Dans un acte flagrant d’intimidation, la direction du Centre intégré de santé et de services sociaux de Chaudière-Appalaches (CISSS-CA) a annoncé que les membres du personnel qui ont tenu un sit-in (refus de travailler) d’une journée en janvier dernier à l’Hôtel-Dieu de Lévis seront suspendus une journée sans solde. Leur seule «faute» a été d’exiger le paiement de leurs heures supplémentaires travaillées.
La quarantaine d’employés impliqués contestaient le fait de ne plus être payés à temps et demi pour leur garde de nuit s’ils s’absentaient le lendemain. La direction du CISSS-CA justifiait cette «nouvelle» mesure par «une clause spécifique de la convention collective» que leur syndicat, la Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ), a fait entériner à ses membres l’an dernier.
Une infirmière impliquée dans cette action, qui souhaite garder l’anonymat, a expliqué au WSWS: «Nous avions mené une action pour protester contre le non-paiement de nos heures de garde au taux réglementaire de 1,5. Depuis juillet 2024 nous avions constaté que les heures effectuées sur nos nuits de garde étaient payées à taux simple si on ne rentrait pas travailler le lendemain».
Elle a ensuite expliqué que le personnel avait suivi le protocole en place pour réclamer leur droit, mais que le refus de l’employeur de répondre à leur demande les avait contraints à monter le ton. «Malgré plusieurs demandes à l’employeur (relations de travail, service paies, gestionnaires), aucune réponse ne nous a été donnée, aucune note de service non plus. Nous avons donc fait un sit-in en exigeant simplement d’avoir la note de service expliquant cette décision, une note qui n’existait vraisemblablement pas».
La direction s’est tournée vers le Tribunal administratif du travail (TAT), un organisme pro-patronal présenté faussement autant par le gouvernement que par les appareils syndicaux comme un modèle d’impartialité. Sans surprise, le TAT a accédé à la demande de la direction et a statué que le sit-in était illégal.
Le tribunal a aussi émis une ordonnance aux travailleurs de ne pas refaire une telle action jusqu’en 2028, ouvrant la porte à des sanctions plus sévères à l’avenir. Cela exprime la crainte qui règne au sein de l’élite dirigeante que l’action des travailleurs de Lévis pourrait servir d’exemple militant à d’autres travailleurs, surtout dans un contexte d’opposition grandissante aux coupes sociales de la CAQ.
Le caractère arbitraire et réactionnaire du jugement du TAT est souligné par le fait que le tribunal a finalement été forcé de donner raison aux travailleurs au niveau de la rémunération.
Mais pour punir les contestataires, la direction les a suspendus sans solde en justifiant sa décision par «le manque de considération à l’égard des répercussions et des impacts du sit-in sur les usagers», en référence à la vingtaine de chirurgies ayant dû être reportées.
Quelle hypocrisie! Même la présidente du syndicat local a dû noter qu’on «reproche l’annulation de chirurgies avec le sit-in, mais ils vont faire la même chose en donnant des suspensions». Elle a également souligné qu’il y a eu plusieurs sit-in dans le secteur «et je n’ai jamais vu personne recevoir une suspension».
Il ne fait aucun doute que la direction du CISSS-CA a agi en coordination avec le gouvernement du Premier ministre de droite François Legault et la nouvelle agence Santé Québec. Dirigé par une brochette d’anciens chefs d’entreprise, ce nouvel «employeur unique» a été officiellement implanté en janvier dernier dans le but d’orchestrer des coupures massives, de privatiser les soins, et de discipliner les travailleurs qui voudraient s’y opposer.
Ces mesures disciplinaires prennent place dans un contexte de crise capitaliste aigüe. Partout au monde, le patronat et les gouvernements à sa solde se tournent vers des mesures dictatoriales pour criminaliser l’opposition sociale à leurs programmes d’austérité, de privatisation et de guerre impérialiste.
Au Canada, où le droit de grève est pratiquement aboli, le gouvernement fédéral libéral a eu recours à maintes reprises à une «réinterprétation» de l’article 107 du Code du travail pour criminaliser les grèves ouvrières, notamment celle des postiers à la fin de 2024.
Ceci a encouragé le Premier ministre Legault à présenter son projet de loi 89, qui vise à éliminer ce qui reste du droit de grève au Québec. Le gouvernement veut s’octroyer le pouvoir de mettre un terme à tout arrêt de travail d’un claquement de doigts.
Le recours des élites dirigeantes à des mesures autoritaires est facilité par la complicité de la bureaucratie syndicale, laquelle a isolé puis trahi une lutte ouvrière après l’autre au cours des dernières décennies.
En 2023 et 2024, les centrales du «Front commun» ont saboté un vaste mouvement de grève au Québec en refusant d’unir les 500.000 travailleurs du secteur public aux autres sections de la classe ouvrière qui les soutenaient massivement. Loin de faire du débrayage le catalyseur d’une mobilisation contre l’austérité et les lois antigrèves, les bureaucrates syndicaux ont isolé leurs membres dans le cadre étroit des négociations collectives dans la province.
En parallèle, la FIQ a refusé de joindre le Front commun sous prétexte que les infirmières sont un «cas particulier» et en prétendant qu’elles iraient chercher de meilleurs gains. Le gouvernement a profité de cette stratégie désastreuse pour laisser le conflit s’étirer pendant 18 mois, au terme duquel la FIQ a réussi à faire entériner un contrat plein de concessions à ses quelque 80.000 membres infirmières.
Une leçon vitale des récentes luttes est que les chefs syndicaux n’ont aucune intention de mobiliser la pleine puissance de la classe ouvrière parce qu’ils craignent qu’un tel mouvement menace la compétitivité du capitalisme et de l’impérialisme canadien dont ils tirent leurs nombreux privilèges.
Alors que des contrats pourris sont forcés au travers de la gorge des travailleurs par les appareils syndicaux, le gouvernement peut poursuivre le démantèlement et la privatisation des services publics, puis attaquer les conditions de travail. Le temps supplémentaire obligatoire est maintenu, le manque de personnel reste chronique, les infrastructures tombent en ruine et les virus, dont le SRAS-2 mortel et débilitant, continuent de faire des ravages sans réponse adéquate.
Pour contrer ces attaques patronales, des actions de masse, y compris des sit-in et des grèves, sont nécessaires. Mais elles ne peuvent prendre forme, et se transformer en puissant mouvement d’opposition impliquant les plus larges couches de la classe ouvrière, que si les travailleurs s’organisent sur une base indépendante, en dehors des appareils syndicaux et en opposition à leur programme nationaliste.
À travers la création de comités de base dans les lieux de travail, les travailleurs pourront avancer leur propre programme, basé sur leurs besoins et leurs intérêts de classe. Contre les tentatives syndicales pour les diviser selon des lignes sectorielles, les travailleurs du secteur public pourront s’unir aux autres contingents de la classe ouvrière, à travers le Canada et dans toute l’Amérique du Nord, dans une lutte commune pour des emplois, des salaires et des services publics de qualité pour tous.
Pour être en mesure de renverser les décennies de coupes sociales et neutraliser l’appareil répressif de l’État capitaliste, une telle action militante doit être associée à une offensive politique de la classe ouvrière contre tout le programme d’austérité de l’élite dirigeante et pour l’établissement d’un gouvernement ouvrier.