La politique adoptée au Quatrième congrès du Workers Revolutionary Party fut le point culminant de quatre années de stupidités ultra gauchistes qui avaient ébranlé les racines du parti dans les syndicats et dans le mouvement ouvrier. Les délégués se réunissaient alors que la bourgeoisie britannique était sous le choc que lui avait causé l’offensive de l’hiver précédent. Convaincue que le gouvernement Callaghan avait perdu contrôle de la situation, elle se préparait à un coup parlementaire pour évincer les sociaux-démocrates et les remplacer par un gouvernement conservateur, le plus réactionnaire depuis la fin de la guerre. Le Quatrième congrès ne prit nullement conscience de ces développements. Au lieu de cela, Healy et Banda y présentèrent un document qui glorifiait la campagne frénétique du WRP pour renverser le gouvernement travailliste.
Le document des perspectives du Quatrième congrès était consacré par pages entières à justifier les positions prises par le parti depuis 1975. Il commettait pratiquement toutes les erreurs que L. Trotsky avait analysées en 1931-1932, durant la lutte contre la théorie stalinienne de la « Troisième période ».
Le document déclarait : « Les dirigeants travaillistes ne s’appuient plus sur la classe ouvrière. Durant près de trois ans le gouvernement a gouverné, non pas avec le consentement de la classe ouvrière, mais en se fiant aux éléments les plus réactionnaires dans les partis Tory, libéral, nationaliste écossais et unioniste d’Ulster, et avec l’approbation des banquiers européens et américains à l’étranger... Le maintien au pouvoir du gouvernement travailliste comporte de grands dangers pour la classe ouvrière, car il camoufle les conspirations de la part de l’armée, de la police et de l’aile droite. » (traduit de The World Political and Economic Crisis, the Building of the Workers Revolutionary Party and the Struggle for Power [La crise économique et politique mondiale, la construction du WRP et la lutte pour le pouvoir], pp. 29-30)
Chaque ligne de ce document révèle la désorientation complète qui régnait dans la direction du WRP. Affirmer que la social-démocratie ne s’appuie pas sur la classe ouvrière, revient à nier ses origines historiques et ignorer sa fonction politique spécifique. En Grande-Bretagne, plus que dans tout autre pays d’Europe, la social-démocratie est une création du mouvement syndical. Le fait que ses dirigeants fonctionnent comme des agents politiques de la classe dirigeante a été reconnu par les marxistes depuis longtemps. C’est pourquoi, on définit le Parti travailliste scientifiquement comme un parti ouvrier bourgeois. La valeur de cette notion est qu’elle met à nu la contradiction qui domine la vie politique de la classe ouvrière orientant ainsi les révolutionnaires vers la lutte pour permettre aux masses de rompre avec le Parti travailliste. En affirmant simplement que le Parti travailliste s’appuyait sur les Tories, tout en ignorant la question essentielle, à savoir que la bourgeoisie s’appuyait sur les Travaillistes, le WRP renversait aussi bien la réalité politique que la tactique du parti.
En moins de trois semaines, et précisément parce qu’ils avaient perdu toute confiance dans la capacité du Parti travailliste à retenir la classe ouvrière, les Tories allaient introduire une motion de censure dans le but d’imposer de nouvelles élections. Le Quatrième congrès n’en proclamait pas moins allègrement :
« Seule une lutte résolue de la classe ouvrière sous la direction du Workers Revolutionary Party peut renverser ce qui reste du gouvernement travailliste et donner une perspective socialiste à la classe ouvrière.
« L’expérience de la classe ouvrière et de notre parti a prouvé qu’aucune lutte efficace contre les Tories n’est possible sans une campagne implacable contre la menace gouvernementale – et contre tous ceux qui cachent leur approbation du gouvernement Callaghan derrière la façade de protestations et d’appels réformistes pour l’expulsion de Healey [Denis Healey, chancelier de l’Echiquier, ndlr] et Callaghan. » (Idem., p. 33)
L’essence politique de ces phrases creuses était la prostration et le pessimisme petits-bourgeois devant la bureaucratie travailliste. La conclusion qui en découlait était l’impossibilité de combattre les dirigeants de droite en mobilisant la classe ouvrière au sein du Parti travailliste et des syndicats. C’est en cela que réside la clé pour la compréhension du contenu de classe de la position politique du WRP. Sa campagne pour le renversement du gouvernement travailliste ne se basait pas sur le militantisme grandissant de la classe ouvrière et sur son hostilité au réformisme, mais plutôt sur la frustration et le désillusionnement croissants de la classe moyenne à l’égard de la social-démocratie. Ainsi, l’appel pour des élections générales représentait une tentative erronée d’éluder la lutte contre le réformisme dans le mouvement ouvrier. On permettait par là au contraire à la classe moyenne d’utiliser tout son poids social dans ce qui allait devenir à coup sûr un référendum national sur la question du gouvernement travailliste.
La politique du WRP était criblée de contradictions inextricables. Premièrement, Healy s’égosillait à demander que les travailleurs renversent le gouvernement travailliste, lequel, affirmait-il, s’appuyait sur les Tories et ensuite comme le montre la résolution du Quatrième congrès, il disait que :
« Le Workers Party Revolutionary présentera dans l’éventualité d’élections générales ses propres candidats mais n’hésitera pas à proposer à la base travailliste une lutte commune pour empêcher le retour des Tories et des libéraux au gouvernement. » (Idem., p. 32)
Ce que n’a jamais expliqué Healy, c’est pourquoi la lutte contre la social-démocratie nécessitait un détour aussi laborieux que celui des élections ! Pourquoi attribuait-on des dons guérisseurs et des pouvoirs miraculeux à une campagne électorale ? Healy n’expliquait pas non plus pourquoi le parti devait proposer une lutte commune pour tenir les Tories en échec, si le Parti travailliste, lui, s’appuyait sur les Tories.
De plus, pourquoi Healy insistait-il pour mener une campagne électorale en maintenant la direction travailliste en place – ce qui est la seule conclusion à tirer de l’opposition explicite du WRP « aux appels réformistes pour l’expulsion de Healey et Callaghan. » (Idem., p. 33)
Cette position s’avéra être une grossière erreur de calcul – une aventure politique d’un défaitisme tel qu’on n’en avait pas vu depuis que Shachtman avait proposé de se servir de Hitler pour changer le gouvernement en Union soviétique. La revendication du WRP de renverser le gouvernement travailliste allait coïncider avec les plans des Tories qui, ayant apprécié correctement l’humeur de la classe moyenne, allait imposer la dissolution du Parlement à la fin du mois de mars.