Autriche: le Parti de la liberté d'extrême droite en passe de diriger le gouvernement

Après l'échec des négociations de coalition et la démission subséquente du chancelier Karl Nehammer (Parti populaire autrichien, ÖVP), tous les signes pointent désormais vers la formation d'un gouvernement dirigé par le Parti de la liberté (FPÖ), d'extrême droite.

Lundi, le président Alexander van der Bellen, ancien membre du Parti vert, a rencontré le chef du Parti de la liberté Herbert Kickl et lui a officiellement confié la tâche de former un gouvernement. «Je n'ai pas pris cette décision à la légère», a déclaré Van der Bellen, alors que des manifestants antifascistes se rassemblaient devant la Hofburg de Vienne [le siège de la présidence]. « Le respect du vote des électeurs exige que le président fédéral respecte la majorité.»

Kickl, leader du FPÖ [Photo by C.Stadler/Bwag / CC BY-SA 4.0]

Dimanche, Van der Bellen a déclaré avoir l'impression que les voix qui excluaient une collaboration avec Kickl au sein de l'ÖVP s'étaient nettement atténuées. «Cela signifie à son tour qu'une nouvelle voie pourrait s'ouvrir», a déclaré Van der Bellen. Il est clair en quoi consiste cette «nouvelle voie»: la classe dirigeante cherche à établir un gouvernement d’extrême droite pour mettre en œuvre la politique de réarmement et de coupes sociales suivie par tous les partis.

Le FPÖ avait réalisé des gains importants aux élections législatives de septembre et en est sorti vainqueur. Ni l'ÖVP ni le Parti social-démocrate autrichien (SPÖ) n'ayant initialement souhaité former une coalition avec le FPÖ dirigé par son chef Kickl, le chancelier sortant Karl Nehammer a reçu le mandat de former gouvernement. À la mi-novembre, il a entamé des négociations de coalition avec le SPÖ et le NEOS (Nouvelle Autriche et Forum libéral), parti de droite.

Vendredi, NEOS s'est retiré des négociations. Samedi, Nehammer a également mis un terme aux discussions entre l'ÖVP et le SPÖ, qui se poursuivaient entre-temps. Bien que les trois partis n'aient pas de divergences fondamentales, les négociations ont finalement échoué sur la question de savoir comment et sur quelle période les mesures d'austérité prévues devaient être mises en œuvre contre la population.

L'ÖVP et NEOS ont appelé à un programme d'austérité brutal et rapide pour éviter une procédure de déficit lancée par l'UE, car l'Autriche est confrontée à un dépassement du déficit, limité à 3 pour cent. La Commission européenne attend un déficit budgétaire de 3,7 pour cent pour 2025 et de 3,5 pour cent pour 2026.

Le SPÖ a préconisé une réduction du déficit sur une période plus longue. Cela signifierait que les charges pour la population seraient les mêmes, mais que le gouvernement aurait plus de marge de manœuvre pour éviter une confrontation sociale.

Le SPÖ a également réclamé l'introduction d'un impôt sur la fortune pour équilibrer le budget. Même si cette mesure ne devait être que symbolique, cette proposition a été rejetée avec véhémence par l'ÖVP et NEOS.

Meinl-Reisinger, la présidente du NEOS, a justifié le retrait de son parti en déclarant que les attaques sociales n'étaient pas suffisamment étendues. Le parti est considéré comme le défenseur le plus agressif des intérêts de la classe moyenne supérieure, qui considère toute mesure d'égalisation sociale comme une restriction de sa propre richesse et de ses propres intérêts.

Les observateurs des négociations ont noté que NEOS voulait faire passer son programme – coupes brutales dans les retraites, réduction des soins de santé et de l'enseignement public et fin de la neutralité militaire du pays – sans aucun compromis.

Nehammer a donné des raisons similaires pour sa démission et l’échec des négociations avec le SPÖ, affirmant qu’il était «évident que les forces destructrices du SPÖ ont pris le dessus». Son parti ne signerait pas un programme «hostile aux entreprises, à la concurrence et à la réussite».

En réalité, le SPÖ ne prône en aucune façon un tel programme. Il considère simplement qu'une telle attaque ouverte contre la classe ouvrière est trop risquée, car elle déclencherait inévitablement une opposition massive que les syndicats ne seraient plus en mesure de contrôler. Il s'efforce de mieux dissimuler la politique anti-ouvrière et militariste afin d'étouffer toute résistance à leur égard.

La démission de Nehammer a désormais ouvert la voie à un gouvernement d'extrême droite capable de mettre en œuvre des coupes budgétaires radicales, un réarmement, un renforcement des pouvoirs de l'État au niveau national et un durcissement de la politique restrictive anti-réfugiés.

Kickl lui-même est à l’extrême droite de l’extrême droite européenne. Il a commencé sa carrière politique en tant que rédacteur de discours de Jörg Haider, qui avait transformé le FPÖ en parti ouvertement d’extrême droite. Il s’est ensuite brouillé avec Haider et l’a attaqué depuis la droite. De décembre 2017 à mai 2019, il fut ministre de l’Intérieur autrichien sous le chancelier ÖVP Sebastian Kurz, se faisant un nom comme politicien du maintien de l’ordre, menant une politique agressive contre les réfugiés, et impliqué dans plusieurs scandales. En juin 2021, il a été élu chef du FPÖ.

Kickl a participé à des manifestations contre les mesures de protection contre le coronavirus et entretient des liens étroits avec les néonazis allemands et européens. En 2016, par exemple, il a pris la parole au congrès «Défenseurs de l’Europe» à Linz, auquel participaient également des extrémistes de droite bien connus tels que le rédacteur en chef de Compact Jürgen Elsässer, l’idéologue d’extrême droite Götz Kubitschek, le Mouvement identitaire et le réseau allemand «Un pour cent pour notre pays».

La direction de l'ÖVP s'est réunie dimanche à la Chancellerie et s'est rapidement mise d'accord sur le successeur de Nehammer, l'actuel secrétaire général du parti, Christian Stocker, considéré comme un représentant fidèle de l'aile droite du parti.

Pendant une courte période, l'ancien chancelier Sebastian Kurz a été pressenti pour ce poste. Selon l'agence de presse dpa, il n'était cependant pas disponible. Comme l'indiquent les communiqués de presse, Kurz n'aurait accepté de prendre la présidence du parti que s'il occupait simultanément le poste de chancelier autrichien.

Bien que Stocker se soit auparavant prononcé contre des négociations avec un FPÖ dirigé par Kickl, il s'est maintenant déclaré prêt à négocier avec lui. Il serait prêt à tenir de telles discussions s'il y était invité et partait du fait que Kickl serait chargé de former un gouvernement.

Il a souligné que la République alpine avait besoin d'urgence d'un gouvernement et que c'était une priorité. L'ÖVP ne se soustrairait pas à ce devoir national. Il n'a pas abordé la question de savoir s'il serait disponible comme vice-chancelier dans un tel gouvernement.

Si l'ÖVP et le FPÖ ne parviennent pas à former une coalition, de nouvelles élections seraient una alternative probable. Selon les derniers sondages, le FPÖ augmenterait encore son avance et obtiendrait environ 35 pour cent des voix.

En septembre, le FPÖ a progressé environ 13 points de pourcentage par rapport aux élections de 2019, atteignant 29 pour cent, tandis que l'ÖVP, qui gouvernait jusqu'alors avec les Verts, a perdu presque autant. Le SPÖ n'a pas non plus su tirer parti de son rôle dans l'opposition, perdant un demi-point de pourcentage depuis les dernières élections.

Depuis, l'extrême droite a été fortement intégrée au gouvernement et s'est vu confier des fonctions importantes. Walter Rosenkranz, représentant de l'extrême droite, occupe la présidence du Conseil national, le deuxième plus haute fonction du pays. Lors d'un vote à bulletin secret, 100 des 183 parlementaires avaient voté pour Rosenkranz. Etant donné que le FPÖ ne dispose que de 57 sièges, au moins 43 voix d'autres groupes lui ont apporté leur soutien.

Le parti siège désormais dans cinq gouvernements régionaux autrichiens, et en Styrie, il détient même le poste de gouverneur de la région.

La situation en Autriche n’est pas un cas isolé. Partout en Europe, la montée des forces d’extrême droite est entraînée par la politique d’extrême droite et anti-ouvrière des partis établis et de leurs acolytes de la pseudo-gauche. Tout comme la dissolution de l’Assemblée nationale française par Emmanuel Macron, la convocation de nouvelles élections en Allemagne a également été motivée par la volonté de porter au pouvoir un gouvernement capable d’imposer de manière agressive une politique brutale de guerre et d’austérité contre la population.

Après la victoire électorale de Donald Trump aux États-Unis, l’ensemble de la classe dirigeante européenne se déplace encore plus à droite.

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«La possibilité d’un gouvernement FPÖ en Autriche est un sérieux avertissement pour l’ensemble du continent. Partout, les dirigeants s’appuient de plus en plus ouvertement sur les forces fascistes pour imposer leur politique de guerre et de coupes budgétaires contre la population », déclare Christoph Vandreier, dirigeant du Parti de l’égalité socialiste en Allemagne, dans une vidéo. «La seule façon de stopper le danger fasciste est donc la mobilisation indépendante de la classe ouvrière internationale contre le capitalisme, racine du fascisme et de la guerre.»

(Article paru en anglais le 7 janvier 2025)

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