Perspective

Les médias allemands font la promotion de l'oligarque fasciste Musk et du parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne

Les politiciens et les médias allemands ont réagi à la victoire électorale de Donald Trump aux États-Unis en banalisant de façon agressive le fascisme. Au début de l’année, l’influent journal Welt am Sonntag a publié un article d’Elon Musk, oligarque américain riche de centaines de milliards d’euros et partisan de Trump, intitulé «Pourquoi Elon Musk soutient l’AfD» (Alternative pour l’Allemagne).

Le président élu Donald Trump écoute Elon Musk à Boca Chica, au Texas, le 19 novembre 2024. [AP Photo/Brandon Bell]

Dans cet article, où Elon Musk fait ouvertement de la propagande électorale pour les fascistes, on peut lire: «L’Allemagne se trouve à un moment critique: son avenir est au bord de l’effondrement économique et culturel». Seule l’AfD pouvait empêcher l’Allemagne de «devenir l’ombre d’elle-même. Elle peut conduire le pays vers un avenir dans lequel la prospérité économique, l’intégrité culturelle et l’innovation technologique ne sont pas seulement des rêves chimériques, mais la réalité ».

Au centre du commentaire d’Elon Musk il y a un appel à une déréglementation économique sans limites, qu’il associe au programme de l’AfD mais qui est en fait partagé par tous les partis au pouvoir. Musk écrit que l’AfD a «compris que la liberté économique est non seulement souhaitable mais nécessaire». L’approche de l’AfD pour réduire la surréglementation gouvernementale, baisser les impôts et déréglementer le marché était à l’image des principes qui avaient fait le succès de ses propres entreprises, comme Tesla et SpaceX.

Alors que Musk a amassé une fortune de près de 500 milliards de dollars ces dernières années, pour les travailleurs de Tesla, ce «succès» signifie littéralement se tuer au travail (article en anglais) dans des conditions d’exploitation brutales.

Le World Socialist Web Site a défini la présidence de Trump comme un «réalignement violent de la superstructure politique américaine pour correspondre aux rapports sociaux réels existant aux États-Unis». La classe dirigeante américaine compte sur le fasciste Trump pour faire avancer son programme de contre-révolution sociale, de déportations massives, de dictature et de guerre mondiale dans l’intérêt de l’oligarchie.

Un phénomène correspondant se produit en Allemagne. Les élections législatives anticipées de février, convoquées par la classe dirigeante allemande, ont pour objectif de préparer le terrain à un gouvernement d'extrême droite qui imposera brutalement les intérêts du capital allemand à l’intérieur comme à l'extérieur. La publication de la publicité électorale de Musk pour l'AfD par l'un des journaux phares de la presse droitière du groupe Springer et les réactions qu'elle a suscitées de la part des politiciens et des médias le montrent clairement.

De nombreux commentaires des médias ont ouvertement loué Elon Musk et défendu la décision de Welt et donc aussi la publicité électorale au profit de l’AfD. Un commentaire de la Frankfurter Allgemeine Zeitung a qualifié les critiques de «l’ingérence d’Elon Musk dans la politique allemande» d’«idioties sur Musk ». Mis à part «ses commentaires grossiers sur X», il «a résumé en un mot ce qui devait être dit dans la campagne électorale allemande»

Dans un commentaire accompagnant l'article d'Elon Musk dans Welt am Sonntag, le nouveau rédacteur en chef du journal, Jan Philipp Burgard, a salué Musk comme «le plus grand génie entrepreneurial de notre époque». Le «diagnostic» d'Elon Musk était «correct, mais sa thérapie proposée selon laquelle seule l'AfD peut sauver l'Allemagne est fatalement fausse». Comme raison, Burgard ne cite pas le programme fasciste de l'AfD, avec lequel il est globalement d'accord, mais bien plutôt le manque d'agressivité du parti envers la Russie et la Chine.

«Les revendications telles que la réduction de la bureaucratie, la déréglementation et les baisses d’impôts ne sont pas mauvaises parce qu’elles émanent de l’AfD», écrit Burgard. Mais Elon Musk semblait «négliger le cadre géopolitique dans lequel l’AfD veut positionner l’Allemagne». Celle-ci cherchait «un rapprochement avec la Russie» et avait « des mots plus amicaux à l’égard de la Chine que des États-Unis».

Lorsque des politiciens allemands critiquent les attaques lancées par Elon Musk contre les représentants du gouvernement – il a, entre autre, qualifié le président allemand Frank-Walter Steinmeier (SPD) de «tyran antidémocratique» – ils le font d’un point de vue similaire. Le chef du groupe parlementaire SPD, Rolf Mützenich, a ainsi appelé le gouvernement allemand à clarifier après l’investiture de Trump «si le manque de respect, la diffamation et l’ingérence répétées dans la campagne électorale étaient également exprimés au nom de la nouvelle administration américaine». Il fallait le «clarifier» car «les défis internationaux ne peuvent être relevés que dans le cadre d’une relation sereine entre nous et les États-Unis».

La sens de cette déclaration est sans ambiguité. Malgré les tensions transatlantiques croissantes et les menaces de guerre commerciale de Trump visant l’Allemagne et l’Europe, la classe dirigeante allemande cherche – du moins pour le moment – à s’allier aux fascistes américains afin d’intensifier la politique de guerre contre la Russie et dans le reste du monde et d’imposer les intérêts de l’impérialisme allemand. C’est précisément cette politique qui nécessite en fin de compte l’instauration d’un régime autoritaire et la réhabilitation du fascisme en Allemagne même.

Dans l’éditorial actuel de l’hebdomadaire d’information Der Spiegel, le rédacteur en chef du magazine, Dirk Kurbjuweit, déplore que l’Allemagne ait «rétréci» l’année dernière. Elle ne pouvait guère plus se considérer comme puissance moyenne et était est en passe de devenir un nain dans la politique mondiale. Faire «ce constat» était «la tâche essentielle du nouveau gouvernement qui prendra ses fonctions au printemps. Un tournant vers la croissance est nécessaire, tant sur le plan économique que politique ».

Kurbjuweit a identifié «un mélange grossier d’obsession de l’histoire et d’amnésie historique » comme l’une des «principales raisons» du «rabougrissement» de l’Allemagne. Dans ce pays, «l’histoire dicte la politique plus fortement qu’ailleurs, ce qui conduit souvent à se ligoter soi-même».

Par exemple, «l’insuffisance de l’approvisionnement de l’Ukraine en armes de longue portée […] se justifie également par le fait que l’Allemagne nazie a envahi et dévasté l’Union soviétique. Par conséquent, les missiles allemands ne doivent pas être autorisés à frapper Moscou».

A l’instar du slogan «Il faut osez plus d’Elon Musk», lancé par Christian Lindner, le chef du Parti libéral-démocrate (FDP) et repris avec enthousiasme par les médias, le commentaire de Kurbjuweit pourrait s’intituler «Il faut osez plus d’Hitler». Ce qui manque à l’Allemagne, écrit-il, ce sont «des stratégies réfléchies, rationnelles, de grandes stratégies, dans les domaines essentiels de la politique». Le prochain gouvernement fédéral «devrait, en plus de la sécurité intérieure, se concentrer sur la croissance durable et la position de l’Allemagne dans le monde ».

Le fait que l’appel à ce que l’Allemagne joue un rôle plus important dans le monde et à la Zeitenwendenouvelle ére ») en politique intérieure et sociale qui l’accompagne vienne précisément de Kurbjuweit souligne que le tournant de la classe dirigeante vers la guerre mondiale et le fascisme a été préparé (article en anglais) de longue date. C’est Kurbjuweit qui, peu après que les représentants de la Grande coalition (CDU-SPD) de l’époque eurent proclamé la fin de la retenue militaire à la Conférence sur la Sécurité de Munich, en 2014, a publié dans Der Spiegel le tristement célèbre essai «La question de la culpabilité divise aujourd’hui les historiens».

Dans cet article, Kurbjuweit attaquait l'historien Fritz Fischer, qui avait minutieusement montré dans son ouvrage Griff nach der Weltmacht (Les buts de guerre de l'Allemagne impériale) que le Reich allemand avait été l'un des principaux responsables de la Première Guerre mondiale. Kurbjuweit citait le professeur émérite de l'Université Humboldt Herfried Münkler qui avait déclaré que les arguments de Fischer étaient «en principe, insensés».

Pour ce qui est des crimes allemands de la Seconde Guerre mondiale, Kurbjuweit fit intervenir dans le débat l’apologiste nazi Ernst Nolte, décédé en 2016. Lors de la Historikerstreit (dispute des historiens) des années 1980, Nolte avait déjà déclaré que l’Holocauste était une réaction justifiée à l’Union soviétique. Kurbjuweit a cité l’historien berlinois et partisan de Nolte Jörg Baberowski ainsi: «Hitler n’était pas un psychopathe, et il n’était pas cruel. Il ne voulait pas que les gens parlent de l’extermination des Juifs à sa table.»

Quelque onze années après cette banalisation répugnante d'Hitler et du nazisme, les avertissements faits à l'époque par le Sozialistische Gleichheitspartei (SGP, Parti de l’égalité socialiste) et son organisation de jeunesse IYSSE ont été pleinement confirmés. La banalisation des crimes historiques de l’impérialisme allemand sert à revenir à une politique impérialiste de guerre mondiale et à l’instauration d’un régime fasciste pour défendre les privilèges de l’oligarchie capitaliste contre l’opposition croissante de la classe ouvrière.

Cette évolution met clairement à l'ordre du jour d'énormes luttes de classe. Les licenciements massifs de 35 000 travailleurs et les baisses de salaires (article en anglais) de près de 20 pour cent chez Volkswagen, convenus peu avant Noël entre les politiciens, la direction et la bureaucratie syndicale, ne sont que le prélude à une guerre ouverte contre la classe ouvrière, visant à détruire tous les acquis sociaux restants.

«La question décisive» est de savoir comment doter l’opposition de masse qui se développe «d’une direction révolutionnaire et d’une perspective socialiste», souligne le manifeste électoral du SGP. «Ce n’est que si les masses interviennent de manière indépendante dans le processus politique, exproprient les grandes banques et les grandes entreprises et les placent sous contrôle démocratique que la guerre et la catastrophe sociale peuvent être stoppées.»

(Article paru en anglais le 4 janvier 2025)

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