course présidentielle en signe de
protestation contre des élections manifestement frauduleuses.
En juillet, Bouteflika avait accordé une amnistie restreinte
aux oppositionels qui avaient accepté de déposer
les armes avant le 13 janvier 2000 et qui n'avaient pas été
mêlés à des massacres collectifs, à
des viols, à des meurtres ou à des attentats à
la bombe. Quant à ceux accusés de meurtres, de
viols ou d'attentats à la bombe, ils seraient poursuivis,
mais la peine de mort ne serait pas appliquée et les peines
d'emprisonnement ne dépasseraient pas vingt ans. Tout
prête donc à croire que la guerre civile allait
s'achever.
En Septembre, en dépit du fait que son projet de concorde
civile avait déjà été lancé,
Bouteflika organisa un plébiscite - qu'il remporta - sur
l'amnistie dans un effort de gagner une quelconque crédibilité
politique auprès des électeurs, suite aux élections
truquées. Des centaines de prisonniers islamistes furent
libérés, mais un plus grand nombre restèrent
en prison.
Une part non négligeable dans les réflexions de
Bouteflika revenait à la mise en jeu de l'énorme
soutien populaire pour la paix et la fin des violences contre
les militaires inconditionnels - les éradicateurs
- qui s'opposent aux dialoguistes et qui sont déterminés
à mettre fin à la guerre civile en éliminant
toute opposition politique. Limité dans ses actions par
ses adversaires militaires, Bouteflika n'a pas été,
jusqu'à ce jour à savoir six mois après
les élections, en mesure de former le cabinet de son choix.
Ceci reflète huit années de tension entre des présidents
successifs mis en place par l'armée. Aucun des quatre
présidents antérieurs n'avait pu mener à
terme son mandat.
Alors que le GIA (Groupe islamique armé) rejetait l'aministie,
nombreux étaient ceux du FIS qui la supportaient. Les
dirigeants du FIS, Abassi Madani et Ali Benhadj, se trouvant
encore assignés à domicile, il incombait à
Hachani de jouer le rôle de chef du parti. En dépit
de ses critiques à l'encontre de l'amnistie, lui reprochant
d'être trop restrictive , il était considéré
comme étant le représentant le plus prometteur
pour ce qui est de l'établissement du FIS en tant que
parti d'opposition crédible et pacifique.
Le président Bouteflika a condamné l'assassinat
en en rejetant la responsabilité sur les «ennemis
de la concorde civile, de la concorde nationale et de la réconciliation».
Il a promis de faire l'impossible pour démasquer les auteurs
de la fusillade.
Alors qu'il avait immédiatement été présumé
que le GIA, qui refuse l'amnistie, avait été à
l'origine du meurtre, aucun groupe n'en a revendiqué jusque-là
la responsabilité. Le journal algérien El Alam
Essiassy a déclaré qu'il s'agissait d'une nouvelle
escalade de la violence terroriste qui a embrasé le pays
depuis le plébiscite de juillet. L'ensemble de la presse
algérienne est unanime pour constater que le meurtre avait
pour but de saboter les démarches pour une amnistie et
pour la paix.
Un porte-parole du FIS à Londres imputait la responsabilité
du crime à certains éléments de l'élite
militaire au pouvoir. «Nous pensons que des éradicateurs
sont responsables de ce crime, bénéficiant de l'impasse
politique dans lequel se trouve le pays actuellement, suite à
la tentative d'exclure par la force le FIS de toute action légitime
présente ou future. Ils recherchent la liquidation politique
du FIS.» Compte tenu du fait que Hachani était assujetti
à une surveillance permanente à laquelle vient
s'ajouter des actions bien documentées de la part d'éléments
faisant partie de la Sécurité Militaire,
une telle conclusion livrerait une explication tout à
fait plausible de la mort d'Hachani.
L'assassinat mine à la fois le «programme national
de réconciliation» du président algérien
tout comme ses efforts pour mettre fin à la guerre civile.
Selon le quotidien français Le Monde, sa stratégie
aurait échoué. Les groupes armés ne se seraient
pas empressés de rendre les armes. Le mois d'août
passe pour être l'un des pires en ce qui concerne les incidents
enregistrés, de plus les actes de violence n'ont pas reculé.
Au cours de la semaine qui a précédé l'assassinat
d'Hachani, plus de 100 morts ont été enregistrés
- 21 pour la seule journée du 20 novembre. Depuis la mi-septembre
quelque 500 personnes ont été tuées.
Les efforts de Bouteflika pour mettre un terme à la guerre
civile ignorent les problèmes économiques et sociaux
qui ont donné naissance au conflit politique. Pour la
grande majorité des Algériens les conditions de
vie n'ont cessé de se détériorer depuis
la chute dramatique des prix du pétrole durant les années
1980. A peu près la moitié de la population vit
en dessous du seuil de pauvreté. Plus de 30% sont officiellement
recensés comme étant au chômage, alors qu'en
réalité 50% sont supposés être sans
emploi. Ce chiffre comporte 70% de jeunes dans un pays où
70% de la population a moins de 30 ans. Plus de 2 millions d'habitations
sont nécessaires pour une population avoisinant 28 millions
d'habitants.
Le mois dernier, Bouteflika introduisait un budget qui réduisait
de 40% les dépenses publiques. Le programme de privatisation
et de dérégulation a d'ores et déjà
conduit à une perte de 400 000 emplois et l'on peut s'attendre
à pire. Dans l'espoir de se débarrasser de son
image de paria suite aux atteintes flagrantes contre les droits
de l'homme, le président s'est rendu en Europe et aux
Etats-Unis en vue d'éventuels investisseurs pour l'Algérie.
L'industrie étatisée du pétrole et du gaz
a été ouverte à des investisseurs privés.
Les investissements américains en Algérie se chiffrent
actuellement à plus de 2 milliards de dollars. Les groupes
pétroliers Halliburton, Arco et Anadaneo font travailler
un effectif de plus de 500 employés américains
dans le Sahara. Pfizer, le géant de la pharmacie vient
de démarrer une joint-venture; la Citibank ainsi que des
banques européennes viennent de s'établir à
Alger.
Les banques et les groupes internationaux ont exigé que
l'Algérie restructure son économie de façon
à la rendre accessible aux marchés financiers.
Ils réclament la fin de la guerre civile et la mise en
place d'un gouvernement disposant d'un semblant de légitimité
politique et «de l'autorité de la loi».
En début d'année, Stuart Eizenstat, le sous-secrétaire
d'Etat américain au département du Commerce a expliqué
lors d'un Worldnet dialogue avec des journalistes d'Afrique du
nord au sujet du partenariat entre les Etats-Unis et l'Afrique
du nord, ce qu'il faut entendre par: «règles claires,
des règles transparentes, des règles ouvertes à
l'investissement».
Une partie intégrante en est l'établissement d'un
marché nord africain plus vaste et qui rendrait tout investissement
dans le marché domestique digne d'intérêt.
C'est la raison pour laquelle les groupes américains au
même titre que les groupes européens s'empressent
de revigorer l'Union du Maghreb qui comprend le Maroc, l'Algérie,
la Tunisie et la Libye. Mais les programmes de l'Union européenne
et des Etats-Unis sont incompatibles. Par tradition, les liens
économiques du Maghreb ont plutôt servi ses anciens
maîtres coloniaux d'Europe. Eizenstat, qui est également
un ancien ambassadeur des Etats-Unis auprès de la l'Union
européenne, n'a pas mâché ses mot: «Nous
ne pensons pas que la région maghrébine d'Afrique
du nord soit le domaine privé de quelque pays que ce soit.»
Pour les Etats-Unis, le Maghreb représente des objectifs
stratégiques plus vastes. La signature de l'accord pour
le commerce et l'investissement entre l'Union européenne
et le Maghreb signifie que les Etats-Unis peuvent se servir de
leur propre influence au Maghreb pour pénétrer
le marché européen. Les liens militaires des Etats-Unis
avec l'Afrique du nord devraient également garantir que
la Méditerranée ne devienne un «lac européen»
qui risquerait un jour de refuser à l'Amérique
du nord l'accès à ses intérêts vitaux
dans le Caucase et au Moyen-Orient.
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