Le Premier ministre espagnol et chef du Parti socialiste (PSOE) Pedro Sánchez s'apprête à augmenter les dépenses militaires à 2 pour cent du PIB, avançant ainsi l'échéance initiale de 2029, sous la pression de l'Union européenne et de l'Otan. Sánchez a déjà annoncé que cette escalade ne serait pas soumise au vote du Parlement, mais imposée par décret en Conseil des ministres, où il comptera sur le soutien de son partenaire minoritaire au gouvernement, la coalition de la pseudo-gauche Sumar.
En contournant le Parlement – où la proposition aurait le soutien du Parti populaire (PP) de droite – le PSOE et Sumar cherchent à dissimuler le fait que leur programme militariste est compatible avec celui de la droite espagnole.
Le réarmement militaire est profondément impopulaire, d'autant plus qu'il s'accompagnera d'une austérité accrue. Le PSOE et ses alliés de coalition – d'abord Podemos et aujourd'hui Sumar – ont passé des années à réduire les dépenses publiques et à imposer des coupes sociales. Un sondage réalisé en novembre 2024 par le Centre espagnol de recherches sociologiques (CIS) a révélé que seulement 14,2 pour cent des personnes interrogées étaient favorables à une augmentation significative des dépenses militaires, tandis que la moitié de la population réclamait des investissements majeurs dans la santé et 42 pour cent dans l'éducation.
Pour masquer l'ampleur du réarmement, Sánchez a ouvertement exhorté les responsables à ne pas utiliser le terme « réarmement » dans leurs communications publiques. « Nous devons nous adresser aux citoyens différemment lorsque nous discutons de la nécessité d'améliorer les capacités européennes de défense et de sécurité », a-t-il déclaré, arguant que le terme « réarmement » donnait une image incomplète des défis à venir. En d'autres termes, il fallait tromper la population.
Madrid est même allé jusqu'à faire pression sur Bruxelles pour qu'on abandonne le terme « Réarmer l'Europe» au profit du terme plus orwélien «Readiness 2030», après que l'Espagne et l'Italie se soient opposées au nom original du plan de centaines de milliards d'euros de la Commission européenne visant à renforcer les capacités de guerre et la production militaire dans l'ensemble du bloc européen.
«Nous sommes sensibles au fait que le nom en tant que tel peut susciter une certaine sensibilité dans certains États membres, c'est donc quelque chose que nous prenons bien sûr en compte», a déclaré Paula Pinho, porte-parole en chef de la Commission.
Pour Sumar, les enjeux politiques sont encore plus importants. La classe ouvrière espagnole s'est historiquement opposée au militarisme et à la guerre, et soutenir le réarmement révélerait le véritable caractère de Sumar, un parti bourgeois d’ordre, pro-impérialiste et militariste. Cela risquerait également de révéler le rôle pro-guerre de Podemos, parti de la pseudo-gauche dont Sumar est issu et qui s'est lui aussi faussement présenté comme un adversaire du militarisme.
Pour détourner l'attention de son soutien au réarmement, Sumar a soutenu une motion parlementaire déposée par le parti nationaliste galicien BNG. Cette motion demandait au gouvernement de rejeter la proposition de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen de créer un fonds militaire européen de 800 milliards d'euros, de cesser toute augmentation des dépenses militaires, de retirer l'Espagne de l'OTAN et d'exiger sa dissolution.
C'était là pur théâtre. Tout au long de son année au gouvernement en alliance avec le PSOE, Sumar s'est spécialisé dans les prises de position rhétoriques dissidentes, tout en soutenant loyalement toutes les mesures politiques clés du gouvernement lorsque cela s'avérait nécessaire. Un point souligné par le porte-parole parlementaire du PSOE, Patxi López, qui s'est vanté de ce que le PSOE et Sumar avaient « déjà adopté 29 lois, soit plus de deux par mois, en seulement un an. »
Sumar a même tenté d'édulcorer le libellé de la motion du BNG pour le rendre acceptable aux yeux du PSOE. Il a par exemple proposé de remplacer l'appel à la dissolution de l'Otan par un vague appel à « promouvoir un modèle européen de sécurité et de défense autonome et partagé, indépendant de l'Otan ». Le BNG a rejeté cet amendement – malgré son soutien de longue date aux gouvernements dirigés par le PSOE – du fait de sa propre tentative opportuniste de redorer son image de gauche en vue des prochaines élections.
Malgré tout, Sumar a rapidement nié l'existence d'un problème. El País, l'un des principaux porte-parole de la bourgeoisie espagnole, a rapporté que des sources internes à Sumar avaient rejeté les allégations selon lesquelles «les divergences avec le PSOE sur les dépenses militaires se seraient creusées après cet épisode parlementaire». Ces sources avaient déclaré avoir informé le PSOE «que [Sumar] allait soutenir les propositions du parti galicien car il s'agissait d'une initiative non contraignante, de nature purement idéologique, et qui n'affectait pas la politique gouvernementale».
Selon les porte-parole de Sumar cités par El País, le PSOE avait «compris leur position et il n’y [avait] pas de problème».
Sumar regroupe divers partis nationalistes bourgeois, d’anciens éléments de Podemos et le Parti communiste stalinien. Tous faisaient auparavant partie du gouvernement de coalition PSOE-Podemos. Ce gouvernement a lancé l'actuel programme de réarmement de l'Espagne et a approuvé la plus forte augmentation des dépenses militaires de l'histoire espagnole en 2022, une augmentation qui devrait désormais être dépassée par celle de l'alliance PSOE-Sumar.
Podemos et Sumar ont tous deux soutenu la guerre menée par l'OTAN contre la Russie en Ukraine et le génocide israélien à Gaza. Malgré les dénégations publiques d'exportations d'armes vers Israël, une enquête menée par l'Internationale progressiste, le Mouvement de la jeunesse palestinienne et l'American Friends Service Committee a révélé que l'Espagne avait expédié plus de 60 000 pièces d'équipement militaire à Israël entre janvier 2024 et février 2025.
Les ports espagnols, notamment celui d'Algésiras, ont joué un rôle clé dans le transit d'armes, plus de 13 000 tonnes d'armes à destination d'Israël y ayant transité ces derniers mois.
Pendant ce temps, Israël participe activement au réarmement de l'Espagne. Selon les données commerciales de Datacomex, le gouvernement PSOE-Sumar a acheté pour 3,65 millions d'euros d'armes israéliennes « testées au combat », notamment des bombes, des grenades, des torpilles, des missiles et autres munitions et explosifs.
Avec l'aide de la bureaucratie syndicale, Sumar et Podemos cherchent à tromper la classe ouvrière et à réprimer toute opposition à la montée du militarisme en Espagne. Leurs critiques occasionnelles sont des gestes creux destinés à entretenir les illusions, tout en assurant une mise en œuvre harmonieuse de l'austérité et de la guerre impérialiste.
Les travailleurs ne peuvent accorder aucune confiance à ces agents procapitalistes corrompus de la classe moyenne privilégiée. Sumar et Podemos servent tous deux les intérêts du capital et de la grande entreprise espagnols. La seule façon d'empêcher la marche vers la guerre est de construire un mouvement international de la classe ouvrière contre l'impérialisme et le système capitaliste qui l’engendre.
(Article paru en anglais le 26 mars 2025)