Trump intensifie la guerre des tarifs alors que la menace de récession grandit aux États-Unis

Le président américain Trump a procédé à l'imposition d'un tarif de 25 % sur les importations d'aluminium et d'acier, refusant d'accorder des dérogations ou des exemptions aux alliés de longue date des États-Unis, y compris le Japon, la Corée du Sud, Taïwan et l'Australie.

L'Union européenne (UE) a réagi en prenant une série de mesures de rétorsion et en imposant des tarifs douaniers sur des marchandises d'une valeur de 26 milliards de dollars, comprenant le [whisky] bourbon du Kentucky et des motos Harley-Davidson. D'autres droits de douane devraient être imposés en avril.

Le président Donald Trump s'adresse aux journalistes à côté d'Air Force One après son retour à la base conjointe d'Andrews, dans le Maryland, le dimanche 2 février 2025. [AP Photo/Ben Curtis]

Faisant escalader les choses encore plus, Trump a déclaré mercredi que les États-Unis prendraient des contre-mesures.

«Bien sûr que je vais réagir», a-t-il déclaré aux journalistes. «Le problème est que notre pays n'a pas réagi. L'Union européenne a été créée pour profiter des États-Unis.

Suite à l’affrontement avec le président ukrainien Zelensky dans le bureau ovale, la guerre des tarifs est un nouveau coup porté à l'alliance transatlantique d'après-guerre qui s'est pratiquement effondrée.

La réaction de l'Australie n'est pas moins significative. Si les retombées économiques ne sont pas très importantes – l'Australie n'est qu'un petit exportateur d'acier et d'aluminium – les conséquences politiques sont énormes. Le refus des États-Unis d'accorder une exemption, ou même de répondre à un appel téléphonique du Premier ministre Albanese, est considéré comme une atteinte existentielle à l'alliance américano-australienne, qui a été à la base de l'ordre politique d'après-guerre.

Les nouveaux tarifs douaniers ont été adoptés en dépit des pressions exercées par les entreprises américaines, qui craignent qu'elles n'aient un impact majeur sur l'économie. Le groupe de pression comprenait même la plus grande entreprise d'aluminium du pays, Alcoa, qui a averti que les hausses tarifaires pourraient menacer des dizaines de milliers d'emplois et augmenter les prix pour les consommateurs américains.

Dans son explication du refus d'accorder des exemptions, la Maison-Blanche a mis l'accent sur la question centrale de la Chine. Elle a déclaré que les exemptions, comme celles accordées dans le passé, «ont créé par inadvertance des failles» qui avaient permis à l'acier fabriqué en Chine d'entrer aux États-Unis via ces pays sans payer de droits de douane.

L'intensité avec laquelle Trump poursuit sa guerre économique mondiale fut illustrée mardi par un message publié sur les réseaux sociaux en réponse à une menace du Canada, depuis retirée, d'imposer une surtaxe sur l'approvisionnement en électricité.

«Si le Canada ne supprime pas d'autres droits de douane extrêmes et de longue date, j'augmenterai considérablement, le 2 avril, les droits de douane sur les voitures entrant aux États-Unis, ce qui aura pratiquement pour effet d'arrêter définitivement l'activité automobile au Canada. Ces voitures peuvent facilement être fabriquées aux États-Unis», a-t-il écrit.

Le 2 avril est la date à laquelle une série de départements gouvernementaux rendront compte de la mise en œuvre de l'axe central de sa guerre des tarifs douaniers, le programme dit de «tarifs réciproques».

Cette mesure va bien au-delà de l'imposition de droits de douane similaires à des pays tels que l'Inde, qui appliquent des tarifs douaniers relativement élevés sur les produits américains. Elle déclenchera des représailles sous forme de tarifs pour la politique intérieure de certains pays, jugée défavorable aux entreprises américaines.

Pour l'Europe, cela comprend des mesures comme la TVA (taxe sur la valeur ajoutée), la réglementation environnementale et des initiatives visant à imposer des taxes et régulations aux activités des géants des réseaux sociaux et de la haute technologie. En Australie, même le programme d'avantages pharmaceutiques (PBS), auquel les États-Unis se sont longtemps opposés, pourrait être une cible pour des actions « réciproques ».

La guerre tarifaire mondiale de Trump accélérera les tendances à la récession qui se manifestent déjà dans l'économie américaine. Des tendances mises en évidence dans le Rapport sur le suivi de l'emploi publié la semaine dernière par le cabinet Challenger, Gray et Christmas, qui présente en détail plus grand nombre de pertes d'emplois depuis la crise financière de 2008-2009.

«Les employeurs américains ont annoncé 172 017 suppressions d'emplois en février, soit le total le plus élevé pour ce mois depuis 2009, année où 186 350 suppressions d'emplois avaient été annoncées», indique le rapport.

Il s'agit du total mensuel le plus élevé depuis juillet 2020, en pleine pandémie de COVID-19, lorsque 262 649 suppressions avaient été annoncées.

Le taux d'augmentation des suppressions d'emplois est peut-être plus significatif encore que les chiffres globaux.

«Le total de février représente une augmentation de 245 % par rapport aux 49 975 suppressions annoncées le mois précédent. Il s'agit d'une augmentation de 103 % par rapport aux 84 638 suppression annoncées au cours du même mois de l'année dernière », indique le rapport.

Commentant ces chiffres, Andrew Challenger, vice-président principal de la société, a déclaré: «Les entreprises privées ont annoncé leur intention de supprimer des milliers d'emplois le mois dernier, en particulier dans le commerce de détail et la technologie.»

Avec l'impact des mesures du DOGE «ainsi que l'annulation de contrats gouvernementaux, la crainte de guerres commerciales et les faillites, les suppressions d'emplois ont grimpé en flèche en février», poursuit-il.

Le commerce de détail a été le secteur le plus durement touché, reflétant une baisse de la confiance et des dépenses des consommateurs. Le nombre total de suppressions d'emplois pour les deux premiers mois de l'année s'élève à 45 375, soit une augmentation de 572 % par rapport aux 6 571 suppressions annoncées pour la même période en 2024.

Les craintes d'une récession ont été alimentées par une interview accordée par Trump à Fox News dimanche, dans laquelle il a refusé d'exclure soit l'inflation suite à ses hausses de tarifs soit une récession. Interrogé sur la possibilité d'une récession – la Réserve fédérale d'Atlanta a mis en garde contre une contraction de 2,8 % au premier trimestre – Trump a esquivé la question.

«Je n'aime pas prédire ce genre de choses. Il y a une période de transition, parce que ce que nous faisons est très important. Nous ramenons la richesse en Amérique. C'est une chose importante, et il y a toujours des périodes, cela prend un peu de temps. »

La réticence soudaine de Trump à faire des prédictions contraste fortement avec sa rhétorique électorale genre «poudre de perlinpimpin» qui promettait un nouvel «âge d'or» pratiquement dès le premier jour.

Interrogé sur la possibilité que les tarifs douaniers ne soient cause d’inflation, Trump a répondu : « Vous pourriez l'obtenir. En attendant, devinez quoi? Les taux d'intérêt sont en baisse ».

Mais, contrairement à ce que dit Trump, la baisse des taux d'intérêt, telle que traduite par la diminution des rendements des obligations du Trésor à 10 ans, n'est pas un signe de santé économique mais le résultat de la prise en compte par les investisseurs de la probabilité d'une récession.

Au début de l'année, la Réserve fédérale américaine ayant indiqué qu'elle n'était pas pressée de baisser ses taux, le marché s'accordait à penser qu'il n'y aurait probablement qu'une seule baisse des taux d'intérêt cette année. Aujourd'hui, le consensus est qu'il y en aura trois, totalisant trois quarts de point de pourcentage d'ici la fin de l'année, parce que la Fed sera obligée d'intervenir pour essayer d'empêcher l'économie de plonger dans la récession.

La croissance des dépenses de consommation est au cœur de ce qu’on a appelé la «performance exceptionnelle» de l'économie américaine des trois dernières années, par rapport aux autres grandes économies.

Toutefois, cette image est fortement biaisée, car l'analyse des données de la Fed montre que les dépenses des 10 % de personnes aux revenus les plus élevés – les ménages gagnant 250 000 dollars par an ou plus – représentent 49,7 % de l'ensemble des dépenses de consommation, soit près d'un tiers du produit intérieur brut.

Aujourd'hui, la dégradation des conditions de vie de la grande majorité de la population commence à se manifester dans les données relatives aux dépenses de consommation.

Les dépenses personnelles nominales ont diminué de 0,2 % entre décembre et janvier, alors qu’on s’attendait à une hausse de 0,1 %, soit la plus forte baisse depuis le début de l'année 2021. Corrigée de l'inflation, la consommation personnelle a baissé de 0,5 %, les baisses les plus importantes concernant les biens de consommation durables, en particulier les voitures.

L'indice de confiance des consommateurs publié par le Conference Board a perdu sept points en février pour s'établir à 98,3, soit la plus forte baisse depuis août 2021, et bien en deçà de la prévision de 102,5.

Stephanie Guichard, économiste principale du Conference Board, a déclaré qu'il s'agissait de la troisième baisse mensuelle consécutive. «Les opinions sur les conditions actuelles du marché du travail se sont affaiblies. Les consommateurs sont devenus pessimistes quant aux conditions commerciales futures et moins optimistes quant aux revenus futurs.

« Le pessimisme quant aux perspectives d'emploi s'est aggravé et a atteint son plus fort niveau depuis dix mois », a-t-elle déclaré.

Autre signe d'une tension économique croissante, le Financial Times (FT) rapporte que «les défaillances graves sur les soldes des cartes de crédit ont atteint leur plus haut niveau depuis 13 ans à la fin de l'année dernière, les taux d'intérêt élevés pesant de plus en plus sur les ménages. »

Un autre facteur supposé de l'exceptionnalisme américain est la force du dynamisme du secteur privé, qui se traduit par un marché du travail «fort».

Toutefois, dans un article récent intitulé «L'économie américaine se dirige vers la récession», Tek Parikh, chroniqueur au FT, note que «le gouvernement, les soins de santé et l'assistance sociale représentaient les deux tiers des nouveaux emplois créés depuis le début de 2023 (et la moitié des 151 000 emplois non agricoles ajoutés en février)».

Le plein effet des coupes radicales du DOGE ne s'est pas encore fait sentir, mais selon une estimation de la société financière Evercore ISI, les suppressions d’emplois pourraient totaliser un demi-million cette année, voire 1,4 million.

En plus du déclin de l'économie réelle, il y a la crainte toujours présente que la liquidation de Wall Street puisse précipiter une crise financière. L'indice S&P 500 a chuté de près de 10 % par rapport à son sommet du 19 février, et la capitalisation boursière totale a chuté de 4 000 milliards de dollars depuis.

Le régime Trump indique qu'il est déterminé à poursuivre sa guerre tarifaire contre le monde, qui a plongé dans le chaos la planification des entreprises, et à s'attaquer à toutes les dépenses publiques qui profitent d'une manière ou d'une autre à la grande masse de la population.

Dans des remarques faites ce week-end, le secrétaire au Trésor Scott Bessent a rejeté l'idée que Trump assouplisse certaines de ses coupes brutales suite à une réaction négative des marchés.

«Il y aura un ajustement naturel lorsque nous passerons des dépenses publiques aux dépenses privées. Le marché et l'économie viennent de s’accrochrer l’un à l’autre. Nous sommes devenus très dépendants des dépenses publiques. Il y aura une période de désintoxication».

Ces commentaires montrent clairement que la guerre économique mondiale est inséparablement liée à une guerre menée contre la classe ouvrière à l'intérieur du pays. Ce sont deux faces d'une même medaille et elles ne peuvent être combattues que sur la base d'une opposition à toutes les formes de nationalisme et d'une lutte politique indépendante pour un programme socialiste.