Deux mois après le début de l'administration Trump, il ne fait plus aucun doute qu'elle rompt totalement avec toute légalité. Les médias capitalistes eux-mêmes reconnaissent désormais que ce qui se passe aux États-Unis est une tentative de renversement du pouvoir constitutionnel et d'instauration d'une dictature présidentielle.
Ce qui a précipité les choses, c'est le fait que Trump ait ouvertement défié l'ordonnance d'un tribunal fédéral qui lui demandait d'arrêter les déportations suite à l'invocation de l'Alien Enemies Act (Loi sur les ennemis étrangers) samedi dernier. En réponse à la décision du juge James Boasberg du tribunal de district de Washington DC, les responsables de la Maison-Blanche et Trump lui-même ont menacé de faire destituer Boasberg.
La réaction de la droite fasciste s'est traduite par des dénonciations rageuses de la part de Trump à l'encontre des juges « de gauche cinglés », par des demandes de destitution exprimées à la fois par Trump et par les républicains du Congrès, ainsi que par des menaces tacites de violence. Un chroniqueur du Financial Times a noté mercredi la « récente vague de livraisons anonymes de pizzas aux domiciles privés de juges dissidents – un geste tout droit sorti d'un film de mafieux. “Nous savons où vous vivez”, tel est le message implicite adressé aux juges. »
Cela se passe dans des conditions où des personnes, dont Mahmoud Khalil, sont arrêtées pour leurs opinions politiques. Mercredi, des agents fédéraux ont cherché à détenir Momodou Taal, étudiant à l'université de Cornell, après qu'il a intenté une action en justice contre Trump pour contester ses décrets. Lundi soir, des agents fédéraux masqués ont saisi Badar Khan Suri, chercheur à l'université de Georgetown, devant son domicile, en utilisant les mêmes motifs frauduleux que ceux utilisés pour kidnapper Khalil.
La présidence est devenue le cockpit et le centre de planification d'une dictature. Il n'y a pas de précédent historique à de telles actions de la part d'un président américain. Ou plutôt, le seul précédent est celui des dernières semaines du premier mandat de Trump, lorsqu'il a cherché à renverser l'élection par un coup d'État fasciste. Ce que Trump n'a pas réussi à faire le 6 janvier 2021, il est en train de le faire.
Mercredi, le New York Times a publié un article extraordinaire intitulé «Defiance and Threats in Deportation Case Renew Fear of Constitutional Crisis » (Attitude de défi et menaces dans une affaire d’expulsion ravivent la crainte d’une crise constitutionnelle), citant les commentaires d'un certain nombre de professeurs de droit sur la portée des actions de Trump. Jamal Green, professeur de droit à l'université de Columbia, est cité comme ayant déclaré :
Si quelqu'un est détenu ou expulsé sur la base de l'affirmation de l'administration selon laquelle elle peut le faire sans examen judiciaire ou procédure régulière, le président revendique un pouvoir dictatorial et le terme « crise constitutionnelle » ne rend pas compte de la gravité de la situation [c’est nous qui soulignons].
Pamela Karlan, professeur de droit à Stanford, a mis en garde : « Le problème de cette administration ne se limite pas à des épisodes aigus, comme ce qui se passe avec le juge Boasberg et l’expulsion des Vénézuéliens. Il s'agit d'un manque de respect chronique pour les normes constitutionnelles et pour les autres branches du gouvernement ». Karlan a ajouté : « Le “point de basculement” suggère un monde dans lequel tout va bien jusqu'à ce que, soudainement, ce ne soit plus le cas. Mais nous avons déjà dépassé le premier point. »
Karlan a raison de dire que le « point de basculement » est une métaphore inappropriée. Il s'agit plutôt d'un effondrement complet des droits démocratiques. Mais l'administration Trump ne se contente pas d'agir avec un « manque de respect pour les normes constitutionnelles ». Il s'agit d'une conspiration délibérée et criminelle visant à les détruire.
Le Times ajoute son propre commentaire, affirmant que « la bonne question n'est pas de savoir s'il y a une crise, mais plutôt de connaître l'ampleur des dégâts qu'elle causera ». Eh bien, cette réponse peut être donnée. La logique des actions de Trump signifie la criminalisation de l'opposition. Les travailleurs seront privés de leurs droits. Ceux qui s'opposent aux politiques de la Maison-Blanche seront soumis à la persécution, à l'arrestation ou pire encore.
Ni le Times ni les médias dans leur ensemble ne proposent d'analyse sérieuse de la manière dont les États-Unis en sont arrivés là. L'establishment politique et des médias présentent les actions de Trump comme si elles avaient soudainement surgi de nulle part, le produit des délires ou de la malveillance d'un individu. C'est faux.
Plus d'un quart de siècle s'est écoulé depuis le vol des élections de 2000, au cours duquel la Cour suprême est intervenue pour arrêter le décompte des bulletins de vote et donner la présidence à George W. Bush. Avant la décision de la Cour, le World Socialist Web Site avait écrit que la décision révélerait «jusqu'où la classe dirigeante américaine est prête à aller pour rompre avec les normes traditionnelles de la démocratie bourgeoise et de la constitution».
La décision de la Cour suprême dans l'affaire Bush contre Gore et l'absence de toute résistance de la part du Parti démocrate ont établi qu'il n'y avait pas de véritable base sociale au sein de l'establishment patronal et politique pour la défense des droits démocratiques.
Dans l'année qui a suivi l'élection volée de 2000, l'administration Bush a utilisé les attentats du 11 septembre comme prétexte pour lancer la « guerre contre le terrorisme » : un état de guerre permanent à l'étranger couplé à la destruction des droits démocratiques dans le pays et à la création d'un réseau mondial de camps de torture centré sur Guantanamo Bay. Ces mesures dictatoriales ont été renforcées sous Obama, qui s'est arrogé le pouvoir d'assassiner des citoyens américains sans procès.
Le premier mandat de Trump a fait franchir une nouvelle étape à la crise de la démocratie américaine, qui a culminé avec la tentative de coup d'État fasciste du 6 janvier 2021 visant à annuler sa défaite électorale. Les quatre années de l'administration Biden ont été marquées par une escalade massive de la violence impérialiste, y compris la guerre des États-Unis et de l'OTAN contre la Russie et le génocide à Gaza : un crime colossal que Trump exploite maintenant pour justifier sa répression de l'opposition intérieure.
L'évolution de Trump vers la dictature représente la transformation de la quantité en qualité. Il ne s'agit pas simplement d'une menace ou d'une tendance, mais de la mise en œuvre d'une conspiration bien définie aux plus hauts niveaux de l'État pour établir une dictature.
Deux processus interconnectés sont à l'origine de l'effondrement des formes démocratiques de gouvernement. Premièrement, la concentration massive des richesses entre les mains d'une minuscule élite oligarchique est totalement incompatible avec la démocratie. L'oligarchie mène un assaut impitoyable contre les droits sociaux de la classe ouvrière, des licenciements collectifs, la destruction de milliers d'emplois du jour au lendemain et un assaut coordonné contre tous les programmes sociaux.
L'administration Trump, avec le « Département de l'efficacité gouvernementale » d'Elon Musk, démantèle les agences gouvernementales qui fournissent des services sociaux vitaux, tout en préparant des coupes historiques dans la Sécurité sociale, Medicaid et d'autres programmes. Aujourd'hui, Trump devrait signer un décret visant à démanteler le ministère de l'Éducation, après avoir déjà éliminé la moitié de son personnel au début du mois.
Deuxièmement, les droits démocratiques sont démantelés afin de subordonner entièrement la société américaine aux besoins de l'agression impérialiste. Confrontée à une crise interne et à un déclin économique de longue date, la classe dirigeante cherche à compenser ses contradictions internes par une expansion militaire à l'échelle mondiale. Les déclarations d'intention de Trump d'annexer des territoires tels que le Canada, le Panama et le Groenland font écho aux ambitions fascistes de l'Allemagne hitlérienne, qui combinait elle aussi dictature intérieure et conquête impérialiste.
La classe ouvrière doit intervenir immédiatement pour stopper la marche de Trump vers la dictature ! Ce serait la plus grave erreur politique que de subordonner cette lutte au Parti démocrate. Au cours des deux mois qui ont suivi l'investiture de Trump, le Parti démocrate a clairement indiqué qu'il ne s'opposerait pas à ses mesures autoritaires.
Immédiatement après la victoire électorale de Trump, le président Biden a invité ce dernier à la Maison-Blanche et a publiquement exprimé son espoir de voir la nouvelle administration « réussir ». Les principaux démocrates, dont Bernie Sanders, se sont rapidement engagés à « travailler avec » Trump. Les références au fascisme, qui ont brièvement fait surface pendant la campagne électorale, ont complètement disparu.
La semaine dernière, quelques heures avant que Trump n'invoque l'Alien Enemies Act, les démocrates du Sénat ont apporté des voix décisives pour garantir l'adoption d'un projet de loi de finances républicain qui finançait entièrement l'administration Trump jusqu'en septembre, facilitant directement les activités illégales et anticonstitutionnelles de la Maison-Blanche. Comme l'a averti le World Socialist Web Site, cette législation équivaut à une loi des pleins pouvoirs, directement inspirée de la loi de 1933 qui a légalisé la dictature d'Hitler en Allemagne.
Le Parti démocrate a donné un chèque en blanc à Trump, en étant pleinement conscient des conséquences, car quels que soient leurs désaccords tactiques, les démocrates représentent la même oligarchie financière dont Trump défend ouvertement les intérêts.
La lutte doit être orientée vers la classe ouvrière. C'est la classe ouvrière qui est la base sociale pour la défense des droits démocratiques, mais ces droits ne peuvent être garantis que par une lutte de masse. Les protestations et les manifestations contre l'avancée de Trump vers la dictature ont déjà commencé, mais elles doivent être étendues et coordonnées.
Le Parti de l'égalité socialiste appelle les travailleurs et les jeunes à créer des comités de base dans les usines, les lieux de travail, les campus et les quartiers pour mobiliser la résistance de masse, y compris par des grèves et des manifestations.
Le SEP se bat pour insuffler à ce mouvement émergent un programme et une perspective socialistes. La lutte contre la dictature est inséparable de la lutte contre l'oligarchie financière et le capitalisme lui-même. La richesse de cette oligarchie doit être expropriée et la société réorganisée sur la base des besoins sociaux et de l'égalité, aux États-Unis et dans le monde.
Nous appelons tous ceux qui sont d'accord avec cette perspective à mener cette lutte et à adhérer au Parti de l'égalité socialiste.
(Article paru en anglais le 20 mars 2025)